Chapitre 19 : Condamnation

Lyra respira un grand coup puis appela la glyphe d’air. Elle releva une manche et créa les bulles près son bras. Elle bougea jusqu’à sentir les remous. L’air remontait, lui indiquant le haut. Lyra ordonna à une immense colonne d’air de la propulser dans cette direction.

Son dos heurta la paroi de la grotte tandis que son corps dégoulinait. Lyra hurla de joie. Elle se trouvait dans une poche d’air. Hors de question de respirer l’air présent ici. Il avait de fortes chances d’être vicié. Elle garda sa grosse bulle autour de sa tête et tout en maintenant la pression de l’air sur elle de sa main gauche, joua avec la droite afin d’éloigner l’eau d’elle. Elle ne devait surtout pas être en contact avec l’élément liquide.

Ses deux mains jouant de concert avec les deux glyphes, son pied droit frappant la mesure sur la roche convoqua la foudre. Un éclair traversa la caverne souterraine, dévoilant une silhouette convulsant, percée de multiples réminiscences cristallines. Plus loin sur la droite, un trou promettait la liberté.

Le noir revenu, Lyra compta lentement jusqu’à trois puis lâcha tout. Dans l’eau glaciale, elle nagea de toutes ses forces, attrapant le corps inerte de Kaelan au passage, fonçant vers la sortie. Kaelan ne réagit pas. Il se laissa traîner dans ce qui s’avéra être un siphon au bout duquel le soleil accueillit Lyra.

Un sol rocheux couvert de mousse. Des arbres plus loin. D’autres trous d’eau. Jamais Lyra n’aurait deviné la présence d’un conduit vers une grotte souterraine ici. En traînant le corps inerte de Kaelan, Lyra fut frappée par un mélange complexe d'émotions : soulagement, pitié, et une pointe de satisfaction d'avoir vaincu son ennemi. Elle activa la glyphe de soin. Le cœur ne battait plus. Il n’y avait aucune blessure à soigner. Cette méthode-là ne donnerait aucun résultat.

La glyphe d’air poussa l’eau en dehors des poumons. Kaelan, toujours inconscient, cracha sans revenir à lui. Lyra jouait de la main gauche pour assurer un renouvellement en air pur à l’intérieur des poumons de son adversaire que l’empereur voulait vivant. De la droite, elle appela la foudre, plus douce, directement sur le cœur. Une fois. Deux fois. Trois fois. Quatre fois.

Kaelan sursauta puis retomba. Son cœur battait seul ! Il respirait sans aide. Lyra activa la glyphe de soin pour réparer les organes blessés par le manque d’air. Lorsque Lyra jugea Kaelan transportable, elle lui empoigna les mains et se concentra, projetant dans son esprit la salle de bal impériale à Sylvaris.

Elle espéra ne pas apparaître au milieu d’un courtisan. Fort heureusement, la salle se trouvait vide à cette heure de la matinée. Aucun courtisan. Le trône était vide. Seuls quelques gardes stationnaient et ils ne ratèrent pas l’apparition magique des deux intrus.

Protégés par leurs glyphes anti-magies, ils s’avancèrent, épées au clair, tandis que l’un d’eux partait prévenir qui de droit.

- Il est dans un sale état, prévint Lyra en désignant Kaelan. Il lui faut des soins. Moi, je n’en peux plus. Je suis vidée.

Elle s’assit au sol, tremblante tant de froid que sous le choc. Tout son corps réclamait du repos. Lyra venait à peine de reprendre son souffle que l’empereur apparaissait.

- Cet homme s’appelle… commença Lyra.

- Kaelan, je sais, dit l’empereur. Emmenez-les dans les prisons magiques du palais. Ils n’en sortent pas et nul ne va les voir. Ils seront nourris par la trappe dans le plus grand silence. Me suis-je bien fait comprendre ?

- Oui, Majesté, répondirent les gardes d’une même voix.

Lyra suivit sans s’opposer. Alors que les gardes l'emmenaient, Lyra ne put s'empêcher de réfléchir à sa position précaire. Elle était à la fois héroïne et prisonnière, marchant sur la fine ligne entre la faveur de l'empereur et sa méfiance.

Une fois dans la cellule, elle observa le dessin gravé sur le mur et sourit. Voilà qui ne lui posait plus aucune difficulté. Cette vieille glyphe ne fut pas difficile à démettre. Elle la détruisit puis en remonta une autre, solide, neuve, complète, empêchant tout utilisateur de la magie de s’en servir… sauf elle, évidemment.

Lyra aurait pu se téléporter dehors. Elle ne le fit pas. Si l’empereur la voulait ici, elle obéirait. Elle tenait à lui prouver sa fidélité. Lyra s’arma de patience.

Elle compta cinquante-quatre repas apportés dans le plus grand silence avant que la porte ne s’ouvre, dévoilant l’empereur et Fynn qui entrèrent. La porte se referma derrière eux.

- Utilisez-vous la musique afin de sublimer la magie que vous portez ? interrogea l’empereur.

- Oui, Majesté, indiqua Lyra et Fynn avoua également en grimaçant.

L’empereur s’approcha de Lyra, jusqu’à la coller et la jeune femme ne broncha pas. L’empereur, plus grand qu’elle, se pencha sur son oreille et murmura :

- Monte une bulle de silence autour de nous trois. Nul ne doit nous entendre dehors. Personne.

L’empereur lui demandait de lancer un sort dans une cellule censée être protégée contre. Il savait. Il la testait. Lyra avait réussi le premier test. Restait à concrétiser.

- C’est fait, annonça-t-elle.

L’empereur se recula en hochant la tête de contentement.

- Tu tiens en place une bulle de silence ! s’exclama Fynn en observant ses mains. La glyphe anti-magie devrait t’en empêcher ! Je ne peux pas lancer de sort ici.

- J’ai détruit la glyphe précédente pour en monter une nouvelle. Celle-ci fonctionnera pendant au moins deux générations, annonça Lyra.

- Merci, Lyra. Le paiement correspondant sera envoyé à Valdoria, promit l’empereur.

Lyra ne douta pas un instant de la sincérité du chef suprême de l’Empire. Ce dernier croisa les doigts devant lui, réunissant ses deux mains en une

- Le conseil s’est réuni, annonça l’empereur. D’un accord acté à l’unanimité, vous avez été tous les deux été condamnés à mort pour usage harmonieux interdit de la musique et de la magie.

Lyra sentit sa gorge se nouer. Malgré son calme apparent, Lyra sentit un frisson glacé parcourir son échine à l'annonce de sa condamnation. Elle lutta pour maintenir son masque d'impassibilité, consciente que chaque réaction pourrait être scrutée par l'empereur.

Fynn blêmit. Son visage passa par une myriade d'émotions - choc, peur, colère - avant de se figer dans une expression de défi. Ses poings se serrèrent, trahissant sa tension intérieure.

- J’ai beaucoup discuté avec Ash, indiqua l’empereur. Savez-vous que l’empathie ne permet pas de s’assurer de la véracité des propos prononcés ?

Lyra, sentant que la question était rhétorique, choisit de ne pas y répondre.

- L’empathie permet seulement de déterminer si le parlant est honnête. Il peut très bien annoncer que le ciel est rouge sans mentir. Il suffit qu’il ne l’ait jamais vu de ses yeux et ne fasse que répéter des dires en lesquels il croit.

Lyra pencha la tête et plissa les paupières. Où l’empereur voulait-il en venir ?

- Ash vous tient en haute estime. Toi, Fynn, parce qu’il est amoureux fou.

Le barde se tortilla de malaise.

- Toi, Lyra, parce que tu as su le respecter et le comprendre là où le monde le montre du doigt et ricane dans son dos.

Lyra resta de marbre. Les compliments cachent souvent la flatterie. Pourquoi l’empereur prenait-il la peine de venir lui dire tout ça ?

- Ash m’assure de votre fidélité à l’Empire, à tous les deux, indiqua l’empereur. Jusque là, ton attitude, Lyra, indique qu’il a raison.

Lyra ne réagit pas à la remarque même si elle était méritée. Après tout, Lyra était restée enfermée alors qu’elle aurait pu sortir d’un claquement de doigts. De plus, l’empereur se trouvait seul avec elle et malgré l’annonce de sa mise à mort à venir, elle ne montrait aucun signe d’agressivité.

- Quant à toi, Fynn, je ne sais pas trop. Sorcier, meurtrier…

- Toute la famille royale Valdorienne sont des meurtriers, cingla Fynn.

L’empereur se contenta d’un léger sourire à cette accusation véhémente.

- Je t’avais prévenue, Lyra, de te méfier d’eux, dit Fynn. À peine avais-tu disparu qu’ils se sont téléportés pour nous dénoncer à l’empereur.

L’empereur ne nia pas. Son sourire amusé s'élargit face à la colère de Fynn. Ses yeux, cependant, restaient froids et calculateurs, observant chaque réaction avec une attention presque prédatrice.

Les révélations de Fynn sur la trahison de la famille royale firent naître un tourbillon d'émotions contradictoires chez Lyra. La colère et la déception se mêlaient à une résignation amère, comme si une part d'elle-même s'était toujours attendue à cette trahison.

- Tu te bats pour eux et voilà comment ils te le rendent, termina Fynn. Ce sont des chiens !

Le barde cracha sur le sol pour conclure sa tirade. Les lèvres de l’empereur s’étiraient dans un rictus amusé.

- Que veux-tu ? demanda Lyra d’un ton impassible.

L’empereur la fixa longuement, comme s’il essayait de lire en elle. Si Ash avait donné des leçons accélérées de magie à Lyra, Anne s’était chargée d’éduquer Lyra à la politique et si aucun miracle n’arrivait en trois saisons, Lyra n’était plus l’oie blanche qu’elle avait pu être lors de sa dernière venue au palais impérial.

- À genoux, tous les deux, ordonna l’empereur en réponse.

Lyra s’exécuta sans attendre. Fynn hésita un clignement d’œil avant d’obtempérer.

- Êtes-vous capables de monter un spectacle son, lumière et odeur ?

Lyra, restant à genoux, leva sur l’empereur un regard interrogateur.

- Une magnifique mise à mort par le feu, totalement crédible. Chaleur, odeur, visuel. Tout le monde devra y croire.

- Fynn guidera et je suivrai. En duo, nous pouvons y arriver.

- Vous serez libres d’user votre harmonie, précisa l’empereur. Tout le monde doit penser cette exécution réelle. Je serai le seul – je dis bien le seul - à connaître la vérité.

L’empereur ne voulait pas qu’ils meurent. La main droite de Lyra se mit à trembler. Elle ne douta pas que cette amnistie serait payante. Elle s’attendait au pire.

- Fynn, si j’ai bien compris, tu as tué Omicron Elara.

- En effet, Majesté, confirma Fynn, toujours à genoux, le regard fixé sur le sol, les yeux bougeant en tout sens.

Qu’il fut perdu dans une tornade d’émotions était une évidence.

- Omicron Elara était une bien piètre empathe. Elle ne maîtrisait pas du tout cette rune. Judith, l’empathe qui m’accompagne actuellement, est lasse. Il paraît que c’est insupportable, l’empathie à longueur de journée.

- Je confirme, grogna Fynn.

- Es-tu bon empathe ? Maîtrises-tu cette rune qu’Omicron Elara délaissait afin de ne surtout pas obtenir le poste correspondant ?

Lyra comprit que l’empereur peinait à recruter des mages. Les rares qui obtenaient la rune ne mettaient pas beaucoup de bonne volonté dans l’amélioration de leurs compétences.

Fynn n’avait eu de cesse de travailler son empathie afin de pouvoir soutenir Lyra, s’assurer des bons et des mauvais dans la cour Valdorienne remplie de traîtres.

- Je suis un excellent empathe, avoua Fynn à contre-cœur.

- Tu remplaceras Judith, annonça l’empereur. Ton rôle sera d’être avec moi à longueur de journée, l’empathie activée en permanence.

- Je ne pense pas être capable de faire ça, susurra Fynn en tremblant.

À la cour, entouré de courtisans flatteurs et mielleux, il allait vomir souvent.

- Tu vas apprendre. Judith te formera. Au début, vous serez en duo. Dans quelques temps, elle partira et tu devras m’accompagner seul. Elle t’apprendra les signes convenus pour les moments où tu dois être visible et annoncer haut et fort ce que tu ressens et ceux où tu dois tout faire pour qu’on oublie ta présence. Tu devras être capable, le soir alors que nous sommes seuls dans mes appartements, de répondre à une question du genre « Ce matin, intel m’a dit ça. Était-il honnête ? »

Fynn frémit. Voilà une demande sacrément compliquée. Lyra sentit un mélange de soulagement et d'appréhension l'envahir. La perspective d'échapper à la mort était enivrante, mais le prix à payer semblait lourd et incertain.

- As-tu compris ? demanda l’empereur.

- Oui, Majesté, répondit Fynn, conscient qu’il n’avait pas le choix.

Le corps du barde se tendait. Ses mains tremblaient, trahissant son anxiété face à ce rôle d'empathe permanent qu'il allait devoir endosser.

- Lyra, mets en pause la glyphe anti-magie, s’il te plaît.

Quelques gestes suffirent pour que Fynn retrouve l’usage de ses runes.

- Tu vas sortir mais invisible. Tu peux faire ça ? interrogea l’empereur.

- Sans difficulté, Majesté.

- Tu rejoindras les tailleurs où tu te serviras d’un vêtement couvrant. Nul ne devra jamais pouvoir te reconnaître. Débrouille-toi. Fais en sorte que personne ne te voit ni ne t’entende. Je veux être le seul à savoir.

- Bien, Majesté.

- Tu me rejoindras une fois couvert de la tête aux pieds. Judith t’attendra. Elle ignore ton identité et ne devra jamais la connaître. Écoute la mais n’active pas ton empathie. Garde tes forces pour le spectacle son et lumière à venir. Votre exécution est prévue pour demain matin. Maintenant, va !

Fynn se leva, salua l’empereur puis disparut, ne laissant que le néant derrière lui. Fynn pourrait tout aussi bien fausser compagnie à l’empereur. Lyra savait qu’il ne le ferait pas. Il avait déjà vécu une vie à fuir. Il ne comptait pas recommencer.

Alors que Fynn disparaissait, Lyra ne put s'empêcher de s'inquiéter pour lui. Comment supporterait-il cette constante immersion dans les émotions des autres ? Elle craignait que cette tâche ne finisse par le briser.

Le regard perçant de l'empereur ne quittait pas Lyra, comme s'il cherchait à sonder les moindres recoins de son âme. Son visage restait impassible, mais une lueur calculatrice brillait dans ses yeux.

- Modèle une glyphe anti-magie sur ce bracelet, ordonna l’empereur en tendant une entrave en acier sculptée d’entrelacs rappelant beaucoup les tatouages magiques. Je veux qu’une fois placé à ton poignet, ce bijou t’empêche d’accéder à tes pouvoirs.

Lyra frissonna. Elle attrapa l’objet et activa la glyphe correspondante. L’empereur resta silencieux le temps du modelage, pourtant long. Finalement, Lyra lui tendit l’objet ensorcelé.

- Ton poignet droit, ordonna-t-il.

Lyra le lui tendit. Il fixa le bracelet qu’il ferma à l’aide d’un clé placée en sécurité dans une poche intérieure de son veston.

- Mieux… Bien mieux, commenta-t-il.

Il s’accroupit devant Lyra toujours agenouillée. Il se trouvait ainsi toujours plus haut qu’elle mais beaucoup plus proche.

- Si une fois ce bracelet en place, quiconque constate que tu utilises la magie, tu seras mise à mort dans l’instant et ta fille aussi.

Lyra frémit en reculant un peu la tête, pétrifiée de terreur.

- Elle constitue ma garantie qui Fynn et toi ne ferez rien de stupide. Le moindre soupçon de trahison… et elle paiera.

Lyra hoqueta en comprenant que sa fille ne lui serait pas rendue.

- Ash prendra grand soin de Kaïna, lui assura l’empereur. Elle recevra une éducation et vivra dans le confort.

Lyra ne put empêcher sa main droite de trembler.

- Fynn et toi pourrez avoir d’autres enfants que vous pourrez élever ici, au palais. Approchez de Kaïna et elle meurt. C’est aussi simple que ça.

Otage. Lyra ne put empêcher une larme de couler. L’empereur s’assurait de sa fidélité en menaçant la vie de sa petite fille. Lyra comprit que Kaïna la croirait morte. Cette réalisation frappa la jeune femme comme un coup physique. Elle sentit son cœur se déchirer, chaque battement un rappel douloureux de la séparation forcée avec son enfant.

- Pourrais-je parler à Ash ? demanda Lyra.

- Une morte ne parle pas, répliqua l’empereur.

Ash aussi la croirait morte. Tout le monde. Sa propre fille penserait que l’Empire a tué ses parents parce qu’ils étaient des criminels. Lyra serra le poing. Elle comprit pourquoi l’empereur avait tenu à ce qu’elle soit privée de ses pouvoirs avant de lui annoncer ça. Ce bracelet la privait vraiment de sa magie. Elle tenait à prouver sa fidélité à l’empereur. Elle ne voulait pas fuir quiconque mais vivre libre. Elle comprit que cela ne se produirait pas.

Plus jamais elle ne reverrait sa petite fille ni ne contemplerait son bébé juste né. Son petit garçon qu’elle avait à peine aperçu après sa naissance. Il boirait le lait d’une autre. Il grandirait sans mère, loin d’elle.

Les mains de Lyra tremblaient, trahissant le tumulte intérieur qui la déchirait. Elle luttait pour maintenir une façade de calme, mais son corps tout entier semblait vouloir se rebeller contre cette cruelle réalité.

- Tu seras heureuse, je suppose, d’apprendre que Kaelan est mort, indiqua l’empereur.

Lyra leva sur lui un visage trempé de larmes. L’empereur expliqua :

- Après avoir interrogé de nombreuses personnes, j’ai permis à Ash de lui enfoncer une dague en argent dans le cœur.

Lyra soupira d’aise. L’héritier Valdorien avait finalement retrouvé les pouvoirs de sa famille. Elle fut emplie de joie pour lui.

- Je déteste utiliser la violence contre la violence mais il m’a paru que dans ce cas précis, il était difficile de faire autrement. La famille royale Valdorienne n’aurait pas permis la perte des pouvoirs si durement obtenus. Trop de magiciens sont morts pour que leur sacrifice soit vain. Quant à attendre que ton fils soit en âge de le faire lui-même… J’ai préféré que Ash s’en charge.

Ash n’avait jamais tué personne. Ce meurtre avait dû redorer son image auprès de sa famille. Triste réalité que de devoir prendre une vie pour être accepté par les siens. Que cette horreur soit épargnée à son fils rassura Lyra.

- Comment va le garçon que Kaelan avait commencé à former ?

L’empereur grimaça.

- Il est mort. Dans le désert des Alphas. Les mages n’ont pas pour habitude de former des enfants traumatiques. Le résultat n’est jamais probant.

- Les magiciens ont tué ce gosse ? s’étrangla Lyra.

- Disons qu’ils ont omis de lui donner les quelques conseils nécessaires à sa survie puis se sont éloignés. C’est une pratique courante. Ils ne tuent pas directement l’enfant alors ils ne peuvent être accusés de rien. La magie se charge de la mise à mort elle-même.

Lyra en eut la nausée. Ce pauvre gosse innocent n’avait rien demandé.

- Tu trouveras le vêtement prévu pour toi dans mes appartements. Je vais retirer ton bracelet et tu vas te téléporter là-bas. Je t’y rejoindrai.

- Je ne peux pas me téléporter sans visuel dans un endroit où je ne me suis jamais rendue.

- C’est donc ça, la limite ? Le secret tant gardé des téléporteurs ? Il faut être déjà allé à la destination ?

- Cela ne suffit pas. Il faut y être allé et pouvoir se le figurer sensoriellement.

- Sensoriellement ? répéta l’empereur.

- Savoir à quoi il ressemble mais aussi son odeur, sa température, son taux d’humidité, ses bruits et d’autres paramètres sur lesquels j’ai du mal à mettre des mots. Mieux on connaît l’endroit et plus c’est facile de s’y rendre.

- Je vois. Tu vas faire comme Fynn en ce cas. Te rendre invisible et me suivre. Je me rendrai à mes appartements à un moment ou à un autre. Tu attendras bien que je sois seul pour apparaître.

- Bien, Majesté, répondit Lyra.

L’empereur attrapa le poignet de Lyra et sortit la clé du cadenas mais se figea avant de le débloquer.

- M’es-tu fidèle, Lyra ?

- La vie de ma fille en dépend, rappela Lyra, amère.

- Elle n’est qu’une assurance. Tu avais respecté ma volonté avant de savoir que je la tenais en otage.

- Je n’ai pas envie de devoir fuir toute ma vie. Je n’ai pas non plus envie de monter sur ton trône. Déjà que celui de Valdoria me faisait chier.

- Tu n’y es plus, fit-il remarquer en souriant.

- Et je te sais gré de m’avoir ôté cette charge qui me pesait. Ceci dit, je suis toujours reine de Valdoria.

- Tu ne le seras plus demain, répliqua l’empereur.

Lyra lui lança un regard interrogateur. Le visage de l'empereur restait impassible alors qu'il délivrait ces nouvelles dévastatrices, mais ses yeux brillaient d'une lueur calculatrice. Chacun de ses gestes, chacune de ses pauses semblait minutieusement chorégraphié pour maximiser l'impact de ses paroles.

- Les mortes ne peuvent pas être reines, expliqua-t-il. Les Valdoriens ne sont plus sous ta responsabilité.

Lyra n’était pas d’accord. Elle choisit ses mots afin de ne pas heurter l’empereur qui lui faisait face, la clé pas encore insérée dans le cadenas.

- Les Valdoriens ont besoin de la vente des glyphes pour survivre, rétorqua Lyra alors que l’empereur jouait avec la clé.

- Ils recevront des subventions régulières de la part de l’Empire, sans qu’ils n’aient rien besoin de faire pour les obtenir. Dans le même temps, mon palais retrouvera sa splendeur magique perdue. Les soldats frontaliers recevront des armes ensorcelées d’origine inconnue.

Voilà ce que l’empereur attendait d’elle : du modelage de glyphes. Lyra sentit le poids de sa nouvelle réalité s'abattre sur elle. Elle n'était plus une reine, plus une mère, mais un outil dans les mains de l'empereur. Cette perte d'identité la laissa désorientée et vide.

L’empereur serra la mâchoire puis murmura, et ce bien qu’ils furent seuls dans cette cellule insonorisée par une bulle de silence magique.

- Je suis navré de devoir te séparer de tes enfants. C’est une des décisions que je me vois obligé de prendre en tant qu’empereur, une charge parfois lourde à porter.

Cela, Lyra voulait bien le croire.

- Moins de gens connaissent un secret et plus les risques qu’il s’ébruite est faible.

Lyra comprenait et cela bien que son cœur hurlât de douleur.

- Je me permets de te reposer la question, dit l’empereur en se redressant et en reprenant un ton solennel. M’es-tu fidèle, Lyra ?

- Oui, Majesté, répondit Lyra.

- Je choisis de te croire, indiqua l’empereur en débouclant le cadenas, libérant l’entrave.

Lyra disparut. Le lendemain, tout le monde assista à la mise à mort de deux criminels ayant osé bravé les lois impériales en mêlant musique et magie.

La foule hurlait de joie, ignorant la tragédie qui se jouait réellement. Dans ce tumulte de célébration, seul un homme pleurait, tenant deux enfants qui ne comprenaient pas encore l'ampleur de leur perte.

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