Chapitre 19

Par Ohana
Notes de l’auteur : TW : agression, crise d’angoisse

Veenya continuait à se forcer à se calmer, sachant que son état d’esprit se répercutait sur son camarade, plus sensible à sa magie que les brutes qui les avaient entourés. Elle pouvait aussi sentir l’esprit du jeune homme vaciller près du sien, et ne savait pas quoi faire pour le sortir de cette spirale infernale dans laquelle il s’était enlisé, en même temps de gérer la situation. Elle décida d’envoyer un appel de détresse à Hildr.

L’homme qui les avait interpelés décida de réduire la distance que Veenya avait tenté d’instaurer au même moment, lui empoigna le bras. Cédant à son impulsion, elle lui envoya une vague télékinétique dans la poitrine, le projetant sur plusieurs mètres. Une attaque relativement inoffensive, mise à part quelques bleus et un mal de crâne, mais les autres la virent comme un signal à s’en prendre à eux, ignorant toute prudence face à deux magiciens.

La jeune femme aux yeux argentés sentit ses jambes se bloquer, la peur s’infiltrant sous la peau.

Alaric sentit sa détresse avec la force d’un raz-de-marée. Elle brisa ses barrières causées par sa crise d’angoisse. Le sceau sur sa peau devint glacé. Il sentit les entrelacs de magie concentrés à cet endroit se morceler, éclatant en petites piques de glace, balayés par la force télépathique incontrôlée de Veenya.

Se laissant totalement envahir par cette sensation de puissance qu’il avait fini par oublier ces dernières semaines, il ne retint pas la magie qui émergea de sa peau, de tout son être, en une aura meurtrière qui percuta tout être vivant autour d’eux.

Il entendit vaguement Veenya hurler à ses côtés, alors qu’elle tombait à genoux, les bras sur la tête, le front contre le sol, pour lui échapper. Réalisant qu’il lui avait fait mal en même temps que les ivrognes, Alaric reprit pied. Le sceau se reforma brutalement sur sa peau, lui coupant le souffle. Le corps tremblant, il ne put résister à la faiblesse dans ses jambes et s’écroula, ses paumes se coupant sur les stalagmites de glace qui s’étaient formées autour de lui.

  • Voyageur !

Il ignorait d’où provenait le cri à la fois craintif et accusateur, sa vision troublée envahie par le visage de Veenya, qui avait un peu repris ses esprits et cherchait à le garder éveillé. Il sentit son esprit meurtri effleurer le sien.

Malgré tout, il parvint à se redresser légèrement, nauséeux et complètement vide de toute magie. Il découvrit un décor terriblement familier. Des pics acérés de glace sortaient du sol. Heureusement, il avait manqué Veenya et leurs attaquants, ces derniers arborant néanmoins quelques plaies ici et là. L’un d’eux, une jambe coincée dans la glace, se dégagea brutalement et prit la fuite, abandonnant les autres.

Tous avaient dirigés leur attention vers l’homme qui avait crié. Le haut de son visage était strié de veines noires, qui lui descendaient sur le front et infectaient ses yeux. La malédiction de la forêt d’Argon. Son regard était rivé sur Alaric. Pendant un instant, lorsque le sceau s’était brisé, il avait pu distinguer l’aura étrange du Voyageur. La même qu’il avait pu apercevoir, quelques décennies en arrière, alors qu’il était enfant. Un de ces monstres avait réduit son village en cendres. Une histoire qui rejoignait un millier d’autres, fausses, altérées ou criantes de vérité, personne ne savait vraiment.

Il pointa un doigt tremblant vers le jeune homme. Sa peur se transforma en colère et son doigt devint accusateur.

  • Voyageur ! cria-t-il à nouveau, profitant que leur altercation ait rameuté les foules pour répandre sa haine envers le jeune magicien.

Rapidement, une vague d’inquiétude et de confusion agita les badauds de plus en plus présents, attirés par les éclats magiques.

Alaric regarda autour de lui, incapable de se remettre sur ses pieds et s’éloigner, ce qui aurait été plus prudent. Son regard hagard finit par tomber sur Veenya, qui le dévisageait, inquiète. Inquiet mais non accusateur. Il s’accrocha à ce qui semblait être la seule alliée qu’il avait à ce moment précis. Celle-ci pivota sur ses genoux, et lui prit le bras.

  • On s’en va, lui chuchota-t-elle.
  • C-Comment ? parvint-il à balbutier malgré sa gorge en feu.

La foule se resserrait à chaque seconde qui passait. Il était trop épuisé et confus pour se laisser atteindre par la peur ambiante, mais il pouvait voir son amie télépathe commencer à trembler, assaillie de toute part. Puis, soudain, son visage s’éclaira.

  • Dégagez de là, bande d’idiots ! rugit une voix.

Une silhouette imposante pourfendit la foule. Hildr poussa sans vergogne ceux qui n’obéissaient pas, fusillant tout le monde du regard. Sa peau s’était mise à irradier de chaleur, facilitant son passage. Derrière elle, profitant de l’espace provoqué par la fille du feu, se faufilaient Talia et Cast.

Le trio émergea et se dirigea vers les deux magiciens au sol. Hildr s’interposa de toute sa hauteur, les yeux enflammés dardés sur quiconque osait les regarder de travers, les défiant de s’approcher.

Cast et Talia s’accroupirent auprès d’Alaric et Veenya.

  • Al, murmura, angoissée, la Voyageuse, ses mains s’accrochant aux épaules de son frère.

Elle effleura son visage de sa main, sentant un début de fièvre. Son regard se porta sur la télépathe.

  • Qu’est-ce qu’on peut faire ? demanda Cast, le visage fermé, concentré.

Son attention était divisée entre les deux magiciens en difficulté et la foule de plus en plus agitée. La situation pouvait rapidement dégénérer.

  • M’éloigner d’ici, balbutia Veenya, l’esprit assailli de toutes parts.

Après s’être jetés un bref regard, Cast s’occupa d’Alaric et Talia de Vee, les aidant à se relever et les soutenant. La présence du chevalier sembla provoquer un léger vent de calme sur la foule, puisqu’ils purent passer sans problème, empruntant un autre chemin moins houleux. Hildr fermait la marche, son regard rougeoyant attentif. Si elle écoutait son tempérament belliqueux, elle serait restée pour donner une bonne correction à ceux qui avaient provoqué tout ce chaos. Mais Veenya avait besoin d’elle, et hors de question de la laisser.

Lorsqu’ils furent assez éloignés et certains de ne pas avoir été suivis, la petite troupe s’arrêta. Cast et Talia laissèrent les deux magiciens pantelants pour leur permettre de s’asseoir quelques minutes.

  • Qu’est-ce qui s’est passé ? couina Talia, le cœur toujours battant.

Alaric leva des yeux coupables vers elle, mais fut incapable de répondre. Il tourna plutôt la tête vers Veenya. Celle-ci avait le visage moins crispé, les voix que son pouvoir parvenait à capter semblant l’avoir laissée tranquille.

  • Je suis désolé, lui dit Alaric, le visage défait.

Il se souvint aussi clair que de l’eau de roche de son corps crispé, tressaillant sous son aura meurtrière qui ne lui était pas destinée. Elle n’avait pas été consciemment la cible de sa colère, mais elle en avait payé les frais.

La télépathe secoua la tête frénétiquement, le corps encore secoué de spasmes causés par l’adrénaline et la peur, envoyant des mèches de cheveux dans tous les sens.

  • Je n’ai pas su me contrôler face à ces hommes. Je n’aurais pas dû les laisser devenir une aussi grande menace, commença-t-elle.

Elle aurait voulu lui expliquer qu’elle se sentait responsable, qu’elle n’avait pas voulu l’entraîner dans ce tourbillon qui avait surgi dans sa tête, mais sa voix s’éteignit soudainement. Elle éclata en sanglots, cachant son visage de ses mains. Toute la peur et les mauvais souvenirs que celle-ci avait déterrés lui revinrent telle une vague inarrêtable. Les bras rassurants d’Hildr l’entourèrent et elle ne se gêna pas pour se caler contre elle.

Les jumeaux et Cast laissèrent les deux jeunes femmes dans leur coin, voyant Hildr murmurer à l’oreille de la télépathe des choses qui ne les regardaient pas.

  • Un d’eux a vu ce que nous sommes, il est comme Rei, fit Alaric, à l’intention de sa sœur, attirant l’attention de celle-ci.

Elle vint s’asseoir à ses côtés. Cast resta debout, gardant une attitude nonchalante malgré son regard alerte. Il balaya les lieux, la mine un peu défaite. Il était complètement dépassé par la situation même s’il ne le montrait pas, face aux quatre magiciens qui semblaient avoir tout vécu malgré leur jeune âge. Si c’était ça le prix de la magie …

  • Pendant un moment, j’ai senti …

Alaric chercha ses mots, le regard trouble, lointain. Inquiète, elle se rapprocha, pour lui permettre de lui parler sans élever la voix et s’épuiser encore plus.

  • Le barrage que j’ai créé, pour ma magie, elle l’a fait céder comme un si ce n’était que du verre, je n’ai rien pu faire …

Il ne lui en voulait pas. Toute la culpabilité et la honte, il les prit sur ses épaules. Voyant ce qu’il était en train de faire, Talia le força, avec des gestes néanmoins doux, à la regarder dans les yeux, pour éviter qu’il ne se perde.

  • Rien de grave ne s’est produit, lui dit-elle. La faute est sur ces brutes, d’accord ?

Sa voix était vibrante de colère. Le visage d’Alaric se tordit en une grimace. Il luttait contre elle, contre ses paroles et sa raison, elle le savait. Elle l’entoura de ses bras pour le serrer contre elle.

  • J’aurais pu les tuer, et aussi Veenya et …
  • Mais ce n’est pas ce qui est arrivé, d’accord ?

Elle affermit sa prise autour de lui, pour qu’il se concentre sur elle plutôt que ses pensées dévastatrices. Elle savait ce qu’il voulait lui dire. Mais elle refusait que les mots ne franchissent ses lèvres, qu’il les rende réels et qu’ils prennent toute la place, comme son frère avait tendance à le faire. Elle ne lui en voulait pas du tout, sachant parfaitement que ce n’était pas sa faute.

Ils pouvaient s’en sortir. Ils l’avaient déjà fait et allaient réussir à nouveau.

  • On va rentrer, fit Hildr, qui avait passé un bras autour de la taille de la magicienne aux yeux argentés. Vous venez ?

Les Voyageurs hochèrent la tête à l’unisson. Cast aida Talia à soutenir son frère et la petite troupe se remit en marche, en direction des murs réconfortants du château.

Le lendemain matin, Hildr vint toquer à leurs chambres pour leur faire savoir que Veenya était indisponible pour la journée. Les jumeaux comprirent mais s’inquiétèrent. La fille enflammée balaya leurs inquiétudes d’un revers de la main, même si, contrairement à son habitude, elle n’avait plus son air taquin sur le visage.

  • Elle a seulement besoin de repos, loin de toutes pensées et tout ce qui pourrait la parasiter. Elle m’a tout de même demandé de voir comment tu vas, Alaric.

Elle posa son regard tout aussi inquiet sur lui. Le jeune homme baissa les yeux, ne se sentant pas légitime à ressentir le trouble et l’épuisement qui avaient envahi chaque partie de son corps et son esprit.

  • Ça va aller, marmotta-t-il. Mais … Mais tu pourrais lui dire que je suis désolé, s’il-te-plait ?

Il leva honteusement les yeux vers Hildr. Celle-ci fit la moue.

  • Ne le sois pas, elle ne t’en veut pas. Vous avez, tous les deux, été entraînés dans une situation incontrôlable et tout a explosé. C’est ce que la magie encore mal maîtrisée fait, provoque. Vous n’y pouvez rien, si ce n’est qu’apprendre et faire mieux la prochaine fois !

Son ton amical s’était fait un peu plus ferme, pour éviter que le jeune homme ne soit tenté d’essayer de s’excuser à nouveau.

  • Va te reposer d’accord ? Pas d’entraînement aujourd’hui ! N’hésite pas à l’attacher si besoin, toi, fit Hildr en faisant un clin d’œil à Talia.

Alaric leva les yeux au ciel, mais était trop épuisé pour protester convenablement. Il ne se sentait pas de se plonger dans quoi que ce soit aujourd’hui, effectivement. À vrai dire, s’il pouvait éviter de penser à la magie pendant quelques heures, il se sentirait certainement mieux.

Les jumeaux passèrent une partie de la journée ensemble, Talia profitant de l’oreille attentive de son frère pour lui raconter tout ce qu’elle avait appris dans son domaine préféré, la botanique. Elle prit soin d’éviter autant que possible le sujet de la magie, comprenant qu’il avait besoin de se changer les idées.

X

  • Sa Majesté vous convoque expressément dans la salle du trône, leur fit le serviteur, qui les avait trouvés dans un des jardins intérieurs, tranquillement posés.

Ils se jetèrent un regard inquiet avant de se relever et de suivre l’homme taciturne, avare sur les informations. Pour que le roi les convoque, il devait s’agir de quelque chose d’important. Leur première pensée fut qu’il avait eu vent de l’incident de la veille. Mais ils finirent par écarter cette pensée angoissante de leur esprit, puisque le haut-mage était plus enclin à gérer ce genre d’événements.

Ils pénétrèrent la salle, y découvrant avec surprise énormément de gens qui discutaient de manière animée. Apercevant Veenya et Hildr un peu plus loin, les jumeaux ne se firent pas prier pour les rejoindre. Talia ouvrit la bouche pour demander ce qui se passait mais la télépathe la prit de vitesse, secouant la tête, avant de baisser celle-ci, les yeux semblant fixer un point qu’elle seule pouvait voir. Les sourcils froncés par l’inquiétude d’Hildr ne les rassurèrent pas du tout.

Talia chercha le bras de son frère, le cœur battant. Elle avait un mauvais pressentiment. Son regard balaya l’assemblée. Elle reconnaissait quelques visages, bien que ne les ayant pas côtoyés ces derniers mois. Des généraux, des chevaliers, des conseillers … Oui, quelque chose de grave se préparait. Mais elle ne comprenait pas du tout ce que son frère et elle faisaient là.

Wallon émergea d’une porte un peu à l’écart du trône. Il n’y prit pas place, préférant rester debout, son visage fermé et grave parcourant ceux et celles qu’il avait convoqué. Rapidement, sans qu’il ait prononcé un seul mot, le silence se fit. Malgré qu’ils pouvaient entendre une mouche voler, l’ambiance était lourde de tension.

  • Il y a quelques heures, nos fauconniers ont reçu plusieurs messages de détresse provenant du royaume de Kald.

Talia vit Veenya rentrer la tête entre ses épaules, l’esprit sûrement assailli par des dizaines de pensées paniquées. Instinctivement, la Voyageuse prit sa main dans la sienne et la serra, mettant à profit ce que la télépathe lui avait enseigné pour lui envoyer une vague d’apaisement. Cette dernière leva la tête, surprise, vers elle, avant de laisser un mince sourire de remerciement étirer ses lèvres. Elle ne lâcha pas la main de Talia, serrant doucement celle-ci avec ses doigts tremblant de fatigue.

  • Plusieurs troupes ennemies que nous pensions jusqu’à présent indépendantes ont réussi à pénétrer les frontières de Kald, saccageant des dizaines de villages sur leur chemin.

Cette fois, des murmures se firent entendre dans l’assemblée. Beaucoup semblaient avoir compris la suite de ce qu’allait annoncer leur roi au visage toujours imperturbable.

  • Pour l’instant, la capitale n’est pas en danger, l’ordre kaldienne a réussi à repousser les attaques et à stopper l’avancée de l’ennemi. Par contre, plusieurs rapports mentionnent une recrudescence d’actes magiques malveillants.

Ils écoutèrent le roi faire un rapide survol de la situation jusqu’alors peu préoccupante des mages maléfiques sévissant dans les régions dites libérées, pointant le fait que, après la mort d’un de leurs puissants guetteurs, ils se soient montrés plutôt discrets. Le haut-mage avait cependant gardé un œil sur l’activité magique de la région, croyant, à raison, qu’il pourrait y avoir une possible organisation magique se formant discrètement dans les réseaux souterrains en dehors de son champ de vision.

Plusieurs mages puissants avaient donc commencé à faire des ravages, aidant les troupes rebelles. Alaric et Talia se regardèrent. Ils comprenaient leur lien avec la magie, mais toujours pas la raison de leur présence. Ils n’avaient rien à voir avec ces attaques et restaient des novices.

De plus en plus nerveux, ils durent cependant patienter longtemps, laissant le roi s’organiser avec ses différents généraux et plusieurs représentants des seigneurs des villes avoisinantes.

La salle se vida peu à peu à mesure que chacun recevait les informations nécessaires. Les membres de l’armée du roi furent les derniers à quitter avant les quelques mages encore présents. Ils finirent par se retrouver en compagnie du roi, du haut-mage, d’Hildr, de Veenya et de quelques magiciens qu’ils n’avaient jamais vus.

  • Merci d’avoir pu vous déplacer en seulement quelques heures, commença le roi à l’intention de ces mages inconnus, qui inclinèrent la tête respectueusement en retour.
  • La guilde des mages d’Harsonia sera toujours à votre service, Maître Talaman, Votre Majesté, fit l’un d’eux d’une voix frêle causée par son grand âge.

Le haut-mage prit alors la parole, recueillant pendant quelques minutes les rapports des mages qu’il avait vu grandir et à qui il avait enseigné ces dernières décennies, qui avaient été éparpillés un peu partout à travers l’Héodeni. Malgré tout, ils restaient peu nombreux face à une telle menace grandissante partout sur le continent. Et pour nombre d’entre eux, peu avaient les connaissances nécessaires en magie noire sans avoir été infectés par celle-ci.

Le haut-mage avait fondé nombre de ses espoirs sur une paix de quelques années encore, le temps de finir de former la jeune Hildr, qui devait initier le rang de haut-mage à la cour de Kald et former à son tour une nouvelle génération de mages.

Les magiciens finirent par partir, réduisant l’assemblée encore plus. Alaric et Talia, s’étant fait tout petit dès le début, se rapprochèrent légèrement de leurs amies. Ce fut néanmoins le roi qui s’adressa à eux, répondant enfin à leurs questions silencieuses.

  • Talaman a proposé de vous faire venir à cette assemblée pour que vous ayez une idée de ce qui se passe.

Son regard, un peu plus tranquille et ouvert que lorsqu’il s’adressait à ses conseillers, se posa sur eux.

  • J’ai eu vent que vos progrès avancent bien.

Ils furent soulagés du fait qu’il passa l’incident de la veille sous silence, même s’ils ne doutaient pas qu’il avait été informé. Ou, du moins, le grand mage.

  • Il va de soi que j’aurais préféré vous accueillir alors que nous sommes en temps de paix, continua-t-il d’une voix compatissante. Malheureusement, les événements récents ne me laissent pas énormément d’options.
  • Vous voulez qu’on participe à cette … cette guerre ? intervint Talia, comprenant enfin ce à quoi rimait tout ceci.

Elle ne put empêcher l’élan de rébellion et de peur grandir en elle. Ils étaient hors de question qu’ils se jettent dans la bataille et se fassent tuer !

L’homme leva doucement les mains, voyant l’air paniqué des Voyageurs.

  • Vous êtes mes invités ici, et non mes sujets. De plus, vous n’avez pas eu vraiment le choix. Je ne vous ordonne pas de rejoindre nos troupes. Mais j’aimerais simplement vous faire part de l’urgence de la situation. Vous êtes les seuls Voyageurs dont nous avons connaissance, vous seriez un atout non négligeable dans le retour de la paix.
  • Mais nous ne sommes pas des guerriers ! s’exclama Alaric, quittant son mutisme angoissé brusquement. Je ne vois pas en quoi nous serions un atout !

Le roi lui lança un regard compatissant. Il comprenait parfaitement le désarroi de ses étranges invités, mais la situation alarmante demandait des moyens plus drastiques.

  • Pour le moment, non. Vous avez encore beaucoup à apprendre. Mais vous ne devez pas ignorer le pouvoir que vous avez entre vos mains, intervint Talaman.

Talia tourna la tête vers Hildr et Veenya, ne sachant pas quoi penser de tout ça. Ils avaient été arrachés de leur monde contre leur volonté et ils avaient accepté de rester ici, en aucun cas il n’était question d’une guerre. Malgré tout, elle repensa à Madragore, aux villages pillés, à la brutalité qu’ils avaient vécue. De pauvres gens vivaient dans cette situation horrible tous les jours et perdaient la vie. Elle eut soudainement la nausée à cette pensée mais fit tout pour rester impassible.

  • Pouvons-nous y réfléchir ? demanda-t-elle d’une voix hésitante.
  • C’est tout ce que vous demande, répondit Wallon en lui faisant un sourire bienveillant malgré les rides aux coins de ses yeux qui montraient son inquiétude et sa fatigue.

Les jumeaux et les deux autres apprenties prirent finalement congé et se retrouvèrent, les quatre, dans le couloir. Hildr et Veenya pouvaient voir que leurs deux amis étaient complètement perdus à la suite de cette rencontre alarmante, et probablement secoués.

  • Hey ! On a le temps ! tenta Hildr d’une voix qui se voulait enjouée, entourant leurs épaules nouées par la tension. On va simplement augmenter le rythme pour vous apprendre le plus possible, juste au cas, mais ça ne vous engage à rien, d’accord ?

Talia se dégagea doucement pour faire face à la fille du feu, le visage cette fois beaucoup plus angoissé.

  • Je ne sais pas ce qu’on peut bien faire dans tout ça, répondit-elle, se triturant les mains.

Elle faillit leur asséner que, après tout, ce n’était pas leur monde, mais elle ressentit aussitôt une vague de culpabilité l’envahir. En quelque sorte, il l’était maintenant.

Hildr quitta les épaules d’Alaric, qui restait silencieux, le visage blême, pour se saisir de celles de Talia pour la forcer à la regarder dans les yeux, essayant de lui communiquer toute sa confiance.

  • On trouvera quelque chose, d’accord ? Il y a plein de moyens d’être utile. Et puis, comme l’a dit Talaman, pour le moment, ne vous préoccupez que de vous améliorer, d’accord ?

Talia se détendit légèrement face à l’aura enthousiaste que dégageait la magicienne et hocha doucement la tête. Ils allaient faire ça. Prendre cette situation au jour le jour était la meilleure solution, sinon ils n’allaient pas s’en sortir. Elle tourna la tête vers son frère, qui n’avait pas prononcé un mot depuis son élan de protestation d’un peu plus tôt. Elle espérait pouvoir lui parler bientôt, quand ils seraient seuls, sachant parfaitement qu’il risquait de se renfermer sur lui-même si elle ne faisait rien.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez