Chapitre 18 - Kerrium (partie 2)

Notes de l’auteur : Bonjour :)

Petite pause ces derniers jours, mais voici la fin de chapitre Moebius !

Soyez sympa avec lui, je crois qu'il passe une mauvaise semaine XD

On s'achemine vers la fin de ce que j'appelle les arcs "fuites" (vu qu'il y en a deux), ensuite ce sera la dernière partie de ce tome 1 ^^

J'espère que ce chapitre vous plaira et saura quand même surprendre un peu.

A bientôt !

    Moebius remonta en selle et ne put s’empêcher de se retourner vers Tobias pour vérifier comment il s’en sortait, ce à quoi le marchand lui répondit par un geste un peu tremblant censé signifier qu’il irait bien.

    Les traces au sol s’éloignaient du chariot, et le nombre de llamas les rendait faciles à suivre. La piste repassait devant le cadavre aux vautours, et bifurquait pour longer une ligne de crête, et redescendre par un petit chemin escarpé à travers une sorte de gravière.

    Son cheval manquait de vigueur, à cause de la fatigue et de ses efforts pour le calmer, et il dut mettre pied à terre pour s’assurer qu’il ne se casse pas une jambe entre les cailloux.

    Moebius suivit les traces hors de l’étendue pierreuse, puis dans un bosquet humide qu’un microclimat autorisait à pousser là, en vérifiant régulièrement qu’il restait bien dans la direction de l’endroit, en contrebas, où Diane avait claqué.

    Entre deux sursauts causés par un sabot qui glisse, ou un oiseau qui s’envole, il secouait méchamment son bracelet. Il ne sentait pas son signal. On ne mourait pas en perdant le contrôle, enfin rarement, donc elle portait toujours le collier. Mais elle devait subir le contrecoup et, en montagne, on se tuait facilement, même en pleine possession de ses moyens.

    Les agresseurs devaient être pressés. Il avait croisé plusieurs ruisseaux, mais il ne vit aucun indice indiquant qu’ils se seraient arrêtés. Le chemin cessa de descendre et s’engagea sur un replat boisé. La zone de perturbation approchait.

    Sous ses mains, il ne sentait toujours aucune trace de vie humaine. Et étrangement peu de vie, tout court. Il tira le cheval entre les arbres, et déboucha dans une sorte de clairière complètement calcinée.

    L’animal refusa d’y mettre un pied, et il dut l’attacher un peu en retrait sur la première branche qui lui parût encore solide.    

 

-°-

 

    Confus, il tenta un moment de comprendre ce qu’il s’était passé, et quelle quantité d’énergie avait été nécessaire pour causer autant de dégâts. Le spectacle le glaçait, même après l’avoir vue perdre le contrôle une première fois. On enseignait que les claquages ne pouvaient qu’empirer, et elle ne faisait pas exception.

    Moebius enjamba les paniers noircis des llamas, enfouis dans des amas de suif et de débris, et fit le tour de la clairière pour chercher par où elle était partie. Avec les problèmes de mémoire, elle éprouverait des difficultés à retrouver son chemin. Il découvrit ce qu’il restait des hommes et l’endroit où elle s’était évanouie, laissant l’empreinte de son corps en creux dans la poussière sombre.

    Moebius s’approcha de ce qui fut une caravane. Il avait vu le manteau de la confrérie en passant, autant le récupérer maintenant. Le contenu des poches avait survécu. Il alla accrocher le vêtement sur la selle du cheval et revint inspecter les traces dans les cendres.

    Gêné par le soleil, il s’écarta du centre pour trouver un meilleur angle pour observer les pas, puis rejoint la périphérie de la zone brûlée là où Diane semblait en être sortie.

    Elle n’avait pas pu aller loin.

    Il marchait lentement dans la forêt. La lumière baissait, la piste devenait difficile à suivre. Pieds nus, elle ne laissait que peu de traces.

    Il n’osait pas l’appeler. Ce n’était pas parce qu’il ne sentait rien qu’ils étaient seuls. Entre son combat contre Louis et le cataclysme de Diane, ils s’étaient plus que signalés. Il valait mieux la trouver vite.

 

-°-

 

    La nuit était bien entamée, et il n’avait toujours pas été capable de la rattraper. Les indices s’entrecroisaient, partaient dans un sens, puis revenaient. Elle devait avoir cherché à retrouver son chemin, et ce faisant, elle avait rendu la piste illisible.

    L’une des traces longeait une petite falaise, et il se permit un bref éclat de lumière. Elle n’était pas tombée. Il continua de suivre l’à-pic jusqu’à retourner vers le flanc de montagne, puis fit demi-tour, et tira ses épaules en arrière dans l’espoir de soulager son dos que la marche, la fatigue et le combat avaient mis à rude épreuve.

    La lune tournait beaucoup trop vite. Plus il perdrait de temps à la trouver et plus tous les égys du coin risquaient de leur tomber dessus.

    Moebius se figea, l’estomac noué, en entendant du bruit. Mais il ne s’agissait que d’un gros rongeur, probablement dérangé par sa progression.

    Il se passa une main dans le cou. Cela lui donnait une idée.

    Il s’assit en tailleur et plaqua les deux paumes au sol, concentré. La présence de Diane devait aussi gêner la faune.

 

-°-

 

    Moebius s’arrêta un instant pour reprendre sa respiration, puis repartit plus calmement. Une vigogne s’était sauvée devant quelque chose. Il avait couru pour ne pas lui laisser le temps de trop s’éloigner, mais il ne voulait pas lui faire peur au risque qu’elle ne consume tout à nouveau.

    Il allait l’approcher quand elle détala à toutes jambes. Il s’élança derrière elle et la rattrapa par le poignet, mais elle se tortilla, les yeux écarquillés.

    — Non ! cria-t-elle.

    Moebius aurait bien aimé répondre, mais Diane se débattait tellement qu’il était trop occupé à s’assurer qu’elle ne se brise pas l’os du bras en le tordant.

    — Non ! couina-t-elle en le frappant de sa main libre. J-je les ai tués ! Si vous me faites du mal, je…

    — Arrêtez ça ! C’est moi !

    Diane s’immobilisa et cligna des yeux. Plusieurs fois. Se passa la langue sur les lèvres. Baissa le regard vers ses pieds, puis le braqua sur lui.

    — Moebius ? dit-elle, de la défiance dans la voix.

    Il créa un peu de lumière. Un bref instant, il crut qu’elle se détendait, et puis il entendit ses dents grincer.

    — Lâchez-moi, jeta-t-elle. Vous me faites mal.

    La colère dans son ton le frappa de plein fouet. Il appuya sur son bracelet, puis se baissa pour sonder le sol et échapper à sa situation. Il ne sentait toujours rien, mais le temps pressait.

    — Il faut qu’on s’en aille.

    Au vu de l’état de ses pieds et genoux, Moebius lui tendit la main. Mais Diane l’ignora, lui passa devant le menton haut.

    Il ne s’attendait pas à un accueil chaleureux, mais pinça les lèvres et la regarda avancer à pas hésitants. Dans la faible lumière qu’il générait, il voyait ses jambes trembler.

    — Vous êtes fâchée ? demanda-t-il à voix basse.

    Diane ne répondit pas. Moebius tourna son bracelet en silence.

    Il admirait un peu son courage entêté. À sa place, il ne tiendrait probablement pas debout. Même sa colère lui semblait justifiée. S’il était parti quand elle le lui avait réclamé, il aurait pu la protéger. Tobias n’était pas un manchot, mais il ne pouvait rien contre le nombre.

    Il inspira pour se calmer, puis bâilla de fatigue et de soulagement.

    — J’ai récupéré votre manteau, annonça-t-il en arrivant près de son cheval. Tenez.

    L’attention perdue dans la zone calcinée, Diane tremblait. Elle regarda un arbre noir, puis ses mains sales, puis ses chausses en lambeaux, puis à nouveau la clairière brûlée.

    — Tenez, répéta-t-il, le bras toujours tendu.

    Elle ne réagit pas plus. Moebius tripota son bracelet un instant, posa d’initiative le vêtement sur son dos, et détacha sa monture. Il ne voulait pas la brusquer, mais il fallait partir.

    Enfin, elle se détourna de la trouée, se tapota les joues et s’approcha du cheval.

    — Vous devriez monter, vous êtes blessée.

    Diane le poignarda du regard, carra les épaules et prit les devants en boitant.

    Il leva les yeux au ciel.

    — Ça suffit, dit-il en la rattrapant. Vous êtes épuisée, vos pieds saignent, et au cas où vous ne le sauriez pas, la confrérie peut débarquer d’une minute à l’autre. Montez. Vous pourrez être indépendante et rancunière une fois à l’abri.

    Diane se tourna à nouveau vers lui, et il lui sembla la voir pâlir sous le faible éclairage qu’il maintenait.

    — Tobias ?

    — Il ne va pas bien, grommela-t-il en espérant que ça l’aide à réfléchir.

    Elle hésita un moment, puis tenta de mettre le pied à l’étrier avec une grimace.

    Moebius la souleva et la posa sur la selle sans prendre la peine de lui demander son avis.


-°-

 

    Moebius guidait le cheval en silence à travers la gravière, le cou raide, une main dans la poche sur ses accumulateurs. Il avait perdu beaucoup trop de temps à trouver Diane. Les étoiles avaient disparu, le ciel se teintait de roses.

    Diane se laissait balloter sur le siège, prostrée. De temps en temps, il se sentait obligé de lui secouer le bras pour qu’elle ne s’endorme pas.

    Il espérait que Tobias avait pu s’éloigner, qu’il n’avait pas subi d’autres attaques et que l’état de sa blessure n’avait pas empiré.

    En arrivant sur la route, Diane tangua sur la selle. Moebius pinça les lèvres. Il aurait aimé éviter de surmener le cheval, mais quitte à choisir, il préférait rester en vie. Il avisa une grosse pierre et s’en servit de marchepieds pour se hisser en croupe et partir au trot. L’animal ronchonna, mais se laissa faire.

    Moebius détourna la tête pour ne pas regarder les vestiges du feu, dans le creux de falaise. Il aurait voulu descendre sonder, mais Diane s’était franchement endormie sur la selle devant lui, calée sur son bras, et il avait tout sauf envie de subir sa mauvaise humeur à nouveau.

 

-°-

   
    Le chariot finit par apparaître alors que Moebius commençait à désespérer de le rattraper avant d’être rattrapé. Le col n’était plus qu’à quelques centaines de mètres, et le souffle blanc de sa monture trahissait le froid et l’épuisement.

    Moebius héla le marchand. La discrétion ne leur servait plus à grand-chose. Tobias arrêta ses chevaux et les attendit, avec sur la tête une sorte de turban au milieu duquel il avait calé un morceau de glace déniché au bord du chemin.

    Diane passa une jambe au-dessus de l’encolure, se laissa glisser de la selle, chancela un instant puis monta dans le véhicule. Il descendit à son tour et attacha son coursier à l’arrière du chariot.

    — Il faut qu’on trouve un endroit où se cacher, dit-il sans grand espoir. J’ai sondé, beaucoup d’égys arrivent. Il y a des grottes par ici ? D’autres chemins ?

    N’importe quoi, plutôt que de rester sur la route à attendre de les faire tuer.

    — On m’a parlé d’anciennes mines accessibles juste avant le col, dit Tobias avec lassitude. Mais je ne sais pas où.

    Moebius se frotta le visage, s’accroupit et plaqua les deux mains au sol, plus fort que d’habitude, pour empêcher des doigts de trembler. Rien, affreusement rien. Il repensa à la vigogne et se mit à chercher des chauves-souris. À cette heure matinale, certaines d’entre elles étaient peut-être encore en train de rentrer dormir.

    — Par là, dit-il au marchand en pointant vers l’ouest. Il y a quelque chose. J’espère juste que c’est bien une grotte, finit-il en se tirant sur le bord du chariot pour remonter à l’avant, je suis tellement fatigué que je ne distingue plus grand-chose à cette distance.

    — On verra bien, soupira Tobias. Par où on peut y accéder ?

    — Je sais seulement qu’il faut monter un peu plus haut, dit Moebius en secouant la tête. On devra se frayer un chemin.

 

-°-

 

    — Il y a une piste par là, dit faiblement Tobias, avachi sur le banc du chariot.

    Moebius lâcha la bride de la jument de trait et fit le tour pour regarder dans la direction indiquée. Il y avait effectivement une vieille allée envahie de végétation. C’était mieux que tirer les chevaux au milieu de la montagne en devant sans arrêt vérifier la stabilité du sol et le dévers.

    La voie était étroite. Enfin, ce qu’il en restait. Pour progresser, il devait pousser des roches ou couper des branches. Il préférait ne plus utiliser de magie du tout, de peur d’épuiser aussi ses réserves d’énergie.

    Diane était sortie du véhicule sans un mot, et traînait derrière le chariot en essayant de limiter les traces de leur passage. Moebius tapotait épisodiquement son bracelet. Ce qu’elle faisait ne leur offrirait pas plus de quelques minutes, mais elle tenait certainement à faire quelque chose pour les aider, et ça, il ne pouvait pas lui en vouloir.

    Après un lacet descendant particulièrement érodé, Moebius jeta un regard à ses compagnons. Tobias s’était appuyé sur le dossier du banc et laissait les chevaux le suivre, les yeux mi-clos et les dents serrées. Derrière, Diane s’éloignait de plus en plus du chariot, au risque de se retrouver isolée.

    Ils n’en pouvaient plus, et lui non plus. À la prochaine zone de replat, ils devraient s’arrêter pour se reposer. Et trouver une nouvelle idée. Il n’aurait jamais dû leur demander cet effort. Surtout que sans lui, Tobias et Diane n’auraient pas été blessés. Il aurait dû leur dire de filer, et rester pour leur faire gagner du temps. Ce qu’il ferait maintenant, dès que possible.

    Il tira sur une branche qui rompit avec un bruit sec, et la coinça contre une seconde. Le vieux chemin disparaissait derrière un pan de montagne.

    De l’autre côté, une large carrière désaffectée taillée dans une pierre sombre, striée de noir, éventrait le flanc du sommet. À son pied, plusieurs entrées de souterrains, en partie effondrés.

 

-°-

 

    Moebius faisait les cent pas devant le tunnel obscur, qui ne lui inspirait rien de bon. Même les chevaux rechignaient. Tobias finit par les convaincre, et le chariot passa tout juste, avec derrière lui le coursier bicolore. Mais sa propre réticence à lui perdurait.

    Une colonie de chauves-souris offusquées se déplaça vers les profondeurs de la mine.

    Il laissa Diane et Tobias avancer et resta dans l’ombre de l’entrée, avec un point de vue sur le vieux chemin, la main sur les accumulateurs dans ses poches, oppressé par le silence. Ce n’est que lorsque son épaule effleura la paroi qu’il comprit.

    Du kerrium.

    Moebius posa la paume à plat sur la pierre, et frissonna. Sa perception des flux d’énergie se trouvait comme assourdie. Pas brouillées de la même manière que près du cénote de Diane. Atténuées.

    C’était une mine de kerrium.

    Il recula plus loin de la sortie avec un rictus, inspecta du regard les murs à la recherche des filons. Voilà pourquoi il n’avait pas directement repéré la carrière à partir de la route. Ici, pas de magie. Il ne pourrait rien faire, même pas poser de balises. Mais l’ennemi aussi.

    Il remit à plus tard la question de savoir pourquoi une mine de kerrium se trouvait là, abandonnée depuis des années, et se précipita auprès de Diane et Tobias, pour les prévenir de faire attention aux champignons.

 

-°-

 

    Moebius soupira. Il n’avait jamais été doué pour la magie thérapeutique, sauf pour brouiller l’esprit des gens et masquer la douleur. Mais sans magie, il se sentait vraiment particulièrement inutile. Il ne pouvait rien faire pour Tobias qui somnolait, adossé au mur de la galerie dans laquelle ils s’étaient réfugiés. Il ne pouvait rien faire pour Diane qui se massait les jambes, les traits tirés.

    Heureusement, Tobias s’était déjà suffisamment battu pour avoir dans son chariot quelques onguents et plantes médicinales, et savoir comment les employer.

    Il aida le jeune marchand à soigner ses plaies et profita d’une faible infiltration d’eau de fonte, glaciale, pour changer le pansement rafraichissant sur son crâne. Puis il prit le pot de baume cicatrisant que Tobias lui tendait et l’apporta à Diane, qui le remercia à demi-mot, et se dirigea vers le chariot.

    Il détacha les chevaux et les attacha de façon à ce qu’il soit impossible de se glisser entre le véhicule et les parois sans les bouger, et retourna auprès de Tobias.

    — Je vais m’allonger, dit-il en se laissant tomber près de son ami. Si les bêtes s’agitent, réveille-moi.

    Moebius ferma les yeux et s’adossa au mur toujours aussi inerte, avec la ferme intention de récupérer assez pour pouvoir défier la confrérie et permettre à Diane et Tobias de fuir.

    Il se retourna plusieurs fois. La pierre dans son rein ne transmettant presque rien, il avait l’impression de tenter de dormir contre du vide.

 

-°-

 

    Moebius se redressa brusquement. À part l’égouttement régulier de l’infiltration d’eau, le tunnel était silencieux. Il posa une main au sol avant de se rappeler qu’il ne verrait rien. Tobias ronflait. Diane était allongée aussi, plus loin.

    Moebius fit la moue. Plus personne ne montait la garde.

    Il se leva et contourna le chariot avec précautions pour observer les chevaux, qui n’avaient pas bougé. Au loin, il surveilla le point lumineux de l’entrée du tunnel.

    Encore trop fatigué pour se risquer à proximité, il fit demi-tour et se rassit à côté de Tobias, qui cligna des yeux et bâilla.

    — Tout va bien, lui dit-il.

    — Désolé, je n’ai pas tenu…

    Moebius se redressa et inspecta le dessus de la tête de Tobias. Il n’en était pas sûr, mais il avait l’impression que cela avait cessé de gonfler.

    Le marchand se cala plus confortablement contre le mur et étira ses jambes.

    — C’est moi qui devrais m’excuser. Je t’ai mis dans une sale situation. Il va falloir trouver une autre issue. Je pense qu’ils ont compris qu’à cause du kerrium et des tunnels il ya trop d’inconnues pour nous attaquer directement. Ils doivent chercher comment nous obliger à sortir.

    — Tu as enfin claqué la porte ? demanda Tobias en essuyant doucement l’onguent de son bras pour vérifier sa griffure.

    Moebius ne répondit pas. Il n’avait pas le courage d’en parler pour l’instant. La seule question de Tobias lui donnait le vertige.

    Il tira ses sacoches de selle sur le sol, par la lanière qui les gardait ensemble et en extrait toutes sa nourriture.

    — Il te reste quoi comme provisions ?

   — Assez pour redescendre jusqu’au premier village, en comptant deux personnes. À trois, ça nous tient moins de deux jours, je pense. Pour les chevaux par contre c’est plus ennuyeux. J’ai un peu de grain, mais ça suffira pas.

    Moebius hocha la tête en mâchant un morceau de llama séché. Il irait explorer le tunnel après avoir dormi un peu plus. S’il trouvait une autre issue, Diane et Tobias pourraient fuir, pendant qu’il faisait diversion là où ils étaient entrés. Il s’abstint d’envisager un sinon.

    Diane s’assit, probablement réveillée par leurs voix. Elle se leva péniblement, vint s’accroupir près de la boite de secours de Tobias, en sortit l’onguent pour ses plaies et repartit sans ouvrir la bouche.

    — Je sais pas ce que tu lui as fait, je ne l’ai jamais vue comme ça… déclara Tobias.

    — Moi si, dit Moebius en se frottant les bras. Qui t’a parlé de cet endroit ?

    — Un vieux revendeur d’artefacts magiques. Ne me fais pas cet air-là.

    — Tu savais que nous avions encore des mines de kerrium ?

    — Non, admit Tobias, et toi ?

    Moebius secoua la tête. Et s’il se trouvait autant inhibé, et que le ou les égys dehors n’entraient pas, c’est qu’il devait rester des quantités considérables du minéral dans les filons autour d’eux. Tobias leva les yeux et suivit son regard.

    — Je croyais que le royaume avait épuisé ses mines avant l’indépendance de l’Urussi…

    — Moi aussi.

    — Remarque c’est intelligent, constata Tobias en se saisissant d’une tomate. En faisant semblant de ne plus avoir de gisements dans le pays, la confrérie peut profiter pleinement de son monopole sur l’importation, contrôler la rareté, et éviter que trop de gens ne se promènent avec des protections magiques. En gros, grâce à ça j’ai une maison à la capitale.

    — En effet, admit Moebius en se frottant le visage. Mais je n’aime pas ça.

    D’abord, une magicienne, puis ça. Il posa la nuque contre le mur en espérant que son estomac cesse de se serrer.

 

-°-

 

    Tobias n’avait pas sa grande lampe, et la petite veilleuse de Diane permettait tout juste de se repérer. Moebius tourna lentement sa tête sur son axe. Il se sentait plus frais, mais son cou était raide, ses épaules crispées. Il rejoint le marchand, seul, près des chevaux.

    — Partie explorer le tunnel, dit Tobias sans attendre la question. Elle a dit qu’elle savait quoi faire pour les champignons.

    Moebius aida Tobias à s’occuper des animaux, jetant régulièrement un coup d’œil vers l’entrée du souterrain. Il lui sembla apercevoir une variation de lumière suspecte, mais elle ne se reproduisit pas.

    — On doit plus s’éloigner, dit-il.

    — Je pensais la même chose. Mais il faut que tu t’en charges, je me sens pas bien.

    — Je t’avais dit de rester tranquille, marmonna Moebius en prenant le relai.

    Si même Tobias commençait à se montrer déraisonnable, ils ne sortiraient jamais de ce trou.

    Moebius attela les traits et fit avancer les juments jusqu’à ce que le haut de la toile frotte sur la pierre. Son cheval à lui était toujours derrière, mais ça n’avait pas d’importance.

    Il eut plus de mal à ôter la bâche et démonter les arceaux. Tobias finit par le guider pas à pas, sans se lever.

    Finalement, le chariot put progresser jusqu’à la première intersection.

    — Parfait, plus qu’à chercher une autre sortie, annonça-t-il pour lui-même.

    D’abord, il allait trouver Diane pour savoir ce qu’elle avait déjà découvert. Il s’éloigna puis revint en se grattant le cou. Impossible de faire de la lumière.

    — Difficile d’être aveugle comme tout le monde ? se moqua Tobias avec une grimace.

 

-°-

 

    Diane avait laissé un petit papier avec une flèche, coincé dans une fissure de rocher, indiquant la direction du chariot. Moebius sourit et regarda les trois autres passages. Par où était-elle partie ? Si elle avait signalé comment revenir, elle avait probablement aussi identifié les boyaux déjà explorés. Il baissa la lampe pour changer de contraste. Dans la boue argileuse, elle avait marqué deux lignes, barrant le chemin de droite et celui qui allait tout droit.

    Moebius s’enfonça dans le silence humide de la mine. Il entendait son cœur qui battait et le bruit de la petite flamme étonnamment fort. Le sol était plutôt régulier et spongieux. À son passage, chauves-souris et insectes s’enfuyaient. Heureusement pour l’instant il n’avait vu aucune trace verte suspecte.

    Un léger clapotis lui indiqua qu’il approchait d’une source. Diane avait laissé un seau sous un conduit vertical brisé. Il le déplaça, ôta son manteau, mit la tête sous le tuyau en serrant les dents et tâta la bosse à l’arrière de son crâne, constatant avec satisfaction qu’elle diminuait. Il se secoua pour chasser l’eau de ses oreilles et frissonna. Dans les tunnels, il faisait moins froid qu’à l’extérieur, mais pas chaud pour autant, surtout une fois mouillé.

    Il trouva Diane un peu plus loin, revenant dans sa direction. Elle pinça un instant les lèvres en le voyant.

    — Venez, dit-elle en lui faisant signe de la suivre.

    Moebius lui emboita le pas, rassuré de constater qu’elle ne boitait plus et éteint sa lampe pour ne pas gaspiller. Ils passèrent plusieurs autres intersections, où Diane sortit son carnet et vérifia son chemin sur son plan détaillé. Elle le conduisit à une rampe très raide, vers un étage supérieur. Le sol avait été quadrillé de rigoles grossières pour éviter de trop glisser, mais l’humidité les fit déraper à plusieurs reprises.

    En haut de la pente, Diane tourna une page et le guida à travers de nouvelles galeries, plus étroites, jusqu’à une croisée éclairée par une grande ouverture dans la paroi qui devait avoir été une porte. Elle éteint sa lampe à distance du coin.

    — Il me semble que cela donne dans le vide, dit-elle à voix basse. Je n’ai pas eu l’audace de m’avancer…

    Moebius lui fit signe de se taire, et posa doucement sa propre lampe au sol. Il entendait du bruit, mais impossible de s’approcher assez pour voir ce qu’il se passait au pied de la falaise sans risquer d’être repéré par quelqu’un. Et évidemment, il ne percevait presque rien en sondant.

    — C’est trop à découvert. Je reviendrai ce soir, dit-il en reculant.

    Diane baissa la tête, mais ne contesta pas. Elle se pencha pour récupérer sa lampe et la lui tendre, ralluma la sienne puis reprit le chemin du chariot. Ils descendirent lentement la rampe glissante, se tenant aux aspérités des murs.

    — Augustin… Comment se porte-t-il ? demanda-t-elle d’une voix qui ne lui ressemblait pas.

    — Il est triste, mais il va bien. Madeleine saura le rassurer.

    Diane détourna la tête. Un peu plus bas que lui dans la pente, elle paraissait petite. Moebius secoua son bracelet, puis réalisa que Diane ne l’avait pas rencontrée.

    — C’est la nourrice qui m’a élevé.

    — Elle s’appelle Madeleine ?!

    — Curieux, hein ?

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Plume de Poney
Posté le 09/07/2025
Salut salut!

Voilà que revient Moebius!
Et je le sentais bien qu'il allait sauver sa princesse, même si elle boude sévère.
Il utilise toujours bien sa capacité de détection, cette fois ci en traquant les animaux et leur comportement, malin le type...

Bon évidemment dans la mine de kerrium ça ne doit pas être simple pour lui d'être coupé de tout ça...
Ca plus le fait qu'il se rend compte que la Confrérie complote dru même dans le dos de ses membres!
D'ailleurs si elle ne veut pas que ses p'tits gars soient trop au courant de l'existence de cette mine, ça peut aider à protéger nos héros! Et chambouler la confrérie si tout ça est exposé au plus grand nombre.
Bon, à part si Moebius était vraiment exclu de tout et qu'il était trop peu au courant de plein de trucs...

En tout cas, Moebius comme nous avons encore plein de choses à apprendre et ça ça garde bien accroché!

Encore un chapitre de plus en moins et bientôt la fin de ce premier tome... Heureusement tu as déjà bossé sur la suite :)

Bonne journée!
Camille Octavie
Posté le 09/07/2025
Salut :D

Mince ! Le gros cliché du héros qui sauve la princesse XD (snif).

J'ai vraiment fait de mon mieux pour limiter ça, notamment parce que, techniquement, elle s'est sauvée toute seule, c'est juste qu'elle allait se faire chopper sous peu à nouveau...(d'ailleurs, qui a dit qu'ils étaient sauvés ? XD C'est pas moi :p)

Mais bon compte-tenu de l'intrigue générale, je ne pouvais pas complètement éviter l'écueil je suppose ^^ Si par hasard il te vient des idées sur comment retourner la chose à mon avantage, je prends ^^

A la confrérie seuls les Doyens sont au courant, globalement, pour l'histoire des mines. Surtout que ça remonte à plusieurs générations ^^ La ribambelle de magiciens dehors a fait exactement comme Moebius, ils ont regardé le tunnel en se disant "oh ça pue ce truc", ensuite ils ont compris, et là ils cherchent comment ils vont bien pouvoir faire pour éviter d'avoir à entrer.

Eh oui, il y a encore PLEIN de choses, souvent déjà "initiées" (j'adore cacher des indices), qui vont avoir un impact majeur sur nos deux amis...

J'ai la pression pour mes vacances, va falloir mettre le paquet pour finir le tome 3 sinon j'aurai fini de poster le 2 avant et ce sera la tristitude
Plume de Poney
Posté le 10/07/2025
Hello,

Haha non c'est moi qui fait le cliché, elle se sauve bien toute seule cette princesse et le gars Moebius la ramène juste sur le droit chemin. Tel un guide spirituel ou un bénévole de la SNCF en temps de grève.

Eh oui si pas de tome 3, la règle du jamais 2 sans 3 ne sera pas respecté et ça c'est mal, très mal...
Plume de Poney
Posté le 10/07/2025
Hello,

Haha non c'est moi qui fait le cliché, elle se sauve bien toute seule cette princesse et le gars Moebius la ramène juste sur le droit chemin. Tel un guide spirituel ou un bénévole de la SNCF en temps de grève.

Eh oui si pas de tome 3, la règle du jamais 2 sans 3 ne sera pas respecté et ça c'est mal, très mal...
Plume de Poney
Posté le 10/07/2025
Hello,

Haha non c'est moi qui fait le cliché, elle se sauve bien toute seule cette princesse et le gars Moebius la ramène juste sur le droit chemin. Tel un guide spirituel ou un bénévole de la SNCF en temps de grève.

Eh oui si pas de tome 3, la règle du jamais 2 sans 3 ne sera pas respecté et ça c'est mal, très mal...
Plume de Poney
Posté le 10/07/2025
Hello,

Haha non c'est moi qui fait le cliché, elle se sauve bien toute seule cette princesse et le gars Moebius la ramène juste sur le droit chemin. Tel un guide spirituel ou un bénévole de la SNCF en temps de grève.

Eh oui si pas de tome 3, la règle du jamais 2 sans 3 ne sera pas respecté et ça c'est mal, très mal...
Camille Octavie
Posté le 10/07/2025
XD
L'image du bénévole SNCF est bien trouvée !

Bon tu me rassures un peu.

Je trouvais justement que sortir du medieval fantastique européen ça me donnait plus de billes pour retourner des clichés ^^

Malgré tout, est ce que notre princesse elle est pas en partie fâchée parce que, quitte à la lâcher dans la nature pour revenir comme une fleur ensuite, le Moebius il aurait quand même pu avoir la décence d'arriver AVANT qu'elle se fasse taper / kidnapper / traiter comme un sac / passe une nuit horrible à sentir le cadavre cramé et le vomi ?
Plume de Poney
Posté le 10/07/2025
Son côté fâchée tel un llama est compréhensible vu les circonstances, plus la fatigue et tout et tout.
Elle sera quand même contente qu'il soit venu les rejoindre même si un peu tard!
Camille Octavie
Posté le 10/07/2025
Oui j'aime bien les personnages qui se mettent à galérer quand trop de choses leur tombent dessus. Je trouve que ça les rend plus humains. Dans la vraie vie, quand on est sous l'eau on devient vite con ^^
Plume de Poney
Posté le 11/07/2025
Salut, je dirais que c'est en effet très réaliste!
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