La nuit était tombée, fraîche et noire, dans la vallée du Soleil. Phoenix brillait au loin sous un ciel d’encre, coincée entre les Monts McDowell et Superstition Mountains, isolée dans son écrin désertique et aride. La rumeur lointaine de la ville parvenait à peine aux oreilles de Lucia, couverte par le vent qui cinglait le flanc de la colline où la Ford s’était arrêtée.
La casquette rouge dans les mains, Lucia contemplait la ville, assise sur le sol sec et poussiéreux, où quelques brins d’herbe trouvaient la force de pousser, pour finir brûlés et desséchés par le soleil impitoyable de la région. Sa vie était semblable à ces brins d’herbe qui tentaient de pousser, qui tentaient de vivre, mais qui finiraient indubitablement par mourir. Ce n’était qu’une question de temps, elle le savait. Le démon la poursuivrait, la traquerait sans relâche, et elle, elle devrait se battre chaque jour pour survivre.
Muni d’un épais ruban adhésif, Alec finissait de scotcher le bout de carton à la fenêtre de sa voiture. Il arracha un morceau du rouleau d’un coup de dent et acheva sa tâche. L’atmosphère pesait autour de lui, suffocante et électrique. Il bouillonnait de colère et ruminait dans sa barbe.
— Pourquoi ? répétait-il. Qu’est-ce qu’il t’a pris ?
Il se tourna vers elle et ses yeux mêlaient incompréhension et peur. Lucia reporta son attention sur la ville au loin.
— J’avais une carte en main, je l’ai jouée, déclara-t-elle comme un aveu de folie.
Lucia ramena sa capuche sur sa tête et croisa les bras sur sa poitrine, se mordant les lèvres pour les sceller.
— Qu’est-ce que j’avais à perdre ?
Ses parents étaient morts, elle avait perdu son travail et perdu son amitié avec Mina. Revenir à une vie normale lui était impossible. Que lui restait-il désormais, à part le goût amer des cendres et les regrets ?
Alec s’assit près d’elle dans un bruissement de vêtements froissés et son regard se perdit dans l’horizon. Une lente inspiration souleva son torse, et, dans un soupir, il se tourna vers elle.
— Ta vie, répondit-il d’un air grave.
Lucia releva un sourcil, silencieuse et attentive, tandis que les yeux noirs d’Alec cherchaient les siens dans la pénombre. Mais elle s’y refusa. Elle l’avait entraîné dans cette histoire et avait manqué de le faire tuer plus d’une fois. Pourquoi restait-il à ses côtés ? Il devait être fou pour continuer de l’aider. Fou ou amoureux. Et le sentiment de culpabilité pesait sur elle comme une enclume.
— Tu es prête à partir ?
Alec se redressa lentement et lui tendit la main.
— Nous avons un long chemin à faire et Nié ne va pas disparaître toute seule.
— Et si c’était un piège ? demanda Lucia en levant les yeux vers lui.
Une violente bourrasque fit voler sa capuche et ses cheveux lui fouettèrent le visage. Elle les ramena derrière ses oreilles et fit de son mieux pour dégager son visage. Entre ses mains, la casquette prenait le vent comme une voile de bateau, menaçant de s’envoler, mais elle la tint fermement jusqu’à ce que la bourrasque se calme. Alec n’avait pas bougé lorsqu’elle leva de nouveau les yeux vers lui.
— Alors, ne venons pas les mains vides, proposa-t-il dans un sourire assuré.
Lucia considéra le jeune homme un moment avant d’accepter sa main tendue. Mais elle ne réussit pas à se mettre debout et la douleur qui lui foudroya l’estomac la plia en deux. La vieille casquette rouge tomba au sol et Lucia serra son ventre, laissant échapper une plainte entre ses lèvres. Les bras d’Alec l’entourèrent et la soutinrent tandis que ses jambes engourdies cédèrent sous le poids de son corps.
La douleur qui irradiait dans son ventre passa peu à peu, au rythme de ses inspirations et de ses expirations saccadées. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Lucia se rendit compte qu’Alec la serrait contre lui. Elle ne chercha pas à se dégager de lui, elle n’avait pas le cœur à le repousser. Il resta immobile le temps qu’elle retrouve son équilibre.
Une main sur sa blessure, Lucia se redressa lentement, prenant appui de l’autre main sur l’avant-bras solide du médecin. Rien ne semblait pouvoir le faire ciller, et dans son étreinte, Lucia se sentait toujours en sécurité.
Alec posa sur elle un regard inquiet, mais elle balaya ses craintes d’un revers de la main :
— Sur une échelle de 1 à 10, c’est un 4.
Cependant, les épais sourcils noirs qui surlignaient les yeux d’Alec se froncèrent d’incrédulité.
— Si c’est un de tes points qui a sauté…
— D’accord, j’avoue. Des fois, y a des piques à 8, assura-t-elle dans un demi-sourire. On devrait y aller, avant de n’avoir nulle part où passer la nuit.
Elle ramassa la casquette rouge et la lui tendit, puis accompagnant le geste à la parole, Lucia se dirigea vers la Ford. La main soutenant toujours son ventre et la démarche hésitante, elle atteignit tout de même son but et ouvrit la portière. Alec ne tarda pas à la rejoindre et s’installa au volant. Il se pinça l’arête du nez avant d’allumer le contact.
La Ford démarra dans un vrombissement satisfaisant et rejoignit la route principale. La nuit était calme, la vallée, déserte et le vent frais filtrait à travers le carton qui tenait désormais lieu de fenêtre. Ainsi privée de panorama, Lucia promena son regard autour d’elle. Ses yeux se posèrent sur le regard sérieux d’Alec. Noirs et insondables, elle ne pouvait y lire que le reflet de ses propres émotions, comme un miroir qui lui renvoyait son image. Seuls ses sourcils froncés et son air résolu semblaient trahir son état émotionnel.
— On va faire un détour, dit-il simplement.
Il avait dû sentir son regard sur lui, car ses joues avaient rosi. Lucia détourna aussitôt les yeux et fixa la route.
Au détour d’un virage, elle aperçut Phoenix une dernière fois. Le cœur lourd, elle abandonna sa ville, son rêve et sa vie.
***
Accrochées en évidence sur le mur, les différentes armes à feu reposaient sur la grille en métal, brillantes sous l’éclairage froid des néons. Mais les fusils rutilants n’intéressaient pas Alec. Il cherchait une arme de poing discrète qu’ils pourraient transporter, quelque chose qui n’attirerait pas l’attention sur eux, quelque chose de simple, mais d’efficace. Une arme idéale pour les tireurs débutants et qui servirait pour la défense plus que pour l’assaut. Lucia en serait la principale utilisatrice. Elle devait pouvoir se défendre seule, bien qu’il ne comptait pas quitter ses côtés une seule seconde. Mais, dans l’éventualité d’une séparation, voulue ou forcée, il serait plus rassuré si elle avait une arme à feu sur elle.
Alec soupira devant le choix restreint que lui offrait le magasin. Évidemment, il fallait s’y attendre, la chasse était un loisir courant dans la région et le nombre de modèles de fusils dépassait largement celui des pistolets proposés. Si les coyotes n’étaient pas encore en voie de disparition en Arizona, ce n’était qu’une question de temps. Un bon chasseur avait toujours un fusil chargé chez lui, mais ce n’étaient pas les seuls à en posséder. L’État comptait aussi beaucoup de ranchs et de fermes qu’il fallait protéger des indésirables.
Le gérant frottait sa barbe grisonnante d’un air absent, une cigarette coincée entre ses lèvres épaisses, et donnait des œillades suspicieuses en direction de Lucia, qui avait rabattu sa capuche. Agacé, Alec porta son choix sur un pistolet et s’en saisit.
— Lui, dit-il au gérant.
L’homme parut surpris de son choix précipité et fronça les sourcils en soufflant un nuage gris plein de tabac.
— Vous êtes sûr ?
Alec haussa un sourcil, impatient.
— Certain.
Le vendeur obtempéra et entreprit de rassembler la paperasse pour la vente. Il sortit les papiers d’un tiroir rempli à ras bord qui manqua de déborder à l’ouverture, puis peina à le refermer sans froisser la pile de feuilles au passage. Il rangea le pistolet dans son étui avec une boîte de munitions.
— Et vous en avez besoin pour quoi ?
Un autre nuage de fumée s’éleva dans le magasin. Alec fronça le nez.
— Pour le boulot.
Inutile de s’étendre sur le sujet, il n’avait pas besoin d’en savoir plus.
— Il m’faudra une signature ici, et vos papiers d’identité, signala l’homme en dardant ses yeux bruns sur Alec. Vous m’payez comment ?
La politesse était visiblement en option. Alec considéra les papiers devant lui et s’empara du stylo pour signer. Sa signature achevée, fausse et totalement illisible, il reposa le stylo et sortit de sa poche intérieure une liasse de billets.
— En cash, et on oublie le nom.
L’intéressé fronça les sourcils et un rictus satisfait étira ses lèvres lorsqu’il compta les billets et qu’il les rangea dans la caisse. Accroché à sa veste, son badge reflétait la lumière froide du magasin et jetait un éclat désagréable dans les yeux d’Alec à chaque mouvement.
— Vous n’auriez pas l’adresse d’un motel par hasard ? s’enquit-il en récupérant ses achats.
Maurice, comme le prétendait le badge, porta sa main à son crâne dégarni et frotta ses cheveux crépus.
— Continuez sur la 89, vous trouverez votre bonheur là-bas, si vous n’êtes pas trop regardants.
Ils quittèrent le magasin sous le vent battant et l’éclairage jaune des réverbères. La Ford avait moins fière allure avec sa fenêtre en carton, mais elle tiendrait jusqu’à la prochaine ville. Après cela, il dirait adieu à la voiture de son père et en prendrait une nouvelle, plus adaptée à la longue route qui les attendait. La faire réparer retarderait inévitablement leur expédition, et ils accusaient déjà d’un jour de retard pour leur lieu de rencontre, bien qu’il n’ait pas envie de revoir la tête de cet énergumène peroxydé. Lucia croyait dur comme fer qu’il était ce qu’il prétendait être : un chasseur de démon, un justicier masqué qui défendait la veuve et l’orphelin, risquant sa vie pour vaincre les ennemis de Dieu, et cela le peinait de voir à quel point elle pouvait être naïve. Si elle plaçait sa confiance aussi facilement en un illustre inconnu, et même si les circonstances atténuantes s’appliquaient, elle courait droit dans le mur. Elle devait apprendre à se défendre, et la première leçon commençait maintenant.
— Ne fais confiance à personne et garde toujours ça sur toi.
Alec lui tendit l’arme, un Jéricho 941 noir, un modèle classique des stands de tir, le compagnon idéal des débutants. Lucia refusa cependant de le prendre, boucla sa ceinture et enfonça ses mains dans ses poches, le visage tourné vers le carton.
— Sans façon. J’ai pas l’intention de m’en servir et encore moins de tuer qui que ce soit avec. Maintenant, si on pouvait partir avant d’avoir nulle part où dormir, ce serait top.
Dans un soupir exaspéré, Alec rangea l’arme dans la boîte à gants avec les munitions. Il n’avait pas l’énergie pour débattre, l’heure tournait et réserver les chambres pour la nuit devenait impératif. Il tendit son téléphone portable à la jeune femme :
— Dans ce cas, tu peux m’indiquer l’itinéraire ?
Il avait adouci sa voix, mais l’angoisse couplée à la fatigue le rendait irritable. Il s’en rendait compte.
Lucia prit le smartphone entre ses mains et ouvrit l’application à la recherche du motel le plus proche.
— Tourne à droit à la prochaine sortie, dans cinq kilomètres.
Elle se mura dans son silence pendant le reste du trajet et lorsqu’ils arrivèrent à destination, elle portait sa main à son ventre, une fugace grimace de souffrance sur son visage.
Lorsque Lucia eut franchi la porte de la chambre, Alec la referma aussitôt et tira les rideaux. La pièce sentait le renfermé, la poussière et le moisi. Le papier peint était désuet et de mauvais goût, arraché sur une grande partie du mur zébré de fissures. Un petit fauteuil délavé faisait face aux deux lits, la mousse sortait de l’assise par endroits. La vieille moquette était parsemée de taches sombres et s’étiolait par endroits, notamment sous les pieds des lits où elle avait quasiment disparu et laissait entrevoir le ciment. Alec défit les lits entièrement, inspecta les draps et retourna les matelas. Sans surprise, l’un d’eux était infesté de puces de lit et plein de vermines. Cette chambre n’avait pas vu l’ombre d’un employé de ménage depuis des lustres.
Il passa la main dans ses cheveux d’un geste las :
— Je vais demander une autre chambre, hors de question de dormir dans ce taudis !
Le réceptionniste s’était absenté et il ne trouva personne derrière le comptoir. Martelant la sonnette de la paume, il n’en tira rien à part une dose de frustration supplémentaire. Il appela, héla dans le vide, mais personne ne répondit. Le tableau accroché au mur en face de lui indiquait les horaires d’ouvertures du bureau. Alec jeta un coup d’œil à son téléphone, l’heure était dépassée de cinq minutes. Après une profonde inspiration, il fit demi-tour, abandonnant l’idée d’une meilleure chambre pour cette nuit, mais jurant de quitter les lieux dès l’aurore.
La porte grinça à l’ouverture. Il la referma à double tour.
— Alors ? On va avoir une autre chambre ?
Alec accrocha son manteau au mur et Lucia fit un pas vers lui, la main toujours plaquée sur son ventre. Ses traits étaient tirés, mais son regard brillait d’un éclat d’espérance. Alec détestait d’avance ce qu’il devait dire. Il n’avait cependant pas le choix.
— Il n’y avait plus personne à la réception, je suis navré. On va devoir s’accommoder de cet endroit.
Lucia baissa les yeux, défaite et épuisée. Elle cachait son désarroi et sa douleur derrière un faible sourire qui brisa le cœur d’Alec.
— Au moins, on a un endroit où passer la nuit.
Son optimisme finit d’apaiser ses tensions, comme une eau fraîche sur la braise de sa colère. Lucia entreprit de refaire le lit, attrapant un drap au sol avant de stopper son geste net. Lucia se recroquevilla sur elle-même, le ventre entre ses bras, le visage caché par ses longs cheveux. Alec avala la distance qui les séparait en deux enjambées et posa sa main sur son épaule frêle.
— Laisse-moi m’occuper de ta blessure, demanda-t-il d’une voix plus douce.
— Je t’assure que ça va. J’ai besoin de repos, c’est tout, répondit-elle en le repoussant d’une main fébrile.
Il l’aida à se relever et la fit s’asseoir sur le fauteuil. Elle ôta son sweat avec difficulté et Alec se figea. La tache rouge sur le t-shirt de Lucia captait toute son attention.
***
Ses épaules étaient affaissées, accablées par le poids des efforts et l’épuisement de cette journée interminable et des cernes creusaient ses yeux qui luisaient d’inquiétude. La douleur s’était estompée, sourde et lointaine, mais ne disparaissait jamais vraiment, et revenait à la charge lorsqu’elle faisait un mouvement trop rapide. C'est-à-dire tout le temps. Lucia était épuisée et ne rêvait que d’une chose, dormir dans un lit confortable pour oublier sa blessure et sa journée, bien qu’elle ne soit pas sûre de pouvoir fermer l’œil de la nuit. Et que la promesse du lit confortable avait été balayée d’une rafale de déception. La chambre était miteuse, décrépie, pourrie, et Lucia regrettait amèrement son tout petit appartement. Au fond de la pièce se trouvait la salle de bains, dont les tuyaux rouillés apparents gouttaient dans un plic-ploc désagréable et irritant. Elle n’arriverait jamais à s’endormir, c’était certain. Lorsqu’Alec eut refait le seul lit viable, il s’occupa de vérifier sa blessure. Elle préférait ne pas regarder tandis qu’il coupait le bandage et nettoyait la zone douloureuse. Un point avait lâché, mais la blessure avait cicatrisé et les bords s’étaient refermés, lui annonçait-il, apparemment soulagé que ce ne soit pas plus grave. Génial, il n’aurait pas à recoudre sa peau une nouvelle fois encore. Elle n’osait même pas penser à la cicatrice qui zigzaguerait sur son ventre lorsque tout serait fini. Elle refoula toutes ces pensées au loin et porta son attention sur ce qui l’entourait. L’horloge murale dont le tic tac régulier martelait ses tempes, le plic ploc de la salle de bains, le son de sa propre respiration hachée et le silence pesant de la pièce composaient une mélopée désagréable qui amplifiait sa migraine. Elle se coula dans les draps relativement propres du lit et ferma les yeux. Une main se posa délicatement sur son front.
— Tu as de la fièvre, constata Alec.
Assis sur le bord du lit, il repoussa les mèches de ses cheveux pour dégager son visage et déposa un linge humide sur son front.
— Merci, murmura-t-elle.
Alec brisa le silence gêné qui s’installait entre eux.
— Ça t’ennuie si on partage ? Je sais que c’était pas ce qu’on avait prévu, mais…
Il baissa les yeux, les joues rouges, tout en désignant le matelas retourné et les draps roulés en boule du second lit. Il n’avait plus nulle part où dormir.
Lucia bafouilla une réponse confuse qui fit sourire Alec. Elle avait soudainement trop chaud malgré le tissu frais sur son front.
La moquette étouffait les bruits de pas lorsqu’Alec se releva pour éteindre les lumières. Puis il y eut un bruissement de vêtements, et un tintement métallique, et enfin, le matelas s’affaissa sous son poids. Lucia avait définitivement trop chaud.
— Tout ton corps doit être prêt à anticiper le choc du recul.
La nuit avait été courte et Lucia avait autre chose en tête que d’écouter les leçons de tir d’Alec. Si lui avait regagné un peu d’entrain, elle, au contraire, était plus épuisée que la veille. Les yeux noirs d’Alec avaient retrouvé leur éclat acéré, ceux de Lucia cherchaient encore à se fermer. Elle attrapa maladroitement le pistolet qu’il lui tendait. Lourd dans sa main au premier abord, elle enroula sa main autour de la crosse et son doigt effleura la détente, puis mit en joue sa cible. Lorsqu’il vint se positionner derrière elle pour corriger sa posture, elle retint son souffle. Le contact de sa peau sur la sienne, tandis qu’il ajustait la position de ses hanches, était à chaque fois une brûlure, pourtant, c’était loin d’être désagréable. Au contraire.
Lucia secoua la tête pour repousser ces pensées et se concentrer sur ce qu’Alec tentait en vain de faire entrer dans son crâne. Que disait-il déjà ? Les coudes légèrement pliés et genoux légèrement fléchis ? Rien de bien sorcier. Lucia pressa la détente sans attendre et la puissance du tir se répercuta dans ses poignets, ses coudes et ses épaules, comme une onde qui se propage dans l’eau. Le coup de feu fit s’envoler plusieurs corbeaux du vieil arbre mort qui servait de cible. Mais aucun impact sur le tronc.
— Ajuste ton tir avec la hausse et le guidon, comme ça.
Les bras d’Alec entourèrent Lucia tout entière et il guida l’arme sur la cible, posant ses mains brûlantes sur les siennes. Le cœur de Lucia manqua un battement et elle eut toutes les difficultés du monde pour conserver sa concentration. Le parfum de myrrhe et de cendres se répandit dans ses narines et la chaleur diffuse de son corps l’envahit sans scrupules, l’attirant contre lui aussi implacablement que la gravité attire la pomme sur l’herbe fraîche. Se doutait-il de l’effet qu’il lui faisait quand il la prenait dans ses bras ? Ignorait-il la rougeur de ses joues qu’il provoquait d’un simple regard ?
Le coup de feu retentit, ramenant Lucia à la réalité. Cette fois-ci, elle eut la satisfaction d’apercevoir un petit trou dans le tronc de l’arbre et un sourire illumina son visage.
— J’ai réussi ! clama-t-elle.
Les mains d’Alec glissèrent sur ses bras dans une caresse avant de rompre le contact. Il recula d’un pas et la félicita, l’enjoignant à réitérer. Son regard était de nouveau impénétrable, dur comme l’acier sous ses sourcils froncés. Lucia se mordit les lèvres, reportant son attention sur son entraînement. Le troisième tir heurta le côté du tronc et le choc du recul se répercuta jusque dans ses genoux, malmenant sa blessure dans le même temps. Elle redressa son arme pour un quatrième tir, mais Alec posa la main sur le canon, mettant fin à la séance.
— Je peux le faire, assura-t-elle. Je peux continuer.
— Je sais, dit-il simplement.
— Alors quoi ?
Le visage d’Alec se froissa dans un pli de douleur et d’incertitude alors qu’il plongeait ses yeux dans les siens. Les ténèbres retenues captives dans ces deux perles noires précipitèrent Lucia dans un abysse sans fond, tumultueux et tournoyant. Au bord de la noyade, Lucia baissa l’arme à feu au bout de son bras et retint son souffle. Elle avança aveuglément dans les ténèbres, sans crainte, comme Alec la guida dans ses bras. La chaleur de son corps, enveloppante et rayonnante comme un soleil d’été, dissipa les nuages de désespoir qui assombrissaient son âme. Dissimulé dans la noirceur, un feu brûlait, vacillant et languissant, prêt à s’embraser. Elle n’avait pas besoin d’air, pas en cet instant. Il lui fallait seulement un baiser pour pouvoir respirer de nouveau. Pour pouvoir revivre.
Le vent souffla et la flamme s’éteignit.
— Je souhaite que tu n’aies jamais à t’en servir, murmura-t-il dans un souffle avant de briser leur étreinte.
Le froid s’empara de Lucia. Alec lui tourna le dos et marcha en direction du parking. Privé de chaleur, son corps se mit à trembler. L’hiver venait de s’abattre sur elle. Elle tendit le bras pour rattraper sa main, son bras, sa manche, avant que son sang ne gèle dans ses veines.
J'avais tapé un bon gros commentaire et je me suis faite boulée parce que j'étais plus connectée ... bref...
Le rapprochement entre Lucia et Alec fait naitre de nouvelles tensions entre eux qui s'ajoutent à merveille aux autres. A la peur de se retrouver à nouveau poursuivi par Nié et ses zombies, on ajoute clairement celle qu'ils ont de se perdre l'un l'autre. D'ailleurs, en parlant de Nié, je trouve soudain sa menace plus tangible. Peut-être à cause de l'achat du flingue. Comme si les deux prenaient enfin la menace réellement au sérieux.
J'aime bien l'étape au motel. La scène aurait pu être un bon gros cliché (comme ça se passe en Amérique et qu'ils fuient par la route, je m'attendais un peu à trouver un motel pourri sur leur route) et tu t'en sors bien avec (et je dis pas ça parce que j'aime bien le trope un seul lit pour deux).
Par contre, la fin du chapitre est en double.
Je suis contente et soulagée que tu apprécies ta lecture.
J'ai corrigé le doublon. encore merci