Chapitre 18 - Sehar

Notes de l’auteur : Bonjour :D Avec quelques jours de retard pour cause de gros coup de fatigue, voici enfin le chapitre 18. Le chapitre 19 sera dimanche comme d'habitude (si tout va bien). Bonne lecture !

Sehar était tombé de nombreuses fois, dans sa vie.

Des bras de son père, parce qu’il gigotait trop et voulait courir sur ses petites jambes plutôt que rester perché en sécurité contre son ventre chaud.

Des innombrables plateformes qui découpaient la tour, retenu par un harnais et des câbles, pour arriver plus vite au port et voguer avec Tsessara, lorsque la vieille kèvrienne était encore en vie.

Une fois, lorsqu’il avait oublié deux mousquetons de sécurité. Deux de trop.

Il avait été plus prudent, après celle-ci. Mais il avait encore fendu l’air, parfois, pour aller plus vite, pour aller plus loin. Il y avait eu la chute accidentelle, celle qui avait tout changé, celle avant laquelle il était juste Sehar, l’hybride avec deux jambes, et après quoi il était Sehar, la Gardienne qui avait fuit son devoir. Il y avait eu la sphère de Del, projetée par le Sussiri, qui l’avait emmené loin de tout, loin de son père, loin de chez lui, loin d’un choix à prendre. 

Quatorze ans de chutes, et il découvrait encore et toujours de nouvelles façons de tomber - mais il finissait toujours par toucher terre, quel que soit le point de départ, et quel qu’en soit la cause.

Cette fois-ci, cependant, il n’y avait rien. Rien pour le rattraper, et rien contre lequel se cogner à l’arrivée.

Rien d’autre que des nuages, des nuages tout autour, toujours les mêmes. 

Sehar tomba pendant si longtemps… 

Peut-être que c’était cela, mourir. Tomber pour toujours. Sans jamais atteindre le sol, sans jamais avoir mal. 

Juste tomber, et fermer les yeux…

— Attendez…

Il rouvrit aussitôt les paupières. 

Est-ce qu’il avait imaginé le murmure ?

— Ce n’est pas un des nôtres…

Sur sa droite, un second chuchotement, toujours aussi faible. 

Il ne pouvait pas l’avoir inventé aussi, celui-là… si ?

— Il n’est pas mort, alors ?

— Est-ce qu’il est… vivant ?

Deux autres voix, plus éloignées, mais aussi plus acérées. Sehar en était sûr, à présent. Il n’était pas seul, dans ces nuages.

Mais il tombait toujours.

Il essaya d’ouvrir la bouche, d’appeler à l’aide - aucun son ne sortit.

— Encore un ?

— Je ne crois pas…

— On devrait lui demander.

— Est-ce que tu es mort, toi aussi ?

Les voix se pressaient plus près de lui, et les nuages aussi. Ses écailles étaient glacées et humides, et ses muscles figés par le froid. Il n’y avait pas que la peur, qui l’empêchait de bouger pour tenter de ralentir sa chute, aussi inutile que se débattre avec l’air pouvait paraître. Alors, lorsque les voix se rapprochèrent encore, il se concentra sur ses mâchoires, et sur sa gorge serrée, pour essayer de leur répondre.

— Je… besoin… aidez…

Presque aussitôt, les nuages se resserrèrent autour de lui, et, au lieu de continuer à les traverser, Sehar sentit ses écailles s’accrocher à leur duvet. Alors que les nuages s’alourdissaient, lui, ralentissait. 

— Par le grand maître mage, il est bien vivant !

— Et il a besoin d’aide, non ?

— Mais où doit on le ramener ?

— Il est loin du bord…

Sehar était désormais tout à fait arrêté, en suspension dans l’air. Tout était doux, autour de lui - mais glacé, et traître. Il savait qu’il pouvait tomber de nouveau, si ce qui le tenait décidait de le relâcher. Mais pour l’instant, les quelques choses qui s’inquiétaient de son sort semblaient vouloir l’aider. Alors, péniblement, il força encore deux nouveaux mots à sortir.

— Del… Suzette…

— Suzette ? Il connait Suzette ! 

— Longue vie à Suzette !

— Mon pauvre vivant, nous allons te ramener à elle, alors.

— Les amis, trouvez Suzette !

Il les sentit le presser vers le haut, et les voix s’agitèrent tellement qu’il eut du mal à saisir tout ce qu’elles disaient. Il avait si froid, de toute façon, qu’il n’avait plus l’énergie ni pour se concentrer sur elles, ni pour garder les yeux ouverts, maintenant qu’il avait la vague assurance qu’on s’occupait de lui. Alors il se laissa porter, et s’endormit un peu - jusqu’à ce que des mains chaudes sur sa peau et une odeur sucrée dans ses narines ne le réveille.

— Sehar !

Il ouvrit les yeux, et vit le joli visage fendu en deux de Del, aussi blanc que les nuages. Le maegis le tira sur une surface solide, et le serra dans ses bras. Sehar était si gelé que ses écailles se dressèrent au contact de sa chaleur, mais Del ne le lâcha pas d’un seul millimètre.

— Voilà, je t’ai dit qu’il serait pas mort, arrête de croasser, croassa Suzette. 

— Mais il est tout froid ! couina Del. 

— Bonjour Suzette ! saluèrent les voix.

Leur écho s’atténuait à mesure que le maegis le réchauffait, avec ses mains et un sortilège qui rougissait ses veines et ses yeux. Lorsqu’enfin Sehar ne tremblait plus, les voix s’étaient tues, et il avait réussi à deviner qu’il était de retour dans la cabine du bateau, bien que le toit avait été rabattu, et que tout le reste du navire avait complètement disparu.

— Qui… qui m’a ramené ? Leur voix… Je les entends plus…

— Ah ça, c’est parce qu’il faut être à ça de mourir pour les entendre, expliqua Suzette.

— Quoi ? s’indigna Del.

Sehar s’appuya doucement sur ses bras pour se redresser en position assise, et prit une grande inspiration. S’il avait vraiment été si proche de la mort… il n’en restait déjà plus une trace dans son corps, maintenant qu’il n’était plus glacé. Même sa peur l’avait déjà quitté. 

— Mais il les entend plus, alors c’est qu’il va très bien. Et puis t’imagines le boucan sinon ?

— Tu les entends, toi, non ? Tu leurs parlais, tout à l’heure ! rappela Del.

Suzette ne répondit pas, et fit semblant de régler des cordages qui n’étaient rattachés à absolument rien. Si savoir pourquoi elle pouvait entendre quelque chose d’inaudible pour les vivants était une bonne question, Sehar en avait une bien plus importante.

— Mais, qu’est-ce qu’ils… qui sont-ils ?

L’oiseau noir lâcha ses cordages pour dresser ses ailes avec un amusement évident.

— Ah ! Qui sont-ils ? Tous les Oranimus qui ont failli à leur tâche, évidement ! 

Sehar la regarda avec surprise, puis jeta un coup d’oeil vers Del, et fut soulagé de constater qu’il avait l’air aussi perdu que lui.

— Un… Oranimus ? Qu’est-ce que c’est ? demanda finalement Sehar.

Suzette le jaugea comme s’il était le dernier des oisillons à ne pas être sorti du nid, puis adressa un regard presque désolé à Del.

— L’est vraiment con, ton copain.

Le maegis rigola nerveusement, et passa son bras dans son dos avant de lui tapoter affectueusement les cheveux. Sehar avait presque oublié, avec sa chute et sa presque mort, qu’ils étaient censés faire semblant d’habiter ici. Mais il n’était plus tout à fait certain de pourquoi Del et lui devaient aussi faire semblant d’être plus proches qu’ils ne l’étaient… Dans le doute, mieux valait jouer le jeu.

— Il ne connaît pas trop nos traditions, tu pourrais lui expliquer ? demanda Del. Je suis un peu fatigué, après toutes ces émotions…

Il bailla et s’appuya contre Sehar, avec une mine épuisée qui était trop crédible pour être totalement simulée. Suzette les fixa tous les deux avec ses grands yeux noirs, puis secoua le bec avec résignation.

— Pour te la faire courte, un Oranimus, c’est un animal abandonné par ses parents et choisi par un parent maegis, qui lui donne la parole, certaines capacités magiques en fonction de l’espèce ou des fantaisies de leurs maîtres, et surtout, une nouvelle famille. Sa mission est d’accompagner un bébé à naître, tu vois ? Comme on mature plus vite, on leur sert de grand frère ou de grande soeur, et on les protège. Si un Oranimus n’a plus de maegis, et bien…

Elle soupira, sans avoir le coeur à terminer sa phrase. Sehar n’osa pas lui demander ce qu’il était advenu du sien, mais Del n’avait décidément pas la même délicatesse.

— Où est ton maegis, Suzette ? demanda-t-il.

— Elle… » Suzette secoua la tête, et les plumes de son cou se hérissèrent. « Il y a plus d’une façon de faillir à notre tâche. Ma maîtresse est vivante, mais elle n’a plus besoin de moi. Elle n’a plus besoin de personne depuis longtemps.

— Désolé, Suzette, s’excusa Sehar. Je ne voulais pas te faire ressasser tout ça…

Ses plumes reprirent leur forme initiale, et elle fixa soudainement Del, qui avait l’air aussi attristé de la situation de l’oiseau que ne l’était Sehar. 

— Qui est ton Oranimus, Del ?

— Mon Ora-… oh ! Euh… c’est… un poney. 

Malgré la note de panique dans sa voix, le mensonge semblait crédible, car Suzette acquiesça avec appréciation.

— De très bons compagnons, rapides, capables de porter de lourdes charges et de donner des coups de sabots quand il faut. Quel est son nom ?

— Ah, hum… il s’appelle… Gulliver ! Gulliver le poney qui parle…

Del semblait très fier de lui-même, et Sehar eut l’étrange impression que le maegis venait de mieux comprendre quelque chose qu’il avait déjà vécu. Comme si Del en savait plus qu’il ne l’avait soupçonné, et qu’il n’avait menti qu’à moitié, juste assez pour rester crédible.

Pas assez, cependant.

— Gulliver le poney, tu dis ?

— Oui, mais, euh, il n’est pas venu sur la terre ferme avec moi cette fois-ci…

— Je sais.

Suzette les fixa avec ses grands yeux noirs, et toutes ses plumes s’étaient hérissées, comme les écailles de Sehar lorsqu’il avait peur. 

Mais l’oiseau n’avait pas peur.

— Je connais très bien tous les Oranimus de la Toile. Il n’y a qu’un seul poney qui s’appelle Gulliver. Il est très agaçant, mais surtout, il est actuellement porté disparu de l’autre côté du désert, et il n’a jamais eu de maegis. C’est une exception à la règle. 

Suzette était en colère.

— Et toi, Del qui n’a pas d’Oranimus, tu es un menteur. 

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Nanouchka
Posté le 02/02/2022
Salut Anatole,

Aïe, cette fin est magique. Tout mon corps s'est crispé, "et merde".

Super poétique, ce début avec les voix. J'adore que ce soit mystérieux et doux. J'avais envie de retrouver Sehar exactement pour ça, et ça n'a pas raté : le monde à travers ses yeux me rend optimiste - autant que celui à travers les yeux de Nodia me rend méfiante et nostalgique.

Le paragraphe sur les Oranimus m'a semblé un poil long en l'état. Peut-être que ça pourrait mieux passer à travers un dialogue où Del essaye de deviner ce que c'est et Suzette le corrige à chaque étape ? Ou alors garder certaines des informations pour plus tard ?
AnatoleJ
Posté le 04/02/2022
Re !

Je crois que c’est un de mes chapitres préférés du début rien que pour les nuages qui parlent héhé
C’est chouette que tu ressentes le contraste entre Sehar et Nodia de cette façon, Sehar est encore trop pur pour ce monde le pauvre petit bonhomme.

C’est vrai que le passage d’explication est un peu lourd, je vais voir comment répartir tout ça un peu mieux. On n’a effectivement pas forcément besoin de tout savoir tout de suite !

Merci encore pour ton commentaire, à bientôt :D
Mathilde Blue
Posté le 26/07/2021
Re ^^

Alors déjà j’aime beaucoup le début, lorsque Sehar se remémore les fois où il est tombé jusqu’au moment où il est rattrapé, je ne saurais pas vraiment t’expliquer pourquoi, mais j’ai trouvé ce passage très fort !

C’était très intéressant aussi le passage où les « nuages » ramènent Sehar et le culte qu’ils vouent à Suzette ! Et puis les explications étaient bienvenues, mais ils ont l’air vraiment dans la merde maintenant T_T Et puis ça interroge pas mal sur Del aussi, qui n’a pas l’air très au fait de toutes les coutumes maegis. Ils sont tous censés avoir un Oranimus ? Parce que c’est ce que laissait entendre la question de Suzette, mais du coup je me demande pourquoi Del n’en a pas ^^ Il y a beaucoup de mystères autour de ce personnage en fait !

Mes notes :

« la Gardienne qui avait fuit son devoir »
*fui

« quel que soit le point de départ, et quel qu’en soit la cause. »
Je ne suis pas sûre à 100%, mais je pense que c’est « quelle qu’en soit la cause ».

« Peut-être que c’était cela, mourir. Tomber pour toujours. Sans jamais atteindre le sol, sans jamais avoir mal. »
J’ai mal pour deux, t’inquiète pas T_T

« — Longue vie à Suzette ! »
J’ai ri xD Les nuages vouent un culte à Suzette, c’est excellent xD

« Suzette ne répondit pas, et fit semblant de régler des cordages qui n’étaient rattachés à absolument rien. »
L’esquive, la meilleure technique x) Mais tu caches des choses Suzette ;(

« — L’est vraiment con, ton copain. »
La violence x)

« Mais il n’était plus tout à fait certain de pourquoi Del et lui devaient aussi faire semblant d’être plus proches qu’ils ne l’étaient… »
Te pose pas de questions xD

« Ma maîtresse est vivante, mais elle n’a plus besoin de moi. Elle n’a plus besoin de personne depuis longtemps. »
J’ai une théorie : sa maitresse ce serait pas la maegis hyper crainte que Lo et Nodia doivent aller voir ?

« — Ah, hum… il s’appelle… Gulliver ! Gulliver le poney qui parle… »
C’est bon je suis morte xD

« Il est très agaçant, mais surtout, il est actuellement porté disparu de l’autre côté du désert, et il n’a jamais eu de maegis. C’est une exception à la règle. »
Comment ça il n’avait pas de maegis ? Mais c’est qui la maegis qu’il recherche dans Le dernier chant de Musaraigne ? T_T

« — Et toi, Del qui n’a pas d’Oranimus, tu es un menteur. »
Aïe, ça s’annonce mal…

Voilà pour ce chapitre ! À bientôt :D
AnatoleJ
Posté le 28/07/2021
Merciiiii, j’étais trop content quand j’ai terminé d’écrire le passage de la chute en freestyle, je ne sais pas non plus pourquoi ça c’est si bien goupillé mais on ne refuse pas les moments d’inspiration hein x)

« Et puis ça interroge pas mal sur Del aussi, qui n’a pas l’air très au fait de toutes les coutumes maegis. »
En fait ce n’était pas censé être particulièrement mystérieux, du coup il va falloir que je reprécise des choses dans le texte pour que ce soit clair, oups ^^' Del ne connait pas le concept d’Oranimus parce qu’il n’y en a pas chez les maegis de chez lui, c’est une tradition spécifique à ce côté-ci du désert !

« J’ai ri xD Les nuages vouent un culte à Suzette, c’est excellent xD »
En même temps faut les comprendre, quand on voit Suzette on veut lui donner son âme sans aucune hésitation !

« Te pose pas de questions xD »
Sehar a jamais entendu parler de fake dating comme technique de drague et ça se sent, le pauvre ne voit rien venir xD

« J’ai une théorie : sa maitresse ce serait pas la maegis hyper crainte que Lo et Nodia doivent aller voir ? »
C’est une excellente théorie ^^

« C’est bon je suis morte xD »
Maintenant tu as la confirmation officielle que Del a rencontré Gulliver, quand je me suis rendu compte que c’était obligé qu’ils se soient croisés un jour ça m’a fait tellement marrer xD

« Comment ça il n’avait pas de maegis ? Mais c’est qui la maegis qu’il recherche dans Le dernier chant de Musaraigne ? T_T »
C’est sa maman ! Ne pas avoir de maegis veut dire qu’il n’est le grand frère et protecteur de personne (et je pense ne pas trop m’avancer en disant que ce n’est pas une grosse perte pour le pauvre maegis qui en aurait été victime, sinon...). Et il n’y a aucune histoire tragique pour expliquer le fait qu’il soit seul, Fanom a juste vu sa bouille de petit poulain maladif et elle s’est dit « Celui-là, ce sera mon bébé poney, tant pis pour les traditions, et il va être POURRI-GATE. » Elle n’a bien sûr absolument aucuns regrets à ce jour et recommencerait sans hésitation à la moindre opportunité xD

« Aïe, ça s’annonce mal… »
Mais non, Suzette est totalement inoffensive voyons, rien de mal ne peut leur arriver à ces deux petits gars :D

Merci pour les petites fautes perdues que tu as relevées !
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