Arya parcourut la distance bien plus vite qu’elle ne l’aurait cru. Habituée à voler beaucoup en portant de lourdes charges, ce vol lui parut merveilleux. Elle avait l’impression d’être en symbiose avec le vent. L’obscurité ne la dérangea pas. Elle avait l’habitude de voler à l’aveugle.
Le marché noir se trouvait dans une immense grotte à flan de montagne. Arya atterrit dans la zone prévue à cet effet. D’immenses flambeaux illuminaient les étals, plus loin, mais ici, seule l’obscurité entourait le visiteur désireux d’anonymat. Arya s’écarta vivement du lieu, peu désireuse qu’un suivant lui rentre dedans.
Elle s’avança pour découvrir une foule dense en complète opposition au niveau sonore faible. Ici, pas de marchands vantant leurs produits. On chuchotait. On échangeait en catimini. Les regards se fuyaient. On se frôlait sans jamais se parler. On feignait de ne pas se reconnaître. Les flambeaux sur les bords créaient des ombres dans les allées, rendant difficile la reconnaissance des traits.
Arya se promena. N’étant jamais venue en ce lieu, elle erra, ouvrant grands les yeux. Elle observa les produits et les gens, son œil scrutateur étudiant tout. Du sucre. Des poisons. Une ailée emmitouflée observant les environs depuis un empilement de caisse, une vigile sans aucun doute, veillant au grain ou prête à donner l’alerte en cas de problème. Des dagues. Des pâtes de fruits. Un vigile frottant ses yeux rouges en grimaçant. Une immense tente pleine d’animaux : perroquets, serpents, araignées, scorpions et même un bébé crocodile. Un vigile à moitié endormi. Enfin, elle trouva ce qu’elle cherchait.
- Bonjour, monsieur, dit-elle poliment.
Le vendeur leva les yeux sur elle.
- Mademoiselle, répondit-il. Que puis-je pour vous ?
Ses yeux caressèrent la tunique. Voyait-il ses reflets verts ? Peut-être, s’il avait l’habitude et c’était probablement le cas.
- J’ai besoin d’argamendium, en concentration trente.
- J’en ai, répondit l’homme au visage ridé.
Arya attendit mais comme il ne se passait rien, l’homme ricana.
- Première fois ? Vous devez me proposer quelque chose en échange.
Arya se figea. Échanger ? Elle n’avait rien à proposer.
- De la nourriture par exemple, poursuivit l’homme.
Arya soupira. C’était de bonne guerre. Sauf qu’ils manquaient déjà eux-mêmes. Tant que la première récolte de riz ne serait pas arrivée, permettant à Arya de renégocier avec l’huissier, ils seraient obligés de rationner.
- Un œuf de cane ? proposa Arya.
- Des œufs ? répéta l’homme en ouvrant de grands yeux.
Visiblement, il ne s’attendait pas à ça.
- Contre de l’argamendium, disons, douze œufs, annonça l’homme.
Arya grimaça. Le prix était bien trop élevé pour elle.
- Je prends note. Je vous remercie.
Arya s’éloigna, un peu dépitée. Elle passa pour la seconde fois devant le vigile aux yeux rouges. Il se frotta encore puis plissa les paupières.
- Bonjour, lui dit Arya.
Il se tourna vers elle en clignant plusieurs fois de ses yeux injectés de sang.
- Bonjour, répondit-il poliment.
- Vous devriez essayer de vous procurer de la Bredalthy. Une goutte matin et soir dans vos yeux. Au prochain quartier de lune, vous n’aurez plus rien.
- De la Bredalthy ? Ça va me brûler !
- Oui mais ça prouve que ça fait effet.
- Diluée ?
- Pure. Mais seulement une goutte hein !
L’homme fronça les sourcils. Arya repartit. Il n’en mettrait pas, elle en était persuadée. Le remède était douloureux. La plupart des patients ne le faisaient pas. Ils préféraient la gêne permanente à une douleur aiguë temporaire.
Le lendemain, elle s’adressa aux hommes.
- Le remède pour guérir Sul coûte douze œufs. Êtes-vous d’accord pour payer ce prix ?
Ils se réunirent et en discutèrent. Finalement, Gautier revint vers Arya.
- Oui, nous sommes solidaires. Nous apprécierions tous que la communauté se sacrifie pour nous. N’y a-t-il pas un remède pour Aymel ?
- Non, maugréa Arya. Souhaitez-vous ne pas travailler aujourd’hui afin de faire quelque chose avec Aymel ?
- Non. Nous voulons faire avancer la ferme, améliorer nos conditions de vie. Quelque soit l’utilité des bassins que nous creusons derrière, nous savons que cela ira dans notre sens. Nous vous faisons confiance. Ce soir, si vous le voulez bien, nous terminerons plus tôt pour faire la fête.
- Bien sûr, accepta Arya.
Arya laissa les hommes entre eux, ce soir-là, pour retourner au marché, les douze œufs sous le bras. Elle ne croisa pas l’homme aux yeux rouges. Le droguiste lui chercha pas à marchander ou à lui en soutirer davantage. Sul se remit. Aymel disparut pendant la nuit.
Arya prit l’habitude, une fois par semaine, d’examiner les travailleurs. De leur côté, les hommes osèrent lui confier leurs maux. Arya dut se rendre une nouvelle fois au marché juste avant la veille de la pleine lune. L’astre presque entièrement visible illuminait la vallée et la ville des ailés à l’horizon.
Arya retrouva le droguiste précédent, ayant apprécié la qualité de son produit. Elle annonça son besoin. L’homme lui répondit « huit œufs ».
- Non, quatre, dit une voix dans son dos.
Arya se retourna pour constater la présence de l’homme aux yeux rouges… qui ne l’étaient plus.
- Quatre œufs, se corrigea le droguiste.
- Merci de m’avoir soigné, dit l’homme avant de s’éloigner.
Arya le regarda disparaître derrière un étal. Elle ne l’avait pas aidé en espérant quoi que ce soit en échange. Elle ne s’attendait pas à ce que ces deux-là se connaissent. Arya effectua l’échange puis se dirigea vers la sortie.
- Mademoiselle ?
Arya s’arrêta pour reconnaître de nouveau le vigile.
- Cette demoiselle est souffrante. Accepteriez-vous de l’examiner ?
Arya observa l’enfant. Nul doute qu’elle ne volait pas encore. Arya hocha la tête. Elles se trouvèrent un coin tranquille. La gamine indiqua où elle avait mal, quand, de quelle manière. Arya l’écouta avec beaucoup de bienveillance.
- Je vais devoir poser mes mains sur ton ventre, prévint Arya. Tu veux bien ? Je vais essayer de ne pas te faire mal mais ça risque de pincer un peu.
La petite hocha la tête en tremblant. Arya fut la plus douce possible. L’enfant la laissa poser sa tête contre sa poitrine, examiner ses yeux, ses oreilles, sa gorge et son dos. Puis, elles ressortirent.
- C’est votre petite ?
- Elle appartient à ma communauté, indiqua l’homme.
La gamine était proche de l’envol. Ses ailes ne proposaient que quelques touches de blanc sur un noir d’encre. Arya annonça son diagnostic et énonça les remèdes ainsi que les quantités.
- Vous pourriez l’écrire, s’il vous plaît ? demanda l’aile noire en lui tendant une tablette.
- Vous savez lire ? s’étonna Arya.
- Non, mais le droguiste, oui.
Arya attrapa la tablette de sa main gauche et la posa sur son avant-bras droit. Son poignet et ses doigts bougeaient désormais assez pour lui permettre de maintenir la plaquette, même si cela lui était pénible et un peu douloureux. Elle traça les lettres en s’appliquant. Sa main gauche refusait d’être aussi précise que la droite mais le résultat restait lisible. Arya tendit son bien à l’aile noire qui ne regarda pas le texte.
- Accepteriez-vous d’examiner d’autres gens ? Il y a beaucoup de malades, ici.
- Oui, dit Arya.
Pouvoir de nouveau exercer la médecine la remplissait de joie. Gestionnaire, c’était sympa mais soigner des gens la comblait de bonheur.
Lorsqu’elle revint à la ferme, elle se fit happer par une main qui se colla sur sa bouche pour l’empêcher de hurler de frayeur et donc, de réveiller tout le monde.
- Vous rentrez tard ! gronda Gautier dans un murmure.
Il retira sa main.
- Je fais ce que je veux ! répondit Arya d’un souffle presque inaudible.
Les travailleurs avaient besoin de sommeil. Hors de question de les réveiller.
- Nous avons besoin de vous. Nous ne sommes rien sans vous.
- Je vais me coucher, grogna Arya en entrant dans son hamac, le visage souriant d’avoir pu soigner tant de gens.
Gautier réveilla Arya bien trop tôt à son goût.
- Réveil ! gronda Gautier. C’est l’aube. Grouillez-vous ! Le démographe ne va pas tarder.
- Démographe ? répéta Arya.
- Vous ne lui aviez pas dit d’attendre que le printemps avant de revenir ? Ben vous savez quoi ? C’est le printemps ! Et c’est aussi le premier jour de la pleine lune. Sauf qu’il va venir chercher vingt mecs et qu’on est cent. Je ne gérerai pas ça tout seul. Levez-vous !
Arya tomba du hamac. Gautier ne l’aida pas, se contentant, les bras croisés, de la regarder galérer. Arya sortit dehors après un immense bâillement. Le soleil levant lui brûla les yeux. Elle plissa les paupières tandis qu’un marteau tapait dans son crâne. Les ailés apparurent à l’horizon.
- Les volontaires pour la reproduction, avancez-vous ! Amine, va chercher les harnais ! ordonna Arya.
Les anciens ne s’avancèrent pas, laissant les nouveaux profiter de cette charmante escapade. Arya choisit les vingt volontaires qui passèrent volontiers leur harnais. Ils terminaient lorsque le démographe et ses transporteurs se posèrent.
- Oh ! Mais ils sont nombreux ! s’exclama le démographe. J’ai besoin de vingt-sept hommes et je pensais devoir aller ailleurs. C’est une merveilleuse nouvelle. Combien en avez-vous ?
- Cent, mais je ne peux pas en perdre plus de soixante d’un coup, prévint Arya.
- Je prends note.
- Gautier ! lança Arya. Sept volontaires de plus, je te prie.
Le contre-maître se dirigea vers les nouveaux pour désigner les heureux élus.
- Je n’ai jamais vu votre compagnon, lança le démographe. Il est timide ? Il se cache ?
- Je vis seule, répondit Arya. Je n’ai aucune envie de me mettre en couple.
La sélection étant terminée, Gautier revint vers les deux interlocuteurs, se plaçant à côté d’Arya.
- Je comprends, dit le démographe. Je dirai à un prêtre de venir vous honorer.
- Si un prêtre pose un pied sur mon domaine, je lui fais bouffer ses couilles ! hurla Arya, le sang bouillant dans son crâne.
La réaction prit tout le monde par surprise. Les travailleurs se figèrent. Le démographe en resta bouche bée. Les transporteurs détournèrent les yeux, préférant clairement faire croire n’avoir jamais entendu cette phrase.
- Tout le monde doit contribuer, siffla le démographe entre ses dents.
- J’en ai rien à…
La main de Gautier sur sa bouche l’empêcha de poursuivre. Arya ne se débattit pas. D’un coup d’aile, elle aurait pu se débarrasser du contre-maître.
- Excusez-la. La fatigue. Elle a très mal dormi. Arya, calme-toi ! finit-il à ses oreilles.
Les yeux de la jeune femme crachaient du feu. Le démographe détourna le regard avant de faire signe et toute la troupe disparut à l’horizon.
- Tu les détestes vraiment, dit Gautier en retirant sa main pour libérer la bouche d’Arya.
- Qui ça ? Les démographes ou les prêtres ? répliqua Arya.
Gautier ricana.
- Les deux, je suppose. J’avoue ne pas comprendre.
- Ils voulaient dire à un prêtre de venir m’engrosser. Je ne suis pas une putain de poule pondeuse !
- Ça, j’avais saisi, précisa Gautier. N’es-tu pas trop jeune pour ça ?
- Nul ne reste enfant éternellement, répliqua Arya.
- Tu as saigné ? s’étonna Gautier.
- Saigné ? répéta Arya. Seuls les ventres des femmes humaines saignent chaque lune. Les ailées ne connaissent pas ça.
- Ah bon ?
- Nous sommes des reptiles alors que vous êtes des mammifères.
Gautier et Arya s’assirent sur le rebord du puits tandis que les travailleurs se trouvaient une occupation. Tous comprirent qu’ils avaient besoin d’un moment seuls.
- Je ne comprends pas les mots que tu prononces, prévint Gautier.
- Les humains sont des mammifères. Vos femmes portent vos bébés dans vos ventres et ils naissent viables, comme les vaches, les chèvres, les chats ou les chiens.
Gautier indiqua d’un geste qu’il comprenait.
- Les ailés, nous… Nous étions des humains, à la base, tu le sais, n’est-ce pas ?
Gautier secoua négativement la tête.
- Un jour, trois dragons sont venus et ont soufflé sur un certain nombre d’élus. Des ailes leur ont poussé.
- Soufflé ? répéta Gautier.
- C’est ainsi que les textes anciens ont été traduits. Apparemment, les dragons ont juste soufflé sur les humains et paf, des ailes sont apparues.
Gautier écarquilla les yeux, clignant rapidement des paupières.
- Sauf que ce souffle a modifié autre chose chez les humains choisis. Leur mode de reproduction s’est rapproché de celui des dragons, qui sont des reptiles.
- Reptiles ? répéta Gautier en grimaçant.
- Comme les crocodiles, les lézards, les serpents ou les tortues, dit Arya.
Gautier secoua négativement la tête. Arya soupira. Il n’était guère étonnant que ce travailleur n’ait jamais vu de sa vie un reptile se reproduire.
- Ça n’est pas exactement pareil mais disons que nous nous rapprochons davantage des oiseaux, telles les canards et leurs canes.
- Les ailés pondent des œufs ? s’étrangla Gautier.
- Oui, sauf que contrairement aux oiseaux, nos œufs sont souples. Leur coquille est molle et heureusement, car l’œuf doit énormément grossir. À la naissance, il est de la taille d’un abricot. Six mois plus tard, un bébé de taille normale doit se trouver à l’intérieur.
- Tu es issue d’un œuf ? insista Gautier, abasourdi.
- C’est pour ça que les ailés n’ont pas de nombril, indiqua Arya.
- Je n’ai jamais vu le ventre d’un ailé alors je te crois sur parole, indiqua Gautier.
- La deuxième différence avec les oiseaux est que, comme les reptiles, les femmes ailées pondent beaucoup d’œufs en une ponte, entre vingt et cent.
- Ouah ! s’extasia Gautier. Vous devez vous reproduire à une vitesse phénoménale !
- Pas du tout non, car aucun de ces œufs n’arrive à terme. Aucun bébé n’en sort jamais.
- Je ne saisis pas, admit Gautier.
- Les mots suivants constituent un blasphème mais je m’en fous. Le fait est qu’Ousouk le jaune, Ymel le bleu et Ham’y’yel le rouge étaient des dragons inférieurs qui ne s’y connaissaient pas très bien en magie. Leur réalisation a été bancale. C’est ainsi que leur création s’est révélée presque infertile.
- Presque ? répéta Gautier.
- Parfois, un enfant survit. Deux relève de l’exceptionnel. Naturellement, le taux est bien meilleur chez les purs, plus proches des dragons. Leurs femmes arrivent souvent à garder un bébé tous les deux à cinq ans, là où les impurs en espèrent un toute leur vie, souvent en vain.
- Tu dois contribuer, se rappela Gautier. C’est ce que le démographe souhaite : que tu offres un bébé à la communauté.
- Les ailés sont rares et meurent beaucoup. Les purs décèdent d’accidents de vol. Les impurs de malnutrition et de maladies. Le nombre d’ailés diminue d’année en année. Chacun doit y mettre un peu du sien. La plupart des purs permettent le mariage inter-couleur mais obligent leur membre à coucher avec un de leur couleur afin d’offrir de nouveaux enfants.
Gautier fit la moue. Il découvrait un monde qu’il n’appréciait pas.
- Tu ne veux pas te reproduire, comprit Gautier.
- Je refuse de voir mourir mes œufs, encore, et encore, et encore.
- Tu es pure. Certains survivront.
- Je ne suis pas pure, gronda Arya.
Gautier lui envoya un regard narquois.
- Je ne suis pas pure ! s’énerva Arya avant de s’éloigner, très en colère.
Elle appela les travailleurs et réalisa la répartition, en restant très froide et distante envers Gautier. La journée débuta un peu en retard mais elle fut prolifique malgré l’absence d’un quart des ouvriers. Les anciens étant tous là, la rentabilité fut excellente.
Au crépuscule, le démographe revint, accompagné de sa trentaine de transporteurs pour ramener les travailleurs aux visages souriants.
- J’ai prévenu un prêtre, annonça le démographe. Il devrait être là avant la prochaine lune.
Gautier s’approcha en frémissant.
- Pas de souci, répondit Arya, faisant sursauter son contre-maître. Voilà ce que je ferai quand il se présentera.
Arya déploya ses ailes et le démographe blêmit. Les ailes brillaient au soleil couchant.
- Je ne me priverai pas de lui dire comment un démographe nommé Varys, n’ayant pas eu les couilles de me déclarer pure le jour de mon envol, a envoyé mes parents vers un médecin nommé Daryl. Vous savez quoi, Varys ? Daryl non plus n’a pas eu les couilles de me déclarer pure. Mais comme me déclarer impure serait une offense aux dieux, il ne m’a pas déclarée impure non plus. C’est ainsi que je n’existe pas, nulle part, dans aucun de vos putains de registre. Je suis sûr que ce prêtre sera très intéressé par mon histoire et que les dieux sauront apprécier la valeur du sacrifice que vous constituerez.
Le démographe recula comme s’il se fut pris un coup. Il s’envola mais, sous le choc, s’empêtra les ailes et se rattrapa de justesse. Les transporteurs sourirent sans se moquer ouvertement toutefois. Arya se tourna vers ses hommes et lança le dîner. Alors qu’il se terminait, Gautier fit signe à Arya de le suivre dehors.
- Pas de soin ? s’étonna la gestionnaire.
- Viens, dit-il.
Arya le suivit jusqu’à l’ancienne maison des gestionnaires, devenue une réserve. Il faisait sombre à l’intérieur. Les rayons de la pleine lune passant par quelques interstices rendait l’endroit très intime.
- Que veux-tu me montrer ? demanda Arya.
- Je suis un mammifère, commença Gautier.
- Tu as appris un nouveau mot, persifla Arya.
Gautier leva un regard navré sur elle avant de se diriger vers la porte. Arya comprit qu’il venait de chercher à se rapprocher d’elle.
- Gautier ! Excuse-moi ! lâcha-t-elle alors qu’il passait le pas de la porte.
Il se figea, sans toutefois se tourner vers elle.
- C’était mesquin de ma part de te dire ça. Pardonne-moi. Je suis fatiguée et en colère, mais tu ne mérites pas de subir ma mauvaise humeur.
Le contre-maître resta un instant immobile puis il retourna à l’intérieur de la pièce et ferma la porte derrière lui.
- On le sent bien, parfois, le côté jeunesse impétueuse.
Arya fit la moue.
- Quand ça te permet de rembarrer aussi joliment le démographe, ça me plaît, admit-il.
Arya rit.
- Je n’ai rien compris à ton discours mais visiblement, lui, oui.
- Je l’ai menacé de mort, traduisit Arya.
- Ah oui, quand même ! Alors le prêtre ne viendra pas.
- Je ne crois pas, non, ricana Arya.
Gautier s’adossa au mur sud et caressa Arya des yeux.
- Tu avais commencé à me dire que tu es un mammifère, rappela Arya d’une voix très sérieuse.
- Et toi, tu es un reptile. Nous ne sommes pas compatibles. Je veux dire, pas de reproduction possible entre nous.
- Non, en effet, dit Arya. C’est pour avoir cette réponse que tu m’as fait venu ici ? Tu aurais pu me le demander dans le dortoir ! Je n’ai pas honte d’être un reptile. Cela va avec mes ailes.
- Tu ne veux pas te reproduire, poursuivit Gautier qui n’avait apparemment pas été jusqu’au bout de son idée.
- C’est ça, confirma Arya.
- Vu que votre ventre ne saigne pas, comment savez-vous quand vous êtes fertiles ?
- Comment les hommes humains le savent-ils ? répliqua Arya.
- Quand leur bite les démange, je suppose, rit Gautier.
- Ben voilà.
- Si ton sexe te démange, je suis volontaire pour l’apaiser, précisa Gautier.
Arya rougit brutalement. Gautier s’avança vers la gestionnaire qui ne bougea pas d’un pouce. Il s’arrêta très proche d’elle, la bulle d’intimité crevée.
- Et avec moi, pas de risque de reproduction, termina-t-il.
Arya trembla, les yeux résolument fixés sur le sol. Gautier lui mit un doigt sous le menton et l’obligea tendrement à lever les yeux vers lui. Il lui sourit, une immense douceur dans le regard. Il se recula d’un pas et retira sa tunique.
Des hommes nus, Arya en avait vu beaucoup. À la clinique, déjà, nombre de patients se montraient au naturel, que ça soit pour les soins ou les opérations. Ensuite, la plupart des travailleurs ne s’embarrassaient pas de pudeur. Gautier, lui, avait toujours fait en sorte de ne pas se montrer nu devant elle. Elle le découvrit pour la première fois. Le travail dur de la ferme sculptait les corps. La nourriture tout juste suffisante interdisait la moindre once de gras.
Arya sourit. Le paysage lui plaisait. Elle mordilla sa lèvre inférieure. Il était mignon, d’accord, mais en avait-elle envie ? Se sentait-elle prête ? Son enfance était-elle vraiment derrière elle ? Elle avait la sensation d’être adulte depuis bien longtemps mais cet acte scellerait pour de bon son entrée dans cette catégorie.
Enfant, elle crevait d’envie de ne plus l’être. Ce n’était pas une raison pour coucher avec le premier venu. Gautier ne bougea pas. Il resta, patient, à attendre. Lorsqu’elle croisa son regard, elle lut un immense respect et elle en fut certaine : si elle disait « non », il se rhabillerait, ressortirait et patienterait. Jamais il ne la forcerait. Il saurait attendre. Il ne la brusquerait pas.
Arya retira sa tunique et s’avança vers Gautier. Elle se mit sur la pointe des pieds et déposa ses lèvres sur celle de son contre-maître qui l’attrapa par les hanches et le baiser fut torride, à l’image de ce qui suivit.
Lorsqu’ils revinrent au dortoir, les hommes étaient couchés.
- Pour Gautier, hip hip hip ! lança Gontrand.
- Houra ! s’exclamèrent tous les autres travailleurs.
- C’est fin, ça ! s’exclama Gautier.
- Pour Arya, hip hip hip ! cria Gontrand.
- Houra !
Arya explosa de rire.
- Maintenant, dodo, dit Gautier. Les journées sont longues.
Nul ne fit plus le moindre commentaire sur le sujet. La gestionnaire et le contre-maître allaient souvent visiter la réserve le soir et personne ne s’avisait de leur en faire le reproche. Les travaux avancèrent. Le prêtre ne vint jamais. Lorsque le démographe revint, il se montra courtois et distant, le regard fuyant. Gautier grondait Arya à chaque fois qu’elle revenait tôt le matin du marché noir où elle se rendait désormais une fois par lune. Arya s’en moquait. Elle adorait soigner les gens dans le besoin.
Pour Arya, hip hip hip, hourra !
Et pour Varys, hip hip hip, CHEH !
(c'était un commentaire très constructif)
Et sinon, au marché noir, ils lui font tous des réductions de 50% en sachant qu'elle va les soigner si jamais ils tombent malades ?
D'ailleurs, Aymel, on ne l'a pas vu mourir, pourtant des lunes se sont écoulées. Il est toujours à l'agonie ou bien sa mort a été passée sous silence ?
Sa mort est passée sous silence...