Chapitre 18 - Blaine

Tout au long de la matinée, j’avais échangé quelques messages avec Charlie. Elle aussi s’occupait de la boutique avec sa famille. Enfin, elle avait ses deux pères avec elle. De notre côté, les parents étaient encore en escapade pour divers contrats.

Ulric avait pris les devants de la boutique, comme le voulait notre père. Depuis que j’avais défendu ma sœur, je n’étais plus le fils prodige, au contraire.

— Blaine, tu ne devrais pas être ici ! me lança mon frère en me voyant travailler sur quelques compositions.

— Papa n’est pas là et mis à part notre famille, personne n’est au courant de cette histoire, rétorquai-je d’un ton assez blasé.

Mon frère s’approcha de moi et s’empressa de m’arracher des mains la fleur que je venais de prendre.

— J’en ai rien à faire. T’as suffisamment causé de problèmes comme ça.

— Pardon ?

— Tu n’avais pas à la protéger à ce point-là.

— Je croyais qu’on était clair là-dessus, soupirai-je.

Malheureusement, il avait dû avoir une conversation avec mon père où celui-ci avait tenté de le lui « remettre les idées en place ». Mon frère n’avait sûrement pas pris suffisamment de recul pour contester ses dires et avait accepté de le croire. Ça se voyait dans son regard. À Noël, il avait eu un peu de compassion pour moi. Aujourd’hui, ce sentiment était totalement inexistant à ses yeux.

Mon frère était désormais le pion parfait pour mon père.

— Très bien, je vais faire autre chose... Mais ne viens pas te plaindre qu’il y a trop de boulot, ajoutai-je en levant les yeux au ciel.

Il ne dit pas un mot et bougea à peine, jusqu’à ce qu’un client franchisse le seuil de la boutique. Il vint l’accueillir, un grand sourire sur les lèvres. D’une seconde à une autre, il avait réussi à changer drastiquement d’expression faciale. Comme toujours, il était extrêmement doué avec les masques.

Charlie m’envoya de nouveaux messages où elle se plaignait de quelques clients. Je ne pus m’empêcher de légèrement rire à ses remarques, ce qui déplut immédiatement à mon frère. Il me réprimanda d’un bref regard puis vint me voir lorsque le client lui laissa un temps de pause.

— À quoi tu joues ? me demanda-t-il d’un air furieux qu’il tentait de masquer.

— Je répondais juste à un message, calme-toi.

— Tu le fais souvent ça de répondre à des messages et de faire ce genre de têtes. À qui tu parles ?

— Ce ne sont pas tes affaires...

Je quittai la boutique pour rejoindre le salon, mais il me suivit d’un pas pressant.

— Je ne sais pas qui est cette personne, mais j’ai l’impression qu’elle a une mauvaise influence sur toi, m’asséna-t-il violemment.

— Pardon ?

— Je vois bien que t’es en train de changer ces derniers jours et tu t’enfonces de plus en plus dans des problèmes...

C’étaient les paroles de mon père ça, pas celles de mon frère. Maintenant, j’en avais la confirmation. J’en aurais bien discuté davantage avec lui, essayer de lui prendre conscience de ses dires, mais malheureusement, ce ne serait pas avec mon frère que j’échangerais, mais avec mon père. Ce genre de discussion était totalement inutile, mis à part m’autodétruire.

Alors, je lançai un bref regard à mon frère et quittai la maison après avoir enfilé mon manteau au passage.

Il allait probablement m’en vouloir bien plus, mais c’était ce que j’avais de mieux à faire...

 

*

J’avais fait le tour des pâtés de maisons et je me rappelai encore de la tête de mon frère quand j’avais franchi le seuil de la maison. Il y avait du mépris et de l’incompréhension, comme ce qu’avait pu me montrer mon père au fil du temps.

Malheureusement, je craignais que mon frère ne serait plus un allié et que, au contraire, je devrais me méfier de lui comme je le faisais déjà avec mon père.

Je savais, pour le moment, qu’il garderait le secret de Kayla avec notre grand-mère et moi. Mais j’ignorais pour combien de temps. Peut-être qu'un jour, il se réveillerait en croyant connaître la solution miracle pour la sauver et prendrait des décisions à sa place, des décisions qui la détruiraient plus qu’autre chose.

J’avais comme l’impression de perdre mon frère et je n’arrivais pas encore à m’y résoudre. Dire qu’il y avait tout juste quelque temps, nous étions si proches, totalement inséparables. Puis j’avais commencé à m’éloigner de lui en sortant avec Tyler, parce que je savais qu’il ne comprendrait pas, parce que personne ne le comprenait dans notre famille. Puis les drames s’étaient succédé et finalement, nous avions pris deux chemins trop différents.

Dans mon chemin sans réel but, je tombai face à une maison bleue. Immédiatement, je me rappelai de ce couple de personnes âgées que j’avais dessiné. En regardant de plus près la rue dans laquelle je m’étais arrêtée, je reconnus la café à l’autre bout. J’étais visiblement au bon endroit.

J’inspectai brièvement le jardin et les alentours. Comme n’importe quelle maison, l’herbe était incroyablement verte, mais la décoration différait de toutes les demeures de la rue. Il y avait quelques fleurs roses et bleues sur le pavillon, deux chaises blanches qui formaient un parfait petit coin pour se poser, observer la rue en prenant un café ou un thé. Le jardin avait quelques décorations, mais contrairement aux habituels nains de jardin, on pouvait y trouver quelques flamants roses.

Contrairement aux maisons aux alentours, il y avait de la couleur et personne ne devait se douter qu’un petit couple de personnes âgées vivait ici.

Après avoir pris une longue inspiration, je m’approchai du perron et osai sonner. Au bout de quelques minutes, le même petit vieux vint m’ouvrir, tout sourire. Cet homme respirait tellement la joie de vivre que c’en était perturbant, mais en même temps, si rafraîchissant.

Malheureusement, je n’avais pas vraiment un entourage très heureux ou qui arrivait à profiter de la vie. Malgré nos jeunes âges, nous avions déjà été confrontés aux âfres de la vie. Et pourtant, il y avait des personnes comme lui qui avait le triple ou le quadruple de notre âge et qui arrivait à profiter. Ç’aurait pu être un masque, comme de nombreuses personnes le faisaient, mais son sourire était atrocement sincère.

— Oh mais voilà le jeune artiste ! lança-t-il en me prenant dans les bras. Je vais prévenir Trudy que tu es là... Mais entre, installe-toi.

Il me conduisit jusqu’à un petit salon en me proposant du thé que j’acceptai volontiers. Il me laissa seul quelque instant et mon regard se perdit sur quelques photos accrochées au mur. Il y avait de nombreuses photos de leur famille, mais également des photos de groupe. J’y reconnus le nom de plusieurs associations, notamment CARE.

La femme aux longs cheveux d’argent, Trudy, entra dans la pièce. Immédiatement, elle me reconnut et me sourit. Elle aussi respirait la joie de vivre et je me sentais presque gêné de ne pas être aussi optimiste dans ma vie. Elle remarqua alors que mon regard s’était posé sur les diverses photos.

— Harold et moi aimons beaucoup faire du bénévolat pour des actions caritatives, m’expliqua-t-elle. On le fait même assez souvent en famille.

Je lui adressai un simple sourire. Tout était si parfait ici que c’en était perturbant. Il existait des familles aussi bienveillantes et optimistes, c’était si différent de la mienne. D’un côté, ça me rendait terriblement triste de voir que je n’avais pas eu de chance, mais de l’autre, ça me faisait relativiser. Au moins, ma famille n’était pas la normalité.

— Tu as déjà fait du bénévolat ? me demanda-t-elle pour capter mon attention.

— Non... Mais peut-être que je devrais essayer. Je suis sûr que ça intéresserait ma copine.

Elle me parla brièvement d’un évènement à venir dans la semaine. Je notai toutes les informations, au cas où. Je verrais avec Charlie si ça l’intéresserait, mais j’étais persuadé qu’elle serait partante.

Harold revint alors avec un service à thé qu’il posa sur la table au centre de la pièce. Je m’installai alors que Trudy commençait à raconter quelques anecdotes de ses bénévolats, en cœur avec son compagnon.

Pendant un bon bout de temps, je restai à les écouter tout en sirotant mon thé. C’était vraiment tellement attendrissant.

À la fin de notre discussion, ils me proposèrent de revenir à n’importe quel moment, même si c’était pour pas grand-chose. Comment des personnes que je connaissais à peine pouvaient-elles être aussi accueillantes ?

En reprenant le chemin jusqu’à ma maison, j’informais Charlie sur le bénévolat qu’ils m’avaient proposé de participer. Immédiatement, elle fut très enthousiaste à cette idée. Nous prendrions probablement un énorme risque, mais il y avait peu de chances que quiconque de notre entourage se retrouve dans ce genre d’évènements.

Au bout de quelques minutes de marche, je retournai chez moi où mon frère venait tout juste de fermer la boutique. Quand il me voit franchir le seuil, il n’hésita pas à me jeter un regard noir, comme s’il était prêt à me tuer sur place. Néanmoins, ça ne m’empêcha pas de me faire un café sous ses yeux.

Il mourrait d’envie de m’asséner d’une énième remarque et de répéter encore et encore la même discussion toujours aussi vide de sens.

— Kayla est encore en contact avec Charlie ? me demanda-t-il, l’air grave.

J’eus un bref tremblement que je retins aussitôt.

— J'en ai aucune idée...

J’étais persuadé qu’il ne me croirait pas. Après tout, j’étais un terrible menteur. Surtout que la situation était bien plus compliquée désormais. Charlie n’était pas que l’amie de Kayla, elle était également ma copine. Et chaque jour, je m’enfonçai de plus en plus dans mes mensonges... Malheureusement, un jour, tout ceci finirait par ressortir et les conséquences seraient probablement bien pires que tout ce que je ne pourrais jamais imaginer. Tout ça parce que nos familles s’étaient enfermées dans un stupide conflit.

— Comment ça tu n’en sais rien ? Ça ne peut pas te passer au-dessus du nez quand même. Tu es tout le temps avec elle.

— Je ne contrôle pas la vie de ma sœur non plus, rétorquai-je d’un air un peu trop hargneux.

Il secoua sa tête comme s’il m’en voulait. C’était assez désastreux de voir qu’en à peine quelques jours, son discours avait pu totalement changer pour rejoindre celui de notre père. Mais ça ne m’étonnait pas. Notre père pouvait être très convaincant, tout ça parce qu’un climat de peur régnait dans notre famille depuis des années.

Alors qu’il était sur le point de prendre la parole de nouveau, il fut interrompu par le brusque claquement de la porte d’entrée. Je me levai d’un bond et aperçus Kayla assise par terre, recroquevillée sur elle-même en sanglotant.

Je m’assis immédiatement à côté d’elle et elle me serra fermement contre elle, laissant couler un torrent de larmes sur mon épaule.

Ulric nous avait rejoints et regardait la scène du coin de l’œil, étant tout juste entré dans la pièce. Quelques minutes auparavant, il était sûr de ses propos et la moindre de ses expressions faciales était contrôlée. Et désormais, je le voyais faiblir. Il redevenait le gamin qui avait complètement été manipulé par quelques conflits familiaux.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? osa-t-il demander, la voix tremblante.

Ma sœur n’arrivait pas à articuler le moindre mot. Elle n’avait pas d’autres moyens que ses larmes pour échanger.

— Est-ce que tu as repris quelque chose ? m’enquis-je d’une douce voix.

Elle secoua la tête et me relâcha un instant pour essuyer ses larmes. Elle tenta d’articuler quelque chose la première fois, mais impossible. Elle calma alors ses larmes petit à petit et je la laissai faire sans dire un mot.

— J’ai croisé... mon dealer, commença-t-elle d’une voix à peine audible. Il m’a poursuivi... mais j’ai réussi à le semer. Il va me retrouver...

Je la serrai de plus belle contre moi. J’ignorais quels états elle venait de traverser, mais c’était suffisant pour qu’elle en perde la parole et tremble.

J’aimerais tellement la protéger de cet individu, malheureusement, j’étais encore une fois impuissant. Il était celui qui l’avait fait plonger dans une terrible addiction et il pouvait facilement recommencer. Kayla avait encore tellement de chemin à parcourir avant de pouvoir être saine et sauve...

Mon regard se posa de nouveau sur mon frère. Cette fois-ci, c’était avec horreur qu’il découvrait cette situation. Si seulement l’emprise de notre père n’était pas aussi forte, il serait de nouveau de notre côté pour toujours. Malheureusement, je savais déjà que ce ne serait que d’une courte durée...

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez