Chapitre 18 : Les jardins

Par Cherry
Notes de l’auteur : Mais tiens donc ? Suis-je toujours en vie ? Il se pourrait que l'hiver canadien réduise ma productivité... Quoiqu'il en soit, ces derniers temps, je m'éloigne petit à petit de la fantasy (peut-être parce que je n'arrive plus à rêver) pour me plonger dans des articles scientifiques sur la gestion du capital humain et heu... et de la prose ! Tiens, j'hésite entre le théâtre et la prose, donc je pensais travailler sur un autre projet en parallèle qui mêlerait les deux genres.

bonne lecture et armez-vous de couette en duvet !

Une tache de moisissure en forme de souris ornait le plafond. Et n’avait pas cessé d’être observée par Pa Di. Le soleil s’était invité par la fenêtre et réchauffait la chambre n°14, devenue silencieuse depuis que Cheng, Mo Mi et May Gocy s’en étaient allés prendre leur petit-déjeuner. Pa Di avait fait semblant de dormir encore afin de profiter de la tranquillité car cette nuit avait été un calvaire.  

À vrai dire, elle avait partagé sa couche avec May Gocy tandis que Mo Mi s’était contentée d’une méridienne en piteux état et Cheng, d’une paillasse à même le sol. 

Mais ce que Pa Di ne savait pas, c’était que May Gocy avait la fâcheuse tendance à bouger en plein sommeil. Au beau milieu de la nuit, elle n’avait pas hésité à se servir de Pa Di comme repose pieds.

La seule chose qui réjouissait la petite princesse était la perspective des prochains jours. Hier soir après dîner, ils avaient décidé de se reposer dans cette auberge pour quelque temps et de plier bagages dès qu’ils seraient de nouveau prêts physiquement à affronter le désert. Force était de constater leur état déplorable – et puis Fen n’était pas pressée de repartir en mission.

En marchant sur le parquet, Pa Di grimaça. La plante de ses pieds était toujours aussi douloureuse, mais grâce à l’onguent que Mo Mi avait déniché hier soir, l’inflammation avait décrue. L’état de ses orteils restait lamentable : ses ongles cassés étaient parsemés de bleus et une croûte de sang séché ornait sa cheville. Cette marche dans le désert l’avait marquée plus qu’elle ne le croyait. 

Pa Di s’observa à travers le miroir au-dessus du lavabo. Sa peau avait bronzé considérablement et des cernes creusaient ses yeux. Mais par quel miracle ses lunettes étaient-elles restées en bon état ? Finalement, le joaillier qui les avait fabriquées n’avait pas menti sur leur résistance lorsqu’il les lui avait vendues. 

D’un geste méthodique, elle croisa les branches de ses lunettes et les posa en équilibre sur le rebord du lavabo, puis elle s’aspergea le visage d’eau froide. Avec un morceau de ruban, Pa Di enroula ses cheveux en un chignon, laissant dépasser deux mèches rebiquant sur ses joues. 

Immobile, elle laissa ses mains retomber le long de son corps. Même sans ses verres et avec une vue catastrophique, Pa Di avait toutefois remarqué un détail : son visage n’était plus le même. Quelque chose avait changé… était-ce cela, grandir ? Voir son corps changer sans rien pouvoir y faire ?   


 

*


 

Avec un bâillement, Pa Di descendit les escaliers et pénétra dans la salle commune. Seuls la serveuse d’hier soir et quelques villageois étaient présents, mais aucune trace de ses cousin et cousines. « Tant mieux, songea-t-elle en prenant place sur une chaise. Moi qui voulais me balader toute seule dans les jardins… »

D’une voix hésitante, Pa Di commanda un gâteau au citron qu’elle dévora à belle dents. Comme cela ne suffisait pas, elle s’attaqua à une grappe de raisin, sans même se soucier des pépins qu’elle engloutit aussi. Le jus sucré et acidulé lui picota les joues avec plaisir. C’était le goût du rétablissement et du soulagement qui se propageait dans son corps et revitalisait son organisme.

Elle se surprit à rire car elle n’avait jamais autant apprécié la saveur de simples fruits. Manger était certes un acte naturel, mais à la Cité Fleurie, Pa Di ne s’était pas aperçu de la douceur de ces gestes quotidiens.    

— Bien dormi ?

En sursautant, Pa Di s’étouffa avec un pépin. Fen lui asséna deux tapes phénoménales dans le dos, riant de bon cœur.   

— Tu sais qu’il ne faut pas avaler les pépins si tu ne veux pas te transformer en vignoble ? 

La bouche pleine, Pa Di fit oui de la tête. 

— Tu es bien drôle, toi ! Et sinon, que comptes-tu faire de la journée ? 

— Je vais explorer les jardins, déclara Pa Di en faisant éclater un autre raisin sur sa langue. 

— Puis-je t’accompagner ? 

Le sourire de Fen était si joyeux et surexcité que Pa Di n’eut pas le courage de s’opposer à elle. En général, Pa Di appréciait la solitude afin de pouvoir dessiner en toute tranquillité. S’il y avait bien une chose qu’elle détestait plus que tout au monde, c’était d’être observée pendant qu’elle travaillait.

— Je connais les plus beaux recoins de Kabenzi, poursuivit Fen avec un clin d’œil. 

— Kabenzi ? répéta Pa Di. 

— C’est le nom de ce village. Allez, dépêchons-nous avant qu’il ne fasse trop chaud. L’après-midi, la température peut atteindre les quarante degrés… 

Après que Pa Di eut fini sa grappe de raisin, calé sous le bras son calepin et coincé un crayon sur son oreille, Fen et elle sortirent de l’auberge et empruntèrent les escaliers au cœur des jardins. Elles grimpèrent plus haut et s’engagèrent sous une arche de lierre qui formait un rideau de végétation naturelle. Pa Di se pencha et ressortit de l’autre côté, les yeux écarquillés. Si le paradis existait, il devait sûrement ressembler à ce paysage.

Le ciel bleu était une voûte qui abritait des kilomètres de fleurs et de plantes toutes plus belles et exotiques les unes que les autres. Des rosiers grimpaient autour de colonnes de pierres et une vaste fontaine à l’ombre faisait baigner des nénuphars. Un peu partout des papillons et des abeilles voltigeaient en un ballet délicat sous les chants des oiseaux.  

— Tu aimes ce spectacle ? s’amusa Fen. 

— Beaucoup, souffla Pa Di en caressant une rose.

— Ils doivent en partie leur beauté à l’intervention des Serviteurs de l’Aube. 

La main de Pa Di se referma sur la rose comme un piège à trappes. 

— Du calme, ces chenapans ne traînent plus ici depuis quelques années, la rassura Fen en chassant un insecte de sa main. Ils ont utilisé l’esprit de la végétalisation pour dynamiser l’activité de ce petit village. Les habitants étaient si pauvres que les Serviteurs de l’Aube ont eu pitié d’eux et ont fait sortir de terre des jardins dignes de la Cité Fleurie. 

Lorsque Fen se retourna vers Pa Di, celle-ci était aussi immobile qu’une colonne de marbre. Un papillon s’était déposé sur son front mais elle cillait à peine.

— Tu les as déjà rencontrés ? souffla Pa Di, interloquée.

— Jamais, mais j’ai beaucoup entendu parler de leurs exploits. Ce sont des animistes très doués ! 

— Animistes ? 

— C’est une autre manière pour appeler les magiciens et les shamans puisqu’ils communiquent avec des esprits. 

Fen fit quelques pas entre des orangers dont les fleurs avaient éclos en de fines perles blanches. Le claquement de ses talons résonna dans tout l’être de Pa Di qui ne tarda pas à se cacher à l’ombre, assise sur l’extrémité de la fontaine. Le soleil commençait à être pesant. 

— Fais attention, prévint Fen. Le rebord est glissant… 

Pa Di acquiesça avec un hochement de tête, lissant du plat de la main sa robe. La dernière de ses inquiétudes était de finir dans cette fontaine. Ce qu’elle voulait, c’était en savoir plus sur ses ennemis. Des questions fusaient dans sa tête, aussi bourdonnantes que les abeilles. 

Quand bien même elle les haïssait pour tous les crimes qu'ils avaient commis, Pa Di voulait en savoir plus sur eux. Elle voulait comprendre leurs motivations. 

— Fen ?

— Hum ? 

— Parle-moi des Serviteurs de l’Aube. De leur magie. De leurs valeurs et croyances. Je n’arrête pas d’entendre les gens louer leurs exploits. Pourtant, ils ont fait des choses horribles comme au San Miao.

— Oh, eux ? Je n’en sais pas grand-chose… Tout ce que je connais de ces Serviteurs de l’Aube provient des journaux et des rumeurs. Rien de très pertinent. 

Plongeant sa main dans l’eau, Pa Di fit de petits cercles avec ses doigts, provoquant des ondulations à la surface. 

— S’il te plaît. J’ai vraiment besoin de savoir. 

— Si tu insistes… dit Fen en s’agenouillant pour contempler un buisson en fleurs. Mais tout d’abord, que connais-tu de la magie ?

Prise court, Pa Di suspendit sa main au-dessus de l’eau. Elle chercha dans sa tête tout ce qu'elle connaissait plus au moins en rapport avec, mais elle dû s'avouer qu'elle n'y connaissait rien. La magie ne l'avait jamais intéressée jusqu’à présent. Dame Kao lui avait répété des heures durant à quel point cet art était dangereux et qu'il ne fallait pas y glisser un centimètre son nez. Toutes les informations qu'elle avait glanées provenaient de livres cornés et de rumeurs chuchotées dans les boudoirs.  

Face à son air désarçonné, Fen fronça les sourcils.

— Tu as grandi coupée du monde ? Comment se fait-il que tu n’y connaisses rien ?

— Je viens d’une famille qui ne croit pas en la magie.  

Fen se redressa et bloqua son menton entre son pouce et son index, l’air pensive. 

— Hum… Comment te l’expliquer ? C’est assez long et complexe, et la magie est une discipline si mystérieuse que des chercheurs et des magiciens consacrent toute leur vie à disséquer la vérité. En soi, la magie se forme grâce à une sorte de contrat. Un être humain ayant une connexion forte avec un objet, n’importe lequel, peut entrer en contact avec l’esprit qui réside en lui. Ensemble ils peuvent conclure un pacte : l’esprit accepte de céder sa force en échange d’une contrepartie. Pour ma part, j’ai pactisé avec cette chaîne métallique…

Fen tapota la chaîne qui lui servait de ceinture au niveau de la taille. Impressionnée, Pa Di écarquilla des yeux. Hier elle n’y avait pas fait attention et l’avait pris pour un simple accessoire de mode.    

— Qu’as-tu donnée pour ce pacte ?  

— Mon espérance de vie, avoua Fen avec baissant les yeux. Pour toute franchise, il ne me reste plus que cinq ans à vivre. 

Surprise, Pa Di lâcha son calepin qui s’écrasa au sol.   

— Je rigole ma bichette, j’ai juste donné mes cheveux, éclata de rire Fen. Jamais je ne commettrai cette erreur de débutant… Il est possible de négocier avec l’esprit à tout moment. Plus ce que tu réclames est important, plus la contrepartie demandée par l’esprit sera énorme. Logique.

— Tes cheveux ? Pour quoi faire avec ?

— Je ne sais pas, j’imagine que dans le Ying Cheng les esprits s’ennuient au point de fabriquer des perruques. Les esprits peuvent réclamer plusieurs choses, comme du sang, des offrandes, du papier en or… On dit que les esprits les plus puissants exigent des sacrifices humains, comme l’esprit de l’or que détient le célèbre pirate Ailes-Noires. Mais ce ne sont que des rumeurs… 

En disant cela, Fen attrapa une mèche de cheveux et l’entortilla autour de son doigt avant de se figer. Un éclair traversa son visage puis Fen tendit sa main à Pa Di.  

— Tu vois ce tatouage ? Celui que tu regardais hier soir ? C’est la marque des animistes. Chaque animiste est tatoué et enregistré. C’est une formalité obligatoire afin de les reconnaître immédiatement. Le cercle désigne les animistes d’éléments naturels, le losange représente les animistes d’objets, la croix est pour les esprits à part et l’étoile symbolise les animistes célestes. Auparavant, nous pensions qu’il n’existait que des animistes d’objets, avant que les Serviteurs de l’Aube ne nous prouvent le contraire. Il y a six ans, ils ont émergé de nulle part avec des magiciens maîtrisant des éléments naturels. Certains de leurs membres contrôlent l’esprit de l’eau ou de la foudre. D’autres sont possesseurs d’esprits à part qui étaient autrefois humains sur terre. 

— Et les animistes célestes ? voulut savoir Pa Di.

— Eux ? Ce ne sont que des légendes. Imagine un humain pactiser avec la lune, ou les étoiles. Il faudrait pour cela une connexion surpuissante. Certains prétendent que Chingis le Conquérant ou les Zaj étaient des animistes célestes.  

Pa Di resta muette. Alors comme ça, les Serviteurs de l’Aube avaient pactisé avec des esprits de la nature et des esprits d’outre-tombe ? Voilà pourquoi tout le monde murmurait qu’ils pratiquaient de la magie noire. Et comment se battre contre la foudre ? Comment se battre contre la pluie ?

— À mon tour de poser des questions, ordonna Fen avec un immense sourire. D’où viens-tu ? Toi et tes frère et sœurs, vous n’êtes définitivement pas de la région.

— Nous sommes de la Telkéyi. Un petit village dans les montagnes. Comme il n’y avait pas de travail, nous avons décidé de partir pour Balandjar mais nos passeurs nous ont abandonnés dans le désert.

Le visage de Fen devint sombre. Celle-ci s’approcha de Pa Di et sans crier gare, Fen posa ses mains sur ses joues.  

— Mais que…

— Ma cocotte, laisse-moi te donner un conseil : il ne faut jamais faire confiance aux passeurs, même les plus gentils. 

Ses yeux charbonneux semblaient sonder l’esprit de Pa Di et s’infiltrer jusqu’au plus profond de son âme. Mal à l’aise, Pa Di cligna des yeux en priant intérieurement pour que sa vis-à-vis la laisse tranquille. Puis Fen sursauta, réalisant l’embarras de sa petite protégée. 

— Excuse-moi, mais ton petit visage innocent me donne si envie de le protéger !  

Aussi gracieusement qu’un chat, Fen se courba et attrapa du bout des doigts le calepin de Pa Di qui jonchait toujours le sol. Par curiosité, elle l’ouvrit et le feuilleta, un sourire démoniaque tordant ses lèvres. 

— Mais que vois-je... 

Les poings serrés, Pa Di bondit sur ses pieds et tenta d’arracher son carnet des mains de Fen mais celle-ci, plus grande qu’elle, n’eut qu’à tendre le bras vers le ciel pour le mettre hors de sa portée. 

— Rends-le-moi !  

— Oh, quel mignon petit dessin, s’extasia Fen. Tu dessines des gens tous nus ? Ce n’est pas très correct pour une enfant…

Rouge de honte, Pa Di hurla : 

— C’EST DE L’ART ! 

Trop absorbée dans la contemplation du calepin, Fen trébucha contre la fontaine en s’accrochant à la robe de Pa Di. Celle-ci, qui ne pesait pas bien lourd, perdit l'équilibre et toutes deux tombèrent à l’eau en criant.  

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Prudence
Posté le 27/02/2023
Coucou Cherry !

Ça fait longtemps ! Voilà un petit commentaire pour te dire que je continue de lire ton histoire et qu'elle m'enthousiasme toujours autant. J'ai aimé que ce chapitre se concentre sur Pa Di (je suis clairement subjective : je préfère les points de vue unique xD.) On la découvre petit à petit, c'est intéressant et surprenant aussi. Toutes ses réflexions sur la vie et le temps qui passent (grandir!) donnent de la profondeur au personnage. La fin m'a fait rire. La réplique de Fen m'a achevée "Oh, quel mignon petit dessin, s’extasia Fen. Tu dessines des gens tous nus ? Ce n’est pas très correct pour une enfant…" xDDDD et Pa Di "C'EST DE L'ART !".(Je comprends Pa Di.) (Tu lui diras ?) Bref x). Je ne me souviens plus qui est Fen d'ailleurs (aaah, la lecture entrecoupée !!! Désolée.) mais elle m'amuse beaucoup. Les descriptions du paysage m'a aussi beaucoup plu. <3

A plus tard !!
Cherry
Posté le 10/03/2023
quel plaisir de te revoir ici, Prudence! Ça faisait un petit moment en effet et ça fait toujours du bien d’avoir un message réconfortant comme ça. J’espère que tu vas et que tout se passe pour le mieux pour toi.
Actuellement je suis un petit peu fatiguée et j’espère bientôt pouvoir me reposer pour reprendre HG le plus tôt possible, mais d’un côté je continue à poster des chapitres prêts.
Pa Di est très fière de ses dessins, malgré sa pudeur. Je me demande si cela ne contredit pas son personnage ?
M’enfin, tes compliments me font toujours du bien, merci à toi et à très bientôt sur PA :D autre question : est-ce que tu prévois de poster des histoires ?

A+ dans le bus
Cherry
Posté le 10/03/2023
note : * j'espère que tu vas bien * (sacré vendredi)
Prudence
Posté le 11/03/2023
Yooo ! Aaaah oui, je comprends ta fatigue. Non, ça se sent que Pa Di est fière de ses dessins malgré sa pudeur, et c'est un paradoxe tout à fait crédible, à mon sens.
Je ne prévois pas de poster de nouvelles histoires avant longtemps. Je planche sur mon roman (Judy) de façon très peu organisée donc j'avance ultra lentement et je ne pense plus reposter cette histoire, car j'ai, malgré ma volonté, du mal avec les commentaires autant positifs que négatifs ; ça affecte mon écriture et au lieu de prendre du plaisir à écrire, je me demande sans cesse si ça ou ça plaira ou non. Donc pas de nouvelles histoires, pour le moment... Mais des lectures, ça oui ! J'espère que tu vas bien aussi et que tu te reposeras bientôt !

A+ (dans un bus du Québec ?)
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