Chapitre 20

Par Ohana

Hildr et Veenya se firent un point d’honneur à mettre sur pied ce qu’elles avaient promis, intensifiant l’enseignement de la magie aux deux Voyageurs. Alaric passa aussi énormément de temps avec le haut-mage, pour parfaire la maîtrise de la magie des sceaux, s’impliquant de plus en plus dans des sorts complexes qui lui permirent de se vider la tête de son angoisse. Talia, quant à elle, préféra parfaire sa maîtrise de la magie de la terre, même si Hildr ne cessait de vouloir développer son affiliation avec le feu. Elle se sentait beaucoup plus à l’aise avec les plantes, et ne comprenait pas vraiment comment il était possible d’avoir des maîtrises aussi opposées.

  • Chaque magie a sa raison d’être, tu trouveras au fond de toi-même la réponse à cette question, lui avait dit un jour le haut-mage, voyant qu’elle tergiversait beaucoup trop à ce propos.

Un jour, elle fit irruption dans la chambre de son frère sans frapper, le retrouvant la tête sous son oreiller, gémissant.

  • Qu’est-ce que tu fais là ? grogna-t-il, voyant désespérément le sommeil s’éloigner de lui, dardant un œil épuisé sur elle.

En riant, elle se saisit de l’oreiller et le frappa avec, ne faisant que provoquer d’autres grognements.

  • Arrête, je profite d’un moment de répit avant de retrouver le dragon, gémit-t-il.

Hildr lui avait fait la misère durant tout l’avant-midi et il comptait profiter de ses quelques minutes où il pouvait souffler pour récupérer de ses courbatures et panser ses blessures.

  • Elle n’est pas si pire que ça, le taquina Talia en s’asseyant sur le lit, ne se gênant pas pour pousser les jambes de son frère pour se faire une place.

Évidemment, elle n’en croyait pas un mot. La jeune femme enflammée était vraiment terrifiante lorsqu’elle le voulait. Heureusement, celle-ci avait porté son attention sur son frère ces derniers jours, permettant à Talia de souffler.

  • J’ai trouvé un truc intéressant, fit-elle, lui grimpant dessus pour lui mettre un doigt dans l’oreille, dans le but de le réveiller.

Alaric chassa sa main et la repoussa légèrement en poussant un long soupir dramatique. Il se redressa, sachant pertinemment qu’elle n’en démordrait pas. Si sa curiosité avait été piquée et qu’elle voulait lui partager ce qu’elle avait découvert, il ne pouvait rien faire, mis à part l’écouter.

  • La dernière fois que tu as dit ça, on s’est fait manger par un arbre, je te rappelle, bougonna-t-il.

Il ramena ses jambes contre lui pour s’asseoir en tailleur et croisa les bras, lui faisant signe que malgré sa mauvaise humeur, il l’écoutait. La voir comme ça lui rappelait le monde d’avant. Au-delà de ce voyage impossible, et surtout, bien avant cet événement tragique qui avait changé leur vie.

Talia étala sur le lit des cartes, un livre et plusieurs notes écrites de sa main. Le jeune homme arqua un sourcil devant un tel fouillis mais ne fit aucun commentaire.

  • J’étais en train de me renseigner sur la nature purificatrice de la maîtrise de la terre et j’ai eu une idée !

Elle lui raconta ses conversations avec Veenya et l’autre jeune apprentie aux pouvoirs semblables au sien. Avec les événements récents, elles avaient fini par dévier sur la corruption de la magie, et Talia leur avait raconté leur rencontre avec Rei. Veenya n’avait pas été surprise par ses propos, sachant parfaitement qu’Argon était un lieu obscur depuis plusieurs années maintenant.

  • Je crois qu’il y aurait moyen de purifier Argon, conclut Talia, fixant, surexcitée, la réaction de son frère.

Ce dernier lui jeta un coup d’œil perplexe. Purifier une forêt entière ? Peuplée de créatures abominables ? Qui avait le pouvoir de modifier la nature des gens qui s’y perdaient, ou pire ? La jeune femme secoua l’air de sa main.

  • Je sais, je sais, comme ça, ça a l’air surréaliste et impossible, mais penses-y ! Quelque chose là-bas empoisonne la terre, et je suis sûre qu’il y a un moyen de faire quelque chose !
  • Mais, Tal …
  • T’imagine, si on arrivait à libérer les villages environnants de la magie noire qui y règne ?
  • Tal … tenta à nouveau Alaric, un air incertain sur le visage.

Cette fois, ce fut au tour de la jeune femme de pousser un long soupir, voyant bien que son frère doutait fortement de son initiative. Alaric prit quelques secondes pour choisir soigneusement ses mots, ne voulant pas blesser sa sœur.

  • S’il y avait un moyen de régler ça, tu ne penses pas que des gens plus … qualifiés que nous l’auraient déjà fait ?

Talia secoua la tête.

  • Pas avec la situation actuelle, il y a beaucoup trop à faire ailleurs ! J’en ai discuté avec Vee. Tu te souviens des écorcheurs ? Ils viennent d’Argon et, pourtant, on en a rencontré jusqu’ici ! Je pense que la magie néfaste de ce lieu a des répercussions au-delà de tout ce qu’on pourrait imaginer. On pourrait au moins couper une source de cette magie, ça serait déjà pas mal, non ?

Alaric garda le silence. Elle n’avait pas tort, à vrai dire. Ils pourraient peut-être être utiles, à leur manière, sans avoir besoin de se jeter dans une bataille et un flot de sang.

  • Tu as besoin de moi ? demanda-t-il.
  • Oui, c’est pour ça que je t’en parle, répondit sa sœur, un grand sourire sur les lèvres. Est-ce que tu pourrais te renseigner sur des sceaux permettant d’enfermer ce genre de mal ou encore de le contrer ?

Le jeune homme haussa les épaules.

  • Je peux toujours jeter un coup d’œil, admit-il, même s’il était déjà débordé avec ce que lui donnait le haut-mage.

Mais pour sa sœur, il ferait n’importe quoi. Cette dernière le regarda avec enthousiasme, allant coller un baiser bruyant sur sa joue. Il grommela.

  • Tu me laisses dormir maintenant ? gémit-il faussement.
  • Dors bien, marmotte ! Et essaie de ne pas te faire encore mettre une raclée par Hildr ! le taquina-t-elle en rigolant.

Elle sauta sur ses pieds avant qu’il n’ait pu protester, ramassa tout son fouillis et disparut avec la force d’une tornade de la chambre. Poussant un soupir amusé, puis découragé en pensant à l’entraînement du soir, il se laissa retomber sur le dos.

X

  • Ouvre les portes !

Alaric sursauta et papillonna des paupières, émergeant brutalement du sommeil qu’il avait réussi à trouver quelques heures plus tôt. La pièce plongée dans l’obscurité lui fit comprendre que le soleil ne s’était pas encore levé. Il n’y avait aucun bruit provenant de l’extérieur, tout le château était encore endormi. La tête dans le brouillard, grognant de mécontentement, il roula sur le côté pour enfouir son visage dans son oreiller, espérant gagner encore quelques heures de sommeil avant d’avoir à se lever. Il sentit son esprit glisser à nouveau vers les bras de Morphée.

  • Ouvre les portes !

Cette fois, il se redressa dans son lit, le cœur battant. Il se frotta les yeux pour enlever les dernières traces du cauchemar dans lequel il était en train de s’enfoncer. Cauchemar qu’il n’arrêtait pas de faire depuis quelques jours. Il ne saurait dire exactement ce qui s’y passait, mais il se rappelait toujours cette voix.

Mécontent de ne pas arriver à se rendormir sereinement, il lança un bref sort pour illuminer doucement la pièce le temps de rassembler ses affaires. S’il ne pouvait pas dormir, il pouvait au moins profiter de cette heure indécente pour avoir les bains pour lui tout seul. Il n’était pas particulièrement pudique, tout comme sa sœur, puisqu’ils avaient déjà dû vivre dans des familles où ils étaient empilés les uns sur les autres, ou encore dans des foyers qui ne permettaient pas vraiment d’intimité. Mais il ne pouvait dire non à un peu de tranquillité.

Revenant une demi-heure plus tard dans sa chambre, plus réveillé et la tête moins confuse, il s’installa à son bureau pour réviser ses notes prises depuis qu’il avait commencé à faire des recherches pour le projet de sa sœur. Il avait finalement réussi à se caler un peu de temps pour y porter son attention.

Les plans de Talia étaient techniquement possibles, mais il était nécessaire d’avoir une grande quantité de magie. Plus grande que tout ce qu’ils pouvaient se permettre d’utiliser sans avoir des séquelles. Il y avait aussi la solution d’enfermer le mal sur une partie de la région plutôt que la totalité, ce qui était plus simple, mais il y avait plus de risque que le sceau finisse par s’user et se briser, à moins d’être entretenu.

Talia était cependant catégorique, elle voulait éradiquer totalement le mal de cet endroit. Il y avait sûrement un moyen de combiner la magie de la terre à celle des sceaux, elle en était certaine, malgré les doutes d’Alaric quand ils passaient des nuits à en discuter.

Lorsqu’il entendit enfin le chant des coqs, il leva la tête et vit une faible lumière à sa fenêtre. Le soleil était en train de se lever, tout comme l’entièreté du château. Alaric prit le livre qu’il était en train de lire et se rendit aux cuisines pour prendre son déjeuner, y croisant évidemment Hildr et Veenya, en pleine forme. Il fit un sourire dégoulinant d’innocence envers la fille du feu, espérant l’amadouer. Le rictus qu’elle lui renvoya fit éclater tout espoir de passer au moins une journée sans être complètement courbaturé.

Talia vint les rejoindre quelques minutes plus tard, les cheveux encore mouillés. Les cernes sous ses yeux lui firent savoir qu’elle passait beaucoup trop de temps dans ses recherches. Plus que lui, alors qu’il était plus sujet à l’insomnie. Se retenant de la sermonner, sachant qu’une de leurs deux mentors n’allait pas manquer de le faire lorsqu’elle se montrera trop fatiguée lors de son entraînement, il échangea plutôt avec elle ses dernières recherches. Aussitôt, les yeux de la jeune femme se remirent à briller. Elle balaya ses doutes quotidiens de la main, et ils échangèrent pendant quelques minutes, leurs amies se joignant au final la conversation pour former un gigantesque brainstorming, comme ils en avaient l’habitude.

  • Cast va être à l’entraînement aujourd’hui, annonça Hildr.

Alaric haussa un sourcil, surpris. Ils n’avaient pas vu leur ami chevalier depuis quelques temps déjà. Avec la situation actuelle, l’Ordre était en effervescence. Lisant sa question silencieuse sur son visage, Veenya prit la parole.

  • Avec la présence des mages noirs, le roi et Maître Talaman ont décidé qu’il fallait réduire la distance qui s’est creusée entre l’épée et la magie. Malheureusement, beaucoup de non-praticiens sont méfiants envers les arts mystiques et ne veulent pas s’en approcher. Les troupes que le roi envoie risquent d’être confrontées à des situations pour lesquelles ils ne sont pas préparés.
  • Ce sera donc une sorte de cours intensif de « Comment ne pas se faire tuer par un sort au passage » ? demanda en grommelant Alaric. Mais pourquoi juste Cast ?
  • Pour faire un test. Beaucoup de chevaliers voient d’un mauvais œil cette … alliance, si je peux l’appeler ainsi, répondit la télépathe. Puisque Cast est proche de nous, ils ont trouvé que c’était un bon point de départ, on risque moins de rencontrer de résistance et ainsi de perdre du temps précieux.

C’était plutôt logique et la meilleure marche à suivre. La jeunesse venait souvent avec une certaine ouverture d’esprit. Alaric ressentit cependant un malaise. Jusqu’à présent, ils ne s’étaient entraînés qu’avec Veenya, Hildr et parfois d’autres apprentis, à l’abri des regards. Certes, ils avaient souvent côtoyé le jeune homme sympathique, mais jamais ils n’avaient réellement discuté de magie.

Le jeune homme était déjà là lorsqu’Alaric et Hildr arrivèrent dans la cour intérieure qui leur servait de lieu d’entraînement.

  • Alors, c’est ici qu’on voit les maîtres à l’œuvre ? les taquina Cast, un immense sourire sur les lèvres.

Alaric garda le silence.

  • Tu vas moins rigoler d’ici quelques instants, répondit Hildr avec un sourire féroce, faisant blêmir le chevalier.

Ce dernier jeta un regard incertain vers le Voyageur, qui le lui rendit. Hildr demanda à Alaric de se mettre en position et ils entamèrent les exercices qu’ils avaient fini par établir au début de chaque entraînement. En même temps qu’ils s’échauffaient, la fille enflammée expliquait brièvement les bases de la magie à Cast. Ce dernier, assis en tailleur sur un muret, son épée posée négligemment à côté de lui, buvait ses paroles.

  • Si on entend un type baragouiner des paroles étranges, on court se mettre à l’abri, résuma-t-il en rigolant.
  • Si tu as le temps et la chance de le faire, oui, répondit férocement Hildr. Al, tu lui montres ?

Le jeune homme jeta un coup d’œil incertain à Cast, puis à Hildr, pour revenir à leur ami. Ce dernier s’était relevé, un air joueur sur le visage, ses yeux curieux posés sur le nouveau mage.

  • Donne tout ce que tu as, l’encouragea Cast, qui se mit en position, prêt à riposter.

Il ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, mais il devrait aisément esquiver toute attaque venant du mage, il en était certain. Un peu moins lourd que ses aînés dans l’ordre, il profitait souvent de ce fait et jouait de rapidité. Au fil du temps, malgré son jeune âge, il avait fini par avoir une réputation de fine lame exemplaire et il en était fier. Le jeune homme avait beaucoup travaillé pour en arriver là.

Voyant le regard de son adversaire du moment devenir bleu glacé, il se tendit, concentré. Alaric ouvrit ses paumes, faisant danser des cristaux de glace sur celles-ci. Ne l’entendant émettre aucun son, Cast se méfia légèrement. Évidemment, le domaine de la magie lui était totalement inconnu. Il fallait qu’il soit plus prudent. Mais il ne pouvait pas s’empêcher d’être confiant en ses capacités. Il déjouait la plupart de ses adversaires et ses récentes sorties pour combattre des troupes de brigands ou encore d’écorcheurs avaient été un succès.

D’un mouvement leste, le jeune chevalier esquiva comme il l’avait prévu l’attaque glacée d’Alaric, un sourire sur les lèvres. Sourire qui disparut lorsqu’il vit la silhouette de ce dernier s’effacer brusquement. Déstabilisé, le jeune homme fit un pas en arrière. Il s’immobilisa et cligna des paupières, surpris, lorsqu’il retrouva Alaric juste en face de lui, un couteau sous la gorge. Pour une fois, le jeune mage arborait un sourire joueur, un éclat bleuté et féroce dans les yeux.

Éclatant de rire, la surprise passée, Cast leva les mains. Se rendant compte de sa proximité avec le chevalier, Alaric rougit et s’empressa de baisser son arme en reculant de quelques pas, une main se frottant la nuque de gêne. Évidemment, il avait profité du fait que leur ami ne connaissait rien à la magie pour user de celle-ci en sa faveur, utilisant le sort de mouvement furtif que lui avait appris Hildr alors que son adversaire était occupé à éviter sa première attaque.

  • Bien, je vois que tu t’améliores, tête de linotte, ricana Hildr, qui était apparue à ses côtés.

Elle lui passa avec force une main encourageante dans sa tignasse en un geste affectueux. Alaric bondit sur le côté pour échapper à sa poigne taquine en grognant, à son habitude. La magicienne avait tendance à agir promptement pour le prendre par surprise, tout pouvait être sujet à un test.

  • On recommence ? s’exclama le chevalier, enthousiaste.

Sans attendre, le trio se remit au travail.

Au bout de deux heures, exténués, ils firent une pause pour se désaltérer et récupérer. Mangeant une poignée de noix qu’avait amené Alaric, Cast s’affala contre un des murets, à l’ombre.

  • En vrai, ça serait bien d’avoir un moyen de détecter la magie ou de s’en protéger sans nécessairement avoir besoin de lancer des sorts, à la manière de nos armures contre les armes de nos ennemis, fit-il, la bouche pleine, un pli pensif sur le front.
  • Le haut-mage ne l’a jamais envisagé ? demanda Alaric à l’intention d’Hildr.

Celle-ci haussa les épaules.

  • Essaie de convaincre une bande de gros bras qui a peur de la magie d’être en permanence entouré de sorts de protection et d’avoir à côtoyer chaque jour un mage qui serait là pour maintenir ceux-ci, fit-elle.
  • Hey ! protesta Cast.
  • Ben quoi ? C’est la vérité ! le taquina-t-elle en faisant une grimace comique.
  • Et des sceaux de protection ? Sur les armures, je veux dire, intervint Alaric.

Hildr posa un regard intéressé sur lui, le poussant à développer sa pensée.

  • Ce serait moins compliqué à mettre en place et à maintenir. Certes moins efficace qu’un bouclier de protection comme les nôtres, mais ça ne demanderait pas la présence d’un mage constamment, et l’apport en énergie serait moindre.
  • Pourquoi ça n’a pas déjà été proposé ? demanda Cast, séduit par l’idée.
  • Parce que cette magie n’a pas encore été énormément étudiée, peu de mages y ont porté un réel intérêt, mis à part le haut-mage et maintenant … répondit Hildr en désignant le Voyageur de la main.

Ce dernier rougit, n’appréciant pas les regards surpris et admirateurs que ses amis portaient sur lui. Il ne trouvait pas ce qu’il faisait extraordinaire, même s’il y portait un intérêt marqué.

Le chevalier, enthousiaste face à cette idée, se mit à s’agiter.

  • Retrouve-moi au camp d’entraînement demain matin Al ! fit-il, semblant être remonté sur des ressorts. Et amène tout ce qu’il te faut pour tes sceaux !

Incertain, le jeune mage tourna son regard vers Hildr, qui approuva. Elle allait s’occuper du groupe de guerriers qui leur avait été assignés. Ce serait, à son sens, un bon exercice pour ses futures fonctions.

Se remettant vigoureusement sur ses pieds, elle annonça alors la reprise de la séance d’entraînement. Les deux garçons protestèrent mais elle fit la sourde oreille, un grand sourire sur les lèvres.

X

Le lendemain, Alaric prit une monture à l’écurie et dut parcourir une petite partie de la ville pour rejoindre un des camps d’entraînement de la garde du roi. Il n’était pas très à l’aise de se déplacer seul ainsi, mais l’enthousiasme de son ami à propos de son idée le rendait beaucoup plus joyeux qu’il ne l’était normalement. Talia lui avait fait la remarque avant qu’ils ne séparent le matin même, ce qui l’avait fait rougir mais sans plus. Son esprit était déjà en train de carburer, réfléchissant à toutes les possibilités que cette magie offrait. Il n’était sûr de rien, mais il avait étrangement envie d’expérimenter.

Saluant nerveusement d’un hochement de tête les gardes à l’entrée, il fit accélérer sa monture sur la route de terre. Il pouvait déjà voir les bordures du camp d’entraînement. Voyant la silhouette de Cast se découpant dans la lumière naissante du matin, il ralentit à sa hauteur pour ensuite s’arrêter, mettant pied à terre.

  • Bonjour ! fit le jeune chevalier, débordant d’énergie.

Alaric le suivit, la bride de sa monture dans une main, son regard parcourant avec angoisse les alentours. Il régnait déjà une certaine frénésie dans le camp, qui était formé de plusieurs rangées de tentes entourées par une barrière bancale. Aussi près de la capitale, il n’y avait pas cette urgence de se protéger. Il était difficile d’admettre, qu’un jour, il en serait peut-être autrement.

Rapidement, il remarqua que quelques regards se tournaient sur leur passage. Sentant l’anxiété prendre le pas sur tout le reste, il se força à se dire que ce n’était que son imagination. Le jeune homme concentra toute son attention sur Cast, qui déblatérait joyeusement sans vraiment chercher à faire réellement la conversation, ayant sûrement compris qu’il n’arriverait pas à meubler celle-ci en forçant le Voyageur à lui répondre. Il lui expliqua donc le fonctionnement des lieux, glissant quelques anecdotes par ci, par là.

  • Ici, c’est bien ? lui demanda alors son ami.

Ils s’étaient arrêtés à un espace dégagé entre plusieurs tentes, assez larges pour permettre à plusieurs hommes ou femmes de se mouvoir, et assez prêt pour ne pas être trop éloigné de la vie du camp. Alaric hocha la tête, même si son regard était constamment attiré par des mouvements non loin. Il allait devoir faire avec.

Pour combattre la nervosité, il se concentra sur son matériel, qu’il déballa hâtivement, se servant d’un tronc d’arbre travaillé pour faire office de banc comme table de travail. Il avait amené l’encre spéciale dont il se servait pour graver ses sceaux, le stylet et diverses notes. Il avait conscience du regard de Cast par-dessus son épaule, le rendant encore plus mal à l’aise.

  • Alors, on commence par quoi ? lui demanda, impatient, le chevalier.

Voyant son regard brillant d’excitation, Alaric ne put s’empêcher de laisser un sourire poindre sur ses lèvres. L’air motivé et enthousiaste de son ami le détendit légèrement. Cast n’en avait peut-être pas conscience, mais son aura était communicative. Ou peut-être était-ce simplement parce que le Voyageur était un peu plus à l’aise en sa présence ?

  • J’ai quelques idées, balbutia Alaric, rougissant légèrement en retrouvant cette sensation oppressante de ne pas savoir ce qu’il faisait.

Expliquant son idée à Cast, il n’eut pas besoin de demander, ce dernier lui amenant une plaque de fer non travaillée qu’ils se servaient pour fabriquer leurs armures. Saisissant la pièce, le Voyageur fut surpris de sa lourdeur.

  • Ah ben oui, c’est qu’il y a des muscles là-dessous, fanfaronna le chevalier, un grand sourire sur le visage.
  • Tu m’expliques comment tout ça fonctionne ? lui demanda Alaric, préférant éviter de rebondir sur sa taquinerie, sentant son visage s’enflammer à nouveau.

Le chevalier ne se fit pas prier pour détailler l’équipement de ses frères et sœurs d’armes. Assis à même le sol, les jambes croisées, le jeune mage prenait des notes. Au bout d’un moment, il se surprit à apprécier l’exercice, que ce soit de converser avec son ami que de réfléchir à voix haute pour développer sa pensée. Ce sentiment d’être à l’aise était nouveau pour lui. Et ce n’était pas du tout désagréable.

Concentré, il ne vit pas que Cast l’observait lorsqu’il avait les yeux baissés sur ses notes, le morceau de fusain noircissant les pages et lui tachant les doigts. Le chevalier repensait à sa rencontre avec ces deux magiciens complètement perdus, sales, blessés et épuisés, que sa troupe avait sortis d’un très mauvais pas. Il avait su communiquer aussitôt avec Talia, malgré une certaine méfiance, mais avait rencontré un mur froid lorsqu’il s’était adressé à son frère. Il était persévérant, mais pendant un moment, il se souvenait s’être dit qu’il n’arriverait jamais à tirer un sourire à ce garçon d’à peu près son âge, qui avait le regard tourné vers un passé qu’il ne pouvait pas voir.

  • Alors ?

La voix d’Alaric le sortit de ses pensées et, sur le coup, le jeune guerrier posa un regard surpris sur lui. Revenant à l’instant présent, Cast porta son attention sur la tâche à accomplir.

  • Un sceau pour contrer les attaques massives sur le plastron me semble bien, j’ai vu quels dégâts peut faire Hildr avec sa magie du feu, approuva le jeune chevalier. Et tu parlais d’un deuxième ?

Alaric se mordit la lèvre, pensif.

  • Oui, il faudrait trouver une surface plus souple que le métal. Le premier sceau finira par se briser à force, donc autant utiliser cette pièce d’armure, sa large surface me permettra d’ajouter quelques cercles de puissance, fit-il, réfléchissant à moitié à voix haute. Le deuxième me demandera plus de travail, parce qu’il faut que je le crée. Je n’en ai pas trouvé un qui fait exactement ce que je veux …
  • Qui est ?
  • Vous permettre de détecter la présence de magie environnante. J’aimerais que vous ayez un repère visuel.

Cast lui jeta un regard surpris et légèrement admiratif. Le Voyageur n’eut pas la foi de lui dire qu’il avait eu l’idée en repensant au Seigneur des Anneaux. Il préféra continuer sur sa lancée :

  • J’espère pouvoir faire en sorte qu’il ne détecte que la magie noire et que l’effet soit plus fort si elle est active à proximité. Pour éviter de s’en prendre à des innocents par peur.

Se rendant compte que ses paroles pouvaient passer pour une attaque contre les chevaliers, il leva des yeux inquiets vers Cast. Ce dernier haussa les épaules. Alaric avait raison, il ne pouvait pas le nier. Si le jeune mage leur remettait entre les mains un moyen de détecter la présence de magie, il était à parier que certains l’utiliseraient à mauvais escient, par peur des mages ou par haine. La magie n’était pas très appréciée par une majorité de non-initiés, après tout.

Alaric sourit de soulagement. Se frottant la nuque, il se remit sur ses pieds pour s’étirer légèrement. Il était maintenant temps de tester sa première idée. Cast alla déposer la large plaque de métal sur un support en bois, à la verticale. Stylet et fiole d’encre à la main, le jeune mage s’approcha et commença à tracer les premières arabesques. Ils devraient se contenter de l’encre pour le moment, mais Hildr lui avait dit qu’elle connaissait un artisan doué en pyrotechnie qui pourrait lui enseigner ses méthodes. Sur la peau ou des surfaces souples, l’encre magique était beaucoup plus compatible.

Le sceau terminé, il s’éloigna de quelques pas.

  • C’est le temps de faire exploser des choses ? demanda Cast, les yeux brillants.
  • Tu ressembles à Hildr comme ça, marmonna Alaric, ne pouvant s’empêcher de frissonner comiquement.

Sa remarque fit éclater de rire le jeune guerrier. Le duo du moment s’éloigna encore légèrement. Voyant l’air peu assuré du mage, Cast ne prit aucun risque et fit un pas supplémentaire, se récoltant un regard incendiaire de la part de son ami, ce qui lui décocha un immense sourire taquin.

Alaric se concentra sur la cible. Décidant d’utiliser un sort de feu que lui avait appris sa mentor énergique, et parce qu’il était simple et utilisée dans la communauté magique, il commença l’incantation. Quelques mots et sa paume devint incandescente, sans lui provoquer la moindre douleur. N’étant pas aussi à l’aise qu’Hildr, pour qui il s’agissait de la maîtrise de base, il se contenta de lancer la boule de feu sur la plaque de métal maintenant ornée d’un sceau. L’attaque n’était pas particulièrement puissante, mais pouvait faire de sérieux dégâts à un corps humain.

Et à une plaque de métal avec un sceau malhabile, vraisemblablement.

Au contact de la surface de la pièce, la boule de feu explosa, provoquant un souffle chaud sur toute la largeur du terrain. Surpris par l’explosion, le mage tomba sur les fesses. Plus réactif, les yeux écarquillés, Cast s’approcha de la zone d’impact.

  • Attention à ne pas te brûler ! s’exclama Alaric en se relevant.

Il vit avec étonnement le chevalier se saisir de la plaque au sol. Malgré la vapeur qui l’entourait encore, elle n’était pas chaude du tout. Il s’approcha de son ami pour voir que le métal avait été tordu et son sceau avait complètement été brisé, ses dernières volutes s’évaporant dans l’air.

  • Eh ben, il est mort, gloussa Cast.

Devant l’air défait d’Alaric, il jeta la pièce irrécupérable et tapota le dos de ce dernier, pour l’encourager à recommencer.

  • Je suis sûr que ça ira mieux la prochaine fois !

Grognant de mécontentement, le jeune mage retourna s’asseoir, bien décidé à recommencer. Son élan de découragement avait été balayé par une petite étincelle d’orgueil. Il comptait bien y arriver, oui !

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