Chapitre 18 : Un secret éventé, un secret partagé

Par Elly

Au final, on s’habituait à la douleur.
Une routine s’était mise en place depuis la découverte du sceau. La journée, il écoutait et discutait avec les fantômes. En fin d’après-midi, il rendait visite à Aglaé à l’infirmerie. Il effectuait ensuite son entraînement de magie divine dans l’Arbre-monde et passait la soirée en compagnie des fantômes qui avaient perdu la notion d’intimité. 


  —  Tu veux que j’effraie une élève qui a la malédiction du hoquet ? répéta-t-il.


Le regard de Thalion oscillait entre la jeune fille qui hoquetait en pleurant, et le visage sérieux d’Aglaé. 


  —  Précisément, acquiesça-t-elle dans le plus grand des calmes. Aux yeux de tous, tu es le terrible Enfant Maudit, le corbeau sans foi ni loi. Ça ne devrait pas être trop difficile pour toi d’y parvenir.
  —  Et explique-moi pourquoi je devrais l’aider ? 


Thalion ne voyait pas de problème à aider un ami, mais une inconnue ? Il ne lui devait rien et n’avait aucune raison de lui rendre service. Ça ne lui apporterait rien.


  —  Allez… le pressa Aglaé. La pauvre subit ce hoquet depuis cinq heures. La malédiction est minime mais disparaîtra uniquement si on lui provoque un sursaut de peur.
  —  C’est pas mon problème. Elle avait qu’à réfléchir avant d’énerver cette fée.
  —  Elle ne pouvait pas savoir que le buisson de baies grenâtes lui appartenait… Ne fais pas le Corvus irascible, s’il te plaît. 


Thalion soupira, agacé, avant de pivoter vers la victime du sort. Ses yeux étaient rougis à force d’avoir pleuré et sa poitrine se soulevait brusquement à un rythme régulier. Elle renifla en retirant quelques-uns de ses cheveux bruns collés contre ses joues humides. La lassitude et le désespoir qu’elle affichait fini par convaincre Thalion. Quitte à avoir la réputation d’un mort-vivant, autant qu’elle serve à quelque chose.


  —  D’accord, céda-t-il. Par contre, je vais demander à mon pote Lio de m’assister. Enfin, vous, vous ne pouvez pas le voir, mais ce n’est pas grave. Lilo, dis-leur bonjour à ta façon. 


Au même moment, un courant d’air froid les enveloppa. Aglaé se raidit, et l’élève aux cheveux foncés sursauta violemment en sentant le souffle froid lui caresser l’échine. La terreur annihila les couleurs de son visage. Sans vérifier si le hoquet avait disparu, elle s’enfuit à tout allure. Thalion ricana. C’était trop facile.
Aglaé lui sourit nerveusement, les épaules crispées. 


  —  Tu as été efficace, merci. Hm, donc, Lilo, il… il est sympa ? 
  —  Lilo n’existe pas. Il n’y a aucun fantôme présent. J’ai menti pour la faire flipper. Quant à la brise…


Il pointa la fenêtre qu’une des infirmières venaient d’ouvrir pour aérer. Les muscles d’Aglaé se relâchèrent.


  —  Oh, je vois… C’est malin, et surtout plausible.
  —  J’interdit aux fantômes de m’accompagner à l’infirmerie. 


Même si peu de patients occupaient les lits pendant les vacances, les élèves ne devaient pas craindre de venir à cause de leur présence, d’autant que l’atmosphère deviendrait glaciale.


  —  Plus je passe du temps avec toi, plus ta prévenance m’impressionne, admit-elle. Et en même temps, tu rechignes à aider quelqu’un dans le besoin.
  —  Elle n’était pas à l’agonie, non plus. Et elle pourrait très bien être de ceux qui me traitent de monstre et qui participent à la diffusion des rumeurs. Aider ce genre de personne ne m’intéresse pas. 


Aglaé ne répondit rien. Une soignante l’interpella.


  —  Aglaé, j’ai besoin de toi, s’il te plaît.
  —  J’arrive ! Le devoir m’appelle, on se voit plus tard !


Elle s’éloigna pour assister l’infirmière en train d’appliquer un bandage sur la jambe d’un élève. Thalion décida que c’était le moment d’aller faire un tour dans l’Arbre-monde. 
Les premiers jours de son nouvel entraînement, il traînait des pieds et râlait, tout en sachant que négocier était vain. Apocryphos était inflexible, et au fond, Thalion comprenait la nécessitait de ces exercices. Il avait fini par se résigner et effectivement, la douleur devenait moins difficile à endurer. Thalion la supportait de mieux en mieux, et son corps aussi puisqu’il ne saignait plus du nez. 
Il atteignit le cœur de l’arbre. Comme les fois précédentes, il ne parvenait à se défaire de cet émerveillement craintif qui l’envahissait dès qu’il posait son regard sur la brèche scellée. Nohan et lui étaient les seuls à connaître son existence. Les explorateurs seraient verts de jalousie. Dire que personne d’autre que lui ne l’avait vu de ses propres yeux, il se sentait quelque peu privilégié. 
Il s’agenouilla devant l’ancien emplacement du sceau, en dessous du carré d’ichor cristallisé. Les lignes empruntes de magie noire avaient fini par voler en éclat, ne laissant qu’un espace vide entouré de ronces arrachées. Thalion se servait de cet endroit pour poser ses mains à plat sur le bois et procéder au renforcement. Pour se faire, il ordonnait à magie de fortifier l’arbre et celle-ci se diffusait dans le tronc. 
Même si Thalion s’habituait à souffrir, lancer le sort était comme se jeter à pied joint dans une piscine d’eau glacé. Prendre de l’élan pour sauter était toujours difficile.

 
  —  Dis, on est certains que ça aide vraiment l’arbre ? demanda-t-il à Apocryphos pour gagner du temps.
  —  Pour te faire une idée, c’est comme si tu versais un seau d’eau sur un brasier.
  —  Autant dire que ce n’est pas ça qui va lui redonner sa force…


Le sceau avait disparu, cessant d’affaiblir l’arbre, mais des lésions subsistaient. Pour imager, ils avaient guéri l’infection, et devaient maintenant soigner la plaie. 


  —  Ça aide, mais pour avoir un impact conséquent, il faudrait que tu tiennes le sort plus longtemps. Cependant, ce n’est pas vain. Sur le long terme, tes efforts paieront, et de toute façon, sans toi, la guérison serait encore plus lente. 


Thalion hocha la tête. Le sort de renforcement était lancé en continu. Son intensité était inférieure à celle de l’enchantement pour briser le sceau, donc les effets mettaient plus de temps à apparaître. Généralement, Thalion tenait jusqu’à ce que des étoiles dansent devant ses yeux et qu’ils ne sentent plus ses mains. L’intérêt de cet exercice, outre de soigner, était l’amélioration de son endurance en magie divine. Chaque jour, il tenait plus longtemps.
Thalion plaça ses mains et prononça son ordre. Désormais, l’aura lumineuse le laissait indifférent. Il grimaça à peine en retrouvant ses migraines habituelles et ne prêta pas attention à la chaleur qui l’enveloppa. Thalion était uniquement focalisé sur le processus, le regard fixé sur ses mains incandescentes. Pour éviter de perdre sa concentration, il visualisait le cheminement des étincelles quittant ses mains et s’imprégnant dans l’écorce.
Quand des points lumineux troublèrent sa vue et que garder les yeux ouverts devenait compliqué, Thalion arrêta l’épanchement de la magie divine. Il se laissa tomber en arrière, complètement lessivé. Au moins, grâce à ces entraînements, ses insomnies se faisaient rares tant il était harassé.


  —  Par les dieux, Thalion, qu’est-ce que tu fabriques ?


Malgré la lourdeur de son corps, Thalion se redressa en sursaut. La panique s’empara de lui en apercevant Aglaé. Lorsqu’il actionnait l’entrée de l’Arbre-monde, le trou ne se refermait pas tant qu’il n’était pas sorti. Il aurait dû demander à un fantôme de surveiller le couloir, mais il n’aurait jamais pensé que quelqu’un le suivrait. Surtout pas elle, occupée à l’infirmerie. 
La magérienne se tenait debout, les visage dure. Il s’attendait à voir de l’incompréhension ou encore de la peur dans son regard après avoir vu ses mains luire d’une étrange façon, pas à de la colère. Devant l’éclat de l’ichor cristallisé, sa peau noire scintillait comme sous les rayons du soleil.


  —  Qu’est-ce que tu fais ? répéta-t-elle avec agressivité. 


Thalion se releva en titubant, déstabilisé aussi bien par son ton acide que par sa présence inattendue. 


  —  Eh bien, je… je soigne l’arbre…


Elle le dévisagea longuement, comme si elle cherchait la moindre faille dans son attitude. Thalion percevait le doute faire trembler son regard. Après un moment de silence, elle s’avança. 


  —  Montre-moi, exigea-t-elle.


Thalion hésita. Dépasser ses limites pouvait lui coûter cher, mais devant le visage crispé d’Aglaé, il céda. 


  —  D’accord, mais pas longtemps…


Aglaé s’accroupit près de lui. Il murmura l’ordre en langage runique et reproduisit le sort. La jeune fille observait attentivement la scène. Quelques minutes après, le nez du maudit se mit à saigner et de violentes nausées l’accablèrent.


  —  C’est le signe que je dois m’arrêter, marmonna-t-il en approchant sa manche de son nez.


Aglaé stoppa son mouvement en lui tendant un mouchoir en tissu blanc. Désormais, elle n’affichait plus qu’une nette confusion.


  —  Je… je ne comprends pas, avoua-t-elle. Ton sort semble être bénéfique mais… ce n’est pas de la magie verte. Quelle est cette magie ?


Pendant qu’il épongeait le sang avec le mouchoir, Thalion réfléchit à une réponse adéquate. Après une mure réflexion, il rétorqua :


  —  C’est un secret.


Aglaé plissa des yeux. Thalion était conscient de la nullité de sa réponse. Elle ne convaincrait pas un enfant. Mais, d’une part, il préférait sortir ce genre de chose que de concocter une excuse bancale qui le rendrait encore plus suspect. D’autre part, Aglaé était une fille intelligente. Avec les différents éléments dont elle disposait, elle pouvait aisément se faire une idée du secret. Quoi qu’il en soi, elle avait toutes les cartes en mains pour choisir d’en savoir plus ou non. Thalion ne s’opposerait pas à lui dire la vérité. En revanche, elle devait être prête à s’impliquer dans une affaire qui la dépassait et qui pourrait s’avérer dangereuse. 
Aglaé finit par baisser les yeux.


  —  D’accord, je comprends.


Thalion comprit qu’elle renonçait à satisfaire sa curiosité pour préserver sa sécurité. Un lourd silence suivi, que le magérien brisa en lui révélant l’existence du sceau qu’il avait détruit. 


  —  Un élève de l’académie a volontairement affaibli l’arbre ? répéta-t-elle, incrédule.


Thalion acquiesça avec gravité. Plusieurs émotions apparurent sur le visage d’Aglaé, mais la fureur était dominante. 


  —  Qui que soit le traître, je le trouverai et je lui ferai regretter d’être né. 


Thalion ne doutait pas une seconde de ses paroles. 
La rage d’Aglaé finit par se dissiper. Ses poings se relâchèrent, et Thalion découvrit la nouvelle émotion qui teintait ses iris. Il l’avait déjà aperçu à l’infirmerie. 
L’éclat de la culpabilité.


  —  Quand tu es arrivée, tu as cru que c’était moi qui affaiblissais l’arbre et qui étais responsable de la progression de la Gorgose, devina Thalion.


Le silence d’Aglaé était éloquent. Thalion sentit l’amertume de la déception empoisonner son cœur. Il ferma les yeux pour refouler cette rancœur qu’il n’imaginait pas réveillée de son sommeil par Aglaé. 


  —  Je suis désolée, Thalion… souffla-t-elle. Quand je t’ai vu, je… J’ai eu peur de m’être trompé sur ton compte. De t’avoir fait confiance à tort …


Thalion contempla la magérienne larmoyante, sans parvenir à lui en vouloir complètement. 


  —  Je ne vais pas te mentir, ça me blesse. Mais je comprends.


Il n’avait pas la force lui reprocher sa confiance défaillante, pas après qu’elle se soit accrochée si longtemps aux rumeurs sur lui. 


  —  Et puis, tu te serais méfiée de quiconque se serait retrouvé à ma place.


Aglaé renifla. Thalion lui tendit le mouchoir taché de sang. La magérienne grimaça, dégoutée. 


  —  C’est crade. Je préfère encore renifler toutes les minutes.
  —  Il est possible ce son horripilant me provoque quelques pulsions meurtrières, mais rien d’alarmant, ne t’inquiète pas. 


La nonchalance avec laquelle il avait prononcé ces mots arracha un sourire à Aglaé, qui s’effaça lorsqu’elle s’attarda sur le mouchoir, ou plutôt, sur la main tremblante de Thalion. Il voulut la cacher, mais elle lui attrapa le poignet. 


  —  Lâche-moi, gronda-t-il.
  —  Retire d’abord ses gants, contra-t-elle.


Thalion soupira, retrouvant sur son visage la même expression inflexible que chez Mme Delacroix devant un patient. Il aurait pu dégager son bras de force et s’enfuir, mais elle serait capable de le poursuivre pour le traîner à l’infirmerie. 


  —  Je te demande simplement de ne pas toucher ma main, la conjura-t-il. Et de ne pas m’emmener de force auprès des infirmières, je me soigne tout seul.


Délicatement, il enleva le gant de sa main droite. En découvrant l’état de sa paume contusionnée pullulante de cloques et d’une blancheur alarmante, les yeux d’Aglaé s’écarquillèrent.


  —  Par les dieux, Thalion… C’est pareil sur l’autre main ? Ton derme est complètement atteint, je n’ose imaginer la douleur !
  —  À vrai dire, je ne sens pas grand-chose…
  —  C’est encore pire ! s’effara-t-elle. Tu utilises quoi comme sort de soin ? Des enchantements plus puissants que ceux en cours de magie verte, n’est-ce pas ?


Thalion se releva en libérant son poignet pour renfiler son gant. Devant son silence coupable, Aglaé sembla ressentir l’envie de lui tordre le cou. Elle prit une profonde inspiration avant de reprendre d’un ton calme.


  —  Bon, tu vas venir avec moi. 
  —  Non, s’opposa-t-il, catégorique. Tu t’inquiètes trop. Mes sorts ont parfaitement fait l’affaire jusque-là.


Il se dirigea vers la sortie, mais elle lui barra le passage.


  —  Si ça fait plusieurs jours que tu t’infliges ça, c’est d’autant plus inquiétant ! Tes sorts soignent le plus gros de tes blessures, mais pas en profondeur. Des lésions que tu ne perçois pas subsistent. À force de les accumuler, tu pourrais te retrouver avec des séquelles irréversibles au niveau de tes terminaisons nerveuses. 
  —  Vraiment ? s’étonna Apocryphos. Mortel, tu m’avais assuré que tes sorts suffisaient !


Thalion le croyait, mais il avait visiblement surestimé son apprentissage en magie verte, ou sous-estimé la gravité de ses blessures. 


  —  Apprends-moi des sorts plus puissants, dans ce cas, lui proposa-t-il.
  —  Avant tout, il faut s’occuper de tes mains. Elles ont besoin de soins intensifs, et pour ça, les potions sont de mises. 


Thalion grimaça. Depuis la potion d’éveil et les mixtures de Mme Delacroix, il avait veillé à se tenir à distance des décoctions à boire. 


  —  Ce n’est pas nécessaire, persista-t-il. Et je ne veux pas…
  —  Je ne t’emmènerai pas à l’infirmerie, le coupa-t-elle. Promis. L’académie ne sera même pas au courant que tu as bu un philtre de soin.


Thalion l’observa, soupçonneux. La dernière fois qu’il avait avalé une potion préparée dans le dos de l’école, ça avait mal fini. Mais Aglaé était une fille sérieuse et il n’avait pas envie de finir avec les nerfs endommagés. À contrecœur, il consentit à la suivre, au grand soulagement de la magérienne.
Ils quittèrent l’arbre et retournèrent dans le couloir de l’académie. Dès que Thalion franchit le seuil, le mur en bois se reboucha, avec cette tâche de brûlure qui réapparaissait immanquablement telle une marque indélébile. 


  —  Si on m’avait dit que tu passais tes fins de journées à te massacrer les mains… grommela Aglaé en avançant.
   —  D’ailleurs, pourquoi tu m’as suivi ?
  —  J’ai voulu te rattraper, nuança-t-elle. Je voulais te suggérer d’aller voir ma mère. Elle se sent beaucoup moins fatiguée et s’ennuie. J’ai pensé que ta compagnie lui ferait plaisir.


Thalion était ravi d’apprendre que malgré la douleur qu’il endurait, ses efforts n’étaient pas vains. L’arbre se remettait lentement et l’air redevenait aussi vivifiant qu’avant. Dans quelques semaines, Mme Delacroix aurait retrouvé toute son énergie. 
Talonnée par Thalion, Aglaé traversa une série de porte qui les emmena à différents endroits du château. Elle finit par s’arrêter devant une porte en bois sombre dotée d’une serrure. De sa poche, elle sortit une petite clé dorée qu’elle utilisa pour la déverrouiller. Elle débouchait sur un énième couloir. En regardant par la fenêtre, Thalion remarqua qu’ils se trouvaient au plus haut étage de l’établissement, destiné aux chambres du personnel. Pendant qu’ils marchaient, il s’imagina l’endroit vers lequel Aglaé le menait. Un espace secret qu’elle se serait aménagée pour parfaire sa maîtrise de la magie verte avec sa réserve d’ingrédients et développer ses compétences en alchimie. Et, en effet, c’était pratiquement ça, à quelques détails près.


  —  Aglaé ? Oh !


Mme Delacroix ferma le livre qu’elle était en train de lire, le sourire aux lèvres. Elle était assise dans son lit, les jambes ensevelies sous une couverture épaisse agrémentée de plaides, et le dos appuyé contre son oreiller. Sa table de chevet était envahie de livres. Le regard de Thalion parcourut la pièce. Le mur de gauche était occupé par le lit et une armoire en bois contenant probablement des vêtements. En face, une fenêtre encadrée par des rideaux en dentelles laissaient les rayons rutilants du soleil couchant teinter la peinture blanche et illuminer le parquet mordoré. Le reste de l’espace était pris par un bureau et un plan de travail avec un kit d’alchimie, ainsi qu’un petit placard dans un coin. Il était similaire à celui présent dans le cabinet de Mme Delacroix, capable de contenir plus que permis par sa taille. Peut-être étaient-ils reliés à la même réserve ?
Thalion pivota vers Aglaé, interloqué.


  —  Tu m’as amené dans la chambre de ta mère ? 
  —  On trouvera tout ce dont on a besoin ici, et je fais ça sous la surveillance d’une experte.


Cette dernière fronça les sourcils.


  —  Que se passe-t-il ? 
  —  Thalion s’est grièvement blessé aux mains et refuse d’aller se faire soigner à l’infirmerie, donc je l’ai conduit ici.


Même si Mme Delacroix trouvait son refus étrange, elle décida qu’en connaître la raison était moins important que les blessures en elles-mêmes.


  —  Peux-tu me montrer ? s’enquit-elle.


Ne voyant pas pourquoi il le lui refuserait, il s’approcha du lit et retira ses gants, dévoilant ses mains meurtries. Sans perdre son sang-froid, elle analysa leur état.


  —  Comment t’es-tu fais ça ? Tes brûlures sont uniquement centrées sur les paumes. 
  —  Vous n’avez pas besoin de savoir ça… Tout ce qui importe, c’est que je ne m’inflige pas ça inutilement. C’est même nécessaire, hein, Aglaé ?


La magérienne s’approcha du lit. 


  —  C’est précisément parce que je ne peux te le reprocher que je ne dis rien, mais que tu sois obligé de t’infliger ça me met hors de moi. J’ai l’impression de t’être redevable, en plus, ajouta-t-elle, irritée. 


Thalion comprenait sa frustration, mais passer pour le bon samaritain prêt à se sacrifier pour les autres le mettait mal à l’aise. Ses actions n’étaient pas uniquement motivées par l’altruisme. Certes, sauver sa mère en était une des raisons, mais il cherchait également à parfaire sa maîtrise de la magie divine et à empêcher Eris d’infiltrer l’académie d’une quelconque façon. 


  —  Je ne comprends pas tout, mais il faut estimer la gravité des blessures avant de faire les soins, jugea Mme Delacroix. 
  —  Si vous voulez faire un bilan, ne me touchez-pas les mains, s’il vous plaît.


Thalion avait conscience d’être agaçant avec ses exigences étranges, mais il ne comptait pas attendre un mort pour savoir si son toucher mortel était activé. Heureusement, l’infirmière ne s’en offusqua pas et lui saisit doucement le poignet. Des étincelles vertes crépitèrent et le verdict tomba.


  —  Je vois que des soins ont régulièrement été administrés, ce qui a permis au derme d’encaisser. Cependant, il ne s’est jamais remis complètement donc sa résistance faiblit. Rien n’est lésé de manière irréversible pour le moment, mais ça ne saurait tarder à ce rythme. 
  —  Je comptais préparer une potion à base de feuilles de Lexus séchées, tu penses que c’est suffisant ? l’interrogea Aglaé.
  —  Oui, si on le couple avec une crème d’œuf de poule dorée. Je vais t’aider à…
  —  Descends de ce lit et je rapporte tout à Mme Luciphella, la menaça-t-elle en la voyant esquisser une jambe hors du lit. 


Mme Delacroix ne masqua pas sa contrariété, mais l’idée de se faire remonter les bretelles par la proviseure adjointe la convainquit de rester sous la couette. Elle donna les directives à suivre et sa fille commença la préparation, cherchant les ingrédients dans l’armoire miniature magique. Plutôt que d’attendre debout, Thalion s’assit sur le tabouret disposé près du lit. Ne sachant que dire, le silence s’étiola, devenant embarrassant quand Mme Delacroix le dévisagea longuement. 


  —  Si vous avez quelque chose à dire, dites-le, finit-il par lui intimer.
  —  Tu sembles agir dans le plus grand des secrets, à l’image de la préparation de ta potion, l’année derrière. Vu la façon dont ça s’est terminé, dois-je m’inquiéter de te voir traficoter je-ne-sais-quoi sans mettre l’académie au courant ?
  —  Ce que j’entreprends n’est pas aussi risqué qu’avec la potion, du moins je connais les risques et veille à ne pas franchir mes limites. Je contrôle la situation et je ne suis pas complètement seul… Bref, vous n’avez pas à vous inquiéter.


Elle soupira. 


  —  Puisqu’Aglaé semble plus ou moins consentir à tes agissements, je lui fais confiance. Elle ne t’emmènerait pas ici pour te soigner ni ne tairait ce que tu fais si elle n’était pas convaincue du bien fondé de tes actes.
  —  Maman, arrête, c’est gênant.


Thalion esquissa un sourire. Ni lui, ni son amie ne comptait avouer à Mme Delacroix que ce qu’il s’infligeait servait en partie à son rétablissement. Elle culpabiliserait et exigerait qu’il cesse immédiatement. 


  —  Vous feriez mieux de vous reposer plutôt que de vous inquiéter, madame. 
  —  Rosalyne. Appelle-moi Rosalyne, précisa-t-elle devant sa confusion.


Thalion glissa sa main derrière sa nuque, gêné à l’idée d’appeler la mère d’une amie par son prénom. Il réalisa qu’elle ne l’avait jamais interpellé par son prénom. L’infirmière tutoyait naturellement les élèves pour plus de proximité et eux ne chipotaient pas comme lui pour leur prénom. Compte tenu des traditions et de sa situation, elle s’était abstenue de prononcer le sien par respect. Toutefois, Thalion commençait à s’habituer à être désigné autrement que par son surnom. Il avait toujours l’impression d’être vulnérable, mais prenait goût à la sensation d’être relevé au rang d’humain. D’être perçu en tant que tel par ceux qui l’appelaient par son prénom. Une sensation indescriptible et précieuse après avoir été traîné si longtemps dans la boue.


  —  Dans ce cas, appelez-moi Thalion.


La surprise figea quelques secondes le visage de Rosalyne, puis un sourire étira ses lèvres. Aglaé, occupée à touiller la mixture pendant que la crème absorbait les actifs, marmonna :
  — Le nombre de regards noirs que je me suis tapée avant qu’il accepte… Certains ne réalisent pas la chance qu’ils ont.
 

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Neila
Posté le 05/01/2025
Mais qu'ils sont chous.
Heureusement qu'Aglaé et l'infirmière sont là pour veiller sur lui. Allez, je suis prête à leur accorder mon entière confiance pour le coup.

Je ne peux pas m'empêcher de me demander pourquoi Apocryphos fait tout pour que Thalion apprenne à maîtriser la magie divine. Est-ce que c'est vraiment simplement pour qu'il ait plus d'une corde à son arc et puisse mieux se défendre, ou est-ce qu'il prépare Thalion pour quelque chose ? è.é Oui, y a une part de moi qui continue à se méfier d'Apocryphos.

Si j'ai bien suivi, Thalion peut tranquillement guérir l'Arbre pendant les vacances, mais à la rentrée, celui/celle qui a posé le sceau risque de revenir s'en occuper ? Je ne suspect personne en particulier (et tout le monde en même temps 😶).
J'ai hâte de voir ce que tout ça va donner.

Merci pour la lecture !
Elly
Posté le 05/01/2025
J'avoue que je suis contente de développer leur relation et de mettre un peu plus Aglaé en avant. Je voulais en faire un perso assez réaliste et touchant à sa façon en même temps.
Il faut dire que Thalion a la fâcheuse (ou malchanceuse ?) tendance à se mettre dans des bourbiers, il faut bien que des gens soient là pour lui quand Nohan et Cally ne sont pas là !

Ahah je peux comprendre ta méfiance, tu verras bien au fil des chapitres si ton pressentiment est bon ou pas !

Oui c'est ça ! Difficile de ne pas voir des suspects potentiels partout...

Merci à toi pour être toujours présente et de prendre le temps de laisser un commentaire !
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