Chapitre 19.

Notes de l’auteur : Bonne lecture ! :)

Ponta Delgada était une ville de taille modeste qui avait gardé un aspect pittoresque pour le plus grand bonheur des touristes. Les maisons étaient faites à la chaux, les tuiles en terre cuite et tous les volets arboraient une couleur d'un bleu majorel. Aussi intense que celle du ciel sans nuage.  La forêt était moins dense que sur Comor mais restait luxuriante. Ses rues étaient pavées et ombragées, serpentant jusque sur la petite colline où se dressait le phare historique. En tant que métropole des Açores, le ville bénéficiait de toutes les commodités d'une vraie métropole. Chad et Sibéal apprirent en enregistrant leur arrivée à la capitainerie qu'elle était également la ville qui accueillait un très populaire carnaval de renom dans les archipels, ce qui expliquait l'affluence record du nombre de bateaux dans le port. 

Yakta et Murdock avaient cependant annoncé une réunion concernant les découvertes au temple avant que l'équipage profite de la beauté de ville. Installés dans le spacieux carré du Yak, ils se partageaient des tablettes pour mieux analyser les photos prises par Mohvo.

« C'est vraiment bien conservé, s'émerveilla Apollo devant les couleurs. C'est incroyable.

- La cave était pourtant pas du tout hermétique, fit Sibéal, sans lumière et avec beaucoup d’humidité... ça paraît étrange que la peinture ait pu traverser le temps…

- Les inscriptions ont l'air assez indéchiffrables en l'état, fit Yakta. Ça ne ressemble pas à du latin ou grec.

- Et pas à de l'arabe ancien, ajouta Chad.

- On pourrait aller faire un tour au musée de la ville ? Voir si on retrouve pas les mêmes sur les objets et identifier la langue pour la traduire, proposa Oriag. La civilisation qui a fait ce temple pouvait être présente sur toutes les îles des Açores non ?

- Bonne idée, faudra aussi trouver un type qui nous traduira tout ça, appuya Murdock.

- Ils ont pas une université ? songea Nialh, on pourrait aller y faire un tour et se renseigner si ya des spécialiste une fois qu'on a identifié la langue ?

- Et faire quoi ? Leur montrer nos jolies photos en leur disant « désolé on veut des infos mais on peut rien dire » ? marmonna Wanda, personne ne voudra nous répondre.

- Ya toujours moyen d'obtenir les réponses, fit Murdock avec un petit air entendu, à partir du moment où on cible la bonne personne. »

Wanda haussa les épaules avec circonspection, Nialh lui adressa un regard agacé de tant de mauvaise grâce. Sibéal passa à la vue panoramique qu'avait pris Mohvo. Le regard du visiteur était immédiatement porté par la perspective sur la cité gravée au monument dorée. Cette mise en scène était forcément un indice. Ça ne pouvait pas être un hasard... mais tant qu'ils n'avaient pas la signification des écritures, il n'y aurait aucune possibilité d'en connaître le nom. 

« La ville a l'air importante sur la fresque, constata Yakta. Faut se concentrer sur ce motif et trouver le sens des inscriptions en dessous.

- Elle renvoie peut-être au mythe de l'Atlantique ? proposa Sibéal. 

- Peut-être, m'enfin c'est une vieille légende... fit la capitaine pensive. Quel sens peut-il y avoir derrière ce symbole pour ceux qui l'ont fait ? »

Sibéal glissa un regard à Anak. Elles devraient se pencher sur cette affaire ensemble. Ça n'avait peut-être rien de symbolique du tout. Ils se répartirent leurs tâches respectives, Oriag, Chad et Apollo arpenteraient le musée principal de l'histoire des Açores, Yakta, Murdock et Mohvo celui des arts primitifs tandis que Sibéal, Nialh, Wanda et Anak iraient faire un tour à l'université et sa bibliothèque. La Sioux poussa un petit soupir en regardant par la verrière l'agitation du marché de Ponta Delgada. Son dépit amusa le demi-nain qui lui ébouriffa la chevelure.

« Allez p'tit moineau, tu gazouilleras plus tard !

- Ah ah, très drôle, marmonna-t-elle. Et puis c'est un pseudo secret, faut arrêter de le répéter !

- Oulaaaa très biiiien, fit-il avant de revenir à charge aussitôt, du coup c'est quoi celui des autres ? Joli cœur ? Tronche de cake et Pantouflarde ? »

Sibéal ne put réprimer un gloussement alors que Wanda sembla foudroyer du regard son capitaine. Anak prit un petit air important et reprit avec sérieux les moqueries de Murdock.

« Mais noon, chez les Sioux on a des animaux totem ! On a repris un peu l'idée...

- Vraiment ? Fit Sibéal avec curiosité, c'est quoi celui des autres alors ?

- Pince-oreille, orque, grue et wallaby, répondit-elle d’un air malicieux. Je vous laisse deviner qui et qui !

- Ah ben ça va pas être difficile, s'esclaffa Murdock.

- Eh oh ça va hein ! rouspéta Wanda. On va t'en trouver un aussi, tu vas voir !

- Buffle ? Proposa Anak en faisant mine de réfléchir. Ou bélier ? »

Murdock fit mine quant à lui de mettre un soufflé à l'intéressé, Sibéal éclata de rire.

« Markhor ? renchérit Sibéal. Quartanier ?

- C'est quoi ces trucs ? Fronça-t-il des sourcils suspicieusement.

- Je te laisse aller chercher par toi-même, susurra-t-elle.

- T'es censé être de mon côté Sib, fit-il avec un air dramatique. Je suis ton capitaine !

- Et pourquoi pas babouin pour Nialh ? Coupa Anak.

- Hé ! J'ai entendu, merci bien ! Je suis handicapé du bras, pas complètement sourd ! Rétorqua celui-ci.

- Ou paon ? L'ignora Sibéal. »

Son frère s’immisça aussitôt sur la banquette qu'ils occupaient avec un air vexé sur le visage. Sibéal eut une moue amusée, c'était parfois très facile de le sortir de ces gongs. Il était d'une grande susceptibilité, ce qu'avait tout de suite comprit Anak. Nialh lui adressa un air suprêmement irrité avant de décréter qu'il allait lui trouver lui-même un pseudo.

« Un nom de code qui représentera bien la sœur que tu ais, persifla-t-il.

- Toujours aussi dramatique, soupira-t-elle en faisant un clin d'œil à Anak qui se délectait de son agacement.

- Hum... faut trouver un truc pour Sib, songea Murdock.

- Vipère ! S'écrit brusquement Nialh. Murène !

- Mais naaaan, le coupa-t-il d’un mouvement agacé de la main, un vrai truc. Libellule ou colibri.»

Se faisant, Murdock planta ses yeux dans les siens. Elle sentit ses joues rosir et son cœur rater un battement. Nialh, aveugle à son trouble, s'insurgea brusquement :

« Nan mais oh ! Pourquoi elle aurait droit à un truc mignon elle, hein ? 

- C'est vrai ça ! S'écria Wanda. Pourquoi pas papillon ou dauphin tant qu’on y est ?

- Quoi t'es jalouse ? répliqua le demi-nain sans lui accorder le moindre regard.»

Il se contentait de fixer Sibéal avec insistance, elle se sentit devenir écarlate.

« De toute façon ya toujours eu du favoritisme pour Sib, conclua Nialh. 

- Précisément, fit Murdock avec sérieux.

- Et ya même plus de respect pour les autres !

- Sur le Yak aussi, il n'y en a que pour Chad, renifla Wanda. »

Cette remarque fit éclater de rire Anak qui enroula son bras autour d’elle pour l'entraîner à sa suite. Yakta houspillait les retardataires sur le pont. Sibéal décocha plusieurs coups d'œil furtif à Murdock. Elle essayait de trouver dans son attitude de muettes réponses à ses interrogations. Il lui adressa un petit sourire en coin qui finit de la décontenancer.

OoOoOo

Le petit centre universitaire rivalisait de charme avec le centre ville. Il était composé de plusieurs bâtiments de trois étages dont les vitres étaient orientées vers la mer. Une place circulaire avec des bancs arqués, occupés par des étudiants profitant de leur pause café, donnait au tout une image d'agora grecque dédiée au savoir et au débat. Sibéal se remémora ses propres années étudiantes à Bleá Cliath, les bâtiments étaient en pierres sombres mais l'ambiance qui y régnait était la même.

« Bon, on fait quoi du coup ? Fit Wanda.

- On peut aller se renseigner sur ce qui est enseigné ? Voir le noms des professeurs ? Proposa Sibéal.

- Ouais faites donc ça, j'vais aller faire un tour à la bibliothèque, ajouta Nialh.. Voir si ya pas un truc sur les civilisations anciennes de Açores.

- Où tu vas Wanda ? S'étonna Anak.

- J'vais aller interroger quelques étudiants, fit-elle en inspectant ses lèvres dans son miroir de poche. Faire un petit tour d'horizon.»

Médusée, Sibéal la vit se remettre un peu de gloss avant de s'éloigner d'elle d'une démarche chaloupée jusqu'à un groupe de jeunes hommes jouant au basket torse nu sous un lampadaire. La Sioux sembla peu surprise de ce revirement de situation. 

Elles passèrent les portes automatiques du bâtiment principal, le hall était haut de plafond, abritant un véritable jardin d'intérieur dans son centre. Des chaises étaient disposées dessous pour profiter de l'odeur des fleurs tout autant que de la climatisation. Sibéal admira la structure, l'université était petite mais conviviale. Nanak appréciait également la vaste pièce et elles s'en furent chercher des plaquettes à l'accueil. Elles s'assirent sur une des tables libres et sirotèrent un jus de fruit local tout en épluchant le descriptif des cours dispensés et des professeurs.

« Dis... commença maladroitement Sibéal, il est un peu bizarre non Esteban ? »

La Sioux eut une expression étrange, fuyante, qui la laissa perplexe.

« Comment ça ? Répondit-elle d'un ton évasif.

- Il m'a dit deux trois trucs un peu bizarres... insista Sibéal, comme quoi je finirai au fond de l'océan à m'acharner comme ça sur la malédiction.

- Ah bon ? Fronça des sourcils Anak, il était mal luné non ? 

- Peut-être, murmura-t-elle pensivement, je crois pas qu'il m'apprécie beaucoup... »

Anak lui décocha un petit regard amusé qui la confondit en rougissement. Elle lui donna un petit coup de coude pour la tirer de cette supposition.

« C'est pas du tout ce que tu crois ! 

- Nan mais après je juge paaas, il est canon ! Leva-t-elle les mains en l'air, je vais pas te jeter la pierre !

- J'imagine bien que non, s'amusa Sibéal avec un petit air entendu. N'empêche... il me fait un peu froid dans le dos.

- C'est sa beauté, insista Anak, avec Chad on trouve qu'on finit par les détester d'être aussi beaux. »

Sa remarque la fit rire. Elle se replongea dans la maquette, notant dans son calepin les noms les plus intéressants, mais tout cela lui semblait de bien peu d'utilité... Elle espérait que les autres trouveraient quelque chose de plus intéressant. Soudainement, Wanda s'échoua sur une chaise à côté d'elles. Elle croisa ses jambes bronzées, prenant un petit air supérieur en inspectant ses ongles. Nanak sembla comprendre aussitôt le signal :

« Qu'est-ce que tu as trouvé ?

- Pas quoi, mais qui ! fit-elle avec fierté, j'nous ai dégoté un petit rat de bibliothèque, étudiant en langues , en namatéen je sais pas quoi...

- Et ? Insista Sibéal avec impatience.

- Il sera ravi de me faire plaisir et de me montrer ses compétences sur nos petites inscriptions, exulta-t-elle. »

Sibéal et Anak ne purent que la féliciter, elle rejeta avec une nonchalance feinte ses longs cheveux blonds par-dessus son épaule et commanda un sirop de grenade.

OoOoOo

« C'est la langue des nabatéens, annonça Oriag. »

Elle venait de les rejoindre à un du centre bar, loin du port et de potentielles oreilles indiscrètes, où ils s'étaient donnés rendez-vous pour mettre en commun ce qu'ils avaient pu dénicher. Sibéal, Anak et Wanda sirotaient un mélange d'eau gazeuse et de sirop alcoolisé pour se rafraîchir. Elles écoutaient le groupe qui proposait un petit concert improvisé dans la rue. Les murs blancs des maisons avaient pris une teinte orangée sous les rayons du soleil qui rasaient l'horizon, un air plus frais montait de la mer en contrebas. Le bar était animé et les conversations tournées vers les festivités qui semblaient être une affaire de fierté chez les insulaires. Sibéal s’enthousiasmait déjà à l'idée de se déguiser en princesse Laïa, ou Barbarella justicière de l'espace. 

« ça tombe bien je nous ai trouvé le pigeon idéal pour nous traduire ce charabia, annonça en retour Wanda.

- Sérieux ? Fit Oriag, trop cool ça ! On peut boire à cette occasion, non ?

- Excellente idée ! Répondit Anak en levant son verre.

- On a déjà un peu commencé, s'excusa Sibéal. »

Oriag eut un petit sourire peu étonné avant de s'asseoir entre elles. Sibéal se dit qu'elle aurait d'ailleurs peut-être dû prendre autre chose que ces petites cacahuètes et pistaches au curry avec sa demi-pinte de boisson locale. Elle sentait le soleil cogner avec force sur son front malgré le début de soirée. S'interrogeant sur le reste de l'équipe de sa navigatrice, celle-ci lui désigna d'un petit mouvement du menton Apollo et Chad accoudés côte à côte au bar. Leurs épaules se frôlaient de façon tout sauf involontaire. Une vague d'attendrissement saisit Sibéal. Elle les trouvait bien assortis, peu importe ce qu'en disait son frère.

Elle dodelina la tête au rythme de la guitare et de la voix de baryton du chanteur. Elle oublia de capturer le chant pour Gauvain. Elle se demandait ce que fichait son frère, il n'était pas réapparu depuis qu'il les avait laissées pour la bibliothèque. D'ailleurs quand on parlait du loup... il fit brusquement son apparition un petit air béat sur le visage et un sourire niais accroché aux lèvres. Sibéal arqua un sourcil d'étonnement alors qu'il s'effondra, comme sonné, sur la chaise à côté d'elle.

« J'crois que je suis tombée amoureux Sib, lâcha-t-il. 

- Vraiment ? S'étonna-t-elle. Tu es tombé sur la tête ?

- J'ai eu un coup de foudre, soupira-t-il en posa sa joue dans sa paume les yeux dans le vague. Elle s'appelle Vanessa... »

Sibéal éclata d'un rire sonore, complètement prise au dépourvu par ce revirement de situation étrange mais pas si inédite. Son frère et ses coups de tête... Nialh eut un air relativement vexé mais rien ne sembla le faire dériver de ses tendres pensées.

« Tu peux pas comprendre, répliqua-t-il, tu sors avec un crétin alors que tu as le prince charmant sous les yeux.

- Le prince charmant est déjà bien occupé, taquina-t-elle en lui désigna Apollo qui souriait largement à Chad en lui tendant son cocktail. »

Mais rien ne détourna l'attention de Nialh d’une autre personne que de cette mystérieuse fille. Sibéal resta impressionnée par ce tour de force, rien que pour cela elle donnerait cher pour rencontrer cette Vanessa. Sur ces entrefaites, leurs capitaines arrivèrent accompagnés de Moh à qui un insulaire avait donné un collier de fleurs.

«Alors ? Demanda Sibéal.

- Pfff, on en a vu de la terre cuite et des vases cassés, annonça Murdock en s'asseyant. Que des trucs merdiques... les nains à l'époque avaient déjà construit Karz'ak !

- Nous on a plein de bonnes nouvelles ! S'écria Anak avec enthousiasme. On a trouvé des trucs !

- J'ai trouvé des trucs, rectifia avec dédain Wanda, ne mélange pas tout, tu sirotais un jus tranquillement pendant que je donnais de ma personne pour la mission !

Yakta coupa court à l'échange avec autorité, Oriag lui fit un petit debriefing rapide qui enchanta les nouveaux venus.

« C'est du beau travail, annonça la capitaine du Yak avec un large sourire. On a bien mérité une bière ! Je paie ma tournée ! 

- J'savais bien qu'on était fait pour s'entendre, lui répondit Murdock avec un plaisir évident.»

Sibéal leva son verre à cette remarque et constata avec tristesse que le merveilleux breuvage avait déjà totalement disparu de son verre. Il était plus que temps que la tournée de Yakta arrive. 

OoOoOo

Elle avait perdu toute notion du temps, se balança avec le reste des danseurs en tapant des mains et tournant sur elle-même. Elle avait légèrement le tournis mais son plaisir ne la décidait pas à quitter les pavés improvisés en piste de danse. Un couple de personnes âgées dansait avec une grâce que ne partageaient pas Anak et Valérian. La Sioux avait traîné un Valérian qui s'était enveloppé dans sa superbe mauvaise grâce pour esquisser quelques petits gestes guindés qui malgré le manque évident de rythme avaient fait se tourner la plupart des têtes vers eux. Soit pour l'admirer lui, soit pour fusiller celle qui avait la chance de se déhancher avec un partenaire aussi raide. Il avait abandonné ses doigts à Anak pour la faire tourbillonner.

Euphorique, Sibéal bondit en l'air et en rythme avec le reste des locaux qui chantaient en chœur le refrain de la chanson. Elle fut prise d'un éclat de rire en se sentant chanceler, eut du mal à reprendre son souffle et se décida à rejoindre sa table pour une pause. Du coin de l'œil, elle se délectait de son frère qui avait abandonné son écharpe à un Mohvo attentif et à l'écoute tout en dessinant de petits cœurs et des fleurs sur le tissu.

« C'est pour te faire tout beau pour Vanessa, assura le Sioux.

- Je sais pas si elle va s'intéresser à ça, secoua-t-il la tête avec dépit.

- Mais siiiii. Crois-moi, les fleurs ça plaît à tout le monde !

- Tu crois ? gémit-il.

- C'est comme ça que j'ai eu mon premier rendez-vous avec Cherry, assura-t-il les yeux rêveurs. Et c'est comme ça que je la demanderai en mariage un jour ! Avec un énorme bouquet d'hortensia, ses fleurs préférées!

- Oooooh, c'est adorable, soupira Sibéal. 

- N'est-ce pas ? sourit-il avec satisfaction. »

Il entreprit de lui décrire en long en large et en peinture sa chère et tendre tout en gribouillant sur l'écharpe de Nialh. Sibéal qui avait dû mal à bien suivre les péripéties de la romance hocha la tête pour lui faire plaisir. Elle tressaillit lorsqu'une main se referma sur son poignet. Elle releva les yeux sur Esteban qui la toisait avec hauteur et mépris. Ses traits semblaient déformés, toujours aussi beaux mais presque inhumains. Sibéal avait la tête qui tournait soudainement.

« Arrête tout de suite, siffla-t-il avec véhémence à dix centimètres de son visage, tu vas en crever. 

- Hein ? Gémit-elle. Lâche-moi. »

Sa poigne se fit plus violente, lui rappela celle tortueuse de la pieuvre. Elle eut un frisson de peur dans un éclair de lucidité. Ses yeux brillaient d'une lueur inquiétante qui faisait se ratatiner son ventre au fond d'elle-même.

« Hé ! S'exclama soudainement Nialh sous le coup de l'ivresse, pas touche à ma sœur elle est déjà prise d'abord ! »

Estevan lui adressa un regard brûlant, Sibéal se tortillait pour se dégager de sa main. Wanda apparut alors, se glissant sur ses genoux.

« Ben alooooors ? Où tu étais ? Susurra-t-elle suavement, je te cherchais partouuuuut. »

L'intervention fit se relâcher les doigts de Sibéal, elle en profita pour se dégager et se redresser précipitamment. Wanda darda un œil dans sa direction, pas touche. Sibéal lui abandonna Esteban avec ferveur pour se ruer aux toilettes. Elle bouscula Yakta qui riait au comptoir avec le barman, et s'enferma dans une cabine. Elle se prit la tête entre les mains, ses pensées s'embrouillaient. Il lui fichait la frousse.

OoOoOo

« Mais non, ils sont adorables ! défendit Sibéal, regarde-les ! »

Elle lui désigna le couple que formait Apollo et Chad discrètement en train de parler sans se lâcher des yeux malgré la musique et les conversations bruyantes tout autour d'eux. Nialh eut une petite mine peu convaincue.

« Je suis sûr qu'il en a qu'après son cul, insista-t-il. Et que ça va se finir comme la dernière fois avec cette enflure de Jonas. »

Sibéal fronça les sourcils, essaya de recoller les morceaux de ce drame romantique de l'année dernière dont elle n'était pas sûre d'être présentement en capacité de se rappeler. Elle décida de lâcher l'affaire et d'hausser les épaules.

« Moi je trouve ça romantique qu'il croit encore en l'amour, bégaya-t-elle. Et arrête un peu de dramatiser ! Apollo n'est pas non plus effarouché par la chose ! »

Son verre était tragiquement vide, ce cocktail local l'avait complètement conquise. Elle espérait que Murdock en fin connaisseur avait demandé la composition. Nialh poussa un profond soupir, ce qu'il pouvait être dramatique... Elle posa doucement sa joue contre son bras pour voir les danseurs de façon plus nette. Elle ne connaissait aucune des musiques jouées mais les sonorités entraînantes avaient fini de convaincre habitants de Ponta Delgada et touristes de s'égailler autour du groupe de musique. Son frère jouait avec ses cheveux en chantonnant l'air entêtant sans en connaître la moindre parole. Elle avait l'impression d'être dans un pub du centre de  Bleá Cliath. 

Brusquement, Nialh bondit sur ses pieds l'éjectant de sa confortable assise.

« A BOIRE ! S'exclama-t-il. TAVERNIER ! »

Elle grimaça de son ton aigu, se tourna vers son voisin de droite et posa sa tête sur son épaule.

« Fatiguée ? Fit Murdock.

- Hum hum... »

C'était un très bon cocktail, fait uniquement avec des fruits frais. Une sorte de salade de fruits exotiques sous forme de boisson finalement. Elle était certaine qu'il y avait un tas de vitamines dedans. Elle rit bêtement de cette pensée et bailla. 

«Hey,  tu veux qu'on rentre ? »

Elle leva les yeux sur Oriag, étonnée, avant de comprendre au petit regard qu'elle lui adressait qu'elle parlait à Murdock. Celui déclina la proposition :

« Nan, j'vais rester un peu. »

Leur navigatrice sans s'en formaliser hocha la tête et adressa un salut à Sibéal. Elle l'observa disparaître dans l'assemblée, se perdit dans la contemplation de tous ses gens. Anak et Moh discutaient près du bar, Valérian droit comme la justice était posté près d'eux à se dépêtrer des attentions insistantes de sa cour d'admirateurs. Esteban avait mystérieusement disparu et cette absence l'apaisa grandement. Elle sentait ses paupières s'alourdir... et dire que la nuit dernière ils s'étaient introduits dans le centre d'étude scientifique de l'île de Comor. S'étaient-ils rendu compte du vol ? Les soupçonnaient-ils ? Avait-on signalé l'effraction ? Peut-être pas... Elle bailla à nouveau. Son frère ne semblait pas décidé à revenir.

« Je vais aller me coucher, annonça-t-elle à la cantonade. »

La cantonade se résumait présentement à bien peu de chose... Elle se leva maladroitement, bu une gorgée de son verre d'eau. Apollo fronça les sourcils et l'apostropha.

« Tu veux qu'on te raccompagne Sibéal ?

- ça va aller ! Je vais pas me noyer dans le port, affirma-t-elle avant de rire, ça serait quand même assez tragique...

- T'inquiète Polo, j'm'en occupe, assura Murdock. Qu'on évite d'avoir à la repêcher. »

Apollo hocha la tête. Sibéal se sentit tout à coup fermement maintenue par le bras et guidée par le demi-nain entre les chaises abandonnées. Elle parvient à naviguer hors de la terrasse. Les ruelles alentours étaient bruyantes et lumineuses. Toute la ville semblait prise d'une gaieté générale. Elle se laissa aller contre Murdock, les jambes un peu flagellantes. Son odeur masculine et familière l'enveloppait, elle faisait éclater des dizaines de petites bulles au creux de sa poitrine. Elle lui décocha un sourire lumineux qui sembla l'amuser.

« Tu vas bien dormir, se moqua-t-il.

- Hum, sûrement... souffla-t-elle, on a quartier libre demain, hein ?

- Ben tiens, c'est pas comme ça qu'on va avancer sur l'affaire. Va falloir se bouger le cul demain !

- Pfff.... Grasse matinée, alors ? 

- Tsss, ça va encore crier au favoritisme. 

- On s'en fiche, marmonna-t-elle, comme si ce que disait Nialh t'intéressait... C'est pas comme s'il allait monter une mutinerie... »

Il eut un petit rire qui la fit sourire. Quoi que... Elle imaginait très bien son frère drapé dans son orgueil blessé appelant à la destitution de son capitaine tyrannique. Il pouvait être très dramatique dans ses réactions. Elle lova son visage contre son épaule, poussa un soupir de contentement. Elle n'avait aucune envie d'atteindre le Mod tout de suite et de se détacher de cette source de chaleur d'une langueur euphorisante.

Le port était plus silencieux, tous les touristes l'avaient déserté pour les bars du centre-ville. Le Modsognir semblait dormir paisiblement dans les eaux calmes. Il se balançait lentement bercé par le clapotis de la mer. Murdock enjamba l'écart entre le voilier et le quai, lui tendit la main pour l'aider à faire de même sans finir dans les eaux douteuses du port. Elle eut un petit gloussement triomphale en réussissant son saut de chamois, et bondit sur le pont en brandissant les bras en l'air.

« Va pas te casser un truc, temporisa Murdock, j'ai assez d'un éclopé dans l'équipage. »

Il l'enjoignit d'autorité à descendre prudemment dans le carré pour retrouver le chemin de sa cabine. Aucune lumière à l'intérieur, et pourtant le sommeil qui l'avait assommé un instant plus tôt paraissait bien loin. Elle se tourna maladroitement sur lui.

« Merci, murmura-t-elle. »

Il ne répondit rien, ses yeux la happaient totalement. Elle eut un vertige en sentant ses doigts se poser sur ses joues. Elle leva la main pour caresser délicatement sa barde, complètement absorbée par son geste. Elle était plus douce qu'elle ne l'aurait cru. Il rapprocha sensiblement son visage du sien. Un éclair de lucidité lui traversa brusquement la poitrine. Elle se détacha lentement en rougissant, le cœur battant à tout rompre.

« Bonne nuit...

- A demain Sib. »

Elle referma la porte de sa cabine derrière elle. Son sang bourdonnait dans ses oreilles. Un fourmillement brûlant lui piquait les lèvres. Elle se prit la tête entre les mains en poussant un grognement.


 

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