Deux ans plus tard
Quand je m’éveillais, le soleil drapait déjà les bois d’un éclat doré. Après un bâillement, je m’habillai sans descendre du matelas, enfilai mon tablier rose. Je pris la brosse posée sur la commode contre mon lit et allai me coiffer à la fenêtre. Comme tous les matins, j’appréciais mes premiers pas dans cet endroit que j’aimais tant. Ma chambre. Cette pièce au joli parquet brun, à la bibliothèque remplies de couvertures roses pâles, aux murs lattés de chêne couverts de cadres que je chérissais plus que tout. Une peinture de plage qui me rappelait Emisal et des photographies.
La première me montrait aux côtés d’Hinnes, devant un fond blanc. Il m’avait emmenée chez un photographe lorsque j’étais allée passer une semaine avec lui à Dellval, peu après ses derniers jours d’école. L’image était d’une netteté saisissante, et en couleur. Elle avait surtout saisi l’un des rares vrais sourires de mon meilleur ami.
La seconde me montrait entre Daanio en jaquette et Eemke en jupe, le jour de leurs fiançailles. Je n’étais pas parvenue à sourire quand ils m’avaient entraînée jusqu’à l’objectif, trop bouleversée par leur bonheur. Simplement regarder cette image me remettait les larmes aux yeux.
Sur la troisième, je tenais Givke par l’épaule, tenant une bêche de l’autre main. Nous étions en train de rire en habits de chantier, devant Astrée, occupée à s’échiner en arrière-plan. La photographie avait été prise par un journaliste curieux de nous voir réhabiliter une maison en plein cœur de la forêt de Velas, à mille lieux de toutes les villes. Quand l’article avait paru, j’avais soigneusement découpé cette image qui symbolisait tant à mes yeux.
La dernière était la plus récente : elle datait de l’été précédent. Astrée nous tenait, Givke et moi, contre elle, devant l’extraordinaire dolmen d’Isancor. L’image ne saisissait qu’une moitié des pieds du majestueux édifice. Derrière nous, on devinait des dizaines de silhouette pèlerins venus admirer ce haut-lieu du culte masqué, bâti deux millénaires plus tôt. Si ce lieu m’avait marqué, il n’était pas ce que j’aimais le plus dans cette photographie. Non, ce que j’y retrouvais, c’étaient nos trois visages radieux sous le soleil. Nous trois : ma famille.
Je posais mes mains sur le rebord de la fenêtre en brossant mes longs cheveux noirs. Je ne les avais plus coupés depuis près de trois ans et ils m’arrivaient désormais à la taille. J’admirais en même temps la danse des feuilles mortes, qui tournoyaient jusqu’à se poser sur le tapis orange et or qui entourait les troncs. Comme chaque automne, Velas se parait de couleurs si belles qu’elles en faisaient oublier le vent et la pluie.
J’aperçus la furtive silhouette d’un écureuil roux, qui bondit de branche en branche jusqu’à disparaître ans le feuillage. J’ouvris la fenêtre pour inspirer l’air doux et humide du matin. Je tournais la tête à droite de notre maison : la clairière était vide. Cela n’avait rien de surprenant au vu des pluies torrentielles qui s’étaient abattues sur la région les jours précédents. Nous n’aurions sans doute pas beaucoup de visiteurs.
J’allai cependant à l’escalier, passant devant la chambre vide de Givke. En bas, j’entendais Astrée récurer le sol de la cuisine. Elle avait dû se lever à l’aurore pour se jeter à corps perdu dans le travail, comme à son habitude. En m’entendant descendre, elle alla à ma rencontre et nous nous câlinâmes de longues secondes. Je fermais les yeux en appréciant la douceur de l’étreinte de celle que je considérais comme ma grande sœur.
— Bonjour, Hil’, bien dormi ?
— Oui, ça va. J’ai rêvé d’Emisal.
— Encore ?
— Hier, quand on a brûlé les ronces, ça m’a rappelé les soirées autour du feu.
Je regrettais d’avoir évoqué Emisal en voyant la joie d’Astrée s’amoindrir. Elle culpabilisait de n’avoir pu m’offrir le voyage lors des deux années précédentes. Le coût du séjour était trop élevé pour nos modestes moyens. J’avais eu beau lui répéter que cela n’était rien, elle croyait que je lui en voulais pour cela. Comment aurais-je pu alors qu’elle m’avait offert un foyer, une famille et un avenir ? Je me moquais des taches sur son tablier pour ramener son sourire. Cela fonctionna.
— Des taches ? C’est la meilleure, mademoiselle ! Vous qui ne lavez vos affaires que sous la contrainte !
— Heureusement que vous êtes là pour me le rappeler, répondis-je en imitant son ton grandiloquent, madame.
— J’ai fait du café, faut juste le réchauffer.
— Merci.
— Je m’occupe de laver la nappe pour ce midi, ajouta Astrée.
— Pourquoi faire ? T’as vu ce qui est tombé cette semaine ? Il y aura personne.
— Vraiment ? Je suis sûre que nous serons au moins dix à table.
— Pari tenu ! m’exclamai-je, une lueur de défi dans les yeux.
— Tu perds toujours.
Astrée s’éloigna en riant et j’entrai dans la cuisine en levant les yeux au ciel. Deux grandes marmites cuisaient déjà à feu doux sur la gazinière : elle avait vu grand. Comme tous les matins, je bus dans la tasse peinte en noire que Givke m’avait rapportée de son université lors de ses dernières vacances. Elle donnait à la boisson un goût amer qui m’était devenu indispensable. C’était comme si elle était avec moi, le temps de quelques minutes.
Soudain, j’entendis que l’on frappait à la porte. J’avalai la dernière gorgée en me demandant quel curieux voyageur avait pu braver les éléments. En quelques pas, j’eus traversé le couloir pour ouvrir à une petite silhouette par trop reconnaissable.
— Gaabi ! Qu’est-ce que vous faites là ?
La jeune factrice avait la veste et le visage tachés de boue, le pantalon mouillé et sa bicyclette paraissait en piteux état. Je ne pouvais imaginer l’enfer qu’elle avait dû traverser pour arriver chez nous. Cela n’empêchait pas un joli sourire d’illuminer son visage rougi par le froid. Elle enleva sa casquette en hochant la tête avec la politesse timide qui la caractérisait.
— Bien le bonjour Mademoiselle Hildje, on n’arrête pas le service !
La factrice me tendit une enveloppe quand Astrée me rejoignit. Elle échangea quelques mots avec Gaabi sur la météo puis la retint alors qu’elle faisait mine de s’en aller :
— Entre, Gaabi, entre ! Viens boire quelque chose de chaud.
— Vous êtes bien bonne, Madame Astrée, mais j’ai du travail.
— Pas de ça ! Ils te pardonneront bien un peu de retard au vu du temps. On a pas eu beaucoup de visiteurs ces derniers jours, ça nous fait plaisir de te recevoir.
— Alors avec plaisir.
Gaabi entra avec la joie d’un enfant que l’on conduirait au bac à sable. Elle enleva sa veste et ses chaussures crottées avant d’avancer vers le salon avec l’assurance d’une habituée. Je posai la lettre sur la commode de l’entrée pour le suivre. Nous nous installâmes sur le canapé du salon, face à la cheminée. En s’asseyant, Gaabi glissa :
— C’est vraiment beau chez vous.
Elle avait raison. Beau, ça l’était. Ce salon que nous avions rénové à la sueur de nos fronts et embelli avec les années était devenue la pièce maîtresse de notre chambre d’hôtes. Certains de nos visiteurs en avaient entendu parler sans même nous connaître. C’était à ce salon que nous devions le surnom de maison des fleurs.
La pièce se décomposait en deux parties, séparées de trois marches. Sur la partie supérieure, un bar où les vases de bruyère et de marguerite avaient remplacé les bouteilles. Une longue table nappée de blanc attendait ses convives, ornée de deux pots avec des plantes aux feuillages graisseux et fleurs violettes. Un pèlerin venu du lointain pays de Noktar nous les avait offertes à son départ. Il nous avait expliqué que ces plantes se nourrissaient d’insectes, piégées sur leurs feuilles collantes. À l’instant même, un moucheron se débattait, piégé à mort. Plusieurs pots d’autres fleurs étaient suspendus au plafond ou accrochés au mur.
Dans la partie basse, plusieurs arbustes poussaient contre les murs, dans de grands pots de terre. Nous avions cultivé la plupart dans le petit verger qui nous tenait lieu de jardin, quelques-uns nous avaient été offerts. Deux grands tapis à motifs végétal couvraient les lattes du plancher et une tapisserie ornait le dessus de la cheminée. Cadeau d’une voyageuse habituée à s’arrêter chez nous, elle représentait le cœur du soleil, cercle pourpre embrasé. La beauté de l’ouvrage ne ressortait pleinement qu’à la tombée de la nuit, à la lueur de l’âtre. Un grand canapé et quelques fauteuils accueillaient nos hôtes à leur arrivée ou après le repas. À simplement m’asseoir, je me remémorais les récits mémorables que j’avais entendus au coin du feu.
— Qu’est-ce que tu bois, Gaabi ? On a du jus de fruit, un reste de citronnade.
— Une citronnade sera parfaite. Merci, Astrée.
— Je vais te chercher ça à la cave.
Comme je me retrouvais seule avec la factrice, elle s’efforça de me faire la conversation :
— Ta sœur va bien ?
— Oui, elle est à l’université de langues depuis deux mois à Tonval. Je pense qu’elle aime bien.
À la simple évocation de Givke, mon cœur se serra. Malgré le passage des semaines, je n’arrivais toujours pas à me faire à son départ. Je brûlai de la retrouver.
— Tu iras aussi là-bas l’année prochaine ?
— J’ai plus été à l’école depuis que j’ai dix ans. Astrée a besoin de moi et j’ai pas envie de partir d’ici.
— Pas besoin d’aller à l’université pour voyager. Parfois, ça a du bon de partir.
— Je sais. Mais on ne trouve dans aucun voyage la chaleur d’un chez soi.
Je regrettais d’avoir parlé un peu trop sèchement, d’avoir pris un ton défensif alors que Gaabi ne faisait que s’intéresser à moi. Un silence gêné s’installa jusqu’au retour d’Astrée, qui prit ma relève avec brio. J’étais fasciné par sa capacité à sincèrement s’intéresser aux autres. Tout en parlant, elle nous servit sa fameuse citronnade, qui avait déjà fait le bonheur de nombreux voyageurs. Avant que Gaabi s’en aille, elle lui offrit aussi deux tranches de la brioche qu’elle avait fait cuire la veille. Après avoir raccompagné la factrice, Astrée attrapa l’enveloppe sur la commode tandis que je montais dans ma chambre. J’étais arrivée à la moitié de l’escalier quand elle hurla.
Je dévalai les marches et courus au salon. Astrée s’était effondrée sur l’un des fauteuils, en laissant tomber sa lettre au sol. Elle s’était figée contre le velours et ses mains s’étaient crispées sur les accoudoirs comme pour éviter de sombrer. Son visage avait une expression hagarde, ses lèvres tremblaient et ses yeux grands ouverts rougissaient à vue d’œil. Elle semblait avoir reçu une lame invisible en plein cœur, une blessure aussi douloureuse que celle dont je l’avais vue atteinte lorsqu’elle avait trouvé refuge à la Ferme des années plus tôt.
Je me précipitais à son chevet, alarmée de sa réaction. Que pouvait donc contenir la lettre qu’elle avait jeté sur le parquet ? Tandis que je l’entourais de mes bras et de mes sollicitudes, elle me murmura doucement la réponse :
— C’est Arèle. Elle est morte.
Si mes yeux s’embuèrent à l’annonce de la nouvelle, c’était plus par empathie pour Astrée que par tristesse. À mes yeux, Arèle était morte depuis bien longtemps. Je consolais cependant ma mère d’adoption de toutes mes forces : rien ne me rendait plus malheureuse que de la voir souffrir.
Astrée passa le reste de l’après-midi abattue dans ce fauteuil, ne réagissant qu’à mes caresses et mots doux. Je fermai les volets et la porte pour lui éviter tout dérangement, lui préparai une boisson chaude et un repas, achevai la préparation des marmites de la cuisine, allumai un feu, l’enveloppai d’une longue couverture. Je demeurai à ses côtés en regardant les bûches se consumer, sans un mot. De lointains souvenirs me traversèrent l’esprit. Le visionnage de mon premier long-métrage sur les genoux d’Arèle, racontant l’histoire d’un joueur de flûte. Les longues parties d’Acheos, où je lançais les dés comme si ma vie en dépendait. Les viennoiseries achetées à Osivel. Les mots doux qu’elle me murmurait en me bordant, pour apaiser mes angoisses.
En songeant à tout cela, je réalisai que je n’étais plus en colère contre elle. L’écoulement des années et sa mort me permettaient de lui pardonner ses erreurs. La réaction d’Astrée et mes échanges passés avec Eemke confirmait qu’Arèle avait fait beaucoup de bien dans sa vie. Pour de nombreux enfants, elle avait joué le rôle que Daanio et Eemke avaient eu pour moi. J’espérais que nos échanges conflictuels ne l’avaient pas trop blessée.
À un moment, je ramassais la lettre, adressée par les enfants de la défunte. Une photographie se trouvait en dessous des phrases d’annonce. Arèle était allongée dans l’herbe, entourée de deux jeunes hommes aux sourires éclatants et d’une adolescente qui devait avoir mon âge. En découvrant leurs yeux, je me souvins des photographies qu’Arèle gardait dans son bureau. Ces petits enfants qui m’intriguaient tant étaient devenus des adultes affligés de la disparition de leur mère.
Je restai avec Astrée longtemps après la tombée de la nuit, même après la mort des dernières flammes. Je finis par me blottir contre elle, sous sa couverture. Sa chaleur m’empêchait de céder à la lourdeur de mes paupières. Je devais rester éveillée aussi longtemps qu’elle avait besoin de moi. Finalement, elle m’embrassa dans le cou et murmura :
— Merci d’être restée avec moi. Maintenant, il faut aller se coucher. On a du boulot demain.
Je l’embrassais en retour avant d’aller me coucher. Mon lit me sembla bien grand mais j’étais trop épuisée pour ne pas trouver le sommeil. Le lendemain, je fus réveillée par le pas d’Astrée dans des bruits de conversation venus du salon. Quand je descendis, Astrée parlait avec des pèlerins de retour d’Isancor. Elle leur souriait comme si rien n’était arrivé. Je l’observais tout le long de la journée et de la semaine qui suivit sans qu’elle laisse paraître la moindre tristesse.
La vie continuait.
*
Ce soir-là, je vis Hinnes pour la première fois avec une moustache. C’était une semaine après l’annonce de la mort d’Arèle et il entra chez nous avec la discrétion d’un pèlerin ordinaire. Il accrocha sa veste noire et son béret sur le portemanteau, laissa sa sacoche dans l’entrée, posa ses chaussures trempées à distance raisonnable du feu tout en y réchauffant ses mains. Sans son coup d’œil rieur, j’aurais cru qu’il ne m’avait pas vue. Je lui sautais dans les bras, abandonnant les tasses que je préparais.
L’effusion de nos retrouvailles attira les applaudissements de la dizaine de convives attablés autour d’une imposante marmite de ragoût de bœuf. À leur regards attendris, je devinais qu’ils me croyaient l’amoureuse d’Hinnes. Je leurs souris un peu bêtement en retour, incapable de leur expliquer que notre relation signifiait beaucoup plus. Astrée ajouta un couvert à côté du mien en me faisant un clin d’œil.
— T’inquiète pas, je m’occupe du service !
Je ne m’étais pas assise que les convives assaillaient déjà Hinnes de questions. Tous voulaient en savoir plus sur ce jeune homme mystérieux, dont le sourire tranchait au milieu d’un visage bosselé et meurtri. Il se présenta et narra son périple avec la joie du conteur qui se sait écouté :
— Je suis ouvrier dans la plus grande usine textile de Dellval. Je m’occupe de réparer les locaux et les machines. Ça va faire deux ans que j’ai commencé, d’abord en tant qu’apprenti. Le travail est dur mais je suis heureux de pouvoir gagner mon propre argent, de vivre dans ma propre maison, d’être enfin libre. J’ai attendu d’avoir un congé assez long pour faire le voyage jusqu’ici. J’ai pris le train, le taxi, j’ai marché et même voyagé au milieu du chargement d’un camion. Quand je suis parti de Dellval, c’était encore l’été. À mesure de mon voyage, j’ai vu les arbres rougir, les paysages changer, le ciel se couvrir. Je suis heureux d’arriver ici au milieu de l’automne, les bois sont plus beaux que jamais.
— En ce moment, intervint Astrée, Velas est le plus bel endroit du monde. Je suis content que tu sois venu le découvrir par toi-même, aucune image ne peut rendre justice à nos bois.
— C’est vrai que ça me change des fumées d’usines et des rues bondées, répondit Hinnes, légèrement amer.
— Comment connaissez-vous Hildje ? demanda une auditrice si captivée par Hinnes qu’elle en oubliait le filet de bave qui pendait de ses lèvres.
Avant de répondre, Hinnes me jeta un regard, comme pour s’excuser d’avance pour ce que ses mots ne sauraient exprimer.
— C’est ma plus grande amie. J’ai passé les meilleurs moments de mon enfance avec elle.
— Vous ne voulez pas venir vivre ici ? rebondit un autre pèlerin. Je suis sûr qu’Astrée vous trouverait du travail.
— Peut-être un jour. Mais j’ai encore trois ans de contrat à l’usine.
Hinnes passa le reste du repas à raconter ses mésaventures avec ses collègues, à tourner en dérision la stupidité de son chef d’atelier. Si sa voix avait mué, je ne pouvais m’empêcher de l’imaginer comme jadis petit garçon, un livre à la main, à l’ombre du vieux chêne. Il n’avait pas perdu son don pour les histoires. J’écoutais moi-aussi, fascinée par son éloquence et toute à la joie d’enfin le retrouver. Il m’avait énormément manqué. Je ne vis pas passer les minutes, ne m’aperçus de la fin du repas qu’après que les derniers convives soient partis se coucher. Hinnes se leva et nous aida à débarrasser et laver la vaisselle. Astrée ne chercha pas à protester : il donnait son aide comme une évidence.
Quand tout fut propre, nous allâmes nous assoir l’un contre l’autre sur le fauteuil face aux braises. Astrée monta dans sa chambre pour nous laisser à nos retrouvailles. En serrant Hinnes contre moi, je m’émus des poils qui avaient envahi ses bras et son menton, des centimètres qu’il avait gagnés depuis ma visite à Dellval. Les mois écoulés avaient forgé un corps d’homme que je regrettais de ne pas avoir vu changer. Sous mes caresses, je sentais le poids des trop longs mois que nous avions passés loin de l’autre.
— Bouge-pas, Hildje, je vais chercher ma sacoche. J’ai des choses pour toi.
À son retour, Hinnes sortit d’abord une carte postale représentant le phare d’Emisal. Le dos était noirci d’encre noire, florilège de dessins et petits mots. Je lus les noms de Daanio, Sivline, Breen, Julve et une dizaine d’autres, inconnus. Le texte de Julve occupait la moitié de la carte à lui seul. Je le parcourus en diagonale. Elle décrivait les activités du séjour, le déroulement des veillées et répétait trois fois que je leur manquais. Mon cœur se serra. J’aurais tellement voulu être avec eux.
— C’était mon dernier séjour, murmura Hinnes. Je ne reverrai plus Emisal.
— Pourquoi pas ? Tu pourrais être animateur !
— Impossible. Je suis pas assez bon pour ça. Et pourquoi pas toi ?
— Jamais de la vie !
J’avais répondu avec tant d’emphase qu’Hinnes s’esclaffa. Je souris à mon tour. C’était si bon de l’entendre rire. Une fois calmé, il reprit avec plus de sérieux :
— J’ai aussi ça pour toi.
Il me tendit un coffret de bois décoré de losanges et percé d’une petite manivelle de fer. En tirant sur le bord, je dépliai un couvercle noir où un fil d’or traçait les traits d’une femme avec finesse. En-dessous, un peigne de lames élastiques étaient entouré de goupilles en acier. C’était une boîte à musiques, comme celles qui se vendaient jadis à la foire d’Osivel. Je tournai la manivelle pour activer le mécanisme. En entendant les premières notes, j’eus l’impression que le temps s’arrêtait pour me faire replonger deux ans plus tôt, sur la piste de danse de la boum. J’imaginai la voix éraillée de Sovleg se superposer à la mélodie.
Et mon cœur bat, bat, bat comme la musique
Et mon cœur bat, bat, bat comme la musique d’une trop courte soirée d’été
— Ils la mettaient tout le temps quand on était petit, expliqua Hinnes, sans s’apercevoir de mon émotion. Je m’y connais pas trop en musique, j’espère que ça te plaît. Mais… Hildje, tu pleures ?
Oui, je pleurais. Et les larmes qui coulaient sur mes lèvres avaient un goût de menthe. Je pleurais Liiva, je pleurais le passé, je pleurais cette relation que je n’avais pu développer. J’étais submergée par le souvenir de notre baiser autant que par le reste. Par le souvenir de tous les beaux moments passés avec mes amis d’Emisal. C’était doux et triste à la fois.
— Désolé, Hildje ! Ça te rappelle le Château, c’est ça ? J’aurais pas dû…
— Non, Hinnes, c’est parfait. Merci beaucoup.
Je souris, incapable de lui expliquer. Pour décrire ce que je ressentais, les mots manquaient.
*
— Givke !
Je criai à m’en déchirer les cordes vocales. Ma sœur d’adoption avait sauté de la calèche avant qu’elle ne s’arrête. Je courus à sa rencontre jusqu’à me jeter dans ses bras, plongeai dans l’étreinte qui m’avait tant manquée au cours des derniers mois. Mes doigts s’enfoncèrent dans le doux coton de sa chemise à carreaux quand mon front se posait sur sa joue rafraîchie par le trajet. Givke portait ses cheveux détachés, à présent entièrement teintés de rose, ils vinrent me chatouiller le cou. Un instant, seules nos respirations se croisèrent. Puis Givke me relâcha, trop vite.
— T’as pas grandi depuis la dernière fois qu’on s’est vues, se moqua-t-elle.
J’étais si heureuse de son retour, si soulagée, que je ne sus répondre à sa provocation. Je murmurai seulement :
— Je suis tellement contente que tu sois là.
— Moi aussi ! s’exclama-t-elle d’un ton arrogant. C’est ce que je dis en me regardant dans le miroir tous les matins.
Je souris. Son énergie et son humour m’avaient manqué. J’avais tellement hâte de la présenter à Hinnes. De voir les deux personnes que j’aimais le plus au monde enfin se rencontrer. J’étais si heureuse. Avec eux réunis, plus rien ne pouvait arriver.
Eh bien, je suis un peu prise de court par ce chapitre. Je n'avais pas envisagé qu'Hildje et Vabrinia puissent être une seule et même personne. Alors j'ai un bien un fil conducteur qui me revient en mémoire à présent, par rapport à sa peur de l'eau et le dernier chapitre du tome sur Ewannaël, mais j'avoue que c'était ténu.
Ça vient peut-être du fait que je serais partie du principe qu'elle avait un âge suffisant pour avoir des souvenirs plus nets. J'ai souvent soulevé les soucis de l'âge dans tes deux romans, il n'était pas toujours clair combien de temps passait, ni l'âge des protagonistes (c'est un détail auquel je suis attachée ^^). Mais à la fin d'Ewannaël, vu qu'elles étaient quand même devenues un peu "débrouillardes" (dans les derniers chapitres), je suppose que je les voyais assez âgées. Du coup je me demande pourquoi les souvenirs d'Hildje sont si faibles de cette époque, quand Faè semble de son côté être davantage en capacité de se rappeler.
Bref j'imaginais que le lien avec ton autre histoire se ferait autrement :) J'avais pensé au départ que peut-être parmi les camarades du Château, il y aurait une petit Faè ou une petite Vabrinia. Je pensais en tout cas que ça passerait par les filles, le lien avec Hildje en était plus facile, mais je n'avais pas venu venir ça. Peut-être qu'il a manqué quelques indices, peut-être que je suis passée à côté de certains !
Revenons-en à ce chapitre précis parce que j'ai pas mal de choses à te faire remonter :)
En tout premier lieu : tiens je ne m'attendais pas à une ellipse ! Elle ne me gêne pas nécessairement, j'aime bien les ellipses, par contre elle est surprenante ici, en ce qu'elle laisse en suspens nombre de mes questions. Par exemple, je n'aurai pas de réponse à ma question sur le ressenti de Givke d'avoir été abandonnée par Hildje. Je ne vois pas de bébé non plus dans les parages, voilà donc une chose passée à la trappe, chose qui traumatiserait probablement plus d'une femme. C'est un peu dommage qu'il y ait ce manquement.
Idem pour le personnage d'Arèle. J'espérais un développement un peu plus approfondi. Bon, il y a quand même quelques lignes qui parlent du bien qu'elle a fait aussi autour d'elle, laissant comprendre qu'elle a eu un regret sincère par rapport à Hildje. Si ce point doit passer à la trappe, c'est acceptable. Par contre pour Givke, ça me manque vraiment.
Aussi sur ce chapitre et dans le thème des "quel âge a..." : Quel âge à Astrée ? Je ne la pensais pas beaucoup plus vieille que Hildje. Je n'ai jamais eu le ressenti maternel de son côté, donc ça me surprend qu'elle prenne le rôle de mère adoptive. Elle ne peut pas être beaucoup plus âgée en tout cas, puisqu'elles ont fréquenté le Château à une même époque.
Je m'interroge aussi sur le choix d'adopter quand en tant que famille d'accueil elle aurait eu des aides. Je comprends le côté symbolique mais vu la relation entre elles, je ne sais pas si c'était nécessaire.
Je continue avec mes notes prises au fil de la lecture, il y a un peu de tout :
- "L’image ne saisissait d’une moitié des pieds du majestueux édifice" -> qu'une moitié ?
- "en me brossant mes longs cheveux" -> me + mes est lourd. Aussi, je ne me rappelais pas que les cheveux de Hildje étaient noirs, je l'imaginais avec les cheveux clairs. J'ai dû faire un twist dans ma tête.
- "je bus dans la tasse peinte en noire qu’Hildje m’avait rapportée" -> euh ? que Givke, je suppose ? ^^
- "ne l’avaient pas trop blessé." -> blessée
- "et des machines rues bondés" -> à reprendre je pense, je ne suis pas sûre de la phrase que tu voulais ici.
- "avec ses collèges" -> collègues
- "depuis ma visite à Dellval. Les deux années écoulées" -> tu indiques deux ans plus tard au début de chapitre, l'ellipse, mais on est aussi deux ans plus tard une visite à Dellval. Je pense que la chronologie est un peu rapprochée ici, je doute qu'elle soit allée à Dellval dès son arrivée à Velas.
- "C’était mon dernier séjour, murmura Hinnes. Je ne reverrai plus Emisal." -> idem ici. Il était quand, ce dernier séjour ? Alors qu'Hinnes a dit juste avant (au repas) qu'il n'avait pas pris de congés jusqu'alors pour pouvoir venir voir Hildje ?
- "parfois jadis à la foire d’Osivel" -> parfois, ou jadis ?
- "Ça te rappelle le Château" -> pourquoi demande-t-il si ça lui rappelle le Château? Quel est le lien ?
- "cette époque de sa vie" -> de ta vie
- "peut-être te souviendras" -> te souviendras-tu
Voilà voilà :) Je suis curieuse de la suite, mais j'ai le sentiment qu'on atteint le dénouement ! J'espère que l'histoire ne s'arrête pas ici, et que celles qui furent sœurs pourront se revoir.
À bientôt ! ^^
En effet, j'ai d'abord écrit avec ce twist en tête mais à mesure que j'avançais je m'en suis écarté, et au final Hildje est actrice d'une histoire qui est très différente de celle d'Ewannaël. J'ai provisoirement coupé ce twist, je ne sais pas si je le réutiliserai plus tard ou pas. Je me pose de plus en plus la question de ne plus réunir les histoires d'Hildje et Ewannaël, d'accepter qu'elles sont deux unités différents malgré certaines thématiques communes.
Oui, cette ellipse laisse des questions en suspens, après je te rassure, c'est pour y revenir par la suite. Evidemment qu'on reparlera de la rancoeur potentielle de Givke et de son bébé. Après, je ne suis pas encore 100% convaincu par mon traitement de ses thématiques, je piétine un peu sur les chapitres 19 / 20 / 21^^
Oui, le traitement d'Arèle reste au second plan, peut-être qu'elle mérite mieux. Après ça reste un personnage 2ndaire, j'ai préféré laisser certaines questions en suspens, avec des éléments de réponse. Mais je n'exclus pas de la développer davantage en réécrivant^^
Astrée est effectivement plutôt une grande soeur qu'une mère, même si administrativement c'est sa famille d'accueil (et oui bien vu, j'ai supprimé l'idée qu'elle l'adoptait, ça faisait pas forcément sens)
"Alors qu'Hinnes a dit juste avant (au repas) qu'il n'avait pas pris de congés jusqu'alors pour pouvoir venir voir Hildje ?" Bien vu, je corrige !
""Ça te rappelle le Château" -> pourquoi demande-t-il si ça lui rappelle le Château? Quel est le lien ?" Effectivement c'est peut-être pas clair. Dans le sens où ils l'écoutaient tout le temps quand ils étaient petits, sous-entendu au Château. Dans le chapitre où on entend la musique la première fois, Hildje repense que c'était la musique préférée d'Arèle. Je vais peut-être réfléchir à un moyen d'amener tout ça autrement.
Hmmm non, pas tout à fait le dénouement xD J'ai encore 2,3 trucs en réserve (= Pour tout te dire j'hésite entre une histoire à 20 et 22/23 chapitres qui développerait une autre thématique. Mais tu pourras me donner ton retour sous les chapitres concernés.
Merci beaucoup de ton commentaire, ça m'aide pas mal de te lire !
A très vite (=
Alors là, vraiment, je m'y attendais pas du tout ! Incroyable ! Ca fait magnifiquement le lien avec Ewannaël et du coup tout fait sens ! Franchement bravo, je m'y attendais absolument pas et je pense que je ne suis pas la seule. SI je reviens sur le début, je le trouve très beau, très bien écrit. J'avais dans la tête les images de la chambre, du salon, c'est magnifique. C'est vraiment une grande joie de voir Hildje heureuse, et puis les retrouvailles avec Hinnes, adulte... J'ai hâte de voir où tu vas nous mener et ce que la découverte d'une soeur va avoir comme effet sur Hildje.
Trop trop hâte de lire la suite !
Merci beaucoup de ton commentaire. J'ai écrit l'histoire d'Hildje en ayant en tête ce twist mais finalement je ne sais plus trop quoi en faire xD Dans le sens où Hildje et Ewannaël sont désormais deux personnages principaux d'histoires différentes, qui malgré des thèmes communs existent "seules", n'ont pas spécialement besoin de l'autre.
Je ne suis plus sûr de vouloir faire un roman à multiple narrateurs.
Je suis content que tu aies apprécié la description de la maison, un lieu que j'aime beaucoup ! Ainsi que les retrouvailles avec Hinnes, une Hildje plus adulte, avec plus de recul.
Merci beaucoup de ton commentaire !!