L’imprimante bipait dans des ronronnements tout en lançant des clins d'œil vert à Anak qui, accoudé contre elle, suivait des yeux les feuilles que la machine éjectait de sa bouche dentée. Elle avait déniché sur le web une liste exhaustive des cités englouties ainsi que plusieurs pages qui décrivaient leur architecture et monuments. Elle avait bon espoir qu’en croisant les données grâce à la fresque, ils puissent réduire le champ des possibles.
Elle jeta un coup d'œil à Sibéal accoudée, dans son dos, à une petite table ronde et qui feuilletait un livre sur les cités antiques disparues. Sa lecture semblait passablement l’ennuyer, ce qu’Anak comprenait parfaitement. Après la journée de la veille écoulée entièrement entre les pages de livres et les pages internet, à analyser le flot d’informations sur les divers mythes et faits historiques.
“Après ça, on va faire un tour du côté de l’université, annonça Anak d’un sourire, histoire de nous trouver des candidats à un pot de vin, mais surtout nous dégourdir les jambes !
-Oh oui, lâcha Sibéal avec une pointe de désespoir, je n’en peux plus… j’ai tout de même pensé à un truc.
-Ah oui ? Quoi ?
-Peut-être qu’on pourrait dater le métal de la clé, ça nous permettrait d’avoir une idée de l’âge du temple.
-Très bonne idée ! la complimenta Anak. Mais tu as une idée de la façon dont on date un métal ?”
Une mine embêtée au visage, Sibéal secoua de la tête en signe de négation et Anak se retourna pour s’adosser à la grosse imprimante qui poursuivait sa longue tâche, et sortit son téléphone de la poche de son jean.
“Je vais demander à Moh, il pourra peut-être nous en dire plus ! offrit Anak. Avec ses études scientifiques…
-Oui, ce serait bien. Rien que pour savoir si c’est possible…”
Soudainement, l’imprimante fit savoir son mécontentement dans des protestations sur-aigues et Anak fit volte-face pour lire l’erreur qui s’affichait sur l’écran. Elle se retourna avec une mine tapissée par la fatalité et Sibéal rit de sa tête en lui demandant ce qui se passait.
“Bourrage papier.”
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“Alors, on peut toujours essayer le carbone 14 si le métal a été forgé dans un fourneau au charbon de bois, exposa Moh au téléphone, sinon, c’est majoritairement de la déduction historique, ou l’observation de la corrosion au microscope. C’est pas évident dans un cas comme dans l’autre…
-Ah, je vois… bon, faut qu’on se trouve quelqu’un pour le faire sans trop poser de question alors. On est à l’université, là, avec Sibéal et Wanda.”
Les deux jeunes femmes étaient un peu plus loin dans le parc arboré du campus universitaire, plongées dans une conversation, près d’une fontaine qui attirait les moineaux du coin. Sibéal et Anak avaient croisé Wanda un peu plus tôt alors qu’elles furetaient le long des allées et couloirs. Anak avait à peine pu la saluer avant que Moh ne la rappelle suite à son message, mais à la mine jubilatoire qu’arborait leur médecin, elle se doutait qu’elle avait une bonne nouvelle à leur partager.
“On se retrouve en centre-ville tout à l’heure ? lui proposa alors son frère. J’aimerais m’acheter une tenue pour le carnaval !
-Oh moi aussi ! On se retrouve dans une heure, ça te va ?
-Parfait ! J’ai repéré une petite boutique, y’avait une robe dans la vitrine d’un jaune subliiiime qui est faite pour toi. A tout à l’heure, soeurette !
-Bisous, Moh !”
Elle raccrocha ensuite en marchant d’un bon pas pour rejoindre ses deux amies qui se tournèrent vers elle pour l’accueillir, et Wanda ne perdit pas un instant pour lui annoncer la grande nouvelle -bien qu’elle su lancer une oeillade enjôleuse à un jeune professeur qui passait par là.
“Je nous ai eu la traduction napolitaine !
-C’est pas une pizza, ça ? s’étonna Anak.
-C’est du nabatéen, corrigea Sibéal avec indulgence.
-Oui, bon, whateveeer…, éluda Wanda d’un geste de ses longues griffes manucurées, ce qui compte c’est qu’on l’a grâce à moi !
-Génial !” applaudit Anak.
Pas mécontente des fleurs qu’elle recevait, Wanda dressait le menton fièrement en se passant une main élégante dans ses longs cheveux lissés.
“Et vous savez quoi ? rebondit Anak. Moi, je propose qu’on fête ça avec une session shopping pour le carnaval de ce soir !
-On l’aura bien mérité, approuva Sibéal.
-Enfin, Anak, tu dis quelque chose de sensé, la félicita Wanda.
-Merci, Wandie.
-N’y prends pas trop goût, par contre.”
OoOoOo
“Alors, c’est pour ça que vous êtes à ce point en retard ?”
Ils se trouvaient noyés au beau milieu de la foule festive et enjouée, et Yakta devait hausser le ton pour leur faire part de ses remontrances amusées. Incontestablement, ils étaient arrivés en retard au point de rendez-vous convenu plus tôt pour se retrouver afin de profiter tous ensemble du carnaval… beaucoup de retard… mais ils avaient des justifications ! Valables selon Anak, mais qu’elle préférait tout de même ne pas tester devant le compas moral de leur capitaine. Ils avaient enchaîné une bonne dizaine de boutiques avant que chacun ait trouvé leur bonheur -Moh et Wanda étant de loin les plus compliqués du peloton. Pour Anak, ç’avait été beaucoup plus facile, son petit frère lui avait pré-mâché le travail en lui élisant la robe parfaite dès le début, et elle avait pleine confiance en ses goûts. Et il s’était depuis toujours placé en son coach beauté et vestimentaire. Cependant, même si elle avait effectivement acheté la fameuse robe jaune en craquant instantanément devant, ça ne l’avait pas empêché tout ce qui accrochait son regard, juste pour le plaisir.
Après bien trois heures de shopping acharnés, ils avaient fait leur arrivée triomphale et tant attendue à la manière d’un girls band qui investit la grande scène pour assurer le concert. Et leurs tenues s’accordaient parfaitement au décor qui serpentait les rues à la suite du gigantesque défilé de danseuses drapées de plumes et juchées sur des chaussures à plateformes, des jongleurs à la dextérité impressionnante, et des musiciens ambulants.
Un Borsalino de paille couronnant sa tête brune, Moh avait été en tête, les mains dans les poches de son short orné des mêmes grosses fleurs qui rosissaient également sa chemisette. Non loin derrière, Wanda avait été immanquable réhaussée sur des sandales à talons et enserrée dans une robe mi-cuisses, aux manches longues, qui faisait office de seconde peau, et tout cela dans un rose bonbon du meilleur goût, y compris ses petites lunettes de soleil nue de montures dont elle aimait jouer du bout de ses doigts manucurés. Sibéal, quant à elle, avait choisi une tenue plus sobre mais très élégante, qui consistait en une maxi robe noire fleurie qui s’enroulait autour de ses chevilles à chacun de ses pas. Anak et sa robe courte jaune canari clouaient le spectacle, avec ses fines bretelles et ses multiples rangées de franges dont elle ne se laissait pas de faire danser à chacun de ses pas. Moh lui avait savamment coiffé les cheveux d’une torsade sur le côté gauche de sa tête qu’il avait terminé d’une jolie et large fleur jaune qui attirait toutes les abeilles du coin.
Leur retard avait été donc vite éclipsée face à l’effet détonnant qu’ils avaient eu chez leurs équipages qui les avait accueillis dans des sifflements et une pluie de compliments - si l’on ne comptait pas Moh qui s’était rué sur sa grande soeur avec jalousie pour lui demander pourquoi il n’avait pas été invité.
“Maintenant que vous vous êtes faits beaux comme ça, on ne peut pas rentrer se coucher tôt, décréta Yakta avec un petit sourire pour le frère et la soeur Freeman. Faut rentabiliser vos efforts !
-YES !!” célébrèrent Anak et Moh d’une même voix.
Wanda s’était déjà éloignée pour se placer subtilement dans l’axe de vision de Valérian et Esteban afin qu’ils puissent profiter de la vue qu’elle offrait, tout en prenant une pause qui rendait évident la fente qui remontait sur sa cuisse droite. Un peu plus loin, Sibéal était toujours en proie à Nialh qui n'avait pas reçu, juste-là, des explications satisfaisantes, tandis que Murdock le poussait sans ménagement pour donner de l’air à la grande-sœur du capricieux.
Peu de gens se trouvaient entre eux et le grand défilé du carnaval qui semblait infini, et ils avaient ainsi une vue prenante sur le carrosse qui passait en portant sur son dos une grande femme à la peau brune étincelante dans un corset d’or, des plumes vertes se dressant dans son dos comme la queue ouverte d’un paon. Elle tenait un micro dans lequel elle chantait magnifiquement, et des enceintes faisait voyager son chant par-delà les rues. Anak se mit à applaudir en rythme, dans des balancements de hanches qui faisaient onduler ses franges jaunes, ses sandales à talons marquant la cadence sur le sol tapissé de serpentins et de pétales de fleurs.
“Alors, les Freeman, ça s’est mis en bombes atomiques pour pécho de beaux Açoriens ? s’enquit Chad en se glissant entre les deux, un cocktail déjà bien en main.
-Non mais je compte bien rendre Cherry mille fois plus amoureuse de moi avec les photos que je vais publier sur insta.”
Moh mêla d’ailleurs le geste à la parole et hissa son téléphone, en mode appareil photo, pour prendre un cliché sous l’angle le plus flatteur tout en demandant à Chad et Anak de présenter leurs plus beaux sourires. Ce que seule Anak finit, Chad préférant se passer la main dans ses boucles tout en drapant son visage d’une expression sombre et impassible.
Alors que Moh rabaissait son téléphone pour inspecter la multitude de photos qu’il avait capturées, le regard d’Anak croisa celui de Valérian qui lui accorda un petit sourire appréciateur. Visiblement, la robe était à son goût. Des fossettes se creusant dans ses joues, Anak passa une main satisfaite contre ses franges douces et évasives.
Un homme lui bloqua alors tout son champ de vision et Valérian disparut de ses yeux alors que l’inconnu lui tendait un prospectus représentant une grosse boule de cristale violette et deux grandes mains qui flottaient au-dessus d’elle. Anak s’en saisit aussitôt.
“Tu veux découvrir ce que te réserve l’avenir ? Yollande a toutes les réponses que ton cœur désire !
-Yollande ?
-Consultation à partir de 30 balles.”
Et l’homme s’en alla pour alpaguer d’autres touristes, laissant Anak, Chad et Moh à la contemplation de l’offre promotionnelle qui offrait les trente premières minutes.
La véritable question était la suivante. Est-ce que Yollande faisait les tarifs de groupe ?
OoOoOo
Yollande avait la cinquantaine bien tassée, et un eye liner noir et épais s’étirait le long de ses paupières ridées. De son regard bleu peint de noir, elle les scrutait comme si elle décidait lequel dévorer le premier. De l’autre côté de la table ronde nappée d’un tissu en velour pourpre, piqué de petites étoiles de fil d’or, Chad et Moh étaient assis de part et d’autres d’Anak qui avait payée d’avance la séance pour eux trois. Ils avaient pris la formule lignes des mains et tarots, Yollande leur avait assuré que c’était le menu essentiel pour “passer de l’ombre à la lumière”.
De nombreuses bougies étaient disséminés aux quatre coins du petit salon où ils se trouvaient mais ce n’était pas leurs petites flammes qui produisaient l’épaisse fumée qui stagnait jusqu’au plafond. Non, c’étaient les cigares qui ne quittaient pas les gros doigts de Yollande.
“Alors, ma jolie, qu’est-ce qui t’intéresse ? Amour, argent, travail ? Sexe ?
-Mais on est chez le psy ou quoi ? railla Chad, recevant un coup d’oeil acéré de la voyante.
-Rien de tout ça vraiment…, répondit Anak en cherchant comment exposer sa question, j’aimerais plutôt savoir si des dangers nous attendent, ou si on va réussir notre mission !”
Yollande ferma à moitié un œil tout en tirant longuement sur son cigare, manifestement en pleine réflexion, et elle lâcha un gros nuage de fumée foncé dans un “hmmmm” interminable. Elle avait déjà placé d’une manière experte les cartes de tarot face à Anak de façon à ce qu’elle soit retournée. Du bout de son doigt habitué, elle retourna trois des longues cartes pour les révéler à Anak.
“Le Deux de Denier, hmm, de la richesse, de l’argent, un trésor peut-être ? proposa-t-elle en étudiant Anak pour y trouver un assentiment.
-Oui ! approuva-t-elle. Nous sommes des chasseurs de trésors !
-C’est ce que je voyais, hmm… mais la Roue de la Fortune à l’envers, oh, ce n’est pas bon, ça… votre route est semée d’embuche, de nombreux obstacles vous attendent… oui, de nombreux obstacles…
-Oh non, encore ! se lamenta Anak en se tournant vers Moh qui faisait la grimace.
-Et l’impératrice pour finir… oh, quelqu’un vous mentira et vous dupera, mésestimera votre valeur…
-Ah, déso, Nanouille, ça, c’est peut-être moi,” ricana Chad.
Moh, Anak et Yollande vissèrent d’un seul élan un regard sévère sur le plaisantin qui fit mine d’être impressionné avec moquerie. La voyante se saisit alors de ses lunettes en demi-lunes qui pendait à son cou par un collier et les jucha sur le bout de son nez.
“Ta petite menotte, ma belle,” lui demanda-t-elle.
Anak tendit aussitôt sa main gauche et Yollande s’en saisit des siennes. Elle traça les lignes de la main d’Anak en travers de sa paume de sa phalange, ce qui provoqua quelques chatouilles à Anak qui devait se retenir de rire.
“Très belle ligne de vie ! Tu vas être centenaire, mon chou à la crème.
-Oh, chouette !
-L’amour, jusque-là, c’était pas l’éclate, j’me trompe ?
-Non…, avoua Anak dans un soupir malheureux.
-Ca va s’arranger !”
Yollande rendit sa main à une Anak tout bonnement ravie qui l’applaudit, à la manière d’une otarie bien dressée, pour la remercier. La voyante sonda ensuite Chad avant de marmonner dans sa barbe quasiment inexistante, l’air de dire qu’elle se gardait le pire pour la fin, et se tourna vers Moh dans un cliquetis des petites pièces d’argent qui pendaient au foulard violet qui lui recouvrait la tête.
“A ton tour, mon gaillard, annonça Yollande. Que veux-tu savoir ?
-Je veux savoir si mon compte instagram va devenir célèbre et si je vais épouser ma Cherry-chérie.”
Dans un froncement de ses sourcils bien trop épilés, Yollande se tourna alors vers Chad, comme pour lui demander si Moh était sérieux, et ce dernier se contenta d’un rictus goguenard. Yollande tira alors gravement sur son cigare avant de récupérer les cartes éparpillées sur la table pour les réarranger, avant de l’informer sur un ton qui se voulait inquiétant :
“Interrogeons les cartes au sujet de Cherry-chérie.”
OoOoOo
Un énorme bonhomme de pailles et de branchages, haut de dix mètres et large de la moitié, était embrasé à ses pieds d’un feu qui rampait le long de son squelette et lui donnait l’allure d’un titan furieux s’apprêtant à répandre sa fureur sur la plage. Toutefois, personne n’était bien impressionné par sa comédie sur cette belle plage des Açores rougissante du soleil qui déclinait à l’horizon marin. Beaucoup toujours habillés de leurs costumes de couleurs, de plumes, perles et paillettes, et le visage maquillé abondamment, hommes et femmes confondus, l’on dansait et chantait, rebondissait et tournoyait autour de la statue en feu qui ne survivrait pas la nuit. Même si le soleil était sur le point de les laisser en compagnie de la lune et des étoiles, il faisait encore une grande chaleur.
C’était devant ce décor sublime et pittoresque que Valérian et Anak étaient enlacés dans un baiser qui n’en finissait pas. Valérian l’avait quelque peu prise par surprise mais ça n’avait pas été pour l’en déplaire. Anak avait été alors perdue dans la contemplation du géant de feu et elle avait été si proche qu’elle avait tenu le menton dressé en l’air pour admirer les flammes qui sortaient de sa tête quand Valérian l’avait rejointe, glissant une main dans le creux de son dos. Elle s’était alors tournée vers lui, toujours ravie de le voir, et ils n’avaient échangé que quelques brèves paroles avant que, sans crier gare, il ne l’embrasse en l'attirant contre lui. Ca l’avait quelque peu étonnée. Le sachant d’un naturel discret, elle ne s’était pas attendue pas à tant d’effusion devant tous les autres - même si personne ne semblait leur prêter une réelle attention, en cette soirée de fête. Et visiblement les célébrations humaines influençaient même l’humeur des tritons.
A cette pensée, Anak se sépara des lèvres de Valérian mais non de ses bras pour lui faire un commentaire malicieux :
“Du coup, c’est plus trop grave que je sois une humaine ?
-Oh, tais-toi, répondit-il, un rire lui chatouillant les lèvres.
-C’est toi qui l’as dit… comme quoi, on n’était pas digne de confiance…
-Je n’ai fait que souligner notre différence d’espèces.
-En insistant sur le fait qu’on n’était pas digne de confiance !”
Il leva ses yeux, si clairs qu’ils semblaient transparents face aux assauts du feu, vers le ciel qui s’assombrissait à vue d'œil.
“Je regrette d’avoir dit ça, les mots m’ont échappé…
-Ca veut dire que tu ne les pensais pas ?
-Je ne les pensais pas… trop, nuança-t-il, pas en te concernant, en tout cas.
-Bon, je m’en contenterais.”
Après cette concession magnanime, elle retourna à ses lèvres avec bonne humeur. Les doigts de Valérian glissaient le long de sa colonne vertébrale pour s’installer en haut de ses fesses. En cet instant, elle se sentait si bien qu’elle aurait voulu rester des heures et des heures comme ça, à se coller à lui pour l’embrasser, mais comme le stipule le dicton, il ne fallait pas abuser des bonnes choses et elle se recula de nouveau alors qu’une nouvelle pensée lui revenait.
“Il y a toute une armada de petits calamars qui sont collés à l’ancre du Mod, lui révéla-t-elle, avec Sib, on trouve ça étrange et je me demande si… ce serait pas comme pour le Jormungand.
-C’est-à-dire ? lui demanda-t-il en fronçant légèrement ses sourcils pâles.
-Je ne sais pas trop, avoua-t-elle, mais un comportement marin un peu contre-nature.
-Tu veux que j’aille voir ça ?
-Oui, je pense que ce serait une bonne chose. Après tout, tu sais des choses que l’on ne sait pas…”
Dans un rire essoufflé, Valérian secoua la tête pour la regarder avec résignation.
“Donc, tu comptes me rappeler chacune de mes paroles ?”
Elle fit mine de réfléchir dans un “hmmm” songeur assorti d’un doigt qui tapotait ses lèvres, et Valérian suivit la comédie avec amusement.
“Oui ! décida-t-elle.
-Je vois. Bon, je vais aller faire un tour sur le Mod en profitant que tout le monde soit ici et je reviens aussi vite que possible.
-D’accord !
-A tout à l’heure.”
Et il lui plaque un baiser sur la bouche avant de la laisser. Dans un petit soupir contenté, elle interpréta une rotation sur elle-même pour s’aviser des alentours. Sibéal, Nialh et Oriag étaient rassemblés à un stand de nourriture pour goûter les spécialités du coin, et Nialh avait visiblement choisi un met un peu trop épicé pour lui. Anak rit à le voir haleter en s’éventant son visage rougissant. Un peu plus sur la plage, dans un coin plus calme, Yakta jouait au foot avec une bande d’enfants, aux âges variés, tandis que Moh discutait avec leurs parents, tous un verre à la main. Dans les douces vagues de la mer, elle décernait les silhouettes de Chad et Apollo qui se baignaient ensemble. Et près du bar, des petites tables rondes, aux pieds enfoncés dans le sable, accueillaient les assoiffés du coin. Wanda et Esteban bavardaient sur l’une d’elle, et Murdock occupait la table voisine en solitaire. Anak croisa aussitôt son regard, visiblement il la regardait aussi et le demi-nain lui présenta un large sourire accompagné d’un geste de la main pour l’inviter à se joindre à lui.
Elle ne se fit pas prier et parcourut la dizaine de mètres qui les séparaient. Dès qu’elle fut près de lui et posa les mains sur la table pour se hisser sur le haut tabouret qui lui était voisin, Murdock eut une remarque toute réfléchie pour elle :
“Eh ben, on dirait que tu nous tiens le joli-cœur au creux de la main !
-Je n’irai pas jusque-là, répondit-elle modestement avant d’adopter un air conspirateur, mais j’ai des secrets sur lui, alors il ne peut pas m’échapper…”
Le capitaine du Mod partit dans un grand rire avant de se saisir d’un des verres en plastique empilés les uns sur les autres et de la servir en punch. Un petit soupir étreignit le demi-nain alors qu’il faisait glisser le gobelet rempli vers Anak, et elle suivit la direction vers laquelle le regard de Murdock s’égarait et qui le rendait si mélancolique. Il errait vers le stand culinaire là où Sibéal proposait un verre d’eau que Nialh s’empressa d’avaler goulument.
“Faut de l'entraînement pour manger épicé, commenta Anak.
-Nialh est une p’tite nature, surtout.
-Ça joue aussi,” rit Anak.
Tout en s’emparant du verre, elle étudia un peu plus longtemps le profil voilé de Murdock. C’était comme si quelque chose lui causait du souci. Bien qu’elle ne puisse pas en deviner la nature, et qu’elle n’oserait pas poser de question à ce sujet, elle se décida d’essayer de le dérider :
“Tu vas rire mais j’ai cru que Sib et toi étiez en couple.”
La remarque parvint à arracher l’attention de Murdock du trio pour la ramener sur elle dans un regard haussé et un grand sourire intéressé.
“Vraiment ?
-Oui, oui, confirma Anak, j’ai fait la boulette auprès de Sib qui m’a appris qu’elle était en réalité avec un certain… Marcelin ? Tarin ?
-Gauvain.
-Ah oui.
-Mais t’as le nez fin, gamine.
-Bah non, puisque je me suis trompée.
-Pas vraiment, lui apprit Murdock avec un petit sourire, pour tout te dire, ça me déplairait pas. J’aimerais même plutôt ça.”
Anak reçut la révélation dans un “ohhh” qui fit s’agrandir le sourire de Murdock. En soit, ça n’étonnait pas vraiment Anak. La complicité entre Murdock et Sibéal était compliquée à manquer. Et le capitaine ne se cachait même pas du favoritisme qu’il entretenait envers elle, donc bon…
“Mais puisqu’on est lancé dans les confidences, j’vais te partager un autre secret.
-Un secret ?
-Ouais…”
Murdock se saisit de son propre verre qu’il leva à sa bouche pour en prendre plusieurs lampées, Anak l’imita donc en attendant qu’il soit prêt à lui découvrir le pot-aux-roses. Quelqu’un près du bar augmenta légèrement le volume de la musique crachée par les enceintes et comme il s’agissait d’un morceau dansant, bien des paires de jambes se dirigèrent vers le bonhomme de feu pour danser autour. Elle vit du coin de l'œil Wanda qui essayait de convaincre Esteban de lui offrir une danse.
“Ce Gauvain, c’est pas un mec bien. Il trompe Sib.”
La nouvelle tomba sur la table qu’ils occupaient comme un verre qu’on aurait renversé, et Anak eut du mal à savoir comment réagir. Elle était choquée, bien entendu, et profondément attristée pour son amie. Mais une question lui vint alors, et elle commença à la prononcer :
“Est-ce qu’elle…
-Non, elle sait pas. Et si je ne lui ai pas dit, c’est parce que je ne veux pas lui faire de mal. Après tout, on dit que ce que l’on ne sait pas peut pas nous blesser, alors pourquoi lui infliger ça ?”
Accoudée à la table, Anak observa longtemps Murdock qui suivait la ronde des danseurs autour de la statue de paille et de bois qui brûlait, puis elle baissa les yeux sur les rainures de la table pour réfléchir à tout ça. C’était compliqué comme situation, injuste aussi, il n’y avait pas de solution miracle.
“Mais je me dis que c’est quand même mieux de savoir…, jugea Anak finalement, en plus, si elle apprend plus tard que tu savais et que tu lui as rien dit, elle pourrait t’en vouloir.
-C’est vrai aussi… tu penses que je devrais lui dire ? lui demanda-t-il avec une sincère hésitation dans la voix.
-Je pense, oui ! valida Anak avec plus de conviction. Elle a le droit de savoir et si Gauvain la trompe, il ne la mérite pas !”
Un sourire se plaça au coin des lèvres de Murdock alors qu’il se laissait peu à peu convaincre par l’idée qui lui était proposée et il plaça fraternellement son lourd bras autour des épaules d’Anak pour conclure :
“T’sais quoi, j’crois bien que je vais faire ça.
-Ouais ! l’encouragea Anak.
-Mais avant ça, il nous faut plus du punch.”