PARCE QUE, REPONDIT LA FEMME, TOUTE MAGIE SE FAIT AVEC DE LA PERTE D’ENERGIE
INVERSER UN PROCESSUS DEMANDE DONC DE COMPENSER CES PERTES
DONC ON NE PEUT REVENIR QU’A UN ETAT SIMILAIRE, MAIS DIFFERENT
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— Moebius ? demanda-t-elle, sceptique.
Elle voyait flou. La voix pouvait correspondre, mais la nuit, la migraine abrutissante et la peur lui interdisaient toute certitude. Ses mains ne piquaient pas.
Le magicien généra un peu de lumière et elle plissa les yeux.
De toute évidence il s’agissait bien de lui.
Elle déglutit et serra les poings lentement. La colère déferla comme une vague de tempête, incontrôlable, et chassa brièvement les céphalées et la fatigue.
— Vous pouvez me lâcher, indiqua-t-elle. Vous me faites mal.
Il relâcha sa prise aussi brusquement qu’il l’avait empoignée. Diane recula d’un pas, tentant de trier ses idées, en vain. L’égy fit quelque chose au sol, puis se releva, les yeux toujours luisants.
— Il faut qu’on s’en aille.
Elle l’ignora volontairement et passa devant, pinçant l’intérieur de sa joue avec les dents pour contrebalancer la douleur dans ses pieds. Le tremblement de ses genoux ajoutait à sa fureur.
Comment osait-il réapparaître ainsi ? Pensait-il qu’elle allait le remercier ? Lui offrir une récompense ? Le souvenir de la gifle, lors de sa fuite, et la honte qu’elle en concevait maintenant vinrent grossir la liste des éléments catalysant son ire.
— Vous êtes fâchée ? Eut-il le culot de demander.
La question lui donna envie de se mettre à pleurer. Ou de le prendre dans ses bras. Ou de le frapper à nouveau. Ou les trois dans un ordre encore indéterminé.
Diane fixa ses pieds pour vérifier qu’ils continuaient d’obéir et de se mouvoir. Oui, elle bouillait de colère. Elle avait froid, mal, faim. Et aucune énergie à investir dans la raison et l’objectivité.
La clairière calcinée attira son regard. Ils étaient retournés à l’endroit où elle avait immolé les criminels. Elle enjamba lentement une grosse racine roussie. Où se trouvaient les llamas ?
La zone de forêt brûlée s’étendait bien plus que dans son souvenir. Avait-elle exterminé les animaux de Tobias ?
— Tenez, demanda Moebius qui lui tendait son manteau, également couvert de poussière.
Une odeur de chair grillée lui emplit la bouche. Un violent haut-le-cœur remonta vers sa gorge. Qu’était-elle en train de devenir ?
Le magicien posa le vêtement sur ses épaules. Dans un effort de volonté, elle parvint à ne pas vomir, et se détourna de la trouée. — Vous devriez monter, vous êtes blessée, suggéra-t-il en pointant la selle.
Diane fronça les sourcils, ne tint pas compte de l’offre et avança lentement sur le sentier par lequel Moebius était probablement arrivé. La première vague de colère retombait, mais une intense amertume persistait et l’air exaspéré qu’elle avait aperçu sur son visage ne donnait point envie de s’apaiser.
Elle s’était débrouillée sans lui jusque là, elle parviendrait aussi à retrouver le chariot.
— Ne faites pas l’idiote, la sermonna Moebius en lui coupant la route. Vous êtes épuisée, vos pieds saignent, et au cas où vous ne le sauriez pas, la confrérie peut débarquer d’une minute à l’autre. Montez. Vous pourrez être indépendante et ingrate plus tard.
Elle se tourna brusquement vers lui, glacée. Tobias. Elle avait oublié Tobias.
— Tobias ?
— Il ne va pas bien.
Diane attrapa la crinière et souleva difficilement le pied, sans parvenir à le glisser dans l’étrier. Moebius finit par la hisser sur la selle.
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— Tobias ! cria-t-on à ses oreilles.
Diane se redressa, surprise de se trouver à cheval, et près du chariot, puis se rappela le retour de Moebius et se renfrogna.
Pire, manifestement, il avait décidé de grimper derrière elle, et elle s’était endormie. Elle serra le pommeau de la selle à nouveau et se jura de ne plus jamais mentionner ce moment de déchéance.
Elle passa une jambe au-dessus de l’encolure avant même que Moebius ait arrêté leur monture et se laissa glisser au sol, la main dans la crinière au cas où ses genoux refuseraient de la soutenir.
S’il lui venait à l’idée de se vanter, elle saurait le lui faire regretter.
Diane traversa le court espace qui la séparait du chariot avec tout le panache qu’elle arrivait à rassembler et se hissa sous la bâche. Ce n’est qu’à l’intérieur qu’elle s’autorisa à choir sur le banc avec une grimace de douleur, et se jeta sur l’outre d’eau.
Elle fouilla ensuite dans les poches de son manteau poussiéreux, en sortit la petite peluche, qu’elle pressa contre son cœur avant de la ranger à nouveau. Puis elle prit sa veilleuse, l’alluma et la passa près de ses mains et de ses pieds en plissant le nez. L’état de ses plaies n’inspirait que des jurons.
Le mouvement irrégulier du chariot raviva sa nausée. Elle s’étendit sur les planches et ferma les yeux un moment, avant d’abandonner. Il valait mieux descendre et marcher, à l’air frais.
Elle trouva ses souliers et se mit en quête de chausses en bon état. Dans la malle où Tobias gardait des habits, elle en repéra une paire, propre à l’odeur, qu’elle enfila en serrant les dents quand le tissu frotta sur ses coupures et ampoules.
Puis elle sortit avec précautions du véhicule, et secoua son manteau et en chasser la cendre, dérangeant le cheval de Moebius, attaché derrière, qui renâcla.
Elle rendossa son vêtement en observant l’animal. Malgré la salissure, il venait manifestement des écuries du palais et non de celles de la confrérie. Sauf erreur de sa part, cela ne pouvait avoir qu’une signification.
Elle trébucha contre une pierre un peu plus grosse, manqua de chuter et remarqua les traces qu’ils laissaient derrière eux en se frottant les yeux. Une piste facile, même pour elle. Il fallait y remédier.
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Diane glissa dans la pente et posa une main par terre pour se rétablir. Le rythme que Moebius leur imposait, sur ce terrain difficile, devenait compliqué à suivre.
Elle aidait à cacher leurs traces, de son mieux, avec l’impression d’écoper dans une pirogue percée. N’importe quel pisteur expérimenté saurait les retrouver.
Ignorant la douleur dans ses pieds, elle accéléra le pas pour rattraper le véhicule qui avait disparu derrière un lacet.
Juste après, sur un replat, Moebius était descendu du chariot et se passait la main sur la tête en regardant une petite falaise. Un pan de montagne semblait découpé, puis creusé de plusieurs tunnels. Elle s’avança vers l’ouverture la plus proche, effondrée, avec circonspection. Ça sentait l’humidité, le guano de chauve-souris, et l’absence totale de certitude de ne pas se retrouver coincés à l’intérieur.
— Devons-nous vraiment nous cacher ici ? demanda-t-elle à Tobias, mal à l’aise.
— Si les chevaux veulent bien entrer…
Curieusement, les équidés mirent moins de temps à se décider que le magicien, qui avait tellement tourné devant le tunnel qu’elle spéculait qu’il souffrait peut-être de claustrophobie.
Diane se laissa tomber contre la paroi du souterrain dès qu’elle le put, en mâchonnant un morceau de viande séchée, recrue de fatigue. Elle cala sa tête sur ses genoux repliés, et entreprit de se frictionner lentement les chevilles. Elle ne pouvait même plus certifier être vraiment réveillée.
Elle réouvrit les yeux. Moebius l’avait interpellée et lui tendait une petite jatte.
— C’est pour vos blessures…
— Merci.
Le pot sentait la pâte d’épice, rancie. L’odeur lui tira une grimace de dégoût. Elle ne savait pas que les graines d’achiote possédaient des propriétés médicinales. Un triste sourire en coin se forma sur son visage. Au moins, il ne s’agissait point d’avoir à en manger.
Elle mit un peu du contenu du récipient sur les griffures laissées par la corde sur ses poignets, et massa la préparation en gémissant entre ses dents. Puis elle monta dans le chariot pour ôter ses chausses et soigner ses autres plaies.
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Diane s’arrêta à la première intersection et se frotta doucement la joue de la main qui tenait sa veilleuse. Le tissu sur son nez la démangeait, mais ces champignons imposaient de la prudence.
Elle déchira un morceau de papier et le coinça dans une fissure pour indiquer le boyau qui menait au chariot, puis traça du talon une ligne dans le sol en travers des deux tunnels qu’elle n’avait pas explorés.
Elle souleva sa lampe et tenta de percer l’obscurité du souterrain sur sa gauche, à la recherche de moisissures. Leur absence devenait presque plus inquiétante que leur probable présence. Peut-être aurait-elle dû admettre qu’elle n’en avait jamais vu de fraîches. Devait-elle chercher du vert jade ou du vert quetzal ?
Elle se morigéna pour sa fierté mal placée. D’autant plus qu’elle en voulait à Moebius, non à Tobias.
Le couinement répété du seau qui basculait au bout de son anse au rythme de ses pas finit par résonner dans ses oreilles au point qu’elle changea de prise pour le tenir par le rebord. Le silence de sa respiration remplit l’espace.
Diane suivit le tunnel sans oser s’approcher des parois, attirée par un bruit cristallin. Elle leva sa petite lampe au bout de son bras et repéra une fine cascade. Du plafond sortait un reste de canalisation en terre cuite. Elle avança la lumière vers le mur de chaque côté. Aucune trace verte. Elle déposa le seau sous le filet d’eau et le regarda se remplir.
Elle se sentait terriblement sale. En voulant démêler ses cheveux ce matin, elle avait de nouveau couvert ses mains de cendres sombres. Elle défit ses tresses, hésita, puis ôta ses vêtements. Juste un moment.
Elle se glissa sous le flux d’eau irrégulier et se frotta énergiquement le corps, grimaçant au contact des plaies sur ses genoux. Elle se frictionna le visage aussi, avec l’impression qu’en emportant la couche de crasse, le liquide diluait son mal-être. Elle avait tué trois personnes, à ajouter au premier, dans la nuit après l’équinoxe. Au moins, le rapt l’avait tellement bouleversée qu’elle ne saignait plus.
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Elle avait progressé dans les galeries sans ambition précise, mais notant scrupuleusement le chemin emprunté. Et trouvé des moisissures verdâtres.
En réalité, elles se développaient dans les extrémités du souterrain, là où l’humidité suintait, et les veines de kerrium abondaient. D’un émeraude un peu gras, les champignons poussaient par petites colonies irrégulières regroupées en ensembles mesurant parfois plusieurs paumes de long.
Tellement d’histoires de nourrices circulaient, à propos de ces champignons. Diane se souvenait surtout de l’expression de son père, quelques années plus tôt, à son retour d’un village où les ouvriers d’un temple étaient tombés dans un trou.
Elle s’éloigna des moisissures et approcha lentement la main d’un filon de kerrium. Le minéral, constitué de petits cristaux aux arêtes coupantes, ne reflétait la lumière que sur une seule surface. Toutes les autres restaient noires et mates, comme son pendentif. Au toucher, les veines semblaient presque tièdes.
Diane longeait un tunnel légèrement montant quand un large renfoncement dans le mur l’interpella. Elle y passa la tête avec précaution.
C’était l’entrée d’une rampe très raide vers un étage supérieur. Elle escalada sur un côté en croisant les jambes et en calant ses pieds douloureux dans des sillons creusés pour ralentir les chariots, nota un « ° » dans le coin d’une nouvelle page de son carnet et commença un second plan.
La configuration de cet étage semblait similaire à celle du niveau où ils étaient rentrés, même si elle avait la conviction que les tracés n’étaient pas alignés les uns au-dessus des autres. Elle trouva encore une pente montante près de celle qu’elle venait d’emprunter, et une alcôve qui contenait toujours une série de boites vermoulues.
À ce niveau, à part à proximité des rampes, les tunnels paraissaient plus étroits. Dès qu’elle voyait les murs se couvrir de moisissures, elle hachurait le plan et faisait demi-tour.
Elle plissa les yeux. Il y avait de la lumière. Naturelle. Ce devait être l’une des ouvertures visibles de dehors, elle en avait observé plusieurs en arrivant. Elle recula, luttant contre son envie initiale de courir respirer de l’air frais.
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— Pourquoi êtes-vous ici ? demanda-t-elle à Moebius. Vous disiez que votre place demeurait à la confrérie.
Ils avaient laissé Tobias profiter à son tour de l’eau pour se rincer, puis avaient repris l’exploration des tunnels à la recherche d’une sortie. Le passage qu’ils avaient emprunté pour entrer semblait compromis.
Sans autre issue, il ne leur resterait qu’un faux choix. Se rendre et mourir ou ne pas se rendre, et périr tout de même. En condamnant Tobias. Ils avaient aperçu plusieurs ouvertures dans la falaise, mais elle ne s’était pas approchée, imitant le magicien qui faisait des détours pour éviter les zones éclairées.
— Peut-être devrions-nous explorer les niveaux inférieurs, suggéra-t-elle. Même si l’on trouve un passage plus haut, les chariots ne volent pas. Nous non plus, soit dit en passant.
Moebius hocha la tête, approuvant l’idée, et tourna dans un nouveau tunnel pour s’abstenir de faire demi-tour. Diane lui emboita le pas en pinçant les lèvres. Il n’avait pas répondu à sa question. Avait-il été rejeté ? À cause d’elle ? Ou avait-il décidé de fuir ? La confrérie ne devait pas prendre les déserteurs à la légère…
— Attention ! lança-t-il en la tirant violemment en arrière.
Dans ses pensées, elle avait frôlé une coulure verte sur le mur.
Elle se laissa traîner sans broncher, le cœur battant. Faire confiance à Moebius, il possédait certainement plus d’expérience des champignons.
Il lui fit signe d’observer et éteint la lampe. Les colonies sur la paroi rocheuse émettaient maintenant une faible lueur, qui se propageait à plusieurs mètres, formant une sorte de brume luminescente.
— Ce sont des spores, indiqua-t-il, la voix légèrement étouffée par le tissu sur son visage, reculez encore. C’est ça qui intoxique.
Diane se félicita intérieurement d’avoir gardé son propre foulard, malgré l’inconfort. Lentement, le nuage remplit le tunnel. Moebius l’incita à reculer encore. Les spores s’étalèrent, flottèrent petit à petit vers le sol, perdant leur luminosité en quelques minutes.
— Une fois que ça ne brille plus…
— Ça reste toxique deux fois la durée de visibilité, coupa-t-il en rallumant la lampe. Même si ça ne scintille plus. Ne touchez pas votre visage. Venez, on contourne.
Ils redescendirent au niveau où se trouvait le chariot, puis Diane laissa tomber son foulard sur son cou et sortit le carnet pour hachurer le tunnel où elle avait activé les champignons. Elle rajouta une seconde série de stries dans le sens opposé.
À côté, Moebius avait ôté ses gants et faisait toucher ses doigts devant lui, les yeux fermés, un par un, les mains à plat.
— Que fabriquez-vous ?
— Je vérifie que nous n’en avons pas inspiré, expliqua-t-il en levant la lampe. À vous.
Diane le laissa lui soulever les poignets et la dévisager sous tous les angles avec l’impression que c’était elle, l’animal négocié à la foire, cette fois. Une fois ses mains libres, elle les cacha dans ses poches, la lumière persistant encore devant ses yeux.
— Si vous vous sentez trembler, il faut nous prévenir.
Elle opina. Tobias les rejoignit en mâchonnant quelque chose.
— Dites-moi que vous avez repéré une issue, déclara-t-il la bouche pleine. J’entends du bruit, et je détesterais me faire enfumer comme une bête.
Diane et Moebius secouèrent la tête en même temps.
— Rien sur les trois étages du dessus, précisa le magicien. On va voir en dessous.
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Diane remonta le foulard sur son nez et descendit la rampe vers les niveaux inférieurs à la suite de Moebius. Une fois en bas, ils se partagèrent les tunnels à visiter.
Le boyau dont elle avait la charge sentait l’humidité, ses pieds s’enfonçaient dans une fine couche de boue et en sortaient avec un bruit de succion affreux. Le long du mur, un petit ruisseau coulait dans le sens de la pente.
Elle leva sa lampe très haut, au-dessus de sa tête, et inspecta visuellement les parois. Pas de moisissures. Elle traça grossièrement la première galerie sur son carnet. Comme aux niveaux supérieurs, elle était de taille adaptée au passage de chariots.
Celles qui partaient à angle droit, en revanche, étaient de largeur trop réduite. Et des colonies de champignons en couvraient les plafonds.
Diane parcourut le boyau principal. Garder ses repères relevait de l’impossible, mais elle lui paraissait bien plus longue que les tunnels du dessus. Elle décida d’en situer l’extrémité avant de revenir pour descendre fouiller l’étage inférieur. Un renfoncement attira son attention. Encore de nouvelles rampes.
Elle déglutit. C’était gigantesque. Un vrai nid de fourmis coupe-feuilles. Ils auraient eu besoin de jours entiers pour explorer les souterrains et localiser les sorties. Jours qu’ils n’avaient pas. Les chevaux avaient épuisé l’avoine et commençaient à s’énerver. Et à moins de manger les bêtes, eux-mêmes se trouveraient à court de vivres bientôt.
Diane monta la pente ascendante, coinça un morceau de papier noté « A » dans un mur, et fit de même en bas de la rampe descendante, particulièrement trempée, avec un « B ». Puis elle consigna dans son carnet où elle les avait laissés. Au moins, si elle retrouvait l’un de ces papiers plus tard, elle saurait comment les tunnels communiquaient entre eux.
Aussi loin que portait la lumière de sa lampe, la galerie continuait. Ses pieds s’enfonçaient bien plus dans le sol ici que là où elle avait quitté Moebius. Quand enfin elle aperçut l’extrémité, l’eau lui atteignait les chevilles. Là encore, elle trouva une rampe montante et une descendante, couverte d’une douce cascade fangeuse.
Elle tenta d’estimer le niveau de liquide à l’étage du dessous, mais renonça. Il serait impraticable dans tous les cas. Elle fit demi-tour et étouffa un juron. Une de ses chaussures avait disparu dans la glaise. Elle fouilla la boue de la main pour la récupérer, ôta la seconde, et rebroussa chemin en chausses.
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— Diane ! criait Tobias de trop loin pour qu’elle puisse voir plus qu’un halo lumineux.
— Ici !
Elle avança de quelques pas vers le chariot qui approchait puis regarda ses pieds, et fronça les sourcils. Il y avait plus d’eau que tout à l’heure. La voiture de Tobias arrivait dans un fracas glougloutant ponctué de renâclements inquiets.
— Ils noient la mine ! Il faut se sauver de là…
Diane porta une main à sa bouche.
— Il ne peut y avoir de sortie du côté que j’ai exploré, l’eau s’accumule au lieu de couler, signala-t-elle en montrant la trace sur ses chausses. Où se trouve Moebius ?
— Descendu. On ne savait pas si tu étais restée à ce niveau.
Un silence étouffant les submergea.
— Quelles options avons-nous ? demanda Diane en tirant l’ourlet de son col.
Mais la gouaille de Tobias avait disparu.
— Je ne sais pas où vous étiez, râla Moebius en émergeant d’une rampe derrière eux, couvert de boue, mais en vous cherchant j’ai aperçu une issue !
— Excellent ! jeta Tobias à la cantonade en retrouvant le sourire. Alors on s’arrache, parce que moi je ne veux pas finir noyé.
Moebius se figea le temps d’intégrer lui aussi l’information, puis s’écarta du passage derrière lui.
Diane attrapa la bride de Fourmi et la tira vers la pente descendante. Tobias lança des cales à Moebius, mais il n’eut pas l’occasion de s’en servir.
Les animaux patinèrent dans l’onde vaseuse, et paniquèrent. Le pied de Fourmi lui écrasa les orteils brièvement. Elle étouffa un cri. Le chariot resta un instant à flots, puis commença à s’enfoncer dans l’eau.
Le destrier bicolore, toujours attaché derrière, brisa son lien en ronflant, les yeux fous, tourna sur lui-même puis bouscula Moebius pour se faufiler entre la caisse du véhicule et la paroi. L’obscurité l’engloutit, et étouffa le clapotis de sabots.
— Il faut enlever du poids ! lança Tobias en explorant son chargement.
— Par là ! cria Moebius, trempé. Suivez le cheval !
Diane regarda dans la direction indiquée, mais ne vit rien. Elle tira et houspilla les deux juments. La fuite de leur camarade terrifié perturbait les deux bêtes, qui peinaient déjà à tracter le chariot dans l’eau qui leur parvenait au poitrail.
Elle se hissa sur le dos de Fourmi pour essayer de l’encourager.
Ils arrivèrent tant bien que mal à une intersection. Le coursier du palais avait disparu.
— À gauche ! clama Moebius. À gauche !
Diane tira les guides dans la direction indiquée et s’accrocha au harnais de la jument. Elle ne la sentait plus prendre appui au sol. Le niveau avait-il déjà tant monté que les chevaux nageaient ? Une faible luminosité finit par trahir la présence d’une ouverture.
L’onde sale les poussa dehors.
Les bêtes reprirent pied et soufflèrent bruyamment, la hauteur d’eau baissant immédiatement à l’extérieur. Diane éteint la lampe de peur d’être observée. Dans la périphérie de son champ de vision, l’égy sauta sur une pierre et posa les paumes dessus.
— Je ne sens personne, annonça-t-il d’une voix lasse, en se redressant. Allons-nous-en. Ils vont vite comprendre que les tunnels ne se remplissent plus.
Diane des yeux. Autour du chariot, l’eau, les proches et les restes du chargement de Tobias luisaient. Ses chausses étaient couvertes de vase toxique, mais au-dessus de ses genoux rien n’attirait son attention, et ses mains avaient l’air stables.
Dans le véhicule, souillé jusqu’à la ceinture, Tobias réorganisait ses caisses. Mains propres, visage blême, mais propre.
Elle sauta de Fourmi pour couper la route à Moebius qui s’apprêtait à monter à son tour. Lui présentait de la boue luisante jusque sur son foulard. Même sur le front.
Le magicien comprit immédiatement. Il contempla lui aussi ses mains tremblantes, la vase sur ses vêtements, et les flots sortant encore du tunnel.
— Le cheval m’a poussé dans l’eau… Tobias ?
Tobias avait fait le tour des deux juments de trait pour les calmer puis les avait rejoints, l’air inquiet. Diane recula d’un pas, son regard allant de l’égy au marchand et vice-versa. Ses doigts ne piquaient pas, mais que faire ? Heureusement, l’expression de Moebius indiquait qu’il avait une idée, lui.
— Je vais rester là, annonça-t-il. Partez.
Diane béa. Et puis quoi encore ?
— Soyez raisonnable, coupa précipitamment l’égy en la voyant s’apprêter à protester. Vous connaissez les effets des spores. Il y a ceux qui s’étripent, et ceux qui hallucinent tellement qu’ils se jettent du haut de leurs remparts. Et ça, c’est quand ce sont des villageois qui sont intoxiqués. Pas des magiciens. Je peux encore faire diversion, attirer les égys qui vous suivent, vous faire gagner du temps pour rejoindre l’aqueduc.
— Il y a aussi ceux qui survivent, tenta-t-elle.
— Et ceux qui massacrent leurs proches.
— Alors il faut vous entraver… commença-t-elle, sentant une idée se former. Et vous empêcher d’user de votre magie. Tobias, vérifie l’état de la cache. Et sors-moi toutes tes cordes.
— Ça ne sera pas suffisant, insista Moebius en regardant Tobias ouvrir la trappe.
— Tobias ? Ton avis ?
— La planque n’a pas été cassée, répondit le marchand du haut du chariot. Ça se tente.
— Mais…
— Je ne vous abandonne pas. Ce n’est pas négociable. Vous ne vous êtes pas enfui de là-bas pour baisser les bras ici.
Tobias dansa d’un pied sur l’autre. Moebius resta immobile, décontenancé, et se mit à tourner son bracelet autour de son poignet.
Diane le saisit par le coude sans ménagement.
— Grimpez, poursuivit-elle en le guidant vers le chariot. Que peut-on faire de plus pour vous aider ? Vous pouvez vous endormir vous-même ?
— L’usage de la magie sur soi-même est sans-effet et dangereux, récita Moebius en se hissant dans le véhicule où Tobias attendait avec une corde. Ça fait un court-circuit.
Diane échangea un regard avec le marchand et attrapa les rênes, le laissant attacher Moebius dans la cachette. La nuit s’éclaircissait, ils devaient s’éloigner.
— Il faut plus de kerrium dans la boite, s’inquiéta Moebius derrière elle.
Tobias recommença à fouiller dans ses caisses. Diane lutta contre l’envie d’arrêter le chariot pour aider. Elle était plus utile devant que dans les jambes de Tobias. Enfin, le couvercle claqua, et le caravanier vint se vautrer sur le banc avec lassitude.
— J’espère qu’on a eu raison, murmura-t-il en vérifiant une dernière fois que ses mains ne s’étaient pas mises à trembler.
— Moi aussi, soupira-t-elle en l’imitant.
Ça faisait longtemps...
Pas bien sympa ces champignons dis donc... Moebius risque un bon bad trip
Et les egys ont préféré la jouer génie civil que de descendre à la mine. Un choix qui se défend même s'il ne semble pas être le plus efficace finalement.
Bon développement qui annonce des jours difficiles pour nos héros. Et la fin qui approche. Saura ton si Moebius s'en sort avant la fin? Tel un Ulysse américain, attaché pour ne pas succomber aux sirènes et leurs spores...
J'ai juste vu ceci : "De toute évidence il s’agissait bien lui." => Un "de" qui manque donc.
A la suite! J'essaierai de lire ça plus vite!
En même temps, avec les vacances, c'est aussi rude pour moi de finir les derniers "demi-chapitres " XD Donc pas de soucis
Oui j'avais envie de développer un peu autour du kerrium. Et quoi de mieux qu'un champignon dangereux pour aller pousser dans des tunnels humides ^^
Sur la fin je fais face à une difficulté "double ":
1) ne pas donner l'impression que leurs poursuivants sont des glandus parce qu'ils n'arrivent à rien
2) ne pas donner l'impression que Moebius est un glandu parce qu'il n'arrive à rien XD (il a de bonnes raison d'arriver à rien, et il se reprend ensuite)
Du coup si tu as des retours / propositions / idées sur ce sujet, je prends !
Moebius est toujours là dans le tome 2 haha, je te rassure. Mais il n'a pas fini d'en prendre plein la figure encore. Les autres aussi.
Il me reste précisément la fin de ce chapitre du point de vue de Diane (qui est assez long), puis les deux parties du dernier chapitre avec Moebius.
Après je mettrai probablement le début du tome 2 en épilogue" histoire de donner envie mouahaha. Je suis vile