Chapitre 18 Alek

Par Ysaé

Il devait être trois heures du matin et Alek n’avait toujours pas fermé l’œil. Habitué de ces longues nuit d’insomnie, il décida de s’occuper en attendant les premiers signes d’endormissement. Il frotta deux pierres à feu pour allumer sa lampe puis se rasa se près, concentré sur son petit miroir. Des papillons de nuits tournoyaient autour de la source lumineuse. Avec un ciseau, il rectifia ensuite sa coupe de cheveux (pas trop court, cela lui donnait l’air encore plus malade). Il s’astreignait à une hygiène de vie stricte : à Stronk, il avait appris que se laisser-aller, c’était mettre un pied dans la tombe. Et pour lui qui avait toujours navigué au large des eaux troubles de la folie, s’enjoindre une discipline du corps et de l’esprit relevait de l’instinct de survie.

Les émotions d’Olivia étaient en veille, signifiant qu’elle dormait. Alke n’aimait pas cette sensation de vide que cela lui procurait.

Olivia Mahe. Elle lui avait fait si mal… cette créature avait un tel pouvoir sur lui, c’en était terrifiant. Selon son bon vouloir, elle pouvait le mettre à terre, le briser, l’empêcher à jamais de se relever. Il était nu face à elle, sans protection. L’imaginer avec Brenair… la jalousie le rongeait comme un bain d’acide. Alek se répétait à l’envie qu’elle n’y avait pas pris de plaisir (il l’aurait sentie, sinon), qu’elle ne l’aimait pas… mais la simple idée que cette raclure de Balaya l’ait touché, l’ait possédé… il lui démangeait de repartir achever l’Alek-lazher sur le champ.

Tilma Oclamel était venu le voir trois jours plus tôt pour le prévenir qu’elles quittaient le camp quelque temps. La rousse en avait profité pour pour tenter de lui expliquer - passablement embarrassée - que du point de vue de son amie, les rapports sexuels ne prêtaient pas obligatoirement à conséquence :

— Dans son monde, les mœurs sont différentes. Ce n’est pas parce qu’on fait… enfin tu vois… avec un homme qu’on souhaite l’épouser.

L’union des corps était un engagement fort dans la tradition lufzanne, une invitation de la femme à rejoindre son clan. Et comme tout ce qui concernait les clans, c’était pris très au sérieux. Alek avait beau avoir grandi à Stronk où coexistaient toutes formes de déviances, il n’en portant pas moins le poids de sa culture et de son éducation : il n’avait d’ailleurs jamais vu son oncle Martin avec une femme. Alors même s’il pouvait concevoir qu’Olivia ait des repères différents (et encore, qu’était-ce donc que ce monde dépravé !), il était impensable qu’elle se comporte ici comme une sans-clan. Il aurait dû lui expliquer tout cela, du danger auquel elle s’était exposée avec Brenair Balaya …mais comme un imbécile, il n’avait su que la blesser, aveuglé par sa colère et son humiliation.

Accepterait-elle de lui pardonner ? L’idée qu’elle puisse l’écarter définitivement le torturait : jamais il ne pourrait se résoudre à s’éloigner d’elle. En était-il capable, d’ailleurs ?

A cela s’ajoutait cette mission de recrutement. Ce genre d’opération de présentait généralement pas de risques pour les premières sentinelles qui n’entraient jamais en contact avec les étrangers. Ça n’empêchait pas Alek d’être bouffé par l’angoisse. Clovis pensait avoir fait preuvre d’indulgence à son égart, mais il l’avait en réalité condamné au pire : être séparé d’elle, son centre de gravité, sa colonne vertébrale.

Il hésitait à la rejoindre.

Ce n’est pas raisonnable. Le Commandant ne pourrait plus ignorer mon attachement envers elle, sans compter les inévitables sanctions. Soyons patient.

Mais au fond de lui, une autre voix bataillait :

Ne lui dois-tu pas des explications, après ton comportement inqualifiable ? Comment pourrait-elle te voir autrement qu’une brute épaisse et dénué de sentiment après cela.

Elle ne m’aimera jamais de toute façon. C’est naïf que de continuer d’y croire.

Et ce que tu as sentis, lorsque vous étiez ensemble chaque jour, elle l’a simulé peut-être ? La joie de te retrouver, d’être avec toi… l’allégresse de son cœur !

Oui, il l’avait senti, et cela lui avait donné de formidables espoirs. Les sentiments d’Olivia étaient en train de changer. Elle s’attachait à lui, d’avantage de jour en jour. Le cœur d’Alek s’accéléra : il était peut-être en train de laisser sa chance lui glisser entre les doigts. Pire encore, il l’abandonné, avec son amie à la folie vengeresse pour seule soutien. Sa décision était prise : il regagnerait ses faveurs, quel qu’en soit le prix. L’heure était venue de quitter le camp de l’Est. Définitivement.

Il entreprit de rassembler ses affaires, quelques réserves de nourriture, l’essentiel. Son talent de sabreur lui épargnait les soucis relatifs au manque d’argent : il pouvait au besoin rançonner des voyageurs ou participer à des duels rémunérés.

Le plus difficile allait être de quitter les abords du camp sans être repéré ; heureusement de nuit, l’entreprise serait plus aisée.

 

Au petit matin Alek avait atteint la forêt Halda, après plusieurs heures de cache-cache silencieux avec les sentinelles (démontrant si besoin était que le camp n’était pas aussi sécurisé que le Commandant aimait à le penser). Il devait maintenant convaincre Tilma Oclamel du clan Fara de s’enfuir. Trop de temps avait passé, trop d’erreur avait été commises. Alek n’était pas certain de posséder la force de persuasion nécessaire, mais il savait qu’Olivia ne le suivrait jamais sans sa sabreuse d’amie.

En toute logique, les deux femmes devaient se trouver à proximité l’une de l’autre. Quand enfin il les repéra, Alek fut gagné par un soulagement teinté d’excitation : il était à nouveau près de son soleil. Il se camoufla pour les observer avec un plaisir non dissimulé.

Enroulé dans une couverture épaisse, Mahe dormait d’un sommeil profond, la respiration apaisée. Ses cheveux châtains emmêlés cachaient une partie de son doux visage aux lèvres ourlées. En plein jour, ceci signifiait que les deux femmes étaient de repos. Quant à Oclamel, elle était occupée à écouter le message d’une pierre épitre, adossée contre un arbre. Elle se leva soudainement et marcha droit dans sa direction.

— Tu nous rends une petite visite de courtoisie ? Le salua-elle ironiquement.

Alek se redressa, un peu vexé d’avoir été aussi facilement découvert.

— Je m’ennuyais.

— Combien de temps avons-nous avant que le Commandant ne débarque avec sa clique ?

Cette question le ramena brutalement à la réalité. Il essuya la sueur de son front avec sa manche : il se serait coupé un doigt pour qu’Olivia lui appose ses mains sur son dos. 

— Medon ne se rendra pas compte de mon absence avant un bon moment. Fara, jusqu’où va ta loyauté envers la rébellion ?

— La n’est pas la question. Pourquoi ne pas en venir directement au fait : tu veux l’emmener (elle désigna Olivia du menton) … et que je me rallie à ta cause.

— Il me semble qu’il ne s’agit pas uniquement de la mienne.

— Seul l’Empereur m’intéresse.

Alek se mordis la joue pour garder son calme.

— Nous ferons tomber le tyran, ensemble. Ton clan sera réhabilité. Mais sans l’ylure, rien de tout cela ne sera possible. Lili est la clef.

La sabreuse le jaugeait, disposée à se laisser convaincre.

— Tu oublis que le l’ylure n’est toujours pas réciproque. Et si cela n’arrivait jamais ?

— J’ai besoin d’encore un peu de temps. Laisse-moi la soirée seul avec elle. Ensuite, nous partirons.

Tilma hocha lentement la tête.

Quelle femme agaçante que cette Oclamel ! Il était clair qu’elle comptait également quitter le camp de l’Est depuis un moment.

— ALEK ?! Mais qu’est-ce que tu fous là ?!

Les deux Avel-lazhers se tournèrent d’un seul mouvement : Olivia s’étirait, le visage accusateur. Tilma botta immédiatement en touche :

— Je crois que vous devriez vous expliquer tous les deux… On se voit demain matin ! déclara-t-elle à sa coéquipière.

Elle attrapa un gros sac et fila avec un clin d’œil pour Alek.

— Quoi ?!

La consternation d’Olivia monta de deux crans quand elle comprit que son amie venait vraiment de déguerpir. Alek n’avait pas besoin de l’ylure pour deviner qu’elle ne se trouvait pas de ses meilleures dispositions et choisi de retarder la confrontation.

— Eloignons-nous d’ici. Je connais un endroit où nous pourrons discuter.

— Non mais je rêve !

Sans attendre de réponse, Alek souleva les deux sacs qui devenait contenir le matériel de campement et s’engagea sur sa droite à travers les arbres. Il savait qu’Olivia lui emboiterait le pas : elle était trop trouillarde pour rester seule. Il l’entendit derrière lui pestant, le pas aussi discret qu’un troupeau de krut. Cela lui arracha un sourire. Malheureusement, elle n’était pas décidée à retarder leur échange :

— Pourquoi t’es venu ?!

Alek continua de marcher :

— Il fallait que nous nous parlions.

— Ah vraiment ? Parce que je crois que tu as été suffisamment clair, non ? Comment était-ce déjà ? Ah oui : je ne vaux rien de plus qu’une putain !

Les joues d’Alek se colorèrent de honte.

— Tu sais bien que je n’ai jamais pensé cela de toi. C’est que… toi et l’autre. Je n’ai pas supporté.

— Tu aurais peut-être préféré être à sa place ?!

Elle cherchait à le provoquer, et avait atteint son but. Il fit volt face, piqué au vif.

— A sa place, je ne me serais pas contenté d’un rapide coït entre deux rondes. A sa place, j’aurais pris le temps de te déshabiller et je t’aurais honoré comme tu le mérite. Et tu m’aurais supplié de te continuer, crois-moi.

Ce fut au tour d’Olivia de rougir, ce qu’Alek nota non sans satisfaction. L’excitation de la jeune femme avait été très brève, mais il avait eu le temps de clairement l’identifier. Il sentit gonfler son propre désir et s’écarta, gêné.

— Peut-être que je ne mérite pas un tel traitement, souffla-t-elle.

— Ne dis pas de sottises.

La conversation dérapait sur un terrain périlleux. Alek, préféra se taire et sonder le cœur de la jeune femme. Olivia n’était pas réellement furieuse contre lui.

Oh.

Aucune émotion de ressortait particulièrement : c’était un véritable imbroglio. Elle était donc suffisamment attachée à lui pour lui pardonner. Envahit par une irrésistible bouffée d’amour, Alek ne trouva rien de mieux à dire que :

— Aimerais-tu que je t’apprenne à chasser ?

Elle le regarda bizarrement, et il sentit monter en elle de l’attendrissement, un sentiment qui fleurait bon le gâteau tout juste sorti du four. Et soudain, elle se mit à rire. Un rire franc, cristallin, qui vibra en lui tel un baume. A sa grande surprise, un bourdonnement grave s’échappa en retour de sa poitrine, remontant jusqu’à sa gorge. Ils restèrent ainsi durant quelques secondes à pouffer comme deux idiots. La réconciliation était consommée.

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dodoreve
Posté le 16/01/2021
Encore une fois la façon dont tu gères leur réconciliation m'impressionne beaucoup ! Ce n'est pas du tout lourd, et complètement en adéquation avec leurs caractères. J'ai hâte de voir comment ça va évoluer dans le chapitre suivant. Voilà : je suis bel et bien accro à ton histoire et à tes personnages. Je me dépêche de poursuivre du coup !
Ysaé
Posté le 17/01/2021
Oui les choses commencent à s'accélérer ! Je vois Alek et Olivia comme deux personnes assez introverties, du coup ce n'est pas toujours évident de le retranscrire dans les dialogues. Contente dans tous les cas que ce passage t'ai plu :)
_HP_
Posté le 17/05/2020
Coucou !

Youpi, réconciliation ! J'aime beaucoup leur relation, à tous les deux, c'est très touchant ^-^
J'ai hâte de voir comment et quand Olivia apprendra qu'elle est concernée par l'Ylure, avec Alek, et ce que ça aura comme conséquences ^^

• "Habitué de ces longues nuit d’insomnie" → nuits
• "puis se rasa se près, concentré sur son petit miroir" → de près
• "à Stronk, il avait appris que se laisser-aller, c’était mettre" → se laisser aller
• "Alke n’aimait pas cette sensation de vide" → Alek 😄
• "(il l’aurait sentie, sinon) [...] l’ait touché, l’ait possédé…" → senti / touchée / possédée
• "repartir achever l’Alek-lazher sur le champ." → Avel-lazher, non ? 😄
• "Tilma Oclamel était venu le voir trois jours plus tôt" → venue
• "il n’en portant pas moins le poids de sa culture" → " n'en portait", je suppose ^^
• "Ce genre d’opération de présentait généralement pas de risques" → ne présentait
• "Clovis pensait avoir fait preuvre d’indulgence à son égart" → égard
• "Et ce que tu as sentis, lorsque vous étiez ensemble chaque jour" → senti
• "Elle s’attachait à lui, d’avantage de jour en jour" → davantage
• "Pire encore, il l’abandonné, avec son amie à la folie vengeresse pour seule soutien" → abandonnée / "il l'a abandonnée", non ? 🤔😄 / seul soutien
• "Trop de temps avait passé, trop d’erreur avait été commises" → erreurs / avaient
• "La n’est pas la question." → là n'est pas
• "qu’elle ne se trouvait pas de ses meilleures dispositions et choisi de retarder la confrontation" → choisit / "elle ne se trouvait pas de ses meilleures dispositions", cette phrase est un peu confuse et embrouillée ^^
• "Il fit volt face, piqué au vif." → volte face
• "et je t’aurais honoré comme tu le mérite" → honorée / mérites
• "Envahit par une irrésistible bouffée d’amour, Alek ne trouva" → envahi
Ysaé
Posté le 17/05/2020
Réponse à la fin du livre ;) Je me demande comment tu arrives à lire et corriger en même temps (tu auras remarqué que j'ai du mal à écrire et me corriger en même temps XD).
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