Chapitre 18

Par Isapass

J’avais plus qu’une idée : déguerpir. Attraper les mômes, un sac de provisions, et pousser ma petite troupe sur le chemin pour foutre le camp sans attendre. Mon cœur s’affolait à mesure que défilaient dans ma tête toutes les fins possibles à cette histoire. Et parmi elles, y en avait aucune qui tournait bien pour nous. Malgré mes piétinements autour du campement, Big Boy a réussi à accrocher mon regard. Il a ouvert les mains pour me montrer Mercy qui allaitait Voyage, Jackson qui dormait à poings fermés et Paul qui tenait à peine sur ses jambes. Compris. On pouvait pas partir comme ça sans réfléchir un minimum. J’ai soufflé un grand coup, j’ai sorti les pages de l’atlas et je me suis assis près du feu.

— On change de direction ? j’ai demandé à personne en particulier. Si on bifurque maintenant, vers le nord, par exemple, on peut peut-être les semer, au moins pour quelque temps.

— Non, a dit Paul sur un ton sans appel. Le Jugement, c’est votre meilleure chance.

Il y a eu un silence pendant lequel j’ai cherché les yeux de Mercy. Elle fixait le reflet du feu dans les lunettes de Paul en fronçant les sourcils. 

— C’est bien gentil, j’ai protesté, mais qu’est-ce qu’on fait si ça existe pas ? On se retrouvera coincés comme des cons entre l’océan et les fusils de Harper et ses gus !

Paul a tordu la bouche comme pour admettre que j’avais pas tout à fait tort, et puis il a secoué la tête en essuyant nerveusement ses paumes sur sa veste.

— Justement je… J’y crois, moi, je sens que c’est vrai cette histoire. Cet endroit existe, j’en donnerais ma main à couper.

Comme aucun de nous répondait, il s’est rapproché de moi.

— Je t’assure, Sam, il a insisté d’une voix presque suppliante en agrippant ma manche. Je suis certain que c’est ça qu’il faut faire.

J’avais tellement envie de le croire… J’y croyais déjà, en fait, puisque j’avais pris cette décision-là en partant de Trinity. Mais c’était en pensant qu’on aurait le temps de chercher ou de trouver un plan de secours si jamais ce foutu Jugement existait pas. Pendant quelques secondes, j’ai eu l’impression que j’allais me noyer. Et puis la basse de Walt m’a sorti de l’eau.

— Il est bien bon, ce juge, avec sa maison où les gens peuvent s’abriter.

J’ai laissé ses mots se glisser en moi comme du lait tiède. Et puis finalement, j’ai hoché la tête.

 

Le ciel passait à peine du noir au gris quand on est repartis. On a libéré le cheval de Paul en l’effrayant pour qu’il nous suive pas, on a laissé une bonne partie de nos affaires planquées sous un taillis. Il fallait aller vite, en prenant seulement des chemins ou en coupant à travers bois, à travers champs. Dans le coin, le sol était fait de sable et de graviers, recouverts d’une herbe rase qui masquait les traces. Nos poursuivants étaient encore sûrement trop loin pour que ça soit important, mais j’avais déjà vérifié, au cas où.

Pendant deux jours, on a bien avancé. Le terrain plat nous facilitait la tâche. Heureusement, d’ailleurs, parce qu’on s’est vite rendu compte que Paul était pas un grand marcheur. Quand même, rien à voir avec les débuts de Mercy sur la route, ses bottines à talons aux pieds, la pauvre. Il souffrait moins et comme elle, il rechignait pas à l’effort. Avec les encouragements de Walt et de Mercy, il nous ralentissait pas tant que ça. Ça m’angoissait un peu, mais ses connaissances et sa façon de réfléchir à toute vitesse rattrapaient bien le temps perdu en marchant. Pour ce qui est des enfants, ils devaient sentir notre peur parce qu’ils se sont mis à râler, chacun à leur manière : Voyage se tortillait dans son hamac en poussant des gémissements pénibles à supporter et Jackson demandait les bras de sa mère depuis les épaules de Walt. Une fois où je lui ai répondu d’une voix trop forte que c’était pas possible, il a sangloté qu’il voulait rentrer voir Miss Helen. Mercy a pas bronché, pourtant ça devait être dur à entendre.

Le second soir, on a trouvé un coin abrité dans un petit bois. On avait presque pas dormi la nuit précédente, Paul et Mercy étaient à bout et les enfants crevaient de faim. De mon côté, j’étais trop survolté pour m’arrêter, alors je suis parti en reconnaissance sur le tronçon du lendemain. J’ai dû marcher une heure sans m’en apercevoir, perdu entre mes espoirs et mes craintes. Est-ce que cet arrêt suffirait pour qu’ils récupèrent ? Où étaient Harper et Jensen ? À nos trousses ou sur une autre piste ? Qu’est-ce qui se passerait pour les petits si on était pris ? Pour Mercy, pour Paul et leur peau noire ? Et encore et encore, est-ce que le Jugement existait bien ? J’ai fini par arriver à une route. Elle était pas goudronnée — c’était rare, dans l’état — mais vu sa largeur, ça devait relier entre elles deux villes assez importantes. J’étais en train de me dire qu’il faudrait rectifier l’itinéraire pour s’en écarter autant que possible quand j’ai entendu un bruit de galop. Le soleil était bas, mais il faisait encore jour, si bien que j’ai pu voir un nuage de poussière à l’ouest. Je me suis caché derrière des arbres avec un sale pressentiment. Il y avait deux cavaliers. À une centaine de pas, j’ai reconnu la veste bleue de Jensen. J’ai fait le trajet à l’envers aussi vite que possible. On a repris la route sans dormir, cette nuit-là.

 

On a encore tenu un jour et demi au même régime sans oser s’arrêter plus d’une heure ou deux. Aucun d’entre nous parlait plus. Paul et Mercy avaient les yeux creusés et on voyait bien à leurs têtes que chaque pas était plus dur que celui d’avant. Je devais pas avoir bien meilleure mine. Ma mauvaise patte butait dans les cailloux ou les racines, et les sacs me sciaient les épaules. Je guettais tellement les roulements de galop ou les cris de nos poursuivants que je finissais par les inventer. Comme toujours, c’était Walt qui nous tenait debout. Il marchait quelques pas devant nous et on avançait comme des somnambules vers son calme et sa solidité de rocher. Seulement au bout du compte, il pouvait pas nous porter tous et je savais que ça durerait pas. On devrait bien trouver à s’abriter. Mais où ?

En fait, j’avais bien une idée. J’avais reconnu le nom d’un patelin sur la page de l’atlas, mais je repoussais de toutes mes forces cette solution. J’en avais même pas parlé aux autres.

Je cogitais là-dessus sous un soleil qui commençait à nous tanner la couenne quand j’ai remarqué les larmes silencieuses qui coulaient sur les joues de Mercy. Je sais pas ce qui m’a pris, ça m’a tellement chamboulé que j’ai presque couru vers elle. Fatigué comme j’étais, j’ai pas vu la pierre qui affleurait, si bien que pour la centième fois depuis le matin, j’ai trébuché. Ma cheville s’est méchamment tordue et je me suis vautré dans la poussière. Je me suis retenu sur les mains aussi fort que j’ai pu pour pas tomber sur Voyage. Réveillée par les secousses, elle s’est mise à brailler de toutes ses forces. Je me suis redressé en me traitant de tous les noms, mais quand j’ai posé le pied sur le sol, j’ai senti un coup de marteau en plein sur l’os et j’ai poussé un cri. Walt a tendu les bras pour prendre la petite et au même moment, Paul a voulu regarder ma cheville. Comme j’étais dans une rage noire, je les ai envoyés balader.

— C’est bon, lâchez-moi !

— Ça suffit, Sam ! a crié Mercy, si fort qu’on a tous sursauté, y compris Jackson qui s’est mis à pleurer à son tour. C’est pas Dieu possible de faire un caprice maintenant ! C’est pas de chance, c’est vrai, mais c’est pas ta faute. Tu vas laisser Paul regarder, qu’on sache si on s’arrête ou pas !

J’ai obéi, bien sûr. Pendant que Walt essayait de calmer les petits, Paul a appuyé un peu partout sur ma cheville en demandant si j’avais mal. Je serrais les dents, mais il a fini par m’arracher un gémissement.

— Je crois que c’est pas très grave, il a dit. Mais ça va te faire souffrir quand même quelque temps. Et puis, si jamais… enfin, tu pourras sans doute pas courir si on y est obligés. Si on pouvait s’arrêter un moment quelque part. Un jour, ou au moins quelques heures, ça serait bien.

J’ai senti la panique me monter dans la gorge à l’idée qu’on avance plus. Je me suis penché vers Walt.

— Tu… tu peux rien faire, Big Boy ?

Il a haussé les épaules sans répondre, l’air fatigué. J’ai failli lui gueuler que c’était pas juste qu’il se serve de son foutu pouvoir sur tout le monde sauf sur moi. Mais y avait Paul qui écoutait. Et je savais que si Walt avait pu me guérir, il l’aurait fait.

Finalement, c’est Mercy qui a tranché.

— On va s’arrêter. Sinon tu pourras plus marcher du tout. Et puis y a pas que toi. On va finir par mourir d’épuisement et on sera bien avancés ! J’ai même plus de lait pour ma fille !

J’ai baissé le nez de honte en disant :

— D’accord.

— Mais… où c’est qu’on peut bien s’cacher ? a demandé Big Boy.

Pour une fois, il avait perdu son air tranquille.

J’ai regardé les cernes sous leurs yeux, sous ceux des petits, même sous ceux de Walt, et j’ai lâché en serrant les dents :

— Chez mon père. On va aller chez mon père.

 

Deux ou trois ans plus tôt, le hasard — ou autre chose, allez savoir — m’avait ramené jusqu’au patelin où j’avais grandi. Je suis resté bloqué un long moment à l’entrée du village sans me décider à franchir le dernier mile, jusqu’à ce qu’un ancien voisin me reconnaisse. Tout étonné, il m’a demandé si je venais rendre visite à ma famille, puis il m’a expliqué que je les trouverais plus ici. La ferme avait été vendue quelques mois plus tôt et mon père, ma tante et les trois petits étaient partis s’installer plus à l’est, dans un endroit appelé Clark Creek. Ça m’a foutu un coup, surtout parce que le choix dépendait plus de moi. Alors j’ai répondu en tordant la bouche que je voulais pas voir ce vieux salaud. Le gars m’a dit :

— Tu as peut-être tort, gamin, il a beaucoup changé.

J’ai pensé « Ça m’étonnerait ». J’ai tourné les talons et je suis reparti. Ensuite, j’ai fait ce qu’il fallait pour éviter Clark Creek quand je faisais la route. Petit à petit, l’idée que je les reverrais jamais s’est enfoncée dans ma tête. Un deuil de plus à faire, un peu de colère en plus.

Mais voilà que tout ça ressuscitait, encore une fois pas de mon choix. Et la perspective de me retrouver devant mon père me remuait les tripes presque autant qu’être rattrapés par les Wilkinson.

J’ai raconté tout ça à Mercy pendant qu’on allait vers Clark Creek. Le coin était couvert de forêt et vallonné, ce qui nous permettait de nous déplacer discrètement. Pour une fois, j’avais laissé Paul nous guider seul après lui avoir craché le nom du village. Il avait fait du bon boulot. On a marché que quelques heures, même avec ma cheville blessée.

— De quoi tu as peur, finalement ? m’a demandé Mercy. Qu’il ait changé ou qu’il ait pas changé ?

— Il a pas changé, tu peux en être sûr ! Même s’il peut faire croire ça à d’autres, avec moi ce sera toujours pareil. Je serai toujours un bâtard, la preuve qu’il a pas su tenir ma mère. Malgré les coups.

Mercy a fait un signe pour montrer qu’elle comprenait, mais elle avait pas l’air très convaincue. Sa question était bizarre : comment j’aurais pu avoir peur qu’il ait changé ? J’ai imaginé mon vieux les bras ouverts, les larmes aux yeux, me demandant pardon de tout le mal qu’il m’avait fait… Mercy avait raison : c’était pire. Parce qu’alors, en plus de tout le reste, même ma fuite aurait été un vrai gâchis. Du coup, je me suis mis à espérer que j’allais le retrouver tel quel. Après tout, je pouvais bien supporter pendant quelques heures les insultes et les regards haineux avec lesquels j’avais grandi.

Au milieu de l’après-midi, Paul s’est proposé pour entrer en ville histoire de situer la ferme Carson pendant qu’on attendrait dans les bois à un peu plus d’un mile de Clark Creek. Il était le moins identifiable de nous tous, il disait. J’avais qu’une confiance limitée dans sa discrétion mais c’était toujours mieux que Walt ou Mercy, et ma cheville me faisait encore mal. Moins que ce que j’avais craint, mais assez pour me ralentir. De toute façon, le patelin était assez grand et on avait pas d’autre moyen de savoir où aller que de demander. Il s’est éloigné en se faufilant entre les arbres.

Au bout de deux heures, il était pas revenu. Mercy était complètement affolée, sûre qu’il lui était arrivé un pépin. Moi j’étais pas tranquille non plus, mais je préférais encore croire qu’il avait voulu faire du zèle ou qu’il s’était paumé. Walt a proposé de partir le chercher.

— Non, j’ai dit. J’aime mieux que ce soit toi qui restes avec Mercy et les petits, au cas où. Trouvez un endroit où vous cacher un peu.

Je me suis dirigé vers le village à travers bois en essayant d’oublier ma douleur à la cheville.

J’étais à mi-chemin quand j’ai entendu des bruits de feuilles et de branches cassées. J’ai accéléré le pas et j’ai vu Paul qui courait dans ma direction comme un dératé. Au moment où j’allais l’appeler, j’ai vu la panique et l’épuisement sur sa figure. Et j’ai entendu les chiens. Des aboiements graves, au moins cinq ou six bêtes. Plus loin derrière, il y avait aussi des voix d’hommes, des cris qui encourageaient les chiens : « Cours, cours ! » Tout mon corps s’est tendu. Mon cœur pulsait dans mes oreilles. J’ai attendu que Paul arrive à ma hauteur, j’ai saisi sa main et j’ai démarré. Sans écouter sa respiration qui sifflait, je l’ai tiré vers la droite où le bois était plus touffu. Je voulais entraîner les poursuivants dans une autre direction, loin de Mercy et des petits. Avec mon élan, Paul a réussi à accélérer et pendant un instant, j’ai compris qu’on avait repris un peu de terrain. Ça ne durerait pas.

— Qui ? j’ai demandé.

Il a pu souffler :

— Harper.

J’ai senti une aiguille le long de mon dos. Avec Jensen, y aurait peut-être eu moyen de discuter. De dire que nos routes s’étaient séparées de celles de Walt et de Mercy, qu’on savait pas où ils étaient. Avec Harper, il fallait trouver autre chose. J’ai repéré la pente et je suis parti dans ce sens.

— Faut… un ruisseau, j’ai expliqué. Que les chiens… perdent notre odeur.

Toutes les pentes mènent pas forcément à un ruisseau, mais ce foutu patelin s’appelait Clark Creek, c’est qu’il devait bien y avoir de l’eau quelque part. Je tirais de plus en plus fort sur le bras de Paul. Je savais qu’il en pouvait plus. Y avait que la peur qui le poussait encore et ma main qui l’aidait à garder l’équilibre. Il tiendrait pas longtemps.

— Sam… il a commencé, j’ai appris…

— Tais-toi… garde ton souffle !

 Entre les arbres, les aboiements se répercutaient. Impossible de se rendre compte à quelle distance étaient ces foutus clébards. La pente est devenue plus raide et les troncs plus serrés, j’ai dû lâcher la main de Paul. Il m’a semblé voir la lisière devant nous. S’il y avait un ruisseau, c’est là qu’il devait être. Je me suis concentré sur ça. Mes pas s’allongeaient, j’avais oublié ma cheville. Mes poumons brûlants se déchiraient à chaque respiration et je pensais à ceux de Paul qui courait depuis bien plus longtemps. J’ai enfin vu un miroitement. Il y avait bien de l’eau ! J’ai tourné la tête pour le dire à Paul, mais il était plus là. J’ai jeté un regard affolé derrière moi et je l’ai repéré plus haut, à une trentaine de pas, légèrement sur la droite. Il avait dû s’écrouler et moi je m’en étais pas aperçu ! J’ai fait demi-tour pour aller le chercher. Je remontais la pente quand j’ai entendu des aboiements beaucoup plus forts, et puis un autre cri d’une voix trop familière : « Attrape, attrape ! ». Le chien est passé devant moi. Un de ces grands bloodhounds aux oreilles tombantes et aux airs bonhommes, que pourtant on utilisait pour chasser les esclaves, avant la guerre. J’ai bondi en avant, mais Harper a surgi sur ma gauche. Il cravachait son cheval, les yeux fous, les lèvres retroussées. J’ai dégringolé dans la pente en l’évitant. Je me suis redressé aussi vite que possible, j’ai ouvert la bouche pour crier, mais Harper a lancé : « Tue ! »

Il avait pas pu prononcer cet ordre ! Pas vraiment ! J’ai entendu la terreur de Paul et mon hurlement s’est mêlé au sien, au moment où la bête a décollé du sol avec un grognement. Elle s’est abattue sur lui et tout d’un coup, y avait plus que moi qui criais.

Ma voix s’est cassée. Plus un son qui voulait sortir. J’entendais plus rien non plus, je flottais, comme un rêve. Dans mon brouillard, j’ai vu trois autres cavaliers arriver avec le reste de la meute, Harper qui voltait vers moi. Nos regards se sont croisés. Ensuite, j’ai senti des milliers de fourmis sur mes bras. J’ai balayé le bois des yeux. La haute silhouette de Walt était là, en contre-haut. Les picotements se sont répandus sur ma peau, sur mon crâne. Le premier hound s’est écarté du corps de Paul avec un gémissement de chiot terrorisé. Les autres se sont accroupis pour pisser en couinant. Puis ils ont détalé sans qu’aucun des cavaliers fassent quoi que se soit pour les rappeler. Faut dire qu’ils avaient l’air paralysés. Ils tremblaient, les yeux écarquillés, la bouche ouverte, des larmes coulaient sur leurs joues, comme s’ils regardaient le truc le plus atroce qu’ils avaient jamais vu sans pouvoir se tirer. Harper s’est dégueulé dessus sans même se pencher. Ils ont failli vider leurs selles quand les chevaux sont partis au galop. Mais finalement, on s’est retrouvés seuls, Big Boy, moi et ce qui restait de Paul, dans un silence complet.

Walt était déjà à genoux près de lui. Je me suis rapproché.

— T’es venu, j’ai dit.

— Oui. Trop tard pour ce pauv’ Paul.

J’avais déjà compris. À voir la lenteur de ses gestes, je savais qu’y avait plus rien à tenter.

— Mercy, les petits ?

— Y sont bien cachés.

En fait, je savais qu’il les aurait pas laissés sans leur avoir trouvé une bonne planque d’abord. Je lui parlais à lui parce que je voulais pas voir Paul. Pourtant il allait bien falloir. J’ai détaché mes yeux des larmes silencieuses de Walt et je me suis forcé à regarder. Sous sa nuque et jusqu’à ses épaules, la terre et les feuilles étaient noires et trempées. Ses paupières étaient grandes ouvertes derrière les verres de ses lunettes, ses traits crispés par la terreur et la souffrance. Sa gorge et sa mâchoire étaient percées de grands trous d’où s’écoulait encore du sang frais. Mais c’était pas de ça qu’il était mort : sa tête tombait sur le côté. Ces chiens-là savaient tuer vite. Une fois leurs crocs plantés, ils s’aidaient de leur poids pour casser le cou de leur proie.

Walt a fermé les yeux de Paul. Ensuite, il s’est levé, il a cherché autour de nous jusqu’à trouver un arbre qui lui plaisait, et il a commencé à déblayer les feuilles. J’ai pas protesté. Moi non plus, je voulais pas le laisser comme ça, et j’étais certain qu’Harper et ses hommes reviendraient pas de si tôt. Tant que Big Boy regardait pas, j’ai pris la main de Paul dans la mienne et je l’ai serrée. Elle était encore chaude. J’ai eu du mal à la lâcher, mais j’ai fini par le faire. Puis, en murmurant un « Pardon » dans ma tête, j’ai ouvert sa veste et j’ai récupéré la page d’atlas dans sa poche intérieure.

On a creusé la terre aussi profond qu’on pouvait avec nos mains nues et on y a couché Paul. Je sais que Big Boy a prononcé une prière, mais je l’écoutais pas. J’avais toujours l’impression que ça arrivait pas vraiment. Je pensais à Mercy. J’étais content qu’elle ait pas vu son ami mourir, ni eu à l’enterrer.

Quand on a eu fini de recouvrir le corps, j’ai pas pu me remettre debout. Ma cheville était tout enflée. Walt m’a pris sur son dos et pendant qu’on retournait vers Mercy et vers les petits, je sentais ses larmes couler sur mes mains.

 

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Tac
Posté le 20/08/2024
Yo!
Bon ben on peut pas dire que je l'avais pas prévu.... Ironiquement l'avant dernier film que j'ai vu y avait aussi un chien qui tuait quelqu'un xD bon de manière moins crade.
Je trouve que le fait que le chien ait brisé le cou de Paul rend la chose moins horrible, je me dis qu'il a moins souffert et que c'était plus rapide que si le chien l'avait lacere avec ses griffes. (on se console comme on peut).
En vrai si j'avais eu un peu de flair, et pas tant espacé mes lectures, j'aurais j'en pense pu deviner que c'est Paul qui y passerait. En vrai j'ai aussi le pressentiment que Walt va disparaître aussi à un moment donné (pas mourir mais juste partir). On verra bien si je devine juste ! En tout cas c'était un chapitre sous tension qui s'enchaîne bien j'ai trouvé !
Plein de bisous !
Isapass
Posté le 25/08/2024
Voilà, c'est bien ce que je disais, tu me connais trop bien ! Tu connais ma prédilection pour le drame et le sang, du coup j'en deviens prévisible à tes yeux de lecteur...
Oui, j'avoue, être tué par un chien, c'est assez crade. Un jour, il faudra que je parle à un psy de ces instincts sadiques, quand même. Mais je me suis un peu rachetée grâce aux vertèbres brisées... (comment ça je me cherche des excuses ?). Le pire, c'est qu'il y a une scène comme ça dans Hunger Games et que j'avais trouvé ça immonde... mais il faut dire que ça dure plusieurs heures. Au moins, j'ai épargné ça à ce pauvre Paul. Et j'ai un peu expié : j'ai réussi à me faire pleurer en écrivant la scène.
Evidemment, je ne commenterai pas tes dernières hypothèses concernant Walt...
Enoooooooorme merci pour ta lecture de ces chapitres et tes commentaires ♥ Faut vraiment qu'on s'appelle.
Plein plein de bisous !
Tac
Posté le 28/08/2024
Après je pense pas que ce soit spécifique à toi, ça tient à la construction d'histoires aussi ! C'est rare que tout le monde s'en sorte et si c'est le cas l'histoire est aussitôt taxée de non crédible... Donc c'est pas du tout grave ni un reproche de ma part !
Haha l'expiation en pleurant en écrivant xD... Bien fait :p
Tac
Posté le 28/08/2024
Après je pense pas que ce soit spécifique à toi, ça tient à la construction d'histoires aussi ! C'est rare que tout le monde s'en sorte et si c'est le cas l'histoire est aussitôt taxée de non crédible... Donc c'est pas du tout grave ni un reproche de ma part !
Haha l'expiation en pleurant en écrivant xD... Bien fait :p
Cricri Administratrice
Posté le 19/04/2024
Oh là là là, ce chapitre est d'une telle intensité ! A chaque fois que j'ai l'impression que la situation dégénère, il y a soudain une lueur... bon, peut-être pas d'espoir, mais disons de possible. L'instant d'après, je suis encore plus catastrophée qu'avant @_@ La mort de Paul m'a tellement choquée, je ne m'y attendais pas - et en même temps, ça rend terriblement concrète la capacité de nuisance de Harper. Comme toujours, à chaque fois que le pouvoir Walt entre en action, je suis partagée entre le soulagement et la façon très organique dont tu parviens à restituer ce qu'il inflige aux malfaiteurs. Pour le moment, ce n'est qu'un répit, je suppose, mais là, on prend ! Et comme si ce chapitre n'était pas assez remuant, l'évocation du père de Samuel fait remonter à la surface beaucoup de choses. La question est : a-t-il changé ? n'a-t-il pas changé ? et qu'est-ce qui est préférable ? :'3 Donc voilà, encore un chapitre passionnant qui m'a fait passer par toutes les émotions, bravo à toi pour cette reprise d'écriture très réussie ! J'ai hâte de lire le prochain ♥
Isapass
Posté le 20/04/2024
J'avais prévenu que j'aimais le drame et les larmes, hein ! Bon, ok, et un peu le sang aussi... Et je peux même pas dire que c'est l'influence de Sej : je crois que j'avais déjà ça en moi :D
C'est horrible à dire, mais les scènes comme la mort de Paul, c'est typiquement celles que j'adore écrire. Mais d'un autre côté, c'est très casse-gueule parce que ça chamboule aussi de les écrire et qu'on ne sait plus très bien si elles sont réussies ou pas, au final. Donc, merci pour la confirmation. Si ça brasse, c'est bien, c'est ce que je voulais (je fais partie de la guilde des autrices sadiques).
Oui, le côté "organique" (j'aime bien ce mot), il marche mieux que de grandes explications. J'espère que j'en abuse pas.
La rencontre avec son père, qui pèse sur tout ça, elle compte en effet pas mal pour Sam. Côté technique, je l'avais écrite, cette rencontre, puis j'ai décidé de la différer, donc j'espère que les modifs conviendront. Cf. le prochain chapitre que j'ai presque terminé (et qui est monstrueux...)
En tout cas, encore une fois, tes retours sont très agréables à lire, je suis ravie que ça continue à te plaire.
Un énorme merci pour ta lecture et ton commentaire ♥
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