L'automobile s'immobilisa sur le boulevard Haussmann, à côté de l’opéra. Regroupés en masse devant l'appartement, les journalistes n'étaient que flash et brouhaha inaudible. Bérénice s'aventura à travers la foule en jouant des coudes. Elle trébucha plusieurs fois. Elle avait l'impression d'être seule au milieu de la foule. Devant elle, Dimitri affichait une mine effroyablement pâle et se fraya un chemin, au risque de s’attirer les foudres des journalistes.
— Laissez-nous passer ! gronda-t-il.
Quelques reporters reculèrent et Bérénice tressaillit sous son ton.
— Mais il s'prend pour qui lui ? entendit-elle l'un des hommes crier.
— Nous, ça fait des plombes qu’on attend !
— Mais c’est…C’est le frère !
Dimitri les ignora, enroula un bras autour de Bérénice et l’entraîna vers l’entrée. Le gardien, les prenant pour des journalistes, voulut les faire reculer. Une main s'interposa et Bérénice reconnut le visage familier de Pierre. Sans un mot, il les mena à l'intérieur.
Bérénice soupira en sentant le cocon de chaleur l'envelopper. Face aux plus sahariens des climats, elle se sentait bien, mais le froid la tétanisait. Avant qu’elle n’ait tendu son manteau au majordome, elle guida à l’aveugle Icare pour qu’il se faufile dans une des poches de sa robe. Fâché de se retrouver dans une autre prison, il lui mordilla le doigt.
— Pourquoi as-tu mis tant de temps à venir ? demanda Pierre. Voilà des heures qu'on t'attend !
— Je viens de l'apprendre ! La lettre est à peine arrivée.
Dimitri ouvrit la bouche en manque d’air et parvint à articuler :
— Il est …?
Les mots ne franchirent pas ses lèvres et ses yeux verts s’arrimèrent à ceux de Bérénice. Dimitri était terrassé. Avec ses vêtements froissés, des valises sous les yeux, il accusait le coup de la terrible nouvelle.
— Vivant !
Il soupira de soulagement à plusieurs reprises. Bérénice sentit son propre estomac se dénouer. Pierre reprit :
— Mais pas tiré d’affaire ! Il faudra savoir pourquoi l'information n'a pas été transmise de suite. C'est louche. On monte ? …Lysandre n’a pas l’air d’avoir compris la leçon…
Dimitri leva les yeux au ciel :
— Il n’apprendra jamais. Comment va-t-il ?
Pierre lui intima le silence. Le hall de l'immeuble était envahi par la fine fleur de la noblesse parisienne. Une file d'individus partait du second étage et descendait jusqu’à eux.
Certains venus avec emblèmes, chaises de camp, serviteurs et victuailles badinaient gaiment, la tasse de thé aux lèvres, tandis que d’autres, moins enthousiastes bayaient aux corneilles, le bonnet de nuit tombant sur le visage et les yeux rougis par le manque de sommeil. Il devait être dans les six heures du matin et voir le plus petit nobliau, la moindre petite comtesse attendre son tour pour s’enquérir de la santé de Lysandre était étrange. Jusque-là, ils lui avaient réservé un accueil des plus froids.
Les domestiques virevoltaient dans un ballet silencieux de la loge du gardien qui s’était transformée à la fois en cuisine, buanderie et bagagerie, jusqu’à leurs maîtres. Bérénice était médusée par cette scène, alors que Dimitri soupirait à l’adresse de Pierre :
— Ne me dis pas que je vais devoir attendre mon tour.
— Bien sûr que non. Allons-y, je t’informerai quand on sera à l’abri des oreilles indiscrètes.
— Comment ont-ils pu être au courant avant nous ?
— Je l'ignore, mais ils sont presque arrivés en même temps que Lysandre… Viens, Ariane est à l'étage. Vous pouvez attendre ici, finit-il à l'adresse de Bérénice tout en commençant à gravir les premières marches.
— Non, elle vient, fit Dimitri. Elle a besoin d’être là.
Pierre ne masqua pas son étonnement :
— Mademoiselle Vasari. Toujours là au bon moment et au bon endroit.
Elle ne pouvait pas lui dire qu’elle se sentait responsable du malheur de Lysandre.
Alors que Bérénice suivait leurs pas, Dimitri lui murmura :
— Ouvrez vos yeux et vos oreilles. N’imaginez pas un seul instant que ces individus sont là par empathie. Ils attendent le verdict pour savoir lequel, de l'oncle ou du neveu, sera le nouvel homme à suivre…ou à abattre.
Ils gravirent les marches sous le regard courroucé des nobles qui patientaient depuis le début. En y regardant de plus près, chacun affichait un objet réalisé par les Habiles au travers duquel brillait sans équivoque le rubis qui les animait : un phonographe chantant à tue-tête, une poupée automate derrière laquelle une petite fille courait, une parure de rubis brillant comme un soleil rougeoyant…
— Le rubis a remplacé l’or, murmura-t-elle, stupéfaite.
— Et la pierre diorite est inaccessible. Sauf pour les emblèmes.
Ils pénétrèrent au second étage. L’hôtel particulier encadrait une petite cour centrale. Chaque pièce de la demeure était ainsi visible grâce à un ensemble de fenêtres et de vitraux exquis. Bérénice distingua plusieurs salons, boudoirs et chambres. Le couloir principal était immense et une dame sortit par une des portes pour se diriger vers eux. Elle avait les bras grands ouverts, prêts à enlacer Dimitri.
— Dimitri, te voilà enfin ! Je commençais à m'inquiéter.
« On dirait une poupée russe » se dit Bérénice en scrutant cette femme très ronde, vêtue d’une superposition de robes lourdes, recouverte de bijoux, de maquillage et de poudre de riz. Elle avançait d’un pas affirmé. Dimitri ne put s’échapper à temps. Elle planta un baiser sur chacune de ses joues, les colorant de la teinte pourpre de son rouge à lèvres.
— Dimitri, petit ingrat ! Il y a si longtemps que tu n’es pas venu me rendre visite, reprit-elle d'une voix forte et imposante.
— Ariane… Je ne voulais pas te négliger, mais tu sais ce que c’est le trav…
— Le travail, toujours le travail ! La meilleure et la première de tes excuses…
— L’exposition universelle m’a beaucoup accaparé.
— N’importe quoi ! Si tu voulais me voir, tu aurais pu prendre du temps ! J'ai hébergé ton…Lysandre pendant tout ce temps et ça n'a rien changé à ton épouvantable attitude.
Elle parlait avec assurance, riait à gorge déployée et se moquait des convenances. Bérénice l'aurait définitivement adorée, si elle ne lui avait pas paru aussi gargantuesque. Elle se tint en retrait, échangeant un coup d’œil avec Pierre. Ce dernier hocha la tête devant la question muette de Bérénice : oui, elle était tout le temps comme ça !
— Voici Bérénice. Ariane est notre tante. Du côté de notre mère.
Sa tante ? Bérénice se rapprocha, un sourire aux lèvres.
— Elle sait ? fit-elle en pointant du doigt Bérénice de la plus grossière des façons.
Bérénice soutint le regard plein de scepticisme d’Ariane, loin de se sentir troublée et répondit, tout sourire :
— Elle sait. Bonjour madame.
Après quelques secondes, Ariane lui rendit sa politesse, la jaugeant du regard. Elle reprit ensuite d'un ton badin à l’adresse de son neveu :
— J'ai essayé de t'appeler toute la soirée, mais ton téléphone sonnait dans le vide. Ces maudits journalistes, comment parviennent-ils à savoir les nouvelles avant même les principaux concernés ?
Tout le monde se posait la question. Et à y réfléchir, Bérénice aussi.
— Peut-être n’es-tu pas tout à fait étrangère à cela ? soupçonna Dimitri, les mains dans les poches, le regard en biais.
« Elle utilise son neveu ? » Bérénice n'en croyait pas ses yeux.
— Quelle idée ! fit-Ariane en riant. C’est ridicule Dimitri ! Arrête de voir le mal partout ! Si tu veux voir ton frère, il se trouve dans sa chambre, au fond à gauche.
Ils avancèrent et Dimitri reprit :
— Qu'est-ce qui s'est passé ? J’entendais dans le hall parler d’un attentat à la voiture piégée. Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ?
— Si ! Lorsque Lysandre est parti du théâtre, sa voiture a explosé. Heureusement que les poseurs de bombe sont de vrais empotés. L’explosif était mal installé. Du coup, il s’est déclenché une fois à terre. Si la bombe était restée accrochée, Lysandre ne serait plus des nôtres. Par contre…tu as entendu la rumeur qui dit qu'Harcourt a envoyé des hommes tuer Lysandre ? Elle est de mon cru. Tu la trouves exagérée ?
Bérénice leva la tête vers Ariane qui affichait un air très fier :
— Pourquoi avez-vous fait cela ?
Ariane s’arrêta un instant devant la porte de la chambre de Lysandre, surprise que Bérénice ose lui poser directement la question et répondit :
— C'est évident, petite. D’abord Lysandre a besoin d’un peu de publicité…et je suis une experte dans ce domaine. Ensuite, nous savons tous que seul Harcourt l'aurait fait. Soit il l'a murmuré à l'oreille de l'empereur. Soit, c'est Harcourt lui-même qui s'est chargé de faire le sale boulot. Dans tous les cas, nous savons qui est la victime et qui est le bourreau.
— Vous êtes sûre de vous ? insista Bérénice, sceptique.
— Ce qui compte, c’est ce que le peuple retient.
—Tu sais ce que je pense de ta façon de régler les choses. Tu vas lui attirer des ennuis. Tu ne crois pas qu'il en a déjà assez sans ton aide ? la coupa sèchement Dimitri.
— Je sais ce que je fais.
Elle posa une grosse main baguée sur la poignée et prit une voix faussement prévenante :
— Son état est stable, mais je dois vous prévenir, ce n'est pas beau à voir. Si mademoiselle a peur de s'évanouir, elle peut rester dans le salon.
— Je reste, affirma Bérénice, agacée d’être traitée en créature faible par son propre sexe.
Voyait-elle en Bérénice une rivale ? Dans ce cas, elle serait déçue. Bérénice n’avait aucune intention de rentrer dans son jeu.
— Je vous aurais prévenue, susurra Ariane.
Elle ouvrit la porte et Dimitri franchit le seuil en premier.
Au milieu d'un grand lit reposait le corps abimé de Lysandre. Semblable à un gisant, le teint aussi blanc que les draps, les mains réunies sur les couvertures, il dormait. Des fragments d'objets avaient ricoché sur lui, car de nombreuses blessures plus ou moins superficielles mutilaient les parties visibles de son corps. Bérénice frissonna.
Un bras en écharpe, un pied qu’on devinait dans un plâtre, l’œil violacé et le nez en sang, une partie de ses cheveux raccourcie…Bérénice s’étonna de le voir encore vivant. Une odeur de brulé, mélangée à celle d’antiseptique, se dégageait de la pièce. Ses plaies avaient été nettoyées, une bassine contenant de l’eau et du sang se trouvait à son chevet. On ne pouvait ignorer la violence de ce que Lysandre venait de subir.
À proximité du lit, un médecin se tenait assis sur une chaise et surveillait son patient.
Bérénice s'approcha et s’assit à ses côtés. Il ouvrit les yeux et déglutit avec difficulté en les reconnaissant. Son œil s’arrêta sur Dimitri. Son frère était tétanisé.
— Dimitri ! Je ne pensais pas que tu te donnerais cette peine…
Lysandre était à l’affut de toute marque d’affection. Tourné vers lui, un sourire gêné esquissé, il attendait une réaction de sa part. Mais Dimitri ne desserra pas la mâchoire. Déçu, Lysandre reporta son attention sur Bérénice :
— Alors ? Impressionnée ? Première blessure de guerre ! Je veux que chacune de mes sorties soit aussi théâtrale, fit Lysandre, d’une voix écorchée.
Sa vaine tentative d'humour tomba à plat. Seules, Ariane s’esclaffa et Bérénice laissa échapper un sourire discret :
— Comment vous sentez-vous ?
— Fatigué, cassé, piétiné par un cheval…tout cela à la fois. Mon corps est en lévitation.
Parler lui était difficile et sa respiration se faisait sifflante.
— Je ne cacherai tout de même pas le bonheur de me réveiller à vos côtés. Si seulement vous pouviez dire à mon adorable frère d’arrêter de faire sa tête d’enterrement…
— Impossible, je tiens à la vie, souffla Bérénice en surprenant le regard noir de Dimitri.
— Que l’on fasse entrer mes admirateurs ! reprit Lysandre, faiblement.
Dimitri ne goûta pas la plaisanterie. S’éloignant du mur contre lequel il s’était appuyé, il leva les mains en l’air d’agacement et s’exclama :
— Tu n’es pas sérieux ? Il nous faudrait cinq minutes avec Pierre pour tous les renvoyer chez eux. Dans ton état, ce n’est pas raisonnable.
— Non, non, ce ne sera pas la peine. Relevez-moi, s’il vous plait.
Bérénice et le médecin prirent chacun un bras de Lysandre et ils le surélevèrent jusqu’à ce que son dos soit accolé à la tête de lit. Il gémit de douleur mais ne les arrêta pas.
— Pourquoi vous imposer ça ? J’espère vraiment que le jeu en vaut la chandelle… soupira Bérénice.
— Croyez-moi, fit-il dans un sourire, il le vaut.
Il avait beau le cacher, Lysandre s’économisait.
— Votre dos devra être immobilisé pour plusieurs semaines. Et vous aurez droit à un corset, intervint le médecin. Les blessures devraient guérir avec le temps. Je ne vois pas de problème à ce que vous receviez du monde, mais ne vous fatiguez pas trop.
— Pouvez-vous nous laisser un instant ? intervint Dimitri, qui n'avait pas écouté un traitre mot de ce que le médecin avait dit.
Une fois ce dernier sorti de la pièce, Bérénice demanda :
— Pourquoi devez-vous absolument voir tous ces nobles ?
— Il n’a pas le choix. C’est la seule manière de montrer qu’il est à la hauteur du trône qu’il réclame, répondit avec nonchalance Ariane, en allumant un cigare. Il peut se reposer toute la journée s'il le souhaite…mais dans ce cas, autant reprendre un billet de train pour Marseille et disparaitre à jamais.
Sa voix était pleine d’assurance. Bérénice se retint de tousser lorsqu'un nuage de fumée fit disparaitre la plupart des occupants de la pièce.
— Et tu l’encourages ? s’indigna Dimitri en ouvrant la fenêtre d'un mouvement rageur.
— Bien sûr. Il est le seul cheval de la famille sur lequel je peux encore parier. Toi, tu te contentes de cirer les chaussures de ton oncle et sa clique pour pouvoir jouer aux inventeurs.
Bérénice sentit l’orage entre eux et allait sortir de la pièce lorsqu’Ariane l’arrêta d’un mouvement de main et quitta la chambre. Bérénice ne put se retenir :
— Vous avez une tante charmante…
— Elle a raison. Et je vais vraiment bien, affirma Lysandre. Si je ne me montre pas, ils verront mon absence comme un aveu de faiblesse. Donc…faisons comme si je n’avais jamais été aussi vaillant.
Bérénice lui lança un regard misérable.
— Bérénice, ne me regardez pas avec ces grands yeux, reprit Lysandre d’une voix sifflante. Je connais ma tante. Elle adore utiliser la vérité à ses propres fins. Mais elle sait ce qu’elle dit. Et je compte bien suivre son conseil à la lettre.
— Vous ne craignez pas de devenir sa marionnette ? rétorqua-t-elle.
— Laissez tomber, Bérénice. Il n'écoute personne, fit la voix amère de Dimitri, derrière elle. Voilà des années que je tente de lui mettre du plomb dans la cervelle…sans succès.
— Dimitri a raison, reprit Bérénice en ignorant ses dernières paroles. Vous n’êtes pas en état de faire des mondanités et nous avons déjà eu assez peur pour vous. Peut-être serait-il plus sage de reporter tout ce chahut à quelques jours ?
Bérénice se rappela l’étrange manège qui se déroulait en bas. Cela lui donnait des sueurs froides.
— Il est trop tard. Et puis, qui que soit mon assaillant, je ne le remercierai jamais assez. Sait-il seulement qu’au lieu de m’éliminer de la course, il vient de me remettre en selle ?
— Le fait que notre oncle ne soit toujours pas venu ici prendre de tes nouvelles…Tu sais bien ce que cela signifie ? pointa Dimitri.
— Oui, cela pourrait être considéré comme un véritable aveu de culpabilité.
— Monsieur Coeurderoy !
La famille Harcourt pénétra dans la pièce. Derrière eux, Ariane exultait.
Dimitri se redressa, mais ne dit mot. Tétanisée, Bérénice scrutait tour à tour Lysandre et Auguste Harcourt.
Conquérant, ce dernier se planta devant Lysandre. Il le salua, dardant son regard sur le blessé. Alexandre le suivit, la démarche raide, visiblement mécontent. Il releva les yeux pour croiser ceux de Bérénice et la reconnut immédiatement.
Altière, Gisèle les rejoignit. Elle n’était qu’évanescence : très mince et empreinte d’une fragilité gracile, elle sourit avec douceur à Lysandre. Bérénice se sentit gauche à ses côtés. Sans artifices, sans bijoux et sans extravagance, Gisèle était l'exacte inverse d'Ariane et attirait pourtant la même attention.
La tante de Lysandre s'exclama :
— Madame Harcourt, installez-vous dans ce fauteuil, vous serez plus à votre aise.
Gisèle s’exécuta et posa une main sur celle de Lysandre :
— Je vous remercie Ariane. Je ne peux qu'accepter. Comment allez-vous mon cher Lysandre ? fit-elle avec une pointe d’accent étranger.
Elle paraissait essoufflée et respirait avec difficulté. Son mari reprit d'une voix forte :
— Si mes souvenirs sont bons, votre ancêtre, Napoléon, avait également eu droit à la bonne vieille méthode de la voiture piégée. Ces ouvriers…Ils doivent encore avoir quelques revendications absurdes…
— Plus de peur que de mal, Gisèle, répondit Lysandre, en ignorant son rival. Et, on ne sait encore rien des coupables.
— C'est terrible ce qui vous est arrivé. A l'ère du progrès, on en est encore à subir ces barbaries… Lysandre, si jamais vous aviez besoin de soins plus minutieux et rigoureux, je me ferais un plaisir de vous recommander mes propres médecins.
— Ils n'ont jamais été très doués ces terroristes, renchérit Auguste. Vous vous en sortez très bien mon garçon.
Silencieux, Alexandre se tenait résolument droit. Dans ses traits délicats et sa finesse se percevait l'héritage de sa mère. Bérénice se demanda pourquoi Auguste Harcourt semblait seulement tolérer son fils. Soudain, Alexandre grimaça et reposa son dos contre le mur avec discrétion, aux prises avec une grande douleur. Bérénice détourna le regard.
— Comment était votre séjour thermal ? s’enquit Lysandre.
Bérénice releva la tête, curieuse tandis que Gisèle éclatait d'un rire cristallin :
— Il n'y a que vous Lysandre pour vous préoccuper de la santé des autres alors que vous êtes alité. Enfin…soupira-t-elle, pour vous répondre… je vais mieux. Les cures sont intenses, mais elles apaisent la fièvre permanente.
La fièvre permanente ? Gisèle avait donc la tuberculose…
— S’éloigner quelques temps pourrait vous permettre de vous protéger du danger, articula Auguste, en fixant Lysandre.
Bérénice retint son souffle. Étaient-ce des menaces ?
— Nous sommes d'accord, fit Dimitri en se postant près de l'édredon de Lysandre, en bouclier.
— Ma chère, votre visage m'est familier, lança Gisèle à Bérénice en ignorant la tension monter dans la pièce. Nous sommes-nous déjà rencontrées ?
Bérénice se recula, désarçonnée. L’avait-elle vue les espionner le soir de l'anniversaire d'Auguste ?
— Je ne crois pas, madame…
— Et pourtant, je pense ne jamais oublier un visage… Et le vôtre est aussi joli qu'atypique. Si je peux me permettre.
Bérénice ne ferait pas la bêtise de prendre Gisèle pour une jolie écervelée de boudoir. Cette femme usait de sa parole avec parcimonie et voulait en apprendre plus sur elle.
— Mademoiselle Vasari a sauvé ma valise alors que je mettais à peine un pied à Paris, reprit Lysandre en essayant de ne pas trop grimacer quand son frère appuya sur une de ses blessures pour le faire taire.
Gisèle reprit, en jetant des coups d’œil tour à tour à Lysandre et Bérénice :
— Que votre vie doit être palpitante. Il faudra nous raconter cette histoire.
— Une prochaine fois. Nous ne voulons pas vous fatiguer. Remettez-vous bien de vos blessures, fit Auguste.
— Comptez sur moi, répondit Lysandre, déterminé.
Auguste resta interdit, puis acquiesça. Il aida son épouse à se relever, sans un mot. Les paroles de Lysandre n’étaient pas tombées dans les oreilles d’un sourd.
Bérénice s’échappa de la pièce avant de se retrouver coincée et d’étouffer. Elle bouscula un noble qui entrait et une fois dans le couloir, aperçut Auguste qui portait les mains de sa femme à ses lèvres :
— Je vais rejoindre l'empereur. Allez-vous reposer. Vous en avez déjà trop fait.
Ce geste intime força Bérénice à détourner le regard. Elle devait sortir.
La tête contre la fenêtre donnant sur la cour intérieure, elle distingua un jardin d’hiver au rez-de-chaussée. N’hésitant pas une seconde, elle s’y précipita, le cœur battant. Comment ces gens pouvaient-ils être si faux ? Dans son univers de géographes et aventuriers, Bérénice n’avait pas beaucoup croisé cette espèce d’individus.
Elle poussa la porte du jardin d’hiver et ferma les yeux. La chaleur l’environna et les senteurs des fleurs l’apaisèrent. Elles lui rappelaient Grasse, la ville du parfum, de son enfance. Elle se détendit, les mains sur la rambarde.
— Vous n’étiez pas préparée à cette jungle, je me trompe ?
Bérénice se retourna. Dimitri s’assit sur l’unique banc.
— La jungle parisienne est bien plus hostile que toutes les Amazonie.
— J’imagine…fit Dimitri davantage pour lui-même que pour Bérénice.
Il sortit de sa poche un étui à cigarettes, lui en proposa une d’un geste. Elle déclina.
Loin, au travers d’une fenêtre, ils pouvaient tous deux apercevoir le monde qui s’agitait. Autour de Bérénice et Dimitri, l’air était doux, comme si le monde avait ouvert une parenthèse. Dimitri fumait en silence et Bérénice se laissa aller à la douceur du matin. Lorsqu’ils prirent la parole, leur ton paisible ne dépassait pas celui du murmure.
— Dites-moi, je ne comprends pas…Pourquoi êtes-vous tant d’accord avec Auguste Harcourt ? Ne devriez-vous pas être du côté…
— De mon frère ?
Était-ce de la jalousie ? Non, Bérénice avait davantage l’impression que Dimitri était rongé par le doute. Il s’installa confortablement, les jambes croisées et la regarda avant de répondre :
— Je n’ai ni la prétention de vouloir devenir l’empereur, ni la capacité. Lysandre en revanche…serait un merveilleux chef d’État. Chez lui, ce n’est ni un caprice, ni une lubie. C’est une véritable vocation. Mais, le trône est un fardeau terrible. Je ne souhaite cette position à personne, même pas à mon pire ennemi…alors à mon propre frère, je m’y refuse.
— Pourquoi ? laissa-t-elle échapper.
Elle touchait enfin au cœur des relations entre les frères Coeurderoy. Dimitri écrasa son mégot et reprit :
— Quand vos parents sont tués sous vos yeux, vous préférez pactiser avec le diable en personne plutôt que de voir votre petit frère subir la même mort. S’il faut choisir entre la vie de Lysandre et une glorieuse destinée, je choisis sans aucun doute la première, fit-il fermement.
— Et qu’en pense Lysandre ? C’est à lui de décider, n’est-ce pas ?
Dimitri eut un rire sans joie :
— Vous savez très bien ce qu’il en pense ! Et puis de toute façon, nous n’avons pas le choix.
— Comment cela ? Vous n’avez pas le choix ?
— Pour échapper à la mort, je n’ai eu d’autre alternative que de signer un contrat avec mon oncle. En échange de la vie sauve, nous renoncions au trône. Lysandre était un bébé. J’étais seul, à peine sorti de l’enfance. Il m’en veut de l’avoir dépossédé de ce droit. Aujourd’hui, à cause de ce contrat, mon frère ne peut pas reprendre le pouvoir légalement, même si techniquement, c’est mon oncle qui a usurpé le trône de notre père.
Bérénice écarquilla les yeux. Elle imaginait une jeune version de Dimitri, le regard tout aussi buté et mature, faisant face à son oncle et portant le poids de responsabilités incommensurables.
— On vous a arraché votre enfance, soupira-t-elle.
Elle reprit avec ferveur, réalisant enfin ce qui se tramait :
— C’est pour cela que vous n’avez pas accepté le retour de Lysandre, que vous essayez depuis le début de l’éloigner de la capitale et que vous faites le dos rond devant Harcourt !
— Moi vivant, mon oncle ni aucun autre n’aura la vie de mon frère !
— Qui est au courant de ce contrat ?
— Mon oncle, Lysandre et moi…sans doute Harcourt…Et vous, à présent.
C’était donc cela. Dimitri voulait aider son frère, mais ce pacte le contraignait, pieds et poings liés, à la bonne volonté de l’empereur…
— Vous auriez pu fuir, plutôt que de signer.
— Et avoir peur toute ma vie d’être poursuivi ? Parfois, Bérénice, le courage ce n’est pas de partir, mais de rester.
Avait-il vécu tout ce temps à Paris seulement pour sauver son frère, au cas où celui-ci déciderait de prendre le pouvoir ?
— Si vous êtes resté, ce n’est pas seulement pour votre frère…vous êtes resté également parce que vous vouliez devenir un Habile, n’est-ce pas ? Vous vivez pour ce métier !
Dimitri se tût et la fixa avec détermination. Il était resté à Paris pour satisfaire ses désirs et ses ambitions, quand il refusait ce même privilège à son frère cadet.
— Personne ne peut comprendre ce besoin nécessaire, irrépréhensible. Mes mains ne savent faire qu’une chose, c’est créer. Je suis un Habile, c’est ma seule raison d’être, se justifia-t-il.
— Comme la mienne est d’être empereur.
Bérénice et Dimitri se retournèrent d’un même mouvement. Ils étaient si accaparés par leur conversation, qu’ils n’avaient pas vu venir Lysandre. Dans un fauteuil roulant autonome, de manufacture Habile, il avait murmuré cette phrase sans animosité. Il était si blanc que le contraste avec le velours rouge du dossier lui donnait des airs fantomatiques. Qu’avait-il entendu de leur discussion ?
— Je me suis échappé, fit-il en guise d’excuse. Dimitri enfin, tu peux peut-être me comprendre…
Bérénice s’avança et s’agenouilla à la hauteur de Lysandre, lui prit la main et se tourna vers Dimitri pour essayer de faire le lien entre les deux frères :
— De toute façon, je pense bien que cette décision ne nous appartient plus.
— Qu’est-ce que vous dites ? demanda Lysandre.
— Votre oncle vous considère comme une menace. Dimitri est suspect et Harcourt prépare un coup d’état.
— D’où tenez-vous cette information ? articula Lysandre avec difficulté.
— D’une discussion très privée dans un salon caché chez les Harcourt. Je n’avais pas exactement prévu d’espionner, mais… Le fait est qu’avant la fin de l’été, le quinze août, il prévoit d’attaquer Paris et prendre la place de l’empereur, aidé par des troupes qui lui sont fidèles. Et avec Emilien Decas qui va prendre la direction du ministère des Habiles…
—…Il musèle à la fois l’armée et les Habiles.
— Les aérotilus…fit Dimitri en s’éveillant. Que j’ai créés…bon sang !
Il se redressa, lança plusieurs jurons, tout en se frottant sa barbe naissante et reprit :
— Les aérotilus ont été commandés par l’armée et tous doivent être achevés le douze août. Je vous laisse deviner à quel usage ils pourraient servir.
— Qu’est-ce que ce sont les aérotilus ? les interrogea Lysandre.
— Ce sont littéralement des armes volantes ! Des machines sur lesquelles on peut voler et tirer.
— Il y a des fusils dedans ? Et tu ne t’es pas douté que leur usage serait à des fins peu pacifiques ? Dimitri ! s’exclama Lysandre.
— Peut-être que l’on peut régler cela, lança Bérénice, les mains levées en signe d’apaisement. Vous chamailler ne nous aidera pas. Il est évident, Lysandre, que vous êtes l’homme à abattre pour Harcourt et que vous menacez bien plus son pouvoir que l’empereur.
— Je sais à présent que je dois parvenir à mon but avant le quinze août, dernier délai.
— Et moi ? demanda Dimitri. Il était fâché de la prise d’initiative de son frère.
— Mon père m’a confié la tâche de redresser le ministère des Habiles, expliqua Bérénice. Ensemble, nous ferons en sorte que le ministère bascule dans notre camp. Si Lysandre gagne en popularité, s’il parvient à prendre le pouvoir et que le ministère des Habiles est de son côté…
— Alors, nous aurons peut-être une chance…murmura Lysandre.
— Lysandre, on vous attend…
À la porte de la verrière, Pierre les interrompit, le sourire aux lèvres. Aimait-il le fait que les deux frères trouvent un terrain d’entente ? Lysandre rebroussa chemin et lança avant que la porte ne se referme :
— Je sais qui pourra m’aider pour gagner en popularité. Voyez de votre côté comment prendre le pouvoir au ministère.
Dimitri et Bérénice restèrent silencieux quelques instants, avant que l’Habile ne reprenne :
— Tout cela ne pourra passer que par le décryptage de l’exocarte de votre père…Je suis sûr qu’elle nous apportera des réponses importantes.
— Je sais.
Le corps frissonnant de fatigue, Bérénice vit l’aube rougeoyante et violacée à travers les fenêtres.
— Qu’est-ce qui vous a poussé à me faire confiance ? s’enquit Bérénice.
Sans un mot, Dimitri farfouilla dans une de ses poches, en sortit une photographie froissée et la tendit à Bérénice.
— Elle se trouvait dans la boite de votre père. Je voulais la garder…je n’ai aucun souvenir de mes parents. Mais, elle vous revient.
Sur le papier argentique lui souriaient plusieurs adultes. Elle reconnut sa mère et son père. Ce dernier était bras-dessus bras-dessous avec le précédent empereur et tous les deux levaient un bras au ciel en signe de victoire. Avec eux, trois enfants posaient : Bérénice, dans les bras de sa mère devait avoir trois ans, Lysandre se devinait sous les courbes du ventre arrondi de l’impératrice, tandis qu’un enfant aux cheveux clairs, à l’air contrarié, jouait avec un pantin animé à leurs pieds. Dimitri.
Bérénice retourna la photographie et une larme s’écoula le long de sa joue lorsqu’elle put lire sous la plume de son père, le vers du poète Virgile qu’il aimait tant :
« À ma belle Bérénice : Amor Vincit Omnia »
L’amour vainc tout.
Ariane est un bon personnage, mais comme femme, je ne sais pas trop qu’en penser. Je me demande dans quelle mesure on peut lui faire confiance. Quant à Gisèle, on ne sait pas ce qu’elle cache sous ses airs gentils et compatissants. Ça m’étonnerait que ce soit une grande naïve qui ignore tout des projets de son mari. Si elle y adhère ne serait-ce qu’en partie, ce n’est pas vraiment une bonne âme.
En 1900, on avait moins d’égards pour les mineurs qu’aujourd’hui, mais il me semble que même à cette époque, un accord conclu entre un enfant et un adulte qui menaçait de tuer son frère n’aurait pas vraiment pu être considéré comme valable. Maintenant, on comprend les motivations de Dimitri et l’ambiguïté de son attitude vis-à-vis de Lysandre. Si leur père acceptait l’idée que ce ne soit pas l’aîné qui lui succède sur le trône, ça montre qu’il avait une certaine ouverture d’esprit.
Bérénice semble prête à se lancer à corps perdu dans l’aventure, faisant fi du danger. Ça promet de belles choses, tout ça ! :-)
Coquilles et remarques :
— L'automobile s'immobilisa sur le boulevard Haussmann [J’éviterais ce qui sonne comme une répétition ; « L'automobile s'arrêta (ou « se gara » ou « stationna ») » ou « La voiture s'immobilisa ».]
— Mais il s'prend pour qui lui ? entendit-elle l'un des hommes crier. [Virgule après « qui ». / Dans les incises, il faudrait éviter ce genre d’acrobatie langagière. Voir ici (http://bernard-gensane.over-blog.com/article-de-l-incise-88684774.html) et là (http://www.academie-francaise.fr/sauta-t-il-au-plafond-haussa-t-il-les-epaules-en-incise). Je propose « cria un homme » ou éventuellement « entendit-elle crier ».]
— Nous, ça fait des plombes qu’on attend ! [Si « plombe » existait déjà pour « heure » au XIXe siècle, c’était de l’argot ; donc j’imagine mal des gens de leur rang s’exprimer de la sorte. Même les domestiques n’oseraient pas parler comme ça devant leurs employeurs]
— Dimitri les ignora, enroula un bras autour de Bérénice et l’entraîna vers l’entrée. [La graphie rectifiée est « entraina ».]
— Avant qu’elle n’ait tendu son manteau au majordome, elle guida à l’aveugle Icare pour qu’il se faufile dans une des poches de sa robe. [Ici, le « ne » explétif me laisse dubitative. Pourquoi ne pas simplifier : « Avant de tendre son manteau » ? / Je dirais plutôt « elle guida Icare à l’aveugle ».]
— Dimitri ouvrit la bouche en manque d’air et parvint à articuler [Il faudrait placer « en manque d’air » entre deux virgules.]
— Il faudra savoir pourquoi l'information n'a pas été transmise de suite [tout de suite ; c’est un tic de langage, chez toi. Voir ici : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/QDL082]
— tandis que d’autres, moins enthousiastes bayaient aux corneilles [Il faudrait placer « moins enthousiastes » entre deux virgules.]
— Vous pouvez attendre ici, finit-il à l'adresse de Bérénice tout en commençant à gravir les premières marches. [Je trouve que la proximité des verbes « finir » et « commencer » est particulièrement peu heureuse. Je propose « fit-il » ou « lança-t-il ».]
— Ouvrez vos yeux et vos oreilles. N’imaginez pas un seul instant que ces individus sont là par empathie. [Tu t’interrogeais sur l’emploi du subjonctif après « imaginer que ». Le subjonctif exprime le doute. Il serait correct dans la phrase : « Il n’imaginait pas que ces gens fussent venus par sollicitude » . Mais là, on lui dit de ne pas se faire des idées ; quand on se fait des idées, on est plus dans l’espoir que dans le doute, alors l’indicatif est plus logique. / Le mot « empathie » était employé en psychologie dès 1904. C’est donc sûr qu’en 1900, il n’était pas entré dans le langage courant. Il faudrait dire « par sollicitude ».]
— En y regardant de plus près, chacun affichait un objet réalisé par les Habiles au travers duquel brillait sans équivoque le rubis qui les animait [Tu ne peux pas mettre « les » pour « un objet » : « qui l’animait ».]
— Bérénice l'aurait définitivement adorée, si elle ne lui avait pas paru aussi gargantuesque. [L’adverbe « définitivement » est un barbarisme s’il ne signifie pas « de manière définitive » ou « pour finir » (voir ici : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/DNP0428) ; il faudrait dire quelque chose comme : vraiment, véritablement, assurément, incontestablement, franchement... / « gargantuesque » s’emploie pour des repas très copieux ou pour des goinfres ; je ne suis pas sûre de comprendre ce que tu veux dire : quelque chose comme gigantesque, énorme ou excessive, extravagante ?]
— Bérénice soutint le regard plein de scepticisme d’Ariane, loin de se sentir troublée et répondit, tout sourire [Il faudrait placer « loin de se sentir troublée » entre deux virgules.]
— Elle sait. Bonjour madame. [Virgule avant « madame » ; « Madame » si elle y met de la déférence.]
— Ces maudits journalistes, comment parviennent-ils à savoir les nouvelles avant même les principaux concernés ? [Il faut dire « les principaux intéressés ». Le néologisme « concerné » ne figure pas dans les dictionnaires, que ce soit comme adjectif ou comme substantif. Même l’emploi du verbe « concerner » à la voix passive est critiqué. ]
— Peut-être n’es-tu pas tout à fait étrangère à cela ? soupçonna Dimitri [« Soupçonner » n’est pas un verbe de parole et n’évoque pas particulièrement la parole. Je propose « insinua ».]
— Quelle idée ! fit-Ariane en riant. C’est ridicule Dimitri ! [Pas de trait d’union dans « fit Ariane » / virgule avant « Dimitri ».]
— Heureusement que les poseurs de bombe sont de vrais empotés. [Moi aussi, j’aurais cru que l’emploi d’« empoté » était récent, mais on le trouve chez Zola, donc avant 1900.]
— Soit il l'a murmuré à l'oreille de l'empereur. Soit, c'est Harcourt lui-même qui s'est chargé de faire le sale boulot. [Ponctuation : « Soit il l'a murmuré à l'oreille de l'empereur, soit c'est Harcourt lui-même qui s'est chargé de faire le sale boulot. »]
— Vous êtes sûre de vous ? insista Bérénice, sceptique. [La graphie rectifiée est « sure ».]
— Ce qui compte, c’est ce que le peuple retient.
—Tu ne crois pas qu'il en a déjà assez sans ton aide ? la coupa sèchement Dimitri. [Il ne lui coupe pas la parole, apparemment. Il faut préférer « coupa » à « la/le coupa » ; mais ici, « rétorqua » ou « riposta » seraient préférables.]
— Je vous aurais prévenue, susurra Ariane [aurai prévenue ; futur antérieur]
— car de nombreuses blessures plus ou moins superficielles mutilaient les parties visibles de son corps [Ici, « mutiler » est une impropriété ; ce verbe veut dire « enlever une partie » de qqch. ; « parsemaient », « constellaient », « marquaient », « bariolaient », peut-être ?]
— Seules, Ariane s’esclaffa et Bérénice laissa échapper un sourire discret [Faute de syntaxe. Je propose : « Seule Ariane s’esclaffa, et Bérénice laissa échapper un sourire discret » ou Seules Ariane et Bérénice la relevèrent ; l’une (ou « la première ») s’esclaffa et l’autre (ou la « seconde ») laissa échapper un sourire discret ».]
— Et vous aurez droit à un corset, intervint le médecin. / Pouvez-vous nous laisser un instant ? intervint Dimitri [Le verbe « intervint » est déjà discutable pour une incise, alors deux fois de suite… Je propose « annonça » ou « indiqua » pour le médecin et « suggéra », « lança » pour Dimitri.]
— répondit avec nonchalance Ariane, en allumant un cigare [répondit Ariane avec nonchalance serait préférable / pas de virgule avant « en ».]
— mais dans ce cas, autant reprendre un billet de train pour Marseille et disparaitre à jamais / lorsqu'un nuage de fumée fit disparaitre la plupart des occupants de la pièce. [Répétition : je propose éclipsa, dissimula, camoufla, voila (du verbe « voiler ») ou occulta à la place de « fit disparaitre ».]
Bérénice sentit l’orage entre eux et allait sortir de la pièce lorsqu’Ariane l’arrêta d’un mouvement de main et quitta la chambre. [Comme il y a deux fois « et », je propose : « Bérénice, qui sentait (couver) l’orage entre eux, allait sortir de la pièce ».]
— Il n'écoute personne, fit la voix amère de Dimitri, derrière elle [Pas de virgule avant « derrière ».]
— Peut-être serait-il plus sage de reporter tout ce chahut à quelques jours ? [de quelques jours ; reporter à une date, mais reporter d’une durée.]
— Tu sais bien ce que cela signifie ? pointa Dimitri [« Pointer » n’est pas un verbe de parole ni un verbe qui suggère la parole. Je propose « souligna ».]
— Monsieur Coeurderoy ! [Ligature manquante.]
— Gisèle était l'exacte inverse d'Ariane et attirait pourtant la même attention [l'exact inverse ; « inverse » est masculin]
— Je vous remercie Ariane. / Comment allez-vous mon cher Lysandre ? [Virgules : avant « Ariane » et avant « mon cher Lysandre ».]
— Plus de peur que de mal, Gisèle, répondit Lysandre, en ignorant son rival. Et, on ne sait encore rien des coupables. [Pas de virgule avant « en » ni après « Et ».]
— C'est terrible ce qui vous est arrivé. A l'ère du progrès [Point d’exclamation après « arrivé » / À l’ère]
— Ils n'ont jamais été très doués ces terroristes, renchérit Auguste. Vous vous en sortez très bien mon garçon. [Virgules : avant « ces terroristes » et « mon garçon ».]
— Bérénice releva la tête, curieuse tandis que Gisèle éclatait d'un rire cristallin [Il faudrait placer « curieuse » entre deux virgules.]
— Il n'y a que vous Lysandre pour vous préoccuper [Il faudrait placer « Lysandre » entre deux virgules.]
— S’éloigner quelques temps pourrait vous permettre / articula Auguste, en fixant Lysandre. [Vous éloigner / quelque temps / pas de virgule avant « en ».]
— Ma chère, votre visage m'est familier, lança Gisèle à Bérénice en ignorant la tension monter dans la pièce [en ignorant la tension qui montait]
— Mademoiselle Vasari a sauvé ma valise alors que je mettais à peine un pied à Paris, reprit Lysandre [Je propose « raconta Lysandre ».]
— Gisèle reprit, en jetant des coups d’œil tour à tour à Lysandre et Bérénice [Je propose « Gisèle conclut ».]
— Que votre vie doit être palpitante. [Point d’exclamation.]
— Les paroles de Lysandre n’étaient pas tombées dans les oreilles d’un sourd [dans l’oreille d’un sourd ; c’est une expression figée]
— Bérénice s’échappa de la pièce avant de se retrouver coincée et d’étouffer. [J’ai buté sur cette phrase ; je propose « de crainte de » au lieu de « avant de », parce que ce n’est pas sûr que ça va arriver si elle reste là.]
— Je vais rejoindre l'empereur. Allez-vous reposer. [Pas de trait d’union à « Allez vous ».]
— Dans son univers de géographes et aventuriers [Je dirais « de géographes et d’aventuriers ».]
— Elles lui rappelaient Grasse, la ville du parfum, de son enfance. [Je dirais « la ville du parfum et de son enfance » ou « la ville du parfum, la ville de son enfance ».]
— J’imagine…fit Dimitri davantage pour lui-même que pour Bérénice. [Virgule après « Dimitri ».]
— Non, Bérénice avait davantage l’impression que Dimitri était rongé par le doute. [Je propose « avait plutôt l’impression ».]
— Je n’ai ni la prétention de vouloir devenir l’empereur, ni la capacité. Lysandre en revanche… / Chez lui, ce n’est ni un caprice, ni une lubie. / Mais, le trône est un fardeau terrible [de devenir empereur / « la prétention de vouloir devenir », ça fait beaucoup. Je propose « Je n’ai ni la prétention de devenir empereur ni la capacité » ou, si tu veux conserver le verbe « vouloir », « Je ne veux pas devenir empereur ; je n’en ai ni la prétention ni la capacité » / virgule avant « en revanche » / pas de virgule avant « ni une lubie » / pas de virgule après « Mais ».]
— Elle touchait enfin au cœur des relations entre les frères Coeurderoy. [Ligature manquante.]
— Pour échapper à la mort, je n’ai eu d’autre alternative que de signer un contrat avec mon oncle. [Néologisme critiqué : « je n’ai eu d’autre choix ». En bon français, une alternative est un choix entre deux possibilités.]
— même si techniquement, c’est mon oncle qui a usurpé le trône de notre père. [Autre néologisme critiqué. À remplacer par « en fait », « en réalité » ou en « vérité ».]
— Elle imaginait une jeune version de Dimitri, le regard tout aussi buté et mature [Encore un néologisme (un anglicisme) : autrefois, on ne disait pas « mature » pour une personne. Je propose « mûr » ou « empreint de maturité ». / Je dirais « une version jeune ».]
— Elle reprit avec ferveur, réalisant enfin ce qui se tramait [« comprenant » ou « saisissant » plutôt que l’anglicisme « réalisant ».]
— mais ce pacte le contraignait, pieds et poings liés, à la bonne volonté de l’empereur… [« au bon vouloir », pas « à la bonne volonté » : ça ne veut pas du tout dire la même chose.]
— Dimitri se tût et la fixa avec détermination [se tut ; passé simple]
— Personne ne peut comprendre ce besoin nécessaire, irrépréhensible [« besoin nécessaire » est un pléonasme ; je propose quelque chose comme vital, absolu, fondamental, essentiel...]
— Ils étaient si accaparés par leur conversation, qu’ils n’avaient pas vu venir Lysandre. [Pas de virgule avant « qu’ils ».]
— Dimitri enfin, tu peux peut-être me comprendre… [Virgule après « Dimitri » / l’expression « tu peux peut-être » n’est pas très heureuse ; je propose quelque chose comme « tu es peut-être en mesure de me comprendre », « tu sauras peut-être me comprendre » ou « tu devrais pouvoir me comprendre »...]
— Dimitri est suspect et Harcourt prépare un coup d’état [un coup d’État]
— il prévoit d’attaquer Paris et prendre la place de l’empereur / Et avec Emilien Decas qui va prendre la direction du ministère des Habiles… [Il y a deux fois « prendre » ; je propose « occuper la place de l’empereur » ou « s’approprier le trône ». / Je propose « d’attaquer Paris pour » au lieu de « et », ce qui exprimerait mieux l’intention, le but de la manœuvre.]
— Les aérotilus…fit Dimitri en s’éveillant. Que j’ai créés…bon sang ! [Je propose : « Les aérotilus… fit Dimitri en s’éveillant, que j’ai créés… Bon sang ! »]
— tout en se frottant sa barbe naissante et reprit [« tout en se frottant la barbe » ou « tout en frottant sa barbe » / virgule après « naissante ».]
— Qu’est-ce que ce sont les aérotilus ? les interrogea Lysandre. [C’est la réplique du personnage qui tient lieu de COD au verbe d’incise. Il faut donc éviter les verbes qui demandent un autre COD. Je propose « s’enquit Lysandre ».]
— Et tu ne t’es pas douté que leur usage serait à des fins peu pacifiques ? [Cette tournure n’est pas très heureuse ; je propose « qu’on en userait à des fins (...) » ou « qu’on les destinerait à un usage (...) ».]
— Vous chamailler ne nous aidera pas. [Syntaxe : « Vous chamailler ne vous aidera pas » ou « Vos chamailleries ne nous aideront pas » ou « Si vous vous chamaillez, ça ne nous aidera pas ».]
— Alors, nous aurons peut-être une chance…murmura Lysandre. [La virgule après « Alors » est inutile.]
— Lysandre rebroussa chemin et lança avant que la porte ne se referme [Je ne mettrais pas le « ne » explétif. / Virgule avant « avant que la porte <ne>) se referme ».]
— Je sais qui pourra m’aider pour gagner en popularité [m’aider à]
— Tout cela ne pourra passer que par le décryptage de l’exocarte de votre père… [« décryptage » date de 1964 et « déctypter » de 1929 ; même « décodage » n’existait pas ; je propose « le déchiffrage », le « déchiffrement », « l’interprétation » ou « la lecture ».]
— je n’ai aucun souvenir de mes parents. Mais, elle vous revient. [Pas de virgule après « Mais ».]
— Ce dernier était bras-dessus bras-dessous avec le précédent empereur [bras dessus, bras dessous ; sans traits d’union, mais avec une virgule]
— Bérénice, dans les bras de sa mère devait avoir trois ans [Il faudrait placer « dans les bras de sa mère » entre deux virgules.]
— lorsqu’elle put lire sous la plume de son père, le vers du poète Virgile [de la plume de son père (il n’est pas en train d’écrire) ; il faudrait placer « de la plume de son père » entre deux virgules]
— L’amour vainc tout. [Il me semble qu’on dit plutôt « L’amour triomphe de tout. »]
Si j'ai bien compté, il y a 13 fois le verbe « reprit »en incise et il n'est pas toujours pertinent. Normalement, on l’emploie pour un personnage qui reprend son discours ou un sujet de conversation après une interruption (silence, action ou intervention d’un autre personnage).
Dans ces commentaires, j’appelle « néologismes » des termes apparus entre le milieu du XXe siècle et notre époque, en général.
On cerne beaucoup mieux Dimitri, ses propres ambitions, ses propres peurs et le conflit intérieur qui l'accompagne. J'adore vraiment ce personnage <3 Ce qui lie ces deux frères l'un à l'autre et ce qui les différencie est très bien mené, criant de réalisme. J'ai également le sentiment que Dimitri commence à sérieusement se rapprocher pas mal de Bérénice et qu'ils vont se lier d'autant plus par la suite (mais bon je me fais peut-être des films haha !). Quoiqu'il en soit ce rapprochement que je sens est très touchant, très juste.
Bref, je ne suis pas super constructive, mais que te dire de plus, sinon que je trouve ce chapitre super ;)
En tout cas l'histoire s'intensifie, et prend un tournant que j'aime beaucoup : du mystère, de l'action, des intrigues politiques... à suivre donc !
J'adore le plan qui se profile, prendre le pouvoir avant le 15 aout ! je suis a fond avec eux ! En plus je les adore, tous les trois ! un mondain, un inventeur et une aventurière, qu'est-ce qui pourrait leur résister ?
"Bérénice, dans les bras de sa mère devait avec trois an" -> devais avoir trois ans? mais je croyais que sa mère était morte en lui donnant naissance (il me semble qu'elle dit ça dans les premiers chapitres quand elle dit qu'elle a la poisse. En tout cas c'est ce que j'avais compris)
Voila ! j'espère que Lysandre va vite se remettre ! je me demande s'il va garder des séquelles, ya moyen que tu me spoile ça ? :p
Pour la photo...OMG j'avais pas fait intention...j'ai ressuscité la mère de Bérénice (en effet, je l'avais tuée en couche et la voilà bien vivante après !). Il va falloir que je corrige ça : a force de travailler les personnages et les chapitres, on oublie ce qu'on a dit précédemment ! Du coup, partons du principe qu'elle a vécu au moins jusqu'aux trois ans de Bérénice !
Héhé, je te spoile ça (mais pas plus!) : Lysandre va être vite d'aplomb pour botter les fesses de tout le monde (du moins, il va essayer !) des bisous et merci encore !
Quant à Bérénice, je ne vois pas comment elle espère prendre le pouvoir chez les habiles. Elle a tant confiance que ça dans ce que son père lui a laissé ? Comment sait-elle que cela va lui permettre un tel exploit. Peut-être que j’ai raté ou oublié quelque chose, mais sa confiance me parait un brin étonnante…
Pas mal de détails :
face aux plus arides des climats, elle se sentait bien, mais le froid la tétanisait : un climat aride, c’est un climat sec, pas forcément chaud
il accusait la terrible nouvelle : je ne pense pas qu’on puisse utiliser accuser dans ce sens. C’est accuser le coup (de cette terrible nouvelle ?)
Pierre l’intima au silence : lui intima le silence
N’imaginez pas un seul instant que ces individus soient là par empathie : je n’aurais pas mis un subjonctif ici.
une petite fille courrait : courait
une dame sortit d'une des portes : sortit par une des portes ?
Elle avait les bras grands ouverts, prête à enlacer Dimitri : elle était prête ? (sinon, il y a une rupture dans la phrase)
une superposition de robes lourdes et épaisses : un peu redondants, les deux adjectifs
Heureusement que les poseurs de bombe sont de vrais empotés : ça me semble un peu familier, dans sa bouche, et je ne sais pas si empoté s’utilisait à l’époque, j’aurais dit que c’était moderne.
mutilaient : ce n’est pas un peu fort ici, puisque tu dis que ses blessures sont superficielles ?
seules Ariane s'exclama de rire : seule. S’exclamer de rire, je trouve ça bizarre
Plutôt celle de l’homme le plus chanceux du monde : cette réplique ne répond pas vraiment à la précédente.
d’arrêter sa tête d’enterrement : d’arrêter de faire ?
Dimitri ne goûta pas à la plaisanterie : Dimitri ne goûta pas la plaisanterie. (dans ce sens, c’est transitif direct)
faisons comme si je n’ai jamais été aussi vaillant : je n’avais ?
Laissez tomber Bérénice : Laissez tomber, Bérénice (il faut absolument une virgule ici, sinon on comprend qu’il faut laisser tomber Bérénice…)
tout ce tintamarre : tintamarre, c’est du bruit, ça ne me semble pas approprié ici.
dardant son regard aquilin : aquilin, c’est pour le nez
Alexandre le succéda : lui succéda ? le rejoignit ? je ne vois pas trop bien le sens, ici.
Repet : Plus de peur que de mal, Gisèle, répondit Lysandre, en ignorant son rival. Et on ignore encore tout des coupables.
Repet : S’éloigner quelques temps pourrait vous permettre de vous éloigner du danger, articula Auguste, en fixant Lysandre. (quelque temps)
était-ce des menaces ?: étaient-ce des menaces ?
je choisis sans aucun doute le premier : la première ? (la vie)
avait-il vécu tout ce temps sur Paris : à Paris
Il était resté sur Paris : à Paris
-N’imaginez pas un seul instant que ces individus soient là par empathie : je n’aurais pas mis un subjonctif ici. ⇒ il faudrait que je demande à maître Fannie (hihi) mais je crois que imaginer c’est comme penser, croire etc et…on met le subjonctif. Mais j n’en suis pas sûre !
- vrais empotés ⇒ j’ai vu que le mot existait au moins depuis le Moyen age et j’aime bien qu’Ariane ait un côté familier. Elle se fait dans un monde d’hommes et passe par cette provocation pour arriver à ses fins. A mon sens.
-d’arrêter sa tête d’enterrement : d’arrêter de faire ? ⇒ je crois que les deux peuvent se dire, mais je ne suis pas sûre.
En effet, l’empressement est douteux ! c’est vraiment l’idée que les nobles sont pressés de savoir qui de l’oncle ou du neveu va gagner. Il est également aussi attirant, tout le monde est curieux à son sujet, il faut rêver…Et puis enfin il y a les conventions sociales. Ne pas venir au lit d’un prince héritier, ça craint. C’est un lieu où l’on vient voir l’héritier, mais également où on se montre !
Pour Bérénice, je ne sais pas si ça se tient, mais à la fin le discours s’emballe, Bérénice s’emballe. Elle a envie d’aider Lysandre et a l’impression que Lysandre en tant qu’empereur – Dimitri en tant qu’Habile -leurs parents qui étaient proches…tout cela est lié. Donc elle veut y croire. Après, entre ce qu’elle croit et ce qui va arriver…J’avais l’impression de davantage montrer un enthousiasme, plutôt qu’une assurance de réussir ses exploits ! Je devrais peut-être calmer ses ardeurs, son enthousiasme.
Merci encore beaucoup pour la lecture aussi rigoureuse sur le fond que la forme ! Des bisous ☺