LA MAGIE NE PEUT S’ANNULER, REPETA L’ENFANT, POURQUOI ?
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Le cheval piétina et renâcla au pied du ceiba.
Moebius sortit de son demi-sommeil et changea de position sur sa branche pour avoir un meilleur angle de vue. La lune, presque ronde, avait échappé aux nuages, et le sol de la forêt se parait de taches bleutées sous les trous de la canopée.
Du petit bois craquait, mais trop légèrement pour qu’il s’agisse d’un homme.
Il descendit avec précautions pour calmer sa monture, à moitié soulagé. Un carnivore se faisait fuir sans magie, mais un jaguar pouvait quand même le priver de moyen de transport. Il sortit une dague et s’éloigna de l’arbre, les oreilles aux aguets, et laissa traîner les doigts sur des branches pour sonder.
Il n’y avait qu’un jeune loup. Qui boitait. Moebius rangea son arme et lui jeta des pierres.
Le chasseur parti, et le cheval rassuré, il regarda le ciel. La nuit était très avancée, et le temps maintenant bien dégagé. Un soupir lui échappa. Malgré la fatigue, mieux valait reprendre son chemin.
Il rejoignit la route et y trotta jusqu’à une clairière, où il mit pied à terre pour le laisser boire dans le petit torrent, en observant des traces dans la boue. Tobias avait dû passer par là. Il posa les deux mains sur les rochers et se concentra. Trop de temps s’était écoulé pour en avoir la certitude.
Le cheval se désintéressa du cours d’eau et lui quémanda de l’attention.
Moebius fit le tour d’un village pour éviter la rue principale, pavée, à la recherche d’une monture. Mais les maisons restaient simples, et manifestement personne n’était assez riche pour en avoir. Il devrait garder son animal bicolore et rutilant encore un peu.
Il tira son coursier derrière le cimetière et revint à pied vers les foyers endormis. Dans un enclos, une femelle llama s’avança pour cacher son petit. Moebius faillit faire demi-tour, mais poursuivit son inspection du village. Il ne pouvait pas se permettre d’avoir honte, il devait trouver à manger.
Dans la cuisine extérieure d’une maison un peu plus grande que ses voisines, il prit du maïs bouilli sur son épi et des goyaves. Puis il fronça les sourcils devant une paire de bottes qui lui semblaient de la bonne taille, hésita, mais abandonna vite l’idée de se séparer des siennes. Elles étaient reconnaissables, mais elles étaient conçues pour le protéger en cas de flux d’énergie importants. Et il avait bricolé les semelles pour être moins facilement traçable quand Martial et lui avaient compris que celui qu’ils cherchaient était magicien.
Il n’avait pas repris la route depuis longtemps quand une lueur mouvante au loin attira son attention. Il se dissimula dans un bosquet pour observer. Sous une ombre massive sur le bas-côté, plusieurs silhouettes bougeaient, éclairées par des lanternes. Il sauta de cheval et posa la main au sol.
Un ceiba sur un croisement. Quatre soldats. Il resta un instant à vérifier s’il détectait des traces de magie, puis chercha si Tobias était passé par là. Encore une fois, il lui sembla que l’horloger se dirigeait droit au nord, mais sans certitude. Le plus simple et le plus rapide aurait été de se débarrasser des quatre guerriers. Il se mordilla le bout du gant, hésitant, puis soupira. Faire le tour allait lui prendre un moment.
Toujours à pied, il guida son cheval lentement à travers les champs, évitant de son mieux les canaux. Lorsque le sommet de la colline voisine se para de roses, il décida de faire quand même un peu de magie, pour le protéger le plus longtemps possible des rayons du soleil qui allaient le rendre visible.
Le canasson refusait d’accélérer, tirant la tête en arrière et fouettant de la queue. Plus il utilisait de l’énergie, plus il risquait d’être repéré si la confrérie avait posté des gens dans le coin. Il essayait d’être attentif à la fois aux bruits des soldats, au terrain inégal et traitre, à l’itinéraire à suivre, et posait régulièrement au sol une main pour regarder si de nouvelles personnes approchaient.
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Quand il atteint finalement la chaussée que Tobias avait probablement empruntée, de l’autre côté du barrage, il cessa de gaspiller ses forces à modifier la lumière et longea le talus à pieds jusqu’à ce que le ceiba ne soit plus visible. Puis il enfourcha le cheval, prit le galop, et ne repassa au pas que lorsque celui-ci commença à réclamer une pause, tirant son mors vers le bas.
Un canal lui permit d’abreuver sa monture le temps de récupérer, lui aussi. La chevauchée n’arrangeait pas son mal de dos.
Moebius cacha son coursier au milieu des fourrés et longea la route pendant quelques lacets, à couvert. Des cris d’animaux et autres bruits de vie indiquaient qu’il devait approcher Chack Nahil.
Sans quitter l’ombre des arbres, il sonda en observant l’activité autour de la grande porte. D’ordinaire déjà importante, à cause du commerce du jade, la sécurité avait été renforcée. Devant l’entrée, des soldats vérifiaient les cargaisons.
Il déglutit. Il y avait des égys. Au moins à chacune des quatre sorties qu’il identifiait facilement dans les flux d’énergie. L’intérieur de la ville était trop illisible à cette distance, il y en avait peut-être plus.
Il avisa un point de vue plus proche et rampa lentement vers le petit repli de terrain pour établir une stratégie.
Les hauts murs offraient des prises, mais l’escalade était risquée sans magie. En cas de chute, il ne donnait pas cher de sa peau. Sans compter que pour grimper il devrait laisser le cheval, et que sans, il ne rattraperait pas Tobias et Diane.
Il aurait pensé pouvoir traverser le bourg sans perdre plus de temps, en profiter pour trouver des vivres et changer de monture, mais encore une fois il allait devoir s’adapter. Il ferait le tour, et aviserait. Quitte à être obligé de voler, il pouvait aussi brigander.
Moebius traîna plus qu’il ne l’aurait voulu allongé dans l’herbe, à regarder l’agitation à l’entrée de Chack Nahil.
— Il n’y a plus qu’à… soupira-t-il en pivotant pour ramper dans l’autre sens, vers la forêt.
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Moebius retrouva son cheval couvert de boue et de feuilles, les sacoches en partie ouvertes et pleines de terre. Il vérifia et rangea ses affaires, sur ses gardes, mais il ne manquait rien. L’animal, fatigué de son effort précédent, s’était simplement roulé. Heureusement, il n’avait cassé aucune lanière de son harnachement.
Il avait déjà commencé à ôter de l’humus du chanfrein quand il s’arrêta. Les larges taches blanches du coursier, très appréciées de la noblesse, ne l’étaient plus. Le cheval restait bien bâti, mais il ne criait plus ses origines à quiconque le voyait passer.
Une toux nerveuse lui échappa. Un problème en partie réglé. Il se baissa, ramassa de la boue et termina de salir les zones de beau toujours propres.
Il prit ensuite l’animal par la bride et fit demi-tour pour s’éloigner suffisamment de la ville, puis bifurqua perpendiculairement à la route, pour contourner le bourg par l’est, où les champs avaient moins creusé la forêt.
Quand il atteint l’autre côté de la cité, le soleil était encore haut. Sa chemise lui collait à la peau, maintenant aussi sale que le cheval, et ses chausses étaient couvertes de ces insupportables graines qui s’agrippent au tissu.
Mais en posant brièvement la main au sol à la recherche d’une trace de Tobias, Moebius ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Cette fois pas de doute, la caravane était passée par là.
Son soulagement disparut néanmoins vite en constatant le nombre de porteurs, llamas ou simples fermiers en chemin vers leurs champs ou leurs prochaines destinations. Il n’avait aucun moyen de rejoindre la route discrètement, et encore moins de tendre une embuscade à l’un des marchands.
Moebius mordilla sa joue, à l’abri dans le petit bosquet où il s’était arrêté. Il avait déjà perdu trop de temps. Il était hors de vue de ses confrères, pas s’il faisait de la magie, mais sans, oui… Il se frotta la tête, pondéra ses nouvelles options.
Finalement, il quitta les buissons sur une butte qui séparait les parcelles de cultures et suivait la chaussée sur plusieurs centaines de mètres. D’ici il était trop loin des voyageurs pour que ceux-ci puissent s’apercevoir qu’il n’avait aucun outil agricole.
De son côté du talus, des ananas couvraient le sol de leurs longues feuilles grasses et piquantes. Les fruits n’étaient heureusement pour lui pas encore mûrs, sinon les plantations auraient été remplis de paysans affairés.
À intervalles réguliers, il râlait contre les gargouillements de son estomac, ou contre le cheval qui lui ne se gênait pas pour arracher de quoi manger dans les cultures, de son côté à lui, où l’amarante bourgeonnait.
Il finit par devoir sortir des champs et se frayer un chemin dans le taillis avant d’avoir estimé que les groupes de voyageurs s’étaient assez espacés pour s’insérer entre eux sans les perturber. Et la chance se refusa à lui une seconde fois lorsqu’un creux de terrain trop abrupt bloqua son avancée dans la forêt et ne lui laissa plus le choix.
Son arrivée sur la route ne lui valut guère plus que quelques regards inattentifs, ou au pire un peu surpris. Moebius s’interdit néanmoins de monter sur son cheval, dans l’espoir de maintenir l’impression qu’il s’agissait d’une bête mal en point.
La distance entre les voyageurs finit par s’allonger suffisamment pour qu’il parvienne à revenir à un calme relatif. Devant lui, une courte caravane de trois llamas transportait des tissus. Rien à manger, malheureusement.
Derrière lui, en revanche, deux adolescents venaient de sortir d’un chemin, chargés de sacs de légumes. Il savait ce qu’il avait à faire, mais n’en avait pas envie.
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Moebius soupira.
Les pauvres gamins ne l’avaient même pas entendu arriver. Il les avait laissés assommés, derrière le talus, en espérant qu’il ne les aie pas frappés trop fort, ou qu’un carnivore ne les trouve pas appétissants.
Ensuite il avait attaché les deux sacs à sa selle, et filé au galop droit devant jusqu’à ce que le cheval réclame une pause. Les voyageurs qu’il avait dépassés en trombe allaient se souvenir de lui, mais ils n’auraient que peu à dire de plus que « j’ai failli tomber ! ».
Toujours sur la route, il avait retrouvé la trace de Tobias et maintenant il remontait à pied une pente sous le couvert forestier, à quelques mètres de la chaussée où continuaient de circuler les caravanes et porteurs. Des groupes plus larges s’étaient formés, les marchands ne se sentant plus en sécurité loin les uns des autres.
Son attention fut attirée par un miroitement au loin. Une troupe de soldats passait le sommet de la colline et descendait vers lui. Il promena les mains sur les arbres machinalement, pour vérifier que la compagnie ne cachait pas quelqu’un de la confrérie.
Les caravaniers allaient mentionner aux guerriers la présence de quelqu’un d’inquiétant. Il ne pouvait pas rester là.
À la recherche d’un abri, Moebius sauta de cheval et sonda. Et jura. Le signal de Tobias avait disparu. Il avait dû passer un chemin sans le voir. Et les soldats approchaient.
Cette fois il jeta les rênes sur une branche, et posa les deux mains bien à plat sur le sol. La trace de Tobias partait un peu plus à l’est. De l’autre côté de la chaussée.
Moebius pinça les lèvres. Il allait devoir traverser. Il allait finir par y croire, à cette histoire de troisième bol.
Il vérifia ses sacs brièvement, s’approcha aussi près que possible de la route sans sortir à découvert, et monta en selle et guetta un trou entre les groupes de voyageurs. Les soldats seraient là d’un moment à l’autre.
Ils s’emploieraient à le chercher dès qu’ils croiseraient le vieillard au llama chargé de bois, le dernier qu’il avait bousculé avant de quitter la chaussée, et qui allait disparaître au coin du prochain lacet.
Le cheval se mit à gesticuler en soufflant, comme s’il savait qu’il allait bientôt devoir bondir.
En face, derrière le talus, il pouvait apercevoir un ancien chemin, à peine dessiné entre les arbres. Si seulement il n’avait pas la confrérie sur les talons… Il s’était inquiété pour la capacité de Diane à s’adapter à la vraie vie, mais il s’était lui-même surestimé.
Si le prochain voyageur passait le coin avant que le llama chargé de bois ne tourne à l’autre bout, il ne rattraperait jamais Tobias avant le col. S’il les retrouvait tout court.
Moebius talonna le cheval dès que le marchand à la cargaison de stères fut dans la courbe, et poursuivit sans s’arrêter pour savoir s’il avait été vu. Le coursier grimpa une petite pente en râlant, le remercia d’une ruade mécontente, et continua sa route à un rythme moins endiablé.
Mais peu de temps après, ils durent ralentir à cause de l’obscurité grandissante, qui ajoutait aux obstacles tendus par la végétation qui reprenait ses droits sur le chemin. Moebius glissa au sol, et manqua de chuter, ses jambes n’ayant pas l’habitude de telles chevauchées.
Laissant son cheval arracher de la verdure goulûment, il se concentra pour vérifier s’il était poursuivi, et trouver Tobias.
Ses amis étaient bien passés par là, et à travers un petit défilé rocheux qu’il sentait plus loin. Et personne ne le suivait.
Il avait mis presque une journée à contourner Chack Nahil, mais il y était parvenu.
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Moebius remonta en selle après avoir inspecté la trace de la caravane devant une maison en ruine.
Le cheval voyait mieux que lui de nuit, et il avait décidé de poursuivre tant qu’il ne tomberait pas de sommeil.
Peu de temps avant le lever du soleil, il cessa de dodeliner de la tête, s’endormit plusieurs minutes et fut réveillé par un hennissement de son coursier.
Auquel un autre hennissement répondit.
Moebius sauta à terre en se maudissant pour son inconscience. En sondant, il constata qu’il approchait un village.
Sa monture attachée près d’un canal, il se glissa dans le hameau à pieds pour voir à quoi ressemblait l’équidé. C’était une jeune bête, perchée sur de longues pattes encore disproportionnées.
Moebius se frotta la tête en regardant l’animal. L’idée de prendre un autre cheval lui paraissait bien idiote, tout bien réfléchi. Au moins celui qu’il avait était fiable. Celui-ci ne payait pas de mine, et il n’était même pas capable de dire s’il était déjà dressé ou pas.
Abandonnant, il revint vers sa monture en ressassant son manque de réalisme.
Il suivit la trace magique de Tobias sur un chemin qui serpentait en direction d’un pic sacré. Avaient-ils contourné par l’est ou par l’ouest ? Le signal poursuivant tout droit, il entra dans le périmètre rituel à contrecoeur.
Ce raccourci ressemblait bien à Tobias.
Incapable de se reposer au pied des peintures religieuses, Moebius poussa encore un peu. Se décider à s’arrêter lui paraissait à la fois nécessaire et impossible. Le cheval choisit pour lui en faisant un violent écart pour éviter un bruit suspect.
Moebius roula au sol et se releva en secouant la tête pour se ressaisir, puis chercha des yeux sa monture. Bien dressé, celui-ci revenait vers son cavalier, l’air surpris de l’avoir senti vider les étriers.
Saisi d’un rire nerveux, il attacha l’animal à une branche et s’allongea à même le sol.
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Il se réveilla sous une averse torrentielle et reprit sa route avec précipitation.
Le jour grisonnait sur une vallée herbeuse vers laquelle il descendait.
La masse sombre d’une petite ville se découpait dans la brume du matin. Il n’était jamais venu par là, mais ce devait être Kan Nah, ce qui était bon signe, en termes de distance parcourue. Il en serait plus sûr si les champs étaient pleins de tournesols.
Il fouilla le paysage du regard, cherchant le chemin sur l’autre versant, derrière les nappes de brouillard. Pas question d’espérer traverser, après ses actes de la veille.
La route ressortait beaucoup plus à l’ouest qu’au nord. Il sourit pour lui-même. Il n’aurait pas de difficulté à contourner la ville. Il descendit de cheval et prit le temps de sonder autour de lui.
Il coupa lentement à travers les bois et les champs, marchant parfois, pour éviter à son coursier de trébucher dans les pentes. Il arriva aux abords de la chaussée vers le couchant et vérifia si c’était bien l’itinéraire choisi par Tobias. Des lignes d’énergie le firent froncer les sourcils. Des balises.
S’il n’avait pas mis pied à terre pour chercher Tobias, son cheval les aurait activées avant même qu’il s’en aperçoive. Il sonda, à la recherche des propriétaires du dispositif. Il les trouva dans la ville. Il ne reconnut pas leurs signaux.
Il longea la chaussée un moment, à la recherche d’une ouverture. Les lignes d’énergies semblaient continues sur des centaines de mètres, et plus loin un pont au-dessus d’un torrent l’empêchait de rester hors de la route.
Il attacha le cheval et s’accroupit devant l’un des artefacts qui soutenaient les flux magiques. Il approcha sa paume lentement pour chercher le meilleur angle d’attaque. Installer, enlever ou modifier des balises demandait de la précision et de la patience. Peut-être ses deux seules qualités.
Écartant sa main du lien entre les balises, il se leva, prit deux cubes noirs et un accumulateur dans les sacoches de selle et se rassit entre deux des balises adverses. Il posa devant lui les deux répéteurs, et coinça l’accumulateur entre ses jambes.
Il approcha de nouveau les doigts du piège, effleura les lignes de propagation, estima longuement les caractéristiques des flux mis en place par ses anciens confrères.
Une fois sûr de lui, il synchronisa ses deux balises avec la fréquence du dispositif. Puis il s’étendit au sol, un cube dans chaque main, et expira très lentement. Les deux répéteurs devaient couper la barrière au même moment, et avec assez d’espace entre eux pour que le cheval puisse traverser. Il n’aurait qu’une seule chance.
Les deux artefacts entrèrent dans le faisceau magique sans un bruit.
Il sauta sur ses pieds, aux aguets. Comme espéré, il ne se passa absolument rien.
Il s’engagea en premier, et tira le coursier derrière lui.
Puis il récupéra ses cubes en procédant inversement, et lança sa monture au petit galop.
La route obliqua rapidement de nouveau vers le nord. Il reprit le trot après plusieurs minutes. Le signal de Tobias se rapprochait.
Après avoir grimpé un moment au pas entre les arbres, le tracé quitta le couvert forestier, bienvenu en ce milieu de journée, et se mit à longer un torrent d’altitude. Plus haut, sur un promontoire, un temple isolé s’élevait, probablement pour observer les mouvements du soleil et des étoiles. Sur plusieurs terrasses au pied du sanctuaire, les petites silhouettes de fermiers s’activaient.
Peu après, il atteignit une sorte de replat coupé par le cours d’eau, qui se lovait dans une large cuvette avant de repartir vers la vallée. Quelques oiseaux piaillaient dans les rares arbres battus par le vent.
Moebius remonta sa capuche. Il hésitait à se trouver un abri pour quelques heures. Il ne devait plus être loin, en poussant, il pouvait les rattraper dans la nuit. Mais son cheval soufflait fort, et lui-même commençait à vraiment manquer de sommeil.
Laissant l’animal respirer un peu, et boire dans le torrent, Moebius sauta à terre et grignota des légumes. Puis il posa un genou au sol pour sonder. Si Tobias avait beaucoup progressé, il prenait le temps de dormir. Si Tobias avait peu avancé, il continuait.
Mais Tobias n’avait pas bougé du tout.
Moebius avala le morceau de tomate qu’il avait encore dans la bouche et se remit en selle. Quelque chose avait dû les ralentir. Il calma son cheval qui s’ébroua en entendant le cri d’un vautour.
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Il atteint un petit plateau, au pied du défilé qui menait au col à proprement parler. Il était déjà passé par là plusieurs fois, c’est en général ici que les caravaniers montaient le camp. Mais l’endroit était vide.
Moebius laissa sa monture paître et fit rapidement le tour. Il était sûr que Tobias s’était arrêté là, probablement la veille au soir.
Il se remit en selle et s’engagea dans la gorge. Un autre cri de vautour retentit entre les parois rocheuses. Le cheval s’appliqua à secouer la tête nerveusement.
Moebius mit pied à terre et avança avec précautions. À la sortie du défilé, il pouvait être pris en embuscade. Mais il n’y avait personne ici non plus, et il se demanda si le manque de sommeil ne lui jouait pas des tours.
Un autre cri de rapace attira son attention. Un ou deux lacets plus hauts, plusieurs de ces nécrophages tournoyaient. Et dessous, il apercevait la toile du véhicule de Tobias.
La gorge nouée, Moebius lutta contre l’envie de se précipiter, et parcourut les derniers mètres au petit trot. Un des vautours, perché sur un corps, s’envola à son arrivée.
Ce n’était ni Tobias ni Diane.
Il venait de descendre pour inspecter le chariot lorsqu’une pierre siffla et manqua de peu sa monture, qui se cabra furieusement.
— Tobias ! C’est Moebius ! cria-t-il en tentant de faire retomber l’animal sur ses sabots.
Le marchand apparut dans le coin de son champ de vision, appuyé contre la carriole, la tête en sang.
Moebius réussit à poser une main suffisamment haut sur l’encolure du cheval qui sautait encore sur place pour lui brouiller les sens un moment. Il le laissa et courut vers Tobias, écroulé contre la roue du chariot.
— Je suis désolé, souffla Tobias avec une grimace.
Moebius s’accroupit et tenta un sourire. Tobias devait la vie au fait d’avoir eu l’air mort. Il avait une vilaine estafilade sur un bras, mais surtout, plus de pourpres et de violets sur la tête qu’il n’en avait jamais vu. L’un de ses yeux, rouge de sang, avait du mal à bien le regarder.
— Je vais les pister, dit-il en inspectant les dégâts. Ils sont partis par où ?
— Ya des traces de pieds par là-bas, dit-il en montrant quelque part de l’autre côté du chariot. Il faut que tu y ailles, je ne tiens pas debout.
— Je vais d’abord te soulager, dit Moebius en posant les mains sur le haut de la tête de Tobias.
Apaiser la douleur, mais surtout refroidir tout ça pour que ça ne gonfle pas encore plus. Le risque que du sang continue de couler, sous son crâne, était important, mais il ne put se résoudre à le lui dire.
Un mouvement dans un coin de son champ de vision attira son attention. Il se redressa d’un bond.
— On m’envoie fouiller une route pour trouver une princesse et c’est sur un renégat que je tombe ! claironna un égy en s’approchant. J’ai bien fait de me porter volontaire pour une fois.
Louis.
Moebius se déplaça lentement loin de Tobias, les dents serrées. Il s’était laissé distraire du danger.
— Regarde pas partout comme ça, tu sais bien que je peux pas faire de miroir. Dis-moi, tu l’as aidé, parce qu’il faut toujours que tu donnes ton maïs avant la pluie, et maintenant, tu essaies de la rejoindre ? Elle t’a promis quoi pour que tu nous trahisses ? De l’argent ? Des terres ? Ses fesses ?
— Je n’ai pas envie de t’affronter Louis, dit-il en reculant encore, sourd aux provocations.
Louis ne faisait pas dans la précision. S’il restait à proximité, Tobias prendrait des coups, volontairement ou non.
— Ça tombe bien. Si t’es trop amoché j’aurai du mal à ramener ta tête à Yonos…
Moebius se concentrait sur le mouvement des pieds de Louis. Il l’avait battu à plusieurs reprises à l’entraînement. Mais Louis l’avait aussi dominé. Il ne pouvait pas se permettre de le sous-estimer. Parce qu’il n’y avait qu’un seul moyen de le vaincre sans trop de risques, et c’était de rentrer dans sa distance de frappe, là où ses coups n’auraient pas de recul, et là où lui-même pourrait avoir l’avantage sur la magie.
En salle d’entraînement, c’était une chose, ici c’était autrement plus complexe.
Les yeux de Louis s’étaient mis à luire. Il avait une main dans une poche, certainement sur un accumulateur.
Moebius sauta et roula le plus loin possible en voyant Louis s’accroupir. La déferlante d’énergie brute simple le manqua, mais brouilla toutes ses perceptions magiques un instant.
Louis se jeta sur lui, mais il n’eut pas de mal à se dérober. Furieux, Louis se mit à orbiter autour de lui.
Moebius esquiva une autre violente décharge avec un tour sur lui-même, et tenta de s’approcher assez pour toucher Louis.
Mais celui-ci avait anticipé, et le projeta en arrière en ajoutant à sa propre force. Moebius roula sur une épaule, pas particulièrement surpris, mais la respiration douloureuse.
Il se releva en cherchant à estimer combien d’énergie de ses accumulateurs Louis avait déjà consommée, mais fut interrompu. Un frisson glacé remonta ses vertèbres.
Louis tourna la tête en même temps que lui dans la direction de la perturbation.
Moebius fit taire son inquiétude. C’était maintenant ou jamais.
— Excellent, je vais pouvoir ramener deux crânes d’un coup.
Moebius disparut, et tenta de l’assommer directement. Louis se jeta à terre pour échapper à l’attaque, perdant la dague qu’il venait de sortir. Entraîné au sol à sa suite, Moebius serra les dents. Il bascula sur le dos dans le sens du chemin en pente et força Louis à rouler aussi.
Ses oreilles résonnaient des chocs contre le terrain à chaque tour. Il s’agrippa au col de Louis, dégagea son autre main et relâcha tout son accumulateur dans la tête de son adversaire.
Louis s’affala de tout son poids sur lui. Ils heurtèrent un obstacle et le monde cessa de pivoter.
Moebius poussa le corps, s’assit sans pouvoir vraiment le regarder, et attendit de ne plus avoir le tournis.
Puis il se leva lentement, tira la dépouille de Louis près du chariot, vers un recoin de falaise, vida ses poches, le délesta de ses bottes, de son manteau et de ses armes, le recouvrit de tous les accumulateurs qu’il trouva. En quelques minutes, le cadavre ne fut plus que cendres rougeoyantes.
— Rappelle-moi de… commença Tobias en le voyant revenir.
— Je vais chercher Diane, coupa-t-il. Je sais où elle est. Tu peux conduire ? Il ne faut pas rester là.
Hum hum, j'avais un doute sur le fait que le magicien qui fait peur à Diane était notre Egy renégat (d'ailleurs puisque le jaune est parfois considéré comme la couleur des traîtres, peut on dire de Moebius que l'Egy l'est jaune?). Maintenant ça me semble une probabilité forte!
Belle cavale de monsieur. Il rebondit sur le hasard (cheval qui se couvre de boue), fait des erreurs, doute, grogne mais avance quand même comme il peut et brillamment en définitive.
Je trouve qu'il est bien écrit ce bonhomme, je me retrouve un peu en lui (pas pour le côté brillant), dans le côté défaitiste, du genre à douter et à grognasser mais à essayer d'avancer quand même. Pas de manière flamboyante, peut être, mais en se rendant compte, à posteriori, que ya eu du chemin parcouru. Sans acquérir la certitude d'être plus capable que ça pour autant!
Après je n'ai pas ses talents, sa résilience ni son côté aventureux, mais pour être cynique et défaitiste, je crains personne.
En tout cas, le Louis, il l'a bien déglingué !
Content de voir que le Tobias est encore de ce monde, même s'il n'est pas sorti d'affaire...
Question, comment que ça marche la détection de personne?
Moebius traque Tobias et Diane a une bonne distance, en suivant leur trace. Est ce que la confrérie ne peut pas faire de même car Diane est masquée par le Kerrium ? Et que Moebius, lui, ne traque que la trace de Tobias, voire de son chariot au Kerrium (mais je me dis que si le kerrium était si facilement détectable, les egys auraient captés que la carriole n'était pas bien normale)?
Est ce que le fait de sonder pourrait être détecté ? Comme on peut détecter un radar par les ondes qu'il émet? (Je ne sais pas si on peut si facilement détecter un radar ceci dit)
Ou est ce qu'il ne fait qu'écouter ce qui transite dans le sol, les arbres...?
Sachant qu'il détecte lui les egys adverses mais pas l'inverse, est ce qu'il les détecte car ils font les kakous avec leurs pouvoirs?
Bon désolé si je suis lourd avec mes questions techniques et s'il n'y a pas de réponses possibles à tout ça, ou pas facilement, ou pas tout de suite, pas de souci.
En tout cas c'est une capacité très puissante, utile dans bien des situations !
Enfin, puisque je vais dans des détails relous, autant y aller à fond. Tu as ce passage "Il en serait plus sûr si les champs étaient pleins de tournesols." => Entends tu par là que la ville qu'il soupçonne de voir est connue pour ses tournesols et donc si les champs en étaient couverts, il saurait que c'est bien le bon endroit? Ou j'ai pas compris?
Allez, il est temps de clore ce commentaire et aux futures retrouvailles des deux héros!
Le gilet jaune, nouveau symbole intemporel de la rébellion XD (je devrais mettre ça dans mon prochain projet où ya une révolution )
(au fait, je valide cette blague pour mon recueil)
Je suis contente de voir comment tu vois sa cavale. Moebius doute beaucoup, mais c'est clairement pas un idiot, ni un incapable. J'ai toujours du mal à jauger si j'en fais trop dans un sens ou dans l'autre, c'est rude. Donc merci ^^
Pour Louis .... MORT AUX TYRANS !
Tobias est encore là ! Hourrah ! Pour être honnête, dans la toute première version de cette histoire, il survivait pas. Mais j'ai préféré le laisser vivre. Je ne suis pas toujours fan des histoires où les persos meurent gratuitement, alors que leur mort ne fait pas particulièrement avancer ni l'histoire ni l'évolution des personnages principaux. Donc, constatant que je l'avais tué "pour rien", j'ai supprimé ça.
Ceci dit, va quand même falloir qu'il aille se faire soigner
Pour les tournesols, tu as vu juste ^^ J'ai choisi un nom de ville inspiré du maya (humblement, hein) pour "maison jaune", parce que la ville est connue pour ses champs de tournesols.
Pour la traque, pas sûre que ça répond à toutes tes interrogations mais voilà les clés de base que je me suis notée pour tenter de construire quelque chose de logique:
- Les gens laissent des traces autour d'eux quand ils se déplacent, c'est individualisable à un certain point (c'est lié notamment à leur poids, leur façon de marcher, et tout un tas de paramètres internes)
- En plus, les magiciens laissent effectivement des traces en plus quand ils font de la magie (non réversibilité, tout ça tout ça)
- Les traces finissent pas s'estomper ou devenir illisibles si trop de passage à cet endroit.
- Quand on sonde on reste passif. Je vois ça un peu comme regarder la friture sur canal+ en plissant les yeux. Ou une carte de tomographie du sol. Quand tu sais ce que tu cherches tu arrives à voir où c'est à peu près. Si tu cherches au pif, peu de chance de voir quoi que ce soit.
- La limite de distance de "sondage" dépend des gens, et surtout de la concentration qu'ils peuvent y mettre. Ça fonctionne en 3D, pas en 2D, donc bonjour la saturation des neurones.
- Moebius a bidouillé ses bottes parce que une fois lui et Martial devaient trouver et tuer un magicien (je l'ai déjà mis je sais plus quand, récemment, dans le texte, donc c'est pas un spoil, mais ça a un lien avec la fin de Martial), il a rajouté des bouts de kerrium dans les semelles pour être moins facilement traçable.
- Le kerrium un métal. Tu peux en trouver à l'état brut, ou peu modifié (un caillou, le collier), ça fait surtout un effet de brouillage. Tu peux l'utiliser pour fabriquer des artefacts (touts les gadgets des Egys) ou l'inclure dans d'autres matériaux (ex : faire une cage de Faraday pour planquer des gens dans ton chariot). En fonction de comment tu le fonds / forges tu favorises telle ou telle propriété.
- Le kerrium en lui-même n'est pas facile à identifier. Pour garder la comparaison, c'est pas un paquet de pixels noirs sur l'image. C'est plus comme si ça remet le signal au neutre / à la terre. Évidemment si tu bandes les yeux à Moebius et que tu lui mets un bout de kerrium dans sa main, il saura tout de suite dire que c'en est. Si tu mets le bout de kerrium sous son nez, aussi. Mais à partir d'une certaine distance, comme le reste de l'environnement continue de propager de l'énergie dans tous les sens, ça devient invisible. Moebius ne traque pas le kerrium du chariot, mais il a plutôt repéré la perturbation générale autour du signal de Tobias, et qui est dû au passage du chariot et des animaux. (Sans compte que j'ai appris quelque chose de fondamental en lisant un érudit (Terry Pratchett) : c'est fou ce qu'on ne voit rien quand on n'a pas envie de voir)
Pour finir, les autres Egys qui le cherchent ont peut-être eu du mal à le repérer jusque-là, en revanche avec le raffut qu'il a fait pour se débarrasser de Louis, et le fait que le dit Louis a du coup "disparu du radar", ils savent très bien où le trouver (et je parle même pas du "phare" que Diane a allumé pas loin XD)
S'ils ne popent pas direct c'est qu'il faut pouvoir visualiser où tu veux que ton tunnel sorte, et donc ils vont tous pop là où ils peuvent dans les environs et converger.
C'est peut-être cette dernière information qui manque, mais du point de vue de Moebius c'est une évidence, donc je ne peux pas l'expliquer (pas ici en tout cas, je vais garder ça en tête pour voir si ça peut rentrer ailleurs - à ce jour ça arrive beaucoup plus tard, quand Diane apprend à ouvrir un tunnel)
Bon ok c'était prévisible que le coup declat de Moebius et encore plus celui de Diane seraient repérables ! Voyons voir comment ça va (mal) se passer tout ça!
Et merci pour les explications, c'est parfait!
Au passage j'ai bien aimé la technique de Moebius pour feinter les balises adverses et se frayer un chemin dans leur ligne de détection ! Utilisant un atout de sa mauvaise confiance en lui en jouant de prudence et de patience pour vaincre!
Bravo à lui.
J'ai un correcteur filou...