Chapitre 18 : Diane.
Le Septième – An 2719 – Le 15 mai.
Tobias. Ici, au Septième, dans le quartier général de Diane. Plus de quatre ans après sa supposée mort. Thibault était comme en transe. Il prit une brusque inspiration qui lui provoqua une violente quinte de toux, le pliant en deux. Tobias parcourut alors la distance qui le séparait de Thibault et lui tapota dans le dos, la mine inquiète. La porte claqua. Zoë était partie. Thibault, luttant contre la toux, s’agrippa de toutes ses forces à son ancien mentor.
— Tobias ! Qu’est-ce que tu fais ici ?! On te croyait mort ! lança-t-il, suffoquant.
— Je m’en doutais… Je suis désolé, Thibault.
— Ajax t’a cherché pendant des mois ! Solène a envoyé du monde à ta poursuite !
Tobias s’écarta avec un faible sourire. Thibault, qui reprenait tant bien que mal son souffle, constata que les années l’avaient marqué. Ses joues s’étaient creusées. Des cheveux blancs se mêlaient au blond autrefois doré. Il ne pouvait néanmoins nier le soulagement qu’il éprouvait en le détaillant. Il avait un allié ici. Il n’était plus seul. Tobias était comme lui, un ancien esclave de l’impératrice.
— Je suis content de te revoir moi aussi, déclara-t-il doucement. Désolé que ce soit dans de telles conditions, mais content quand même. Viens.
Il l’entraîna jusqu’au lit et le fit assoir. Thibault avait toujours du mal à détacher son regard de son visage, mais il jeta tout de même un coup d’œil vers son poignet.
Lui aussi portait le tatouage… Il se sentit plus dépité encore que quand il avait vu la marque sur sa propre peau.
— Tobias, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Que fais-tu ici ? Ils te retiennent prisonnier ?
— Non, Thibault, je ne suis pas prisonnier…
Son estomac se contracta. S’il n’était pas retenu ici contre son gré, alors… ?
— Je ne comprends pas ! Sharon…
Il se tut, hésitant. Il n’avait jamais revu Tobias depuis le jour où l’interruption spéciale avait annoncé l’incendie du Troisième, quand la femme et le fils de Tobias avaient perdu la vie.
— Pardon, s’excusa Thibault. Mais c’est le quartier général de Diane…
— Oui, je suis au courant, répondit Tobias avec un léger sourire. Mais Diane n’est pas responsable de l’incendie où Sharon et Teddy ont perdu la vie.
— Tobias, fit Thibault, soudainement inquiet. Ils ont revendiqué l’attentat, qu’est-ce que…
— Il a été annoncé qu’ils avaient revendiqué l’attentat, mais c’est faux, indiqua Tobias d’un ton tranquille.
Thibault essaya alors de déceler une étincelle de folie dans ses yeux, laquelle se serait merveilleusement accordée avec ses propos.
— Tobias, qu’est-ce qu’ils t’ont raconté… ?
— Je veux bien t’expliquer, Thibault, mais je vais avoir besoin que tu restes ouvert d’esprit. Peux-tu faire ça, pour moi ?
Thibault hocha vivement la tête. Quelque chose d’étrange était indéniablement arrivé à son ex-mentor, et il devait découvrir quoi.
Tobias prit une grande inspiration.
— Ce jour-là, quand je suis descendu au Troisième, c’était parce que notre maison se trouvait à proximité de la Chambre de Commerce. J’étais en transe. Sharon était sur place, je savais qu’elle avait pu être prise dans l’incendie. Quand j’ai enfin pu accéder à ma maison, ça a été… Teddy aussi était là. Je crois qu’il a essayé d’aller sauver sa mère, parce qu’il aurait dû être à l’école à ce moment-là. J’ai cru que j’allais perdre la tête. Je me suis retrouvé à l’hôpital… J’ai entendu qu’on murmurait que c’était Diane qui était responsable de l’incendie… J’ai perdu pied. Vivre ou mourir n’avait plus aucun sens. Dès qu’Ajax a relâché son attention, je l’ai assommé et je me suis enfui. Je suis directement descendu au Septième. Je n’avais pas les idées claires, mais je savais que je voulais les détruire.
Thibault retint son souffle. Tobias avait marqué une pause, le regard dans le vide.
— J’ai arpenté le Septième pendant une dizaine de jours, reprit-il. J’étais à la recherche de la moindre information qui me mènerait à eux. Tu sais, Sharon et moi, on s’est connus très jeunes. Je ne me souviens pas d’avoir jamais aimé quelqu’un d’autre. On s’est mariés quand on avait à peine vingt ans. Puis Teddy est né… Et j’ai passé trop peu de temps avec lui. J’ignore si tu le savais, mais je suis devenu esclave alors qu’il n’avais pas encore fêté son premier anniversaire. Je n’avais jamais regretté ce choix avant ce jour-là. C’était pour les protéger, pour qu’ils aient un semblant de vie. Mais tu vois, quand j’ai enfin réussi à leur permettre de s’élever, ça n’a été que pour mieux les voir mourir. C’est ma faute…
— Non, Tobias, intervint Thibault. Ce n’est pas ta faute, comment est-ce que ça pourrait être ta faute ?
La souffrance se dessinait sur son visage, elle y avait laissé des sillons que le temps seul n’aurait pu tracer. Thibault se sentit envahi d’une infinie tristesse en songeant à ce que son ancien mentor avait perdu. Il savait que ses mots étaient creux, mais avant qu’il n’ait pu en chercher de meilleurs, Tobias reprenait :
— J’ai fini par découvrir des pistes sur Diane. On disait qu’ils étaient surtout actifs dans le quartier sud et j’ai tenté ma chance. J’étais certain que j’étais au bon endroit car rapidement j’ai repéré le logo… Les soldats de Diane l’arborent fièrement ici. Ils ne se cachent pas. J’ai continué à chercher des informations, discrètement, jusqu’à ce que je parvienne à deviner à peu près où se trouvait leur quartier général.
« J’ai facilement mis la main sur des armes. Ici où la population est laissée pour compte, les trafiquants opèrent en plein jour. Puis j’ai emprunté les souterrains que j’avais découverts. J’avais presque atteint le centre du quartier général quand j’ai été repéré. Idiot et enragé comme j’étais, je n’ai pas pensé à vérifier ce qu’on m’avait vendu. C’était stupide de ma part, mais ça m’a aussi sauvé la vie…
« Quand j’ai croisé les premiers gardes armés, j’ai tenté de leur tirer dessus, mais mon arme automatique n’a pas répondu. J’ai compris face aux soldats de Diane qu’on m’avait vendu une arme factice. Ils ont eu tôt fait de me mettre à genoux, et m’ont traîné jusqu’à leur grand chef. Là, il y avait d’autres membres de Diane, et c’est comme ça que j’ai rencontré Lison… Et Donovan.
Tobias se tut et jeta un regard étrange vers Thibault, qui avait écouté le discours avec une attention soutenu. Sa bouche s’entrouvrit sous le coup de la stupeur.
— Tu as vu mon frère… ?
— J’ai cru que c’était toi, indiqua Tobias avec un demi-sourire. Tu lui ressembles beaucoup. Je l’ai appelé par ton nom, et là, ça a été la cohue. Lison a empêché les autres de m’abattre. Je ne comprenais plus rien. Ils m’ont emmené dans une salle à part et elle m’a interrogé. Elle voulait savoir comment je te connaissais. Qui j’étais. Je… J’ai refusé de dire quoique ce soit dans un premier temps. Pour moi ils étaient des assassins, et quand elle a dit que tu étais son frère, je… C’était très compliqué comme situation. Je ne savais plus quoi penser. D’une certaine manière, le fait que vous soyez de la même famille m’a rassuré. J’ai accepté de l’écouter, et c’est là qu’elle m’a dit que Diane n’était pas impliqué dans l’attentat du Troisième. C’était un coup monté…
— C’est un mensonge ! Elle t’a menti !
Thibault n’avait pas pu se retenir. Peut-être Lison n’était-elle pas personnellement responsable de l’incendie, mais il ne faisait aucun doute que Diane tenait les rênes. Comment Tobias avait-il pu avaler ça, c’était un autre sujet…
— C’est ce que j’ai pensé aussi, au départ. Je croyais aussi qu’elle mentait.
Tobias avait pris un air grave.
— Il m’a fallu des mois pour l’accepter. Les choses sont plus compliquées que tu ne le crois, Thibault. Diane est une organisation complexe, et ils ont bien commis plusieurs attentats, qu’ils assument plus ou moins. Mais celui du Troisième, qui a coûté leur vie à mon fils et à ma femme, n’est pas l’un d’eux.
— Comment peux-tu croire ça ? Ils t’ont gardé des mois ici à te le rabâcher et tu as fini par y croire ? Le Gouvernement les a clairement reconnus coupables !
— Le Gouvernement… murmura Tobias. Ce même Gouvernement qui a décidé que je serai esclave parce que j’avais osé en attendre un peu plus de la vie. Ce même Gouvernement qui t’a rendu esclave parce que ton père n’avait pas pu rembourser ses dettes. Thibault, notre Gouvernement n’est pas parfait, loin s’en faut…
— Solène…
— Solène n’a aucun pouvoir réel. Elle pourrait être tellement plus… Le peuple ne voit que par elle, tu sais, mais ça reste une gamine qui s’imagine qu’elle vit dans un monde parfait et…
— Arrête.
Thibault ne pouvait pas en croire ses oreilles. Ils avaient eu Tobias. Ils étaient parvenus à rentrer dans sa tête, à le manipuler, et à le retourner contre l’impératrice elle-même. Il n’en revenait pas qu’il ose la critiquer devant lui.
— Thibault…
— Lison m’a dit qu’ils voulaient la tuer. Tu trouves ça juste ? Ils veulent la tuer, elle et son fils. C’est le monde dans lequel tu crois ?
— C’est plus complexe que ça en a l’air, comme je te le disais.
— Qu’est-ce qu’il peut y avoir de compliqué là-dedans ? s’emporta Thibault. Ils veulent tuer Solène, Tobias ! Dis-moi, qu’est-ce qui est compliqué ?
Tobias eut l’air malheureux pendant une seconde, puis il observa Thibault avec une expression qui déplut particulièrement au jeune homme. Cela se rapprochait à s’y méprendre aux regards condescendants que Gabriel lui réservait quelques fois, quand il se montrait un peu trop dur d’oreille.
— Diane n’a pas pour objectif ultime d’attenter à la vie de Solène. Ce qu’ils veulent, c’est changer le système, et à l’intérieur de l’organisation, il y a des personnes plus ou moins modérées. Je compte parmi ceux qui le sont le plus. Je crois au dialogue. Parce que je connais l’impératrice, je sais que lui parler serait bénéfique à tous. Mais d’autres, comme ta sœur, ne la voit que comme la représentante du pouvoir en place. Ils l’estiment responsable du système sur lequel est bâti Délos, comme ses ancêtres avant elle. Ils ne voient pas la personne, ils ne voient qu’un symbole à abattre.
— Ils lui ont retourné le cerveau. Lison n’était pas comme ça, avant. Elle était la personne la plus gentille que je connaissais.
— Je pense que ta sœur n’a pas eu une vie facile, répondit évasivement Tobias. Je ne la jugerai pas pour ça. Mais je crois pouvoir affirmer qu’elle n’est plus celle que tu as connue.
Thibault ne sut que répondre. Il s’en était aperçu lui-même. Il savait que Lison n’était plus celle d’autrefois. Elle avait changé, mais il n’avait pas envie d’apprendre les raisons d’une telle métamorphose de la bouche de Tobias. Il faudrait que Lison le raconte elle-même. Si elle daignait revenir le voir un jour. Il chassa cette idée de sa tête et se concentra de nouveau sur son interlocuteur.
— Si tu crois que ça n’est pas Diane, alors, qui a perpétré l’attentat du Troisième ?
Tobias eut un rictus terrible, que Thibault n’avait jamais observé sur son visage. Un éclair rouge brillait dans son regard. Il serra les poings alors qu’il répondait :
— Aaron Typhus.
— Aaron Typhus ? répéta Thibault, interdit.
Le premier ministre. On marchait sur la tête. Le premier ministre avait commandité un attentat ayant fait des centaines de morts au Troisième ?
— Le jour de l’incendie à la Chambre de Commerce, le chef de l’opposition, Georges Aswell, était présent sur les lieux, reprit Tobias d’un ton mesuré. Vraisemblablement, les choses ont dégénéré et l’incendie s’est propagé bien au-delà de ce que Typhus avait prévu. Ça avait toujours été dans leurs plans de blâmer Diane, d’autant que c’étaient bien eux qui avaient orchestré l’attentat survenu lors de l’anniversaire de la grande-duchesse. Comme le peuple était déjà remonté contre eux, cela en faisait les coupables tout désignés.
Thibault eut un sourire incrédule. À quel point pouvait-on manipuler quelqu’un ? Il s’efforça de rester calme. Il ne devait pas braquer Tobias. Il fallait qu’il comprenne à quel point ils avaient réussi à embarquer son ancien mentor dans leur délire.
— Tobias… l’interpella-t-il. La liste des attentats effectivement commis par Diane reste longue…
— J’en suis conscient. Comme je te le disais, il y a des personnes plus ou moins modérées au sein de l’organisation. Pour ne te donner qu’un exemple… L’attentat au Sixième de 2705 a été perpétré par des extrémistes du mouvement. Ils ont été punis après ça, à cause des retombées dramatiques…
— C’est donc bien Diane qui était responsable. Ils ne l’ont jamais reconnu !
— Plus ou moins, mais…
— Diane n’a jamais revendiqué cet attentat, n’est-ce pas ?
— Non, en effet. Notre chef ne les a pas « publiquement » soutenus, parce qu’il fallait que Diane conserve l’adhésion des étages inférieurs. Peut-être approuvait-il le but initial de l’opération, peut-être pas. Je l’ignore. Mais ce qu’il faut que tu comprennes, c’est qu’au sein même du mouvement, les avis divergent. Beaucoup pensent que les choses ont déjà été trop loin.
— Même s’il y a deux ou trois personnes plus modérées, comment peut-on rester aux côtés de ceux qui ont fait de telles choses ? Tobias, comment peux-tu, toi, les soutenir ?!
Thibault se sentait dépassé. Il connaissait Tobias. C’était l’une des personnes les plus gentilles qu’il avait jamais rencontrée. Quand, au début, il était perdu au Sommet, il avait été là. Pour lui, et pour les autres esclaves d’honneur. Ce n’était pas logique, qu’il ait ainsi rejoint une association de malfaiteurs. Son degré de modération n’était pas un argument suffisant à justifier une telle réaction.
— Il m’a fallu du temps pour en arriver là, mais je crois qu’ils ont raison sur le fond. Je n’approuve pas toujours leurs méthodes, loin de là, mais au fond, ce sont eux qui sont dans le vrai.
— C’est-à-dire ?
— C’est-à-dire qu’ils estiment que le temps des strates est révolu. Qu’il n’y a pas de raison pour qu’une personne née dans les étages inférieurs n’aie droit à aucune chance dans la vie. Qu’ils considèrent qu’une personne ne mérite pas qu’on s’aplatisse devant elle parce qu’elle a eu la chance de naître plus haut. Tu ne crois pas que c’est vrai, Thibault ? Tu n’as jamais ressenti que c’était injuste, quand tu étais esclave ?
Thibault ne sut répondre. L’écho d’une conversation qu’il avait eu autrefois avec Gabriel lui passa en tête. Un sentiment de honte accompagnait ce souvenir, et il baissa les yeux.
— C’est sûrement en partie injuste, mais on ne va pas révolutionner le monde.
— Mais c’est précisément le but de Diane. C’est ce qu’ils veulent. Révolutionner notre cité. Tout changer.
— Reconnais au moins qu’ils se trompent de cible ! Solène…
— Je sais, Thibault. Je comprends ce que tu ressens. Je suis d’accord, Solène n’est qu’un maillon de la chaîne, mais elle est un symbole, aussi. Je ne suis pas pour sa mise à mort. Mais le Gouvernement est pourri. Il doit être démantelé.
Thibault resta interdit. Tobias l’observa un moment, puis soupira.
— Je ne leur ai pas dit à quel point vous étiez proches, Solène et toi. J’ai évité de parler de tout ce qui était trop personnel, mais ils t’interrogeront, tôt ou tard. Lison est très curieuse de savoir ce que tu penses.
Thibault sentit un frisson le parcourir. L’idée de devoir une nouvelle fois affronter Lison et ses questions au sujet de Solène était porteuse d’angoisse. Il chercha à avaler un peu de l’air vicié qui l’entourait.
— Je ne comprends quand même pas comment tu as pu les rejoindre, Tobias. Après tout ce qu’ils ont fait subir à la population…
— J’essaye de te l’expliquer, Thibault.
Thibault lui jeta un regard de biais. Malgré la marque à son poignet, il ne pouvait s’empêcher de croire que son mentor était toujours du bon côté. De celui de Solène.
— Je comprends, puisque tu es persuadé que Typhus est responsable de l’incendie du Troisième, que tu veuilles qu’il tombe, mais…
Tobias parut se retenir de lever les yeux au ciel.
— Ce n’est pas un simple besoin de vengeance, répondit-il d’une voix néanmoins calme. Ce que tu ne comprends pas, c’est que Délos n’a pas toujours fonctionné sous le régime que nous connaissons actuellement. Et Diane n’est qu’une réponse à ce régime, comme Thémis avant elle…
— Thémis ? C’est quoi ça ?
Thibault n’avait jamais entendu parler de ce nom. Il s’efforça de fouiller dans sa mémoire, de tenter de se rappeler des nombreuses conversations entre Gabriel et Solène, qui auraient peut-être un jour mentionnées ce à quoi Tobias faisait allusion… Mais rien ne lui vint. Devant son air déconfit, son interlocuteur eut un vague sourire.
— Il est normal que tu ne connaisses pas Thémis. Depuis leur disparition, il n’a plus été fait mention d’eux dans les étages supérieurs. Ni à la télévision, ni nulle part ailleurs. Je ne pense même pas que Solène elle-même sache qu’ils ont un jour existé.
— Qui est-ce ? insista alors Thibault, dont la curiosité avait été attisée.
Tobias eut un nouveau sourire. Il prit une grande inspiration.
— Diane a vu le jour il y a environ un quart de siècle. Elle est née des ruines du projet Thémis, un ancien mouvement qui visait déjà à destituer l’empire tel que nous le connaissons. C’était la mère de notre chef actuel qui l’a mené pendant ses dernières années. À la base, Thémis avait vu le jour pour protester contre la légalisation de l’esclavage, il y a maintenant plus d’un siècle, mais leurs protestations étaient alors pacifiques.
« Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à réinstaurer l’esclavage, il faut remonter aux prémices de Délos. Le fondateur, comprenant que le cataclysme qui allait ravager la planète ne tarderait plus à venir, a fait bâtir sa cité sur une montagne qui trônerait au-dessus de la pollution ambiante. Il vendit des parcelles aux plus riches de l’époque, créant sa cour, son empire. Par altruisme ou par peur des représailles, il invita aussi à rester les ouvriers qui avaient bâtis la cité, lesquels se virent offrir l’étage le plus bas de Délos, le Septième.
« La cité ferma ses portes en 2267, et pendant une centaine d’années, sa population vécut dans un consensus relatif. À l’époque la qualité de l’air était bonne partout, y compris au Septième. Puis par un phénomène inexpliqué à ce jour, l’indice de pollution commença à grimper, créant une vague de migration vers les strates supérieures. Il fut alors décidé de séparer les différents étages en fonction du niveau de vie de chacun. Ainsi, le Septième, qui à l’origine déjà, était peuplé par les plus pauvres, devint celui qui accueilleraient ceux qui n’avaient plus les moyens de vivre en-haut. Et quand l’on constata que ce système faisait descendre trop de monde, une alternative fut proposée : l’esclavage. Plutôt que de continuer à peupler l’étage le plus bas, ceux d’en haut réinjecterait de l’argent dans les strates inférieurs, en prenant des esclaves à leur service.
« Une décennie de travaux forcés contre le remboursement d’une dette. Notre système actuel venait d’être créé.
« Nous en arrivons ainsi à la création de Thémis, dans les années qui ont suivi la mise en place de l’esclavage. Cette organisation fut fondée par un groupement d’habitants provenant du Cinquième au Septième. Leur but était de protester contre ce nouveau système où les familles étaient séparées, détruites, et qui visait spécifiquement les classes pauvres.
« Un siècle de protestation, jamais entendues par les hautes oreilles du Gouvernement, jusqu’à l’époque de Léto. Léto était la mère du chef actuel de Diane. Sous sa gouvernance, il y a une trentaine d’année, Thémis avait atteint une taille jamais observée. Les manifestations s’étendaient du Septième au Cinquième, paralysant la cité. Les grèves menaçaient l’économie même de Délos…
« L’ampleur était telle que l’empereur Marcelin, le père de Solène, ne pouvait plus faire la sourde oreille. Il invita Léto au Sommet. Jamais elle n’en revint.
« L’affaire fut étouffée, et une répression d’une violence inouïe déferla sur la cité, la forçant à reprendre sa marche économique. C’était dans les années quatre-vingt-dix, aux alentours de ta naissance. Thémis sombra, blâmée pour la violence qui retombait sur le peuple. D’autres s’aventurèrent à penser que Léto avait dû commettre une erreur, quelque chose de terrible, qui aurait provoqué la colère de l’empereur… On ne sait pas, à ce jour, ce qui s’est réellement passé.
« C’est alors que le fils de Léto prit la décision de fonder une nouvelle entité. Diane. Le temps des négociations était révolu. On se ferait entendre par d’autres moyens, afin d’achever ce que Thémis avait à peine touché du doigt. Ce furent les premiers attentats. Tu connais la suite…
Tobias marqua une pause et observa Thibault, qui entrouvrait la bouche, noyé par les informations dont son interlocuteur venait de l’abreuver. Tobias passa une main sur son visage, puis sans lui laisser le temps de reprendre pied, continua :
— Je crois en tout cas que cela te permettra de comprendre pourquoi Solène est une cible à ce jour. Elle est la descendante directe du fondateur. Elle est l’héritière du créateur de strates, de ceux qui ont proclamé l’esclavage. Son propre père n’a pas hésité à faire taire les faibles protestations de Thémis dans la violence. Solène n’est pas responsable, mais elle porte un lourd héritage, dont je ne suis même pas certain qu’elle comprenne la portée. Rebecca s’est acharnée à la tenir dans l’ignorance. Probablement parce qu’elle a une grande affection pour sa cousine, mais je ne suis pas sûr qu’elle lui ait fait un cadeau en la traitant ainsi. La rupture avec les plus bas étages de sa cité lui porte aujourd’hui préjudice…
De nouveau, Tobias se tut.
Thibault, abasourdi, tentait toujours de donner sens à ces informations nouvelles. Le récit de son ancien mentor lui semblait crédible. Il savait que la mise en place de l’esclavage remontait à un peu plus d’un siècle. Il savait qu’il y avait eu des manifestations dans les années quatre-vingt-dix, il l’avait appris en cours, même s’il n’avait jamais entendu parler de Thémis. Il eut une pensée pour Gabriel. Gabriel aurait adoré savoir tout ça. C’était le genre de choses qui l’intéressait.
Et voilà que c’était Thibault qui se trouvait destinataire de ces informations. Il essaya de les résumer dans sa tête, alors que Tobias restait silencieux. Il lui fallait s’en souvenir.
Il le fallait, parce que le jour où il parviendrait à s’échapper du quartier général de Diane, alors il pourrait tout répéter à Gabriel. Il pourrait prévenir Solène. Lui apprendre ce qu’elle ignorait sur sa propre cité.
Et surtout, il pourrait la préparer aux dangers qui la menaçaient.
Un chapitre passionnant. J'ai adoré en apprendre davantage sur l'histoire de Delos, sa politique, les origines de Diane. Vraiment top, surtout à ce stade du récit. Ca permet d'avoir une vision bien plus globale des enjeux de la 2e partie de ton histoire, de découvrir des acteurs qu'on n'avait pas identifiés : le premier ministre le chef de Diane.
C'est chouette de découvrir qu'il existe différentes mouvances au sein de Diane, que Tobias fait partie des modérés. D'ailleurs, ça répond aussi à mon retour sur le fait que c'était surprenant que 3 ans s'écoulent sans gros attentat. Diane est partagé entre différentes tendances, et puis l'un des deux attentats ne venait pas d'eux. Bref, j'ai mieux compris des éléments qui m'avaient perturbé. Le personnage de Tobias est vraiment intéressant, on voit qu'il a beaucoup réfléchi, maturé ses opinions...
Bon, son discours est logiquement insuffisant pour toucher Thibault. C'est top que tu le garde complètement fermé à toutes ces tentatives de dialogue. Après 10 ans au Sommet, impossible pour lui d'envisager un refondement du système, une remise en cause du statut de Solène. Ma petite hypothèse c'est qu'il va faire semblant d'être persuadé puis trahir Diane. La chute de chapitre montre en tout cas son envie d'agir.
Sinon, l'univers de Delos est vraiment incroyable, il y a moyen d'écrire tellement de romans différents à l'intérieur. Dès que tu parles d'éléments passés, j'ai trop envie d'en savoir plus et c'est un peu frustrant ahah
Mes remarques :
"Lui aussi portait le tatouage… Il se sentit plus dépité encore que quand il avait vu la marque sur sa propre peau." très bon passage, mais je me demande si dépité est un mot assez fort pour décrire l'émotion de Thibault, c'est tellement violent...
"Je crois qu’il a essayé d’aller sauver sa mère, parce qu’il aurait dû être à l’école à ce moment-là" rohhh tu es vraiment une auteure sans pitié^^
"Comment Tobias avait-il pu avaler ça, c’était un autre sujet…" mettre un point d'interrogation plutôt que de dire que c'était un autre sujet ?
"Cela se rapprochait à s’y méprendre aux regards condescendants que Gabriel lui réservait quelques fois," ahah j'ai souri^^
"Mais d’autres, comme ta sœur, ne la voit" -> voient
"C’était la mère de notre chef actuel" humm curieux d'en apprendre davantage sur ce fameux chef
"ceux d’en haut réinjecterait" -> réinjecteraient
"elle porte un lourd héritage, dont je ne suis même pas certain qu’elle comprenne la portée." -> dont elle ne comprend pas la portée ? je pense que Tobias est assez bien placé pour affirmer ça
"le genre de choses qui l’intéressait." -> intéressaient
Je continue !
"l'univers de Delos est vraiment incroyable, il y a moyen d'écrire tellement de romans différents à l'intérieur. Dès que tu parles d'éléments passés, j'ai trop envie d'en savoir plus et c'est un peu frustrant ahah" -> Merci ♥ Mais ne me tente pas, parce que je me laisse facilement à motiver xD
"Je crois qu’il a essayé d’aller sauver sa mère, parce qu’il aurait dû être à l’école à ce moment-là" rohhh tu es vraiment une auteure sans pitié^^" -> Il paraît, oui xD
Je trouve qu'on a perdu les effets de la qualité de l'air. L'émotion qu'il traverse accélère le rythme cardiaque, la respiration, il devrait en souffrir, non ? Ah, ça vient un peu après, mais c'est trop tard à mon avis.
Intéressante, l'explication sur la naissance du système. C'est bien trouvé. Le passage est long, mais il arrive à un moment du récit où ça fait du bien de prendre une pause.
Thibault, te crois-tu de taille à jouer le chevalier ? Mouhaha, tout cela va mal finir, d'autant que le précédent indiqué fait une croix sur tout dialogue.
Peccadilles :
murmurait que c’était Diane, qui était -> ouste ! la virgule :D
Il se sentit envahi -> Le paragraphe commence par Tobias, donc « il » se rapporte à Tobias. Soit un autre paragraphe, soit Thibault.
a coûté leurs vies -> leur vie (chacun n'en a qu'une, du moins dans ce contexte)
une centaine d’année -> années
les années qui ont suivies -> suivi
une trentaine d’année -> années
telle, que -> telle que
une répression d’une violence inouïe prit place pour -> il me semble que tu aimes bien « prendre place », mais la répression ne va pas s'asseoir sur une chaise, tu peux sûrement trouver un verbe plus en phase avec l'action (et sinon, je peux t'en trouver)
les années quatre-vingt-dix -> tu as des années en chiffres arabes, je ne sais pas si ça vaut le coup de l'écrire en toutes lettres vu qu'on l'écrit presque toujours « années 90 » (il y a deux occurrences si jamais tu veux changer quoi que ce soit)
abasourdie -> abasourdi
l’esclavage remonté -> remontait
Pour la pollution, oui, je l'ai sûrement un peu trop vite habitué, je retoucherai ce chapitre. Ça revient mais c'est vrai que ça devrait rester en fond tout du long.
Pour les explications le passage est un peu long mais je crois que je ne peux plus le raccourcir. Au début, c'était un pavé, un gros pavé. Vraiment, c'était le résumé d'un livre d'histoire. J'étais consciente que c'était indigeste du coup je l'ai réduit, puis encore, et encore une fois... Mais là je suis au maximum du minimum que je peux tolérer :D
"une répression d’une violence inouïe prit place pour" -> que penses-tu de "déferla" ?
"une répression d’une violence déferla sur la cité, la forçant à reprendre sa marche économique"
PS : Oui, j'aime bien "prendre place" !
Concernant les chiffres, en tout franchise, je ne les aime pas trop. Je ne suis jamais certaine de comment les reporter. C'est pareil pour la monnaie par exemple. J'unifierai à un moment donné, mais je l'écris parfois en lettre, parfois en chiffre. Je crois que je fais pareil avec les heures aussi. Un vrai casse-tête. Les "années 90", ça me gêne un peu, je ne suis pas complètement à l'aise. Dans le sous-titre ça ne me fait pas le même effet.
Sinon merci pour toutes les coquilles, visiblement ce n'était pas mon meilleur score ! Je corrige tout ça ! :)
Va pour déferla ;)
Je comprends tout à fait la galère des nombres, je compatis.
Je vais reprendre la lecture dans l'ordre et je reviens
Je viens de finir la lecture de ce chapitre et je l'ai énormément aimé ! On en apprend beaucoup plus sur l'histoire de Délos et sa création et c'est vraiment le point fort du chapitre. Ca donne de la profondeur et du réalisme à ton univers. J'aime bien le fait que tout ca soit transmis à Thibault par Tobias. On le découvre encore un peu plus et qu'il soit modéré après ce qui est arrivé à sa famille colle bien au personnage je trouve ( même si ca parait quand même peu probable qu'il reste aussi calme après avoir perdu deux êtres aussi chers) :)
Pour ce qui est du passage ou Tobias explique l'histoire à Thibault, une phrase m'a dérangé : " Tu as dû l’apprendre à l’école, alors pardonne-moi ce rappel, mais je crois qu’il est important de remettre les choses dans le contexte pour que tu comprennes bien ."
Alors je comprends bien l'idée, il faut réexpliquer car le lecteur lui n'est pas au courant mais cette phrase ne convient pas je pense. C'est très gros, on voit tout de suite que c'est mis la pour pallier à ce manque de connaissance du lecteur et je crois que tu pourrais reformuler ou revoir ce passage.
Pour ce qui est de l'histoire en elle même, j'ai adoré. On est vraiment dans la dystopie. La course au progrès au péril de l'environnement, l'enrichissement personnel quitte à détruire la planète. Ca fonctionne super bien t on a aucun mal à imaginer un système de ce genre...
Super chapitre, peut être juste revoir l'entrée en matière de Tobias. J'ai aussi noté quelques répétitions dans son discours mais rien de bien méchant.
J'ai vraiment hâte de lire la suite. Je reste persuadé que Gabi rejoindra Diane lui aussi ! =D
A très vite !
Ta remarque sur la manière d'amener l'histoire est tout à fait judicieuse. C'est vrai que ça n'était pas évident de trouver l'équilibre entre ce que Thibault savait forcément et que le lecteur ne savait pas du tout et j'ai un peu choisi la facilité je reconnais. J'ai supprimé la liaison et fait une première modification rapide dans un premier temps. J'y reviendrai de manière plus approfondie bientôt ! Merci :)
"Ca fonctionne super bien t on a aucun mal à imaginer un système de ce genre..." -> je veux pas être plus pessimiste que pessimiste mais je reconnais que notre réalité m'a beaucoup inspiré ce passage xD
Pour ta remarque sur le côté modéré de Tobias, alors oui ce qu'il a vécu est tragique, mais :
C'était environ cinq ans auparavant, donc si ça reste terrible, il a tout de même eu du temps pour réfléchir à ce qui l'entourait, et au moment où il parle à Thibault, il est moins dans la douleur vive.
Ensuite le point que Thibault défend c'est qu'il ne faut pas s'en prendre à Solène. Il ne défend pas le gouvernement, qui est responsable de l'attentat qui a coûté la vie à son fils et à sa femme.
Puis je trouve aussi que ça colle à son caractère pour le coup ! ^^
Je te remercie encore pour tous tes retours, à bientôt ! :)