CHAPITRE 19
Sorc était de retour dans la chambre de son hôtel. Il était à la fois déçu de son échange avec le capitaine Grive et en colère d’avoir été trop transparent sur trop de sujets. Mais ce qui était fait était fait.
Et il y avait plus urgent.
Il était temps.
Dehors, l’aube ne pointait pas encore, mais sa lumière ne tarderait pas à inonder la Ville.
Il ne restait à Sorc que quelques instants pour accomplir le rituel.
De son sac, la sorcière sortit un parchemin. Elle avait hésité à le prendre en quittant son foyer pour suivre le Corbeau Blanc, mais son instinct avait vu juste. À peine deux jours passé dans la capitale et voici qu’elle en avait besoin. Encore, et toujours besoin.
Sur le papier vieilli était dessiné un cercle complexe, fait d’arabesques et circonvolutions répétées. Un cercle d’invocation.
Sorc inspecta la pièce. Il lui faudrait tourner et repousser le lit contre le fond de la chambre, déplacer le bureau et mettre la chaise dans la salle de bain pour dégager de la place. Il s’y attela sans attendre.
Puis il prit dans son sac une petite boîte en bois dont il tira une craie blanche.
Sorc s’agenouilla et, sur la moquette rouge, commença son tracé.
― Inutile, dit une voix grave derrière lui qui le fit sursauter. Tu peux ranger ta craie, je suis déjà là. J’ai à te voir moi aussi.
Sorc se retourna lentement.
En contre-jour de la lampe de bureau, la silhouette immense d’une femme, cheveux emmêlés et carrure imposante. Sur son dos une cape, ornée d’affreuses têtes d’ours qui lui élargissaient encore un peu plus les épaules.
À sa vue, Sorc vacilla, mais tint bon.
La déesse s’assit nonchalamment sur le lit.
― Je ne te savais pas en Ville, dit-elle. Tu t’es mis dans de beau draps à ce que je viens de voir.
― J’ai reçu un Corbeau Blanc.
― Je sais. Je ne te reprocherai pas d’être venu.
― Que me reprocherez-vous d’autre alors ?
La déesse sourit.
― Toujours la même chose, Sorc.
― Nous en avons déjà parlé, je suis une sorcière.
― Oui, bien sûr, bien sûr, dit la déesse en levant les yeux au ciel. Pourquoi tentais-tu de m’invoquer ?
― J’ai besoin de comprendre.
Sorc sentait son mal de crâne revenir et peinait à se concentrer.
― Est-ce vous qui avez démarré les feux des deux premières maisons, demanda-t-il, celles qui ne comptent pas de mort ?
― Tu le sais déjà. Oui, c’était moi. De vrais sales types, c’était mérité.
― Mais ce n’est pas vous qui avez tué par immolation les autres victimes.
― Ne m’insulte pas. Tu sais déjà que non.
― Un imitateur ?
― Au début peut-être, tout du moins esthétiquement, les flammes, tout ça… mais la démarche n’a rien à voir.
― C’est à dire ? demanda Sorc.
― Déjà, comme tu le sais très bien, je ne tue pas. Et par ailleurs, je ne parviens pas à trouver le motif de ces ignobles incendies. Les cibles semblent, du moins au premier abord, aléatoires.
― Ils sont tous des hommes, tous riches.
― Oui. Mais c’est tout.
― Vous ne savez donc pas qui est derrière ces crimes.
― Non. Ce qui est en soit un très bon indice.
― Il s’agit d’un dieu, ou d’une déesse.
― Je ne parviens pas à obtenir d’informations, elles me sont cachées. Seul un dieu peut se cacher d’un autre dieu.
― Je ne suis pas compétent pour cette enquête, dit Sorc.
La déesse soupira.
― Tu sais bien que si, dit-elle d’une voix rude. Cela devient agaçant. Depuis combien de temps nous connaissons-nous Sorc ?
Sorc baissa les yeux. Il avait envie de les fermer. Il avait mal à la tête et la conversation allait dans un sens qu’il ne connaissait que trop bien.
― Cela n’a rien à voir.
― Ah non ? Pourtant à force d’intervenir et depuis si longtemps, beaucoup de personnes se sont mises à croire en toi.
― C’est n’importe quoi.
― Bon. Pourquoi voulais-tu m’invoquer, si tu connais déjà toutes les réponses que je peux te donner et si tu n’a pas besoin de mes vérités.
― Savez-vous si le dragon est un bon ou un mauvais présage ? demanda Sorc.
La chasseuse d’ours se redressa.
― Où as-tu vu un dragon ?
― Sur les oeuvres de l’artiste Peet, un Voyant. Celui qui a peint les immenses fresques des immeubles du quartier-ouest.
Les yeux de la déesse s’illuminèrent.
― Tu les as vues, ces fresques ?
― Oui, dit Sorc.
― En entier ? Tu as fait le tour des immeubles ?
― Non, je ne les ai aperçues que de loin.
― Dommage. Il y a là-bas quelques chose que tu as visiblement encore raté.
― Quoi donc ? demanda Sorc.
― Cela ne se raconte pas, je te laisse y aller.
Sorc se renfrogna. Pourquoi les dieux ne parlaient-ils jamais franchement ?
― Et pour le dragon ? demanda-t-il.
― Je ne sais pas, mais cela ne me plait pas. C’est un animal exceptionnel. Seul un dieu exceptionnel pourrait se l’approprier.
― Le dragon est une espèce éteinte depuis si longtemps.
― Ça, c’est moins surprenant. Il ne serait pas le seul revenant de cette période trouble.
― Comment cela ?
Un silence se fit.
― Sorc. Tu n’as donc pas vu ?
― Vu quoi ?
La chasseuse d’ours le fixa un temps, puis ferma les yeux.
― Sorc. Sais-tu qui t’as convoqué ? Qui t’as envoyé ce Corbeau Blanc ?
― Non, dit Sorc. Qui m’a convoqué, le savez-vous ?
― Sorc. Une part de toi le sait déjà.
― Arrêtez avec cela. Qui m’a convoqué ?
― Sorc, tu as passé plusieurs jours en Ville, n’est-ce donc pas assez évident ? Les mages sont de retour.
Sorc ne sut pas accuser le coup. Il ne pouvait y croire.
― Impossible. Ils ont disparu suite à la Guerre des Magies. Je n’ai plus jamais perçu de leur magie depuis, seulement de la sorcellerie.
― Et comment va ton mal de tête ?
Sorc resta abasourdi.
― Quoi ?
― Concentre toi. Essaye de détecter la magie environnante.
Sorc s’y essaya mais la douleur derrière ses yeux était devenue trop forte.
― Je… je ne peux pas, je n’en ressens aucune.
― Tu ne peux pas car ta perception est trompée. Les mages sont revenus et avec une surprise. Ils sont parvenus à camoufler leurs sorts. Ils sont de retour mais tes sens sont magiquement bloqués pour ne pas que tu t’en aperçoives. Et c’est parce que tu es particulièrement sensible que ce blocage provoque de tels remous pour ton cerveau.
Sorc compris alors.
― Un sort est donc en ce moment jeté dans cette chambre ? s'inquiéta-t-il.
― Oui, dit la chasseuse.
Elle posa un doigt sur sa bouche pour obtenir le silence et tendit l’oreille.
Puis d’un bond, elle quitta le lit et se précipita vers le fond de la pièce, les yeux braqués vers le sol. D’un vague geste vers une grille d’aération, elle en fit voler le cache puis serra son poing dans les airs.
― Hop, hop, hop, on se s’échappe pas… Je te tiens !
De la conduite sortit une minuscule souris, se débattant contre un piège invisible. La déesse la fit flotter dans les airs jusqu’à la poser au creux de sa main.
La souris bataillait pour échapper à la prise divine mais les forces n’étaient pas égales.
― Cher Sorc, je te présente la projection de ton chaperon, Malisé.
Sorc ne comprenait pas.
― Elle t’a suivi partout où tu allais, de jour en policière, de nuit comme souris.
Sorc s’approcha, tremblant. Il plongea son regard dans celui, effrayé, du rongeur. Son mal de tête devint insoutenable.
― Qu’est-ce que je fais d’elle ? demanda la déesse.
Sorc ne savait que répondre. La situation le dépassait totalement.
Le visage de la chasseuse d’ours était grave.
― Bon, sans réaction de ta part je la renvoie simplement dans son corps, dit-elle.
La déesse souffla sur la souris qui se désagrégea. Et le mal de tête s’en fut avec elle.
Sorc tomba à genou. Il peinait à remettre tous les éléments en place et à coordonner ses pensées.
― Depuis quand êtes-vous au courant ? demanda-t-il.
― Sorc, soupira la chasseuse d’ours. Tu aurais dû le comprendre bien avant. Si seulement tu acceptais d’utiliser toutes tes capacités. Combien de temps perdu et de risques pris, une fois de plus ?
Mais Sorc refusa d’écouter.
― Je ne comprends pas.
― Tu comprends très bien. Tu refuses simplement de l’accepter.
― Si les mages étaient de retour, pourquoi feraient-ils appel à une sorcière comme moi ?
― Je ne sais pas exactement. J’ai tendance à croire qu’ils ne parvenaient vraiment pas à résoudre ces crimes et comptaient sincèrement sur toi pour y arriver à leur place. Mais il y a sans doute plus que cela derrière leurs démarches.
― Il y a toujours plus que cela. Ce sont des mages.
― Exactement.
Puis lentement, insidieusement, les tenants et aboutissants commencèrent à s’emboîter dans la tête de Sorc. La surprise et l’incompréhension s’effacèrent pour laisser place à la peur.
― Je l’ai emmenée partout, dit Sorc désemparé.
― Partout. Alors, réfléchis, où es-tu allé ?
― Chez une sorcière dont la couverture est médecin. Et chez une autre camarade aussi, une chercheuse.
La déesse pencha la tête et fixa Sorc de ses yeux noirs, aussi profonds que deux cavités. Un regard impossible à soutenir. La culpabilité commençait à grignotter Sorc, à opérer son travail de sape. Que d’erreurs, que d’erreurs commises.
― Je dois aller les prévenir au plus vite, dit-il. Elles doivent quitter la Ville immédiatement.
Sorc se précipita vers le bureau et y prit le bourdon qui y étais appuyé.
Il le tint à l’horizontale devant lui, bras tendu et commença une incantation.
― Sorc ! l’interrompit la déesse. Ne me dit pas que tu comptes y aller en bourdon volant ? Pour l’amour des cieux, tu les as mises en danger de mort et il est peut-être déjà trop tard. Téléporte-toi !
― Je ne suis qu’une sorcière, dit Sorc.
Mais sa voix avait perdu toute assurance.
― Sorc…
Dans les yeux de la déesse, la sorcière vit de la pitié, mais aussi de la supplication.
Alors il hésita. Puis sa main se fit molle et retomba le long de son corps, laissant tomber le bourdon au sol.
Il croisa une dernière fois le regard de la chasseuse d’ours et disparu de la chambre.
Ce que j'aime :
La resolution du mal de tête.
Le fait que Sorc soit plus que ce qu'on croit
Le fait que Malisé soit une mage (!!!)
Les revélations sur l'enquête, en particulier le dragon et l'autre dieu
Ce qui me pose plus question :
Le fait que la déesse ne parle jamais franchement. A la mention dans le texte, on aurait envie de répondre "ça arrange l'autrice?" La limitation arrive trop vite et est trop utile pour ménager le suspense pour que ça passe inaperçu.
Les mages, ils ne m'ont pas marqués avant. L'équilibre est difficile, je sais bien, mais ici, c'etait "trop" de révélations d'un coup pour moi.
Bref, de la retouche planaire à faire, mais toutes les informations chouettes y sont! La révélation Malisé me scie, ça a super bien marché sur moi !
À bientôt
Oui c'était peut-être un trop gros morceau ce chapitre là ^^"
Au début du récit vous (les lecteurices) pensiez beaucoup au retour des mages car Sorc en parle régulièrement, puis je n'en ai plus parlé du tout, et là pouf ils sont de retour :'D
Je comprends que cela ne fonctionne pas trop...
Je note pour la déesse, c'est vrai, elle pourrait être plus claire en fait... je vais y réfléchir. Je ne cherche pas tant à cacher les mages, mais plus le fait que Sorc est dans le déni pour ce qui vient après et que tu as parfaitement compris ; )
Je voulais donner l'impression qu'ils en ont parlé un milliard de fois et que Sorc fait clairement ce gros déni... je vais y réfléchir, peut-être couper en deux ce chapitre et épaissir un peu le tout ? Ou sinon revoir le plan plus en profondeur comme tu dis. Je ne sais pas, il me faudra du recul pour me faire une idée : )
Merci beaucoup pour ton retour sincère, ce sont les plus utiles et précieux ♥