Chapitre 19 - Charlie

Dans la semaine, Blaine m’avait proposé de faire du bénévolat avec lui et j’avais immédiatement accepté. J’avais eu l’habitude d’en faire avec ma famille depuis toute petite et j’avais toujours aimé ces expériences. Alors, ce ne pouvait être que d’autant meilleur avec lui. 

Avant de partir, je pris rapidement quelque chose à manger et croisai mon père Ryan dans la cuisine. Il n’osait pas poser la moindre question, mais je voyais bien à sa tête qu’il en mourrait d’envie. Alors il se contenta d’une simple remarque :

— Dis donc, tu as l’air bien pressée. Tu n’aurais pas quelqu’un à retrouver par hasard ?

J’avais terriblement envie de lui en parler davantage, mais c’était impossible. Je devais me contenter d’être uniquement vague. J’avais déjà menti à mes parents, sauf que je ne pensais pas que ce serait aussi sur le plan sentimental. 

— Oui. Je vais rejoindre mon copain...

Ma respiration se coupa un instant et je craignis terriblement sa réaction. Puis il sourit et j’expirai longuement et plutôt silencieusement. 

— Le fameux copain ! J’espère que c’est quelqu’un qui te rend heureuse sinon il aura affaire à moi. 

Que ce soit le cas ou non, il voudrait probablement se débarrasser de lui quand il apprendrait son identité. 

— Ne sois pas aussi protecteur, le sermonnai-je timidement. 

— Je m’inquiète juste pour toi. 

— Ne t’en fais pas, je sais choisir mes partenaires. 

Clint entra alors dans la pièce et m’échangea un drôle de regard. 

— Tu... es en couple ? osa-t-il me demander. 

Je mordis brièvement ma lèvre inférieure avant de répondre par l’affirmative. 

— Et c’est quand qu’on pourra le rencontrer ? 

— Elle nous le présentera quand elle sera prête, l’interrompit mon père. Ne sois pas aussi curieux !

Mon cousin eut une légère mine contrariée. Si mon père n’avait pas été là, il aurait probablement davantage forcé pour obtenir de plus amples informations. 

Je finis par les abandonner en vitesse dès que je terminai mon sandwich. Après avoir enfilé un manteau, je rejoignis Blaine dans la maisonnette. Comme toujours, je passais discrètement dans le jardin sans que personne ne me remarque. À chaque fois, mon cœur battait beaucoup trop fort. C’était dans ce genre de moments que je me rappelai du danger de notre relation et que la réalité me rattrapait violemment. 

En franchissant le seuil de la maisonnette, je l’aperçus en train de lire un livre. Il leva immédiatement sa tête quand il m’entendit arriver. Il posa son livre et s’approcha de moi pour m’embrasser. Un simple et un peu trop chaste baiser à mon goût. Alors je l’embrassai de plus belle, parce que ça faisait bien trop longtemps que je n’avais pas goûté à la douceur de ses lèvres. 

— On ne va pas avoir assez de temps pour quoi que ce soit, me prévint-il à la limite du murmure. 

— Ce n’est pas grave, ce n’est que partie remise. 

Mon index se perdit un instant sur sa lèvre inférieure et il m’embrassa le dos de la main. Il s’empara ensuite de son manteau et des clés de sa voiture. Il m’y conduisit silencieusement en me tenant la main. Et je fus presque dévastée quand je dus le lâcher pour m’installer sur le siège passager. 

Nous regardâmes tous les deux aux alentours, en espérant que personne ne nous ait remarqués. Heureusement, il n’y avait personne. A priori, nous étions saufs. 

Puis après nous être éloignés de quelques rues de nos maisons, la tension venait brutalement de descendre. Nous échangeâmes alors un sourire timide. 

Le trajet fut assez silencieux et ce n’était pas plus mal ainsi. 

Le lieu était un modeste hôpital en bordure de San Francisco. De par sa taille, je me doutais qu’il s’agissait d’un lieu de soins pour les personnes les plus précaires. Comme m’avait annoncé Blaine, nous allions passer la soirée avec des personnes âgées et des enfants malades pour essayer de leur remonter le moral pendant la période des fêtes d’année. 

En descendant de la voiture, j’échangeai un regard avec Blaine. Je le pris un peu trop brusquement dans mes bras, ce qui le surprit. Puis il déposa un bref baiser dans ma chevelure. 

— Qu’est-ce qu’il se passe ? me demanda-t-il, presque inquiet. 

— Rien. J’avais juste envie de te faire un câlin. 

Je levai ma tête vers lui pour remarquer qu’un petit sourire s’était dessiné sur son visage. 

Je le relâchai et nous entrâmes dans l’hôpital. Immédiatement, un couple de personnes âgées s’approchèrent de nous. 

— Heureux de te revoir mon artiste préféré ! s’exclama l’homme du couple. 

Puis son regard se posa sur moi, toujours aussi enthousiaste. 

— Charlie, voici Harold et Trudy. C’est grâce à eux que j’ai entendu parler de cet événement. 

Nous échangeâmes un simple « enchanté ». Leur visage me rappelait étrangement quelque chose, mais j’étais incapable de mettre le doigt dessus. 

— On a lancé une activité de chant. Si vous avez le quelconque don dans ce domaine, c’est le moment de monter sur scène. 

J’échangeai alors un regard avec Blaine. 

— J'ai fait un peu de piano à une époque, mais je dois être assez rouillé, annonça-t-il avec beaucoup d’hésitation. 

J’arquai un sourcil. Encore une fois, je découvrais un de ses multiples talents et j’en étais incroyablement étonnée. Visiblement, Blaine avait touché à beaucoup d’arts, mais au vu de sa famille, il avait dû garder tout ça pour lui, ce pour quoi ce n’était pas quelque chose qui se remarquait facilement sur lui. 

— Je m’entraînais un peu à chanter à une époque, peut-être qu’on trouvera quelque chose à leur présenter. 

Blaine sourit à ma proposition et je lui tendis son sourire. Si nous trouvions une musique pour nous accorder, ce serait parfait. 

— On vous laisse un temps de réflexion, nous proposa la vieille femme. 

Ils s’éloignèrent de nous pour rejoindre un autre groupe de personnes. 

— Tu sais chanter ? 

— Plus ou moins. Je me suis surtout entraînée en autodidacte. Et toi, je ne savais pas que tu faisais du piano. 

— Je l’avais un peu oublié...

J’étais à peine étonnée de cette réponse et je l’embrassai timidement sur la joue, comme pour le soutenir mentalement. 

— Alors, une idée de musique ? me demanda-t-il. 

— Ça dépend de ce que tu sais jouer. Tu disais être un peu rouillé. 

Je le provoquai un peu, et ce fut suffisamment efficace pour qu’il lâche un petit rire nerveux en passant sa main dans les cheveux. 

— Que dirais-tu de Imagine de John Lennon ? 

— Vendu. Je la connais assez bien en plus. 

Mon regard se plongeait dans le sien et je le dévorais vraiment des yeux. Si nous étions en privé, j’aurais scellé mes lèvres aux siennes pour un bon moment et peut-être même que mes mains se seraient égarées en chemin. 

Il me prit alors par la main et me conduisit jusqu’à une salle où étaient assis quelques patients. Quelques personnes venaient tout juste de finir leur chanson et on nous proposa de passer à notre tour sur scène. 

J’eus un léger moment d’hésitation et Blaine m’y poussa en me prenant par la main. Voyant que j’étais assez tremblante, il m’installa à ses côtés derrière le piano. 

— Ne t’en fais pas, ça va bien se passer, me susurra-t-il. 

Puis il posa ma main sur sa cuisse. Je lui souris, parce que je savais qu’à ses côtés, il y avait peu de chances que ça se passe mal. Au contraire. Surtout maintenant que ma main était si proche de lui. Il me déposa un bref baiser dans mon cou, ce qui sembla attendrir quelques personnes. 

Nous prenions encore et toujours d’énormes risques, mais ici, il y avait peu de chances qu’on croise des proches. Malheureusement, je savais que ce jour finirait par arriver, mais j’espérais vraiment qu’il soit le plus tard possible. 

Je jetai un bref regard à notre public. La population était assez diversifiée. Il y avait autant de personnes âgées que de jeunes enfants. Pendant un instant, j’essayais de concevoir ce qu’ils vivaient au quotidien par empathie, mais je ne pourrais jamais le comprendre. 

Blaine commença par jouer les premières notes de la musique. J’eus pendant un bref moment mon cœur qui se serra, puis en échangeant un regard avec lui, ça me calma un peu. 

Puis je me mis à chanter les premières paroles, la voix légèrement tremblante. Je serrai ma main sur sa cuisse puis en voyant les sourires se dessiner sur mon public, je pris un peu confiance et ma voix s’affirma. 

Plus la musique avança, plus je trouvais mon rythme avec Blaine. Il nous avait fallu juste quelques mesures pour nous accorder, bien plus rapides que je ne l’aurais cru. 

Il n’y avait que par nos extravagances qu’on se comprenait. 

À la fin de notre musique, notre public nous applaudit et certains en réclamèrent une autre. Malheureusement, nous n’avions rien prévu. 

— Peut-être que vous pourriez donner des suggestions pour une prochaine fois et on aurait le temps pour s’entraîner, proposai-je timidement. 

Ceci sembla ravir notre public ainsi que Blaine. Il déposa de nouveau un bref baiser à mon cou et le public était encore en train de fondre. 

D’autres personnes passèrent après nous tandis qu’on préparait l’activité suivante. L’hôpital avait quelques jeux de société qui nous servirait pour la soirée. Rien de bien extravagant, mais suffisant pour passer le temps. 

En compagnie de quelques enfants, Blaine et moi lançâmes une partie de Monopoly. Les enfants se firent rapidement aux règles et réussirent à bien s’en tirer en quelques mouvements. 

Ils nous regardaient tous d’un coin de l’œil amusé, surtout lorsque Blaine et moi nous serrions la main. 

— Tu vas le demander en mariage ? me demanda une gamine alors que j’étais en train de jouer. 

Je me tournai vers mon copain, un grand sourire sur les lèvres. La question était assez cocasse et mignonne, mais il était encore trop tôt pour répondre à ce genre de questions. Et puis, ce serait bien trop compliqué. 

— Pour l’instant, rien n’est prévu. 

— Il ferait un magnifique prince, répliqua-t-elle en riant. 

— Je crois que je me prends une bonne réputation de prince à cause de mes cheveux longs, s’amusa le concerné. 

— En même temps, tu es bien charmant pour un prince. 

Il posa sa main sur ma joue qu’il caressa délicatement du bout de son pouce et je plongerai dans ses bras en riant. 

— Et vous aurez plein d’enfants après, ajouta un autre enfant. 

— On verra ça plus tard ! rétorquai-je, un sourire en coin. 

— Mais pour l’instant, je vais pas laisser cette princesse s’envoler, plaisanta Blaine. 

— Pourtant je suis un peu un oiseau rebelle...

Je levai les yeux vers lui pour apercevoir un doux sourire se dessiner sur son visage. Puis je me détachai de ses bras en me mordant la lèvre inférieure. Je mourrais d’envie de l’embrasser fougueusement, mais je ne voulais pas prendre le risque de recevoir quelques remarques de type « C’est dégueu » venant des enfants. 

Néanmoins, voir que de simples enfants se réjouissaient de notre relation faisait terriblement chaud au cœur. Malheureusement, ça me rappelait encore une fois d’où venait réellement le problème...

 

*

 

Blaine se gara devant sa maison et je descendis aussitôt de la voiture. Il fit de même. Alors que nous nous dirigeâmes vers la maisonnette, une voix masculine m’interpella. En me tournant, je découvris le visage choqué de Clint. 

— Non mais je rêve ! s’exclama-t-il en croisant le regard de Blaine. 

Je le fixai, incapable de dire quoi que ce soit. Malheureusement, il était évident pour n’importe qui de comprendre la situation, en particulier mon cousin. 

— Alors c’est donc avec lui que tu sors ?

Son ton avait légèrement augmenté et je savais déjà qu’il se mettrait rapidement à hurler, et que nous serions alors totalement foutus. 

Je lui proposai de nous suivre dans la maisonnette. Il refusa aux premiers abords, dévisageant Blaine de haut en bas comme s’il avait la peste.

— J’aurais dû m’en douter depuis longtemps. Ça se voyait à tes discours et à ton rapprochement avec Kayla. 

— Est-ce qu’on pourrait en parler ailleurs ? le suppliai-je, les larmes aux yeux. 

Mon cœur se serrait déjà, parce que je détestais ce genre de situations. Je pouvais sortir toutes les belles paroles du monde, mais j’étais une chips quand il s’agissait d’affronter quelqu’un, peu importe que j’aie raison ou tort. 

— Pourquoi ? Pour que tu évites la discussion comme toujours ces derniers temps ? 

— On peut aller dans la petite maison de mon jardin, proposa Blaine. Il n’y aura que nous et personne ne pourra nous entendre. 

Mon cousin leva les yeux au ciel et il finit par accepter dans un grognement à peine retenu. 

En rentrant dans la maison, Clint resta sur le seuil, les bras croisés. Blaine l’invita à s’asseoir dans le canapé tout en enlevant son manteau. Mais cette fois-ci, mon cousin refusa et son visage n’était pas près de s’adoucir. 

— Vous sortez vraiment ensemble ? nous demanda-t-il brusquement. 

— Oui, soufflai-je en baissant la tête. 

Il soupira immédiatement et Blaine posa sa main dans mon dos pour me rassurer silencieusement. 

— Tu ne te rends vraiment pas compte de la situation ? Lui et toute sa famille sont prêts à tout contre la nôtre ! Regarde ce que tu as dit par rapport à ma mère ! C’est lui qui t’a fait dire ces horreurs ?

Je me tournai un instant vers Blaine. Il était, lui aussi, complètement perdu. 

— Ça n’a rien à voir, murmurai-je en serrant les pans de ma robe. 

— Mon père me déteste, avoua mon copain. 

De nouveau, je me tournai vers lui. Sa voix avait été si claire, mais ses mains tremblaient et l’une d’entre elles s’était posée sur mon épaule pour y prendre un semblant d’appui. 

— Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? rétorqua Clint, d’autant plus arrogant que d’habitude. 

— Je suis plus de ton côté que tu ne le crois. Je ne suis désormais qu’un parasite aux yeux de mon père qui attend juste le bon moment pour m’exterminer. 

— Tu penses vraiment que je vais tomber dans le panneau ? Tu as été habitué à mentir tout comme le reste de ta famille. 

Il le pointait du doigt et avait haussé le ton. Ce n’était pas que la haine qu’il avait pour Blaine qu’il était en train d’exprimer, mais toute la rage qu’il avait contre le reste de sa famille et la rancœur qui lui permettait de faire son deuil. 

Blaine était en train de trembler. Il avait probablement encore des choses à dire, mais rien ne sortait. Et j’étais persuadée que c’était quelque chose dont il ne m’avait jamais parlé. Je n’avais jamais vu cette expression sur son visage. Je pouvais y lire toute la terreur qu’il traversait. 

— Clint... Mon but c’est pas de provoquer notre famille, ça ne l'a jamais été. Au contraire. Et ça m’aurait tellement arrangé que nos deux familles ne se détestent pas. Parce que j’ai rarement vu quelqu’un d’aussi compréhensif que Blaine...

Il nous dévisageait à tour de rôle sans dire un mot et avec les sourcils froncés. 

— Je ne veux pas de mal à votre famille, ajouta Blaine. C’est le dernier de mes soucis. J’ai plein d’autres choses bien plus graves à gérer que ça. 

— Je n’ai aucune raison de vous croire vous deux, peu importe ce que vous me direz, lança Clint d’un ton ferme. 

Je pris la main de Blaine dans la mienne. Malheureusement, je savais d’ores et déjà que l’issue serait violente. 

— Je vais pas vous balancer... Je vais me laisser un peu de temps pour voir ce que je fais. 

Sa réaction m’étonna quelque peu. Au vu de son discours, c’était assez surprenant qu’il propose presque comme une forme de paix, même si ce n’était que probablement temporaire. 

— Charlie... Fais attention à toi. 

C’était un bref soupir de supplication et la colère avait cédé à la peur sur son visage pendant un bref instant. Puis il quitta la maisonnette dans la foulée, sans même me laisser le temps de réagir. Il me fallut un temps d’adaptation puis je pris Blaine dans mes bras. Lui aussi se plaquait contre mon corps silencieusement. 

Mes yeux se levèrent vers les siens. Nous avions tous les deux le même regard effrayé, mais il y avait désormais une pointe de soulagement, même si elle ne serait probablement que très brève. 

Mes lèvres se posèrent sur les siennes. Un simple baiser se transforma en un échange bien plus passionné. 

Alors, ses mains se glissèrent jusqu’au creux de mes reins et mon dos se cambra légèrement. 

— Tu veux dormir ici ? me proposa-t-il en rapprochant sa bouche de mon oreille. 

Même si c’était à nouveau prendre de gros risques, j’acceptai volontiers. Nous verrions pour les conséquences un autre jour tant que Clint ne reviendrait pas vers nous. 

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