Le picolaton n’était pas une créature effrayante en soi. Il ressemblait à un dindon aigri avec un long bec pointu et avait la réputation de faire de fabuleux nids remplis de trésors. Mais cet oiseau était connu et craint pour une tout autre raison : il pinçait les fesses à quiconque s’approchait trop près de son nid. Autrement dit, Thalion et Camille risquaient de passer un très bon moment. Ce dernier se trouvait d’ailleurs à côté de lui, dix mètres plus loin.
— Tu n’es pas assez loin, Camy, lança le maudit pendant qu’ils déambulaient dans la forêt. Je vois encore ta grosse tête.
Comme réponse, Camille lui adressa son majeur, ce qui le fit ricaner.
— J’en connais un qui boude depuis le duel.
— La ferme ! Tu aurais dû être renvoyé, sale démon ! Tu as tenté de me tuer !
— Mais non, voyons. Si ça avait été le cas, j’aurais réussi mon coup, rétorqua ledit démon.
La rage mêlée à la peur dans le regard de Camille était un pur délice.
— Si tu es toujours ici, c’est grâce au favoritisme de Luciphella. Et au statut de ton père adoptif !
Thalion leva les yeux au ciel. Certes, la proviseure adjointe faisait preuve d’indulgence avec lui, mais c’était uniquement à cause de sa dette. Et aussi parce qu’elle tenait à sa vie, ne souhaitant pas voir ce qu’un Thalion possédé par les Ombres provoquerait comme dommages. En réalité, c’était grâce à M. Vandré qu’il pouvait encore étudier à l’académie Divithrum. Ça ne lui plaisait pas d’être redevable envers quelqu’un qui préférerait le voir mort. Quant à Berry, ce dernier l’avait retenu pendant deux heures en l’obligeant à lire l’interminable sermon qu’il lui faisait par écrit, faute de pouvoir le faire de vive voix. Entre la colère et l’inquiétude, le conseiller écrivait tellement que les mots avaient à peine le temps de disparaître avant d’être remplacés sur le papimédia.
— Cette vieille chouette… marmonna Camille en shootant dans un caillou, dire que je suis puni alors que c’est moi la victime… Quelle blague…
— Arrête de te plaindre, tu vas me faire pleurer.
— Parce que tu es capable de pleurer ? Étonnant.
Cette fois-ci, c’est lui qui le gratifia d’un doigt d’honneur.
Ils continuèrent de se provoquer tout en poursuivant leur repérage. En générale, les picolatons se nichaient à l’est de la forêt, là où les arbres étaient plus petits mais tout aussi épais afin d’être capables de supporter leurs poids. Malgré leurs différends, les deux magériens s’étaient mis d’accord pour y aller tôt et récupérer les œufs durant leur sommeil. De cette façon, ils espéraient éviter de grandes souffrances. Thalion se retrouvait donc debout à l’aube pour une chasse aux œufs. Quelle merveilleuse manière de commencer la journée !
Soudain, un grondement provenant du ciel interrompit leur véhément échange pour leur signaler l’approche d’une tempête. Camille souffla, agacé.
— Super. C’est notre jour de chance.
— Dépêchons-nous, suggéra Thalion en précipitant le pas.
— Me donne pas d’ordre, maugréa-t-il en accélérant tout de même la cadence.
C’est dans un silence des plus tendus qu’ils finirent par repérer l’emplacement des picolatons. Les arbres étaient immenses, et les nids situés plus hauts que prévu. Thalion aurait dû emmener Zéphire avec lui.
— Bon, chuchota-t-il pour ne pas réveiller les oiseaux encore profondément endormis, qui s’y colle ?
Ils se dévisagèrent pendant quelques secondes, avant que Camille ne tende le poing. Thalion l’imita.
— Un, deux, trois, pierre, feuille, ciseau… Gagné ! s’enjailla Camille à voix basse.
Thalion toisa sa main formant une feuille avec un regard noir, avant de soupirer.
— D’accord, je m’occupe des œufs. En revanche, tu vas m’aider à monter là-haut.
— Pourquoi ? Tu ne sais pas utiliser un sortilège de lévitation sur toi ? Ah non c’est vrai, tu n’es pas capable de faire léviter quelque chose plus de dix secondes ! se moqua-t-il avec arrogance.
— T’as tout compris, répondit-il d’un air plus blasé qu’agacé. Par contre, fais-moi tomber une seule fois et j’ordonne ici même aux Ombres de te réduire en charpie.
Thalion bluffait, bien évidemment, et Camille devait le soupçonner aussi, s’il en croyait sa moue dubitative. Mais les Ombres étaient effrayantes et tant que le doute subsistait, ça le dissuaderait de lui faire un sale coup.
— Volpao !
Quelle étrange sensation c’était de sentir ses pieds décoller du sol et de se sentir aussi léger qu’une plume ! C’était agréable, jusqu’à ce que Thalion réalise qu’il n’avait aucune maîtrise sur ses déplacements.
— Va plus doucement, abruti ! cria-t-il autant que possible en chuchotant.
En guise de réponse, Camille leva les yeux au ciel.
À première vue, les nids n’avaient rien d’extraordinaires. Faits de branches et de brindilles, Thalion était déçu au point de se demander si c’était bien des nids de picolatons, et non ceux d’une quelconque autre espèce. Mais en apercevant le plumage noirâtre, et surtout les multitudes de pierres précieuses qui ornaient l’intérieur du nid, le doute s’envola. L’oiseau dormait profondément, replié sur lui-même. De la masse de plumes sombre aux pointes carmin se distinguait son cou souple et gris cendré. Il était dénué de duvet, et au bout se trouvait la tête blanche du picolaton. Endormi, il paraissait inoffensif, mais le regard de Thalion était fixé sur son bec pointu et argenté qui luisait, comme pour le mettre en garde. En s’approchant, il réalisa qu’il y avait également des bijoux en or et des cristaux magiques en tout genre planqués entre les brindilles. Un véritable coffre au trésor.
— Au lieu d’admirer le nid du piaf, dépêche-toi de récupérer ces foutus œufs qu’on s’en débarrasse ! le pressa Camille qui le surveillait depuis le sol.
Il n’avait pas tort. Pour l’instant, les oiseaux dormaient, mais aucun d’eux ne connaissait le cycle de sommeil des picolatons. Ils pouvaient se réveiller d’un instant à l’autre. Les œufs se trouvaient au chaud, précieusement gardés sous le plumage de l’oiseau. L’objectif était donc de les récupérer sans qu’il ouvre un seul œil. Thalion s’arma de toute la délicatesse dont il était capable, et glissa doucement sa main sous l’amas de plumes. Malgré la pression, il sut garder son calme et réussit à obtenir les trois œufs présents dans le nid. Thalion les plaça dans le panier apporté à cet usage.
— J’en ai trois, envoie-moi à un autre nid, que j’en récupère d’autres !
— T’es fou ! Trois, ça suffit largement !
— C’est à peine suffisant pour faire une omelette ! Tu crois que ça satisfera Luciphella ?
Camille hésita. Quand il s’apprêta à lui répondre, un nouveau grondement retentit dans le ciel. Plus violent et plus fort que le précédent. Des gouttes froides commencèrent à tomber. C’était si inattendu que Camille sursauta et annula son sort sans le vouloir. Avant même de le comprendre, Thalion s’écrasa au sol. Heureusement, il atterrit sur un tapis de feuille qui n’avait pas rendu sa chute moins indolore pour autant. Il se frotta la tête en jurant, tenant contre lui le panier avec les œufs qui – par chance – étaient intactes.
— Triple idiot ! Fais un peu attention !
— Euh… Corvus… On a un gros problème.
Thalion fronça les sourcils et suivit le regard du magérien dirigé vers les nids. Il réalisa avec effroi ce qui les attendait. Sans doute était-ce le tonnerre qui les avait réveillés, car une dizaine d’oiseaux aux regards mauvais les fixaient. Aucun des deux magériens ne bougea, comme si rester immobile les rendait invisibles. Leur infime espoir s’effondra quand l’un d’eux poussa un cri strident. Les picolatons sautèrent de leur nid pour fondre sur eux avec leurs pauvres fesses comme cibles.
— Milles milliards de gargouilles puantes ! jura Thalion avant de se mettre à courir, imité par Camille.
— Que les dieux nous viennent en aide !
Les deux magériens couraient à en perdre haleine, poursuivis par une nuée de volatiles enragés. De loin, on aurait pu les prendre pour un nuage noir qui cherchait à les engloutir. Thalion avait l’impression d’entendre leurs piaillements virulents juste à côté de ses oreilles. Il n’osa pas regarder par-dessus son épaule pour vérifier si c’était juste une impression, ou si c’était à cause d’une dangereuse proximité.
Malgré sa bonne condition physique, Thalion n’était pas le garçon le plus sportif. Son endurance avait ses limites. Rapidement, la fatigue se fit sentir. Ses poumons devenaient avides, comme si aucune respiration ne savait les contenter. Sa gorge brûlait. Ses muscles le tiraillaient. Son cœur semblait à deux doigts de sortir de sa cage thoracique. Ses jambes s’alourdissaient. Fatalement, ses foulées douloureuses se firent plus lentes. À sa gauche, Camille n’en menait pas large non plus. Ses joues étaient rougies par l’effort et de la sueur perlait son front.
Pour les aider, le ciel gris décida que c’était le moment parfait pour déverser ses larmes. Les bouffées de chaleur dues à l’effort combinées à la fraîcheur des gouttes achevèrent de les anéantir.
Le seul moyen pour eux d’échapper au courroux aviaire était de trouver un endroit à même de les protéger. Dans leur fuite, ils étaient partis dans la direction opposée des dortoirs. L’unique lieu en dehors des arbres-maisons capable de les sauver était la Cabane, mais Thalion craignait de ne pas tenir le temps d’y arriver.
Réfléchir à une solution devenait compliquer à cause de l’épuisement physique. Son corps était en train de le lâcher et les picolatons, de les rattraper. La pluie qui s’intensifiait n’arrangeait pas les choses, rendant le sol glissant et leur uniforme collant.
— Trouve un sort ! ordonna Thalion, à bout de souffle.
Il n’aurait su dire si son ton suppliant s’adressait à lui-même ou à Camille qui avait ralenti au point de se retrouver juste derrière lui.
— J’peux pas ! hurla-t-il, aussi désespéré que lui. Il est hors de question que je…
Une exclamation étouffée interrompit sa phrase. Le genre de bruit qui ressemblait à une respiration brusquement interrompue par un coup dans l’estomac. Thalion supposa d’abord que Camille avait trébuché ou perdu connaissance à cause de l’effort. Il ne prit pas la peine de s’arrêter, ni même de vérifier. Dans cette situation, c’était chacun pour sa pomme. En plus, si Camille attirait l’attention des picolatons, ça lui donnait l’opportunité de les semer. Thalion comprit que ses hypothèses étaient fausses quand le corps de Camille lui tomba dessus.
Le magérien avait été propulsé par un picolaton qui lui était rentré dans le dos comme un boulet de canon. Visiblement, ces volatiles savaient réfléchir et avait décidé que les neutraliser était la meilleure décision pour pouvoir lancer leur attaque spéciale ensuite.
Interrompu en pleine courses, Thalion n’eut pas le temps de pousser le moindre cri avant de s’écrouler. Emporté par l’élan du corps éjecté de Camille, le maudit roula comme un tonneau sur l’herbe glissante, avant de s’arrêter un peu plus loin. La trajectoire de Camille se stoppa quand il heurta un arbre. Une longue lamentation s’échappa de sa bouche. Thalion aurait éprouvé de la peine pour lui s’ils n’en étaient pas là en grande partie à cause de lui.
Dans une tentative vaine de s’en sortir, les deux magériens essayèrent de se relever en titubant pour reprendre leur course, mais leurs jambes les portaient difficilement. Sans avoir le temps de se remettre, une dizaine d’oiseaux leur foncèrent dessus. Leur hurlement se mua en geignements de douleur quand leur bec pointu leur pinça la peau. Les fesses, surtout, mais le reste de leur corps n’était pas épargné pour autant. Le plus douloureux étant les fesses, Thalion parvint après quelques efforts à basculer sur le dos. Instinctivement, ses mains se placèrent devant sa tête pour la protéger, tout en essayant de repousser l’assaut des picolatons. Mais ils pesaient le poids d’un canapé convertible, si bien que Thalion se sentait compressé. Ils étaient serrés autour de lui au point que les gouttes de pluie ne parvenaient à l’atteindre à travers l’amas de volatiles. Des plumes volaient autour de lui. Leurs cris lui vrillaient les tympans. Ceux de Camille aussi.
— Aïe ! Aïe ! Aïe ! Bon sang de bouse de licorne, pourquoi a-t-il fallu que je me batte contre toi ?!
Thalion se posait la même question.
S’extirper de ce guet-apens était peine perdu, alors le magérien sortit sa baguette. L’un des picolatons remarqua la manœuvre et attrapa le morceau de bois entre son bec. Thalion tenta de résister et de libérer son auxiliaire magique, mais d’autres arrivèrent à son secours en attaquant sa main. Sentir chaque centimètre de sa peau se faire pincer était pire que ce qu’on pouvait imaginer. Sa main ne tint pas le coup, la douleur lui fit lâcher sa baguette avant qu’il ait pu prononcer la moindre incantation.
Thalion ne savait plus quoi faire. Allait-il devoir supporter ça jusqu’à ce que les picolatons se lassent ? Impossible ! Naturellement, la magie répondit à son désarroi. Il pouvait la sentir fourmiller dans ses veines, se loger dans sa main et lui titiller le bout des doigts. Faute d’avoir d’autres options, Thalion tenta de lancer un sort sans baguette.
— Vronthory !
Un instant, il crut que ça avait fonctionné. Que, coincé dans une situation inextirpable, un miracle s’était produit, comme pour Camille durant le duel. Mais non. La magie resta coincée dans sa main.
À travers les piaillements stridents, Thalion percevait les plaintes de Camille, occupé à lancer des sorts pour éloigner les picolatons. Des larmes de rages commencèrent à perler au coin de ses yeux. Pourquoi était-il le seul à ne pas pouvoir se débrouiller sans baguette ? Pourquoi n’était-il pas comme les autres ? Son signe n’expliquait pas ses difficultés. Même parmi les corbeaux, il était différent !
Thalion refusait de subir sans broncher. Il allait faire comprendre à son cerveau qu’il ne lui laissait pas le choix. Il s’efforça d’ignorer les multiples tiraillements sur son corps pour se concentrer. Il ferma les yeux pour sentir aussi précisément que possible sa magie affluée. Puis, il réitéra le sort. Plusieurs fois, il répéta « Vronthory » censé reproduire le bruit du tonnerre pour les effrayer, en vain. Malgré les échecs, il persista. Il avait la sensation de s’acharner à ouvrir une porte verrouillée. À chaque essaie, ses migraines s’accentuaient, aggravées par les cris des oiseaux. Les paumes de ses mains le chauffaient. L’une d’elle s’accrocha à une touffe d’herbe comme si elle cherchait à l’arracher. Au pied du mur, Thalion ne voyait pas d’autres solutions que de persévérer.
Il s’entendait à peine lancer le sort à cause du bruit autour de lui. Son crâne pulsait sans qu’il ne sache si c’était à cause du cri des picolatons ou de sa magie. Son nez se mit à saigner, mais Thalion s’en fichait. Les paumes de ses mains étaient brûlantes. Il passait outre, jusqu’à ce que la porte qu’il tentait d’ouvrir par tous les moyens craque.
La douleur dans son crâne explosa. Puis tout devint noir.
— Eh, Corvus ! Eh, oh ! Réveille-toi !
La voix agaçante de Camille fut la première chose que Thalion entendit. La sensation des gouttes froides sur son visage acheva de le faire émerger. Il battit des paupières en sentant une brindille s’enfoncer dans sa joue. En ouvrant les yeux, il constata que cette brindille était tenue par Camille, accroupi à côté de lui. Il la lui arracha des mains pour la balancer de toutes ses forces, donc pas loin. Son corps était épuisé.
— Qu’est-ce que tu fais avec ? s’énerva-t-il en se redressant difficilement. Tu ne pouvais pas me secouer, comme une personne normale ?
— Je ne voulais pas te toucher.
— C’est vrai, tu serais contaminé par la malédiction, sinon ! répliqua-t-il avec sarcasme.
— C’est surtout que je n’ai pas envie de devenir un cadavre desséché.
Thalion le regarda de travers. D’où sortait-il une idée pareille ?
Devant son expression, Camille pointa du doigt le sol. Thalion réalisa avec effroi que l’herbe autour de lui était grise et rêche comme de la paille. Sur un cercle de plusieurs centimètres de diamètres, le sol était complètement asséché, comme si son énergie vitale avait été aspirée. On pouvait voir la terre craquelée, et les rares fleurs avaient fané. Thalion avait l’impression d’avaler de l’acide. Il contempla son œuvre, estomaqué.
— Je n’ai pas pu voir la scène de mes propres yeux, mais je t’ai entendu hurler avant que les picolatons glapissent et déguerpissent à toute allure. Ceux qui me tourmentaient les ont suivis. Je t’ai retrouvé inconscient avec l’herbe qui mourrait à vue d’œil. J’ai cru que t’allais tuer toute la forêt.
Les explications de Camille justifiaient la disparition des picolatons autour de lui et l’absence de piaillements horripilants, mais ça ne le réconfortait en rien. L’herbe qui mourrait ? Tuer toute la forêt ? Par les dieux, les corbeaux étaient destinés à « répandre la mort » autour d’eux, serait-ce les prémices de sa destinée tragique ?
En sentant la peur lui nouer l’estomac, il se força à se lever pour ne pas vomir d’angoisse. Camille l’imita. Son expression neutre devint craintive.
— Est-ce que c’est… les Ombres ? demanda-t-il d’une voix plus aigüe que d’habitude.
Thalion secoua négativement de la tête. À aucun moment il n’avait senti leur présence. C’était juste… le fruit de sa magie. Un courant d’air frais fit frémir ses mains. Il tourna ses paumes face à lui et les vît couvertes de cloques. Il inspira profondément pour apaiser les battements frénétiques de son cœur. Peu importe ce que ça signifiait, il s’en préoccuperait plus tard. Ils étaient trempés et la pluie torrentielle ne comptait pas s’arrêter de sitôt. Ils devaient s’abriter.
Thalion récupéra sa baguette que les picolatons avaient abandonné après l’avoir cherché dans l’herbe, tandis que Camille retrouva le panier que Thalion avait lâché pendant sa chute. Heureusement que les œufs de picolatons étaient résistants car ils étaient intacts. Ils se mirent ensuite en route.
Ces volatiles avaient été impitoyables. À cause d’eux, ils marchaient comme des canards boiteux, courbaturés et trempés jusqu’aux os.
— Ce soir, je vais manger de la volaille. Et avec plaisir, siffla Camille entre ses dents.
Pour une fois, Thalion était d’accord avec lui.
Ils se dépêchèrent autant que leur état le permettait de rejoindre l’abri le plus proche : la Cabane. Très prisée des couples pour son isolement, elle offrait peu de confort mais une intimité impeccable. Trempés et épuisés, ils décidèrent d’aller s’abriter là-bas le temps de récupérer et que l’averse cesse.
Une fois entrés à l’intérieur de la bicoque en bois, ils purent enfin souffler. Thalion essuya son visage humide, puis balaya du regard l’unique pièce.
Il y avait peu de mobilier. Quelques chaises à moitiés cassées, un matelas miteux, et le peu de lumière provenait de la fenêtre. Le magérien ne remarqua pas l’individu tapi dans l’ombre.
— On dirait deux chiens galleux, résonna une voix mordante, les faisant tout deux sursauter.
D’abord méfiant, Thalion plissa les yeux et réalisa à travers la pénombre qu’il s’agissait de Roxanne, tout aussi trempée qu’eux. Ses cheveux châtains étaient collés contre son front et son cou, et ses vêtements dégoulinaient. Depuis leur dernière conversation, il l’avait croisée de temps à autre dans les couloirs, mais les deux mettaient un point d’honneur à s’ignorer.
En l’apercevant, un rictus déforma les lèvres de Camille.
— Tiens, Roxanne. Je suis ravi de te revoir.
La magérienne lui sourit avec un enthousiasme exagéré.
— Vraiment ? Moi aussi ! J’avais absolument besoin de quelqu’un pour tester le sort « Pet-de-feu ». Comme tu ne manques pas d’air, je me suis dit que tu étais le cobaye parfait !
— Tu es si chaleureuse avec moi.
Elle leva les yeux face à son sarcasme. Leur cohabitation le temps que la pluie cesse promettait d’être divertissante. Thalion décida de se mettre à l’aise et s’assit sur le matelas avec la lenteur d’un vieux monsieur. Pendant qu’il exécutait son pénible exploit, Camille suivit son exemple en s’installant – non sans émettre un grognement de douleur – à côté de la Roxanne, ce qui sembla lui déplaire.
— Ça t’étonne ? Tu m’as mentie, manipulée, et tu t’en es pris à Nohan.
Camille détourna nerveusement le regard vers Thalion avant de reporter son attention sur elle.
— C’est vrai, et on me l’a bien fait regretter. Mais te concernant, je t’ai simplement donné l’excuse que tu cherchais pour intervenir. Ne voulais-tu pas être la courageuse princesse sauvant le pauvre prince persécuté ?
— Tais-toi, cracha-t-elle avec acidité.
Camille soupira. La cabane tomba dans le silence, uniquement troublé par le son de la pluie contre les carreaux et le grincement du bois. Thalion en profita pour observer la magérienne adossée contre le mur.
Roxanne était recroquevillée sur elle-même, les genoux ramenés contre sa poitrine, tandis que son regard restait obstinément fixé devant elle. Son visage fermé ne laissait transparaître aucune émotion, mais son corps crispé trahissait un certain malaise. Même si elle était capable de se défendre, être coincée dans une cabane isolée traditionnellement réservée aux couples, avec deux garçons comme eux n’était pas rassurant. Thalion n’appréciait pas Roxanne, mais il aurait aimé avoir les mots pour qu’elle cesse d’être sur le qui-vive. Néanmoins, il avait compris que la crainte qu’il inspirait était difficile à dissiper. Avec sa réputation alimentée par les ragots qui lui collait à la peau, aucune de ses paroles ne sauraient apaiser la jeune fille. Quel que soit la situation, elle l’assimilait à un danger à fuir. Alors il se contenta de s’allonger sur le matelas si fin qu’il se rapprochait plutôt d’un tapis, et de l’ignorer.
Camille, lui, adopta une autre approche.
— T’as peur ?
Roxanne serra des dents, le visage dure.
— Pourquoi j’aurais peur de deux blaireaux comme vous ?
— C’est exactement la question que je me posais.
Thalion appréciait moyennement de se faire insulter gratuitement, mais il garda le silence en remarquant le sourire imperceptible qui effleura les lèvres de Roxanne.
— Sinon, reprit Camille qui avait envie de faire la discussion, comment tu t’es retrouvée ici ?
— Le professeur de faune et flore magique nous a donné comme devoir de rendre service à des felteux et de ramener comme preuve la récompense récupérée. Mais il a commencé à pleuvoir avant que je les trouve. Et vous ? demanda-t-elle plus par volonté de tromper l’ennui que par désir de poursuivre la conversation.
— On devait aller chercher des œufs de picolatons.
Un sourire railleur se dessina sur les lèvres de Roxanne.
— Alors comme ça, vous vous êtes faits pincer les fesses ? J’espère que c’était douloureux.
— Plus que les flammes que tu as lancées sur moi.
— Quand je disais que tu ne manquais pas d’air…
— Mon audace est ma meilleure qualité, chérie.
— Appelle-moi encore une fois comme ça et je te rôtie sur place.
— Pourquoi ? C’est affectueux, un surnom. Ça devrait te faire plaisir.
— Si tu veux me faire plaisir, boucle-la. Ta voix me donne la migraine.
— Ma voix te fait autant d’effet ? C’est le début d’une grande histoire d’amour, ça.
Elle lui donna un coup dans l’épaule sans aucune hésitation. Encore plus étonnant, Camille se contenta de rire avec insolence, loin de s’en offusquer, ni même d’en avoir souffert. La lueur malicieuse dans ses yeux indiquait qu’il prenait plaisir à enquiquiner la magérienne. Cette dernière ne cessait de leur fusiller du regard, mais son corps était moins tendu que tout à l’heure. Tous deux semblaient avoir oublié le lieu dans lequel ils se trouvaient et se querellaient comme si c’était leur unique moyen de communication.
— Je veux me noyer dans tes yeux, bébé.
— Je peux toujours te noyer dans le lac d’à côté, si tu veux.
Camille rigola de plus belle. Pourtant, Thalion doutait que le ton sérieux de la magérienne ne soit qu’une façade. Il écouta d’une oreille ces joutes verbales pétries d’amour qui avaient le mérite de le divertir alors qu’il était abandonné à ses pensées sur le matelas moisi avec la faim qui lui creusait l’estomac.
Son ventre gargouilla, le faisant grimacer. Il n’avait pas pris la peine de prendre son petit-déjeuner, préférant partir directement du dortoir avec son colocataire. Il espérait que la tempête de durerait pas trop longtemps pour avoir le temps de manger avant la fin du service matinal. Ses amis ne l’avaient certainement pas attendu. Ce n’était pas plus mal, manger face à un Nohan qui faisait la tête, c’était déprimant. Tous deux ne s’étaient pas adressés la parole depuis l’incident. Honnêtement, Thalion ne pensait pas que Nohan lui en voudrait autant. Même Eris avait cessé de les embêter à ce sujet et se contentait de discuter avec Calysse pour rendre les repas plus vifs. Mais Thalion ne comptait pas s’excuser. Il n’avait rien fait de mal, à part le défendre. Malgré tout, les échanges entre Roxanne et Camille lui faisaient ressentir le manque de ses propres discussions avec Nohan.
Il s’allongea sur le côté, face au mur. L’image de l’herbe grise comme de la cendre profita de cet instant de calme pour ressurgir dans son esprit. Thalion soupira en fixant ses paumes brulées. Quelque part, il était soulagé qu’aucun de ses amis n’aient été là pour voir ça. Ça les aurait épouvantés. Il ne comprenait pas pourquoi sa magie avait réagi ainsi, mais il sentait les grains d’espoir de parvenir un jour à l’utiliser sans baguette lui filer entre les doigts. Il s’imagina contraint d’utiliser un auxiliaire magique et des sorts simples pour s’imposer dans une société qui souhaitait sa mort, et cette vision lui glaça le sang. Chaque jour qui passait, le besoin d’améliorer sa situation devenait plus pressant, le prenait aux tripes. Il voulait être sur un pied d’égalité avec les autres. Que ce soit pour se défendre lui ou ses amis, ou bien pour ne laisser aucune chance aux Ombres de le corrompre, il devenait impératif de trouver une solution.
L’hypothèse de Madame Delacroix était intéressante et il avait tenté de la creuser, mais il ne sentait aucun blocage particulier. Avec le coup d’éclat de sa magie plus tôt, il présentait que le problème était d’un autre ordre. Et si la science n’avait pas la capacité de le guérir ? Perdre son temps à espérer quelque chose d’elle était inutile. Il devait trouver par lui-même un remède puissant. Si le concret ne fonctionnait pas, la magie le sauverait. Se reposer dessus était risqué, mais Thalion n’avait plus rien à perdre. Le monde des magériens regorgeait d’objets plus ou moins merveilleux et de légendes miraculeuses. La fontaine de jouvence, capable de soigner les plus grands maux, était l’une des plus connues. Thalion était-il assez désespéré pour partir à sa recherche ?
Le visage du magérien s’éclaira. La discussion des deux jeunes filles sur la bibliothèque secrète à l’infirmerie lui revint en mémoire. Pas besoin de chercher une fontaine qui pouvait se situer n’importe où dans le monde, l’académie Divithrum avait sa propre ressource, il lui suffisait de la trouver et de faire un souhait.
C’était une idée complètement absurde, mais la seule solution que Thalion avait. Quand on avait fait tout ce qui était possible, en vain, il ne restait plus qu’à tenter l’impossible.
Les pauvres petits ont mal aux fesses. C'est bien fait ! J'aime beaucoup cette idée.
Erreur de mot :
il pinçait les fesses à quiconque s’approchait trop près de son nid. Autrement dit, Thalion et Camille risquaient de passer un très "bon" moment. -- un très "mauvais" moment
Mot manquant :
Cette fois-ci, c’est lui qui le gratifia "d"un doigt d’honneur.
— Mince. Moi, au moins, j’ai tenté quelque chose pour "la" rassurer.
même après avoir eu les preuves que ce n’était pas forcément une "bonne" idée.
Mauvaise tournure :
Les deux sorciers couraient à "perte d’"haleine -- Les deux sorciers couraient à "en perdre haleine"
Malgré son "bonne" état physique, Thalion n’était pas le garçon -- malgré sa bonne condition physique
erreur de mot :
Thalion parvint après quelques efforts "de" basculer sur le dos. -- Thalion parvint après quelques efforts "à" basculer sur le dos.
Ortho :
Sa gorge le brulait. -- brûlait
Les explications de Camille "justifier" la disparition des picolatons -- Les explications de Camille justifiait la disparition des picolatons
Mot en trop :
Thalion eut à peine le temps de pousser "le moindre" cri qu’il s’écroula. -- Thalion eut à peine le temps de pousser un cri qu’il s’écroula.
Ils étaient serrés autour de lui au point que les gouttes de pluie ne parvenaient "à peine" à l’atteindre à travers l’amas -- les gouttes de pluie ne parvenaient "pas à l’atteindre" à travers l’amas
Trop lourd :
Elle le frappa. Vraiment, elle lui donna un coup dans l’épaule sans aucune hésitation. -- Elle lui donna un coup dans l’épaule sans aucune hésitation.
Bon courage !
Au moins ils sont pas prêts de recommencer de si tôt xD En tout cas, je suis contente que cette idée te plaise !
Wow j'ai fais pas mal de fautes dans cette scène x) Je l'ai rajouté assez récemment donc je ne l'ai pas autant relu que les dans les autres chapitres. Je vais corriger tout ça, merci !
Merci beaucoup !
On retrouve Thalion et Camille qui vont chercher des œufs de picalodon pour leur punition. Le chapitre est sympa, des oiseaux qui picorent les fesses des gens ça donne forcément le sourire. J'aurais pourtant aimé avoir une description plus précise de ces charmants piafs, car j'ai du mal à me les imaginer. La scène où les deux sorciers s'enfuient, pourchassés par la nuée de picalodons, mériterait aussi un peu plus d'action/de descriptions je pense. Je rejoins Minoucheka et Reveanne à ce sujet.
Que dire du long dialogue entre Camille et Roxanne dans la cabane ? Une énième plongée dans le drama des amourettes/amitiés des ados de l'académie. La scène m'a fait rire, c'est bien écrit, comme d'habitude tu maîtrises l'ironie et les provocations cinglantes à la perfection. Mais j'ai trouvé que le passage traînait un peu en longueur sur la fin, notamment quand tu enchaînes avec l'introspection de Thalion au sujet de Nohan. Peut-être pourrais-tu trouver un moyen d'amener un peu de rythme ou de séparer les deux ?
Après lecture de ce chapitre, j'ai toujours du mal à comprendre pourquoi Luciphella a choisi ce "travail" là comme punition pour Camille et Thalion. Avait-elle prévu qu'ils se retrouveraient piégés dans la cabane, espérait-elle que ça les rapprocherait d'une quelconque façon ? Ou bien c'est simplement parce que les picalodons s'attaquent à leurs postérieurs et du coup, on est plutôt sur une forme originale et amusante de fessée ?
En bref, un chapitre léger et agréable à lire mais qui nous éloigne encore un peu de la tension autour de cette histoire d'Ombres et de verrou psychologique. Hâte de voir ce que tu as prévu à ce sujet avec la fameuse bibliothèque perdue.
Au plaisir,
Ori'
Je suis contente que ce chapitre t'ait donné le sourire. J'essaierai de préciser la description des oiseaux, et de développer le passage ou ils sont poursuivi pour donner un peu plus de rythme, d'action.
Je réfléchirai peut-être à un moyen d'améliorer les rythme à la fin du chapitre.
Mme luciphella a essentiellement donner ce travail essentiellement pour la punition que représente les picolatons, pour leur donner une bonne leçon et les dissuader d'aller aussi loin dans leurs histoires. Et puis parfois, vivre des situations incongrues avec quelqu'un peu rapprocher, même si elle avait pas prévu le coup de la cabane. L'objectif était avant tout de leur faire passer l'envie de recommencer et dans le meilleur des cas, d'améliorer leur relation. Mais si je développe le passage où ils sont poursuivis, peut-être que je rajouterai un sorte de travail d'équipe pour aller dans le sens de cet objectif de rapprochement.
Merci pour ton commentaire, j'espère que la suite continuera de te plaire !
« Les dieux les ont ignorés. Comme d’habitude. » C’est parfait xD
J’aime vraiment le ton que tu donnes à l’histoire, ça me plaît beaucoup !
Je ne m’attendais pas à trouver Roxa dans la cabane, mais ça donne un échange plutôt intéressant même si je pensais qu’elle serait plus en colère contre Camille (après tout il tabassait le gars dont elle est amoureuse).
Quant à Thalion je suis toujours d’accord avec lui ! Il n’a rien fait de mal (mais j’espère quand même que leur relation s’arrangera).
Une bibliothèque cachée qui permet de réaliser notre désir le plus cher ? Je dis oui !
Ravie que ça t’ait plu xD j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce chapitre !
Hm c’est vrai que quand on y pense, ça manque un peu de crédibilité, je devrais la mettre un peu plus en colère 🤔
Ah ça, tu le verras par la suite !
Contente que l’idée te plaise ! La bibliothèque va pas mal occuper l’esprit de thalion dans les prochains chapitres ;)
je susi d'accord avec Reveanne, un peu de baston avec les picolatons aurait été pas mal, surtout j'aurais aimé les imaginer se faire piquer les fesses.
Je suis impatiente de savoir comment THalion va réussir à devenir plus fort et s'il va réussir à trouver cette biothèque cachée. dont on a encore jamais entendu parlé. Qu'est-ce que ca peut bien être??
A trés vite
Je vois, je réfléchirai à un moyen de pimenter un peu ce passage dans ce cas.
Ahah j’imagine bien ! J’ai un peu parlé de cette bibliothèque secrète dans le chapitre 11 mais ça remonte un peu alors c’est normal que tu l’aies oublié x)
A très vite !
J'ai trouvé la scène avec les picolatons trop courte, ça aurait mérité un peu de baston avec la volaille!
pour ta peine, un picolaton : https://cdn.midjourney.com/8fcf0b65-c1a4-4d72-b3bd-f5e1c91eafa2/0_3.png
sinon, la narration gagne en fluidité, ça se lit vite, on sait ce qu'il se passe. Bref : super!
Bon, maintenant, il faut attendre une semaine... pffff :'(
Ahah, j'avoue que je n'y avais pas songé, mais peut-être que si l'inspiration se pointe j'y réfléchirai !
L'image du picolaton est incroyable xD !
Merci beaucoup, ça me fait très plaisir ! Ces derniers temps j'ai pas mal travaillé sur la narration, les descriptions et tout ^^ (d'ailleurs, si tu en as le temps et l'envie, tu peux toujours jeter un petit coup d'œil aux chapitres du début, je les ai pas mal améliorés depuis ton passage x) )
Eh oui, dure dure l'attente xD