Chapitre 20 : Absence

Valiente s’affala dans son lit. Le matelas d’excellente qualité absorba aisément son corps tandis que la couverture chaude richement décorée suivait le mouvement avec charme.

Le jeune homme observa le plafond de bois sculpté avec désintérêt. La journée avait été longue. Il rêvait seulement d’un bon sommeil bien reposant. Demain ne serait pas plus relaxante.

Ash ne le ménageait pas. Les leçons s’enchaînaient, tant mentales que physiques. Les mises à l’épreuve se succédaient. Chaque conversation pouvait se révéler porter un sous-entendu. Que Valiente ne s’en rende pas compte et l’après-midi se passait à courir autour du domaine, à faire des pompes ou à gratter le crottin de cheval dans tous les box des écuries.

Pas d’erreur aujourd’hui mais à quel prix ! Une concentration à toute épreuve. Même pendant le tracé de glyphes, son moment le plus redouté. Pas une faute, malgré les pièges semés par Ash. Valiente était heureux de rendre son père fier. Ash, roi de Valdoria, ne tarissait pas d’éloges et savait encourager son fils comme il le fallait.

Valiente sentit son cœur se serrer. Ash lui accordait tous ses temps libres. Malgré cela, le jeune homme ressentait un vide en lui. Une immense famille l’entourait, prévenante, à ses petits soins. Pourtant, quelque chose manquait.

Des coups sur la porte le sortirent de sa rêverie. Il n’avait pas envie d’être dérangé. Il voulait qu’on lui fiche la paix.

- Val ? dit une petite voix timide.

D’une pensée, Valiente vérifia l’identité de la personne de l’autre côté de la porte.

- Kaïna ? pensa-t-il.

- C’est bien moi. Tu veux bien que je dorme avec toi ce soir ?

Sa sœur et lui s’entendaient à merveille. Pourtant, un creux dans sa poitrine réclamait d’être comblé. Un vide. Une absence. Un abandon.

- Tu préfères rester seul, en conclut Kaïna. Je comprends.

- Non ! Non ! s’exclama Valiente à voix haute en bondissant pour ouvrir sa porte et laisser entrer sa sœur. Excuse-moi. J’étais dans mes pensées. Bien sûr que tu peux venir.

Il referma la porte derrière elle.

- La peste et le choléra t’embêtent encore ? supposa Valiente.

Pour toute réponse, Kaïna hocha la tête. Les yeux humides et le regard bas, elle faisait peine à voir. Son dos voûté diminuait sa taille. Elle triturait sa manche. Face à Valiente qui se tenait droit, elle paraissait plus jeune, fragile. Nul n’aurait pu deviner qu’elle était l’aînée.

- Tu as l’air épuisé, remarqua Valiente. Couchons-nous.

Kaïna ne se le fit pas dire deux fois. Elle se glissa sous les couvertures chaudes. Valiente l’y rejoignit. Une telle proximité aurait pu faire jaser et pourtant, il s’agissait vraiment pour Valiente de protéger sa sœur de leurs cousines. Ces dernières n’hésitaient pas à utiliser la magie pour harceler Kaïna qui, sans pouvoir, ne pouvait se défendre.

En journée, l’aura de Ash empêchait quiconque de s’en prendre à sa fille. La nuit, Kremilla – la peste – et Charmille – le choléra – lançaient sorts sur sorts, s’amusant de l’impuissance de la bâtarde, comme ils aimaient l’appeler.

Les cousines n’oseraient pas risquer de toucher Valiente, l’héritier, futur porteur de glyphes. En dormant dans le lit de son frère, Kaïna obtenait la sécurité nécessaire à un repos de bonne qualité. Valiente constata que sa sœur ne dormait pas. Elle observait le mur avec insistance.

- Longue journée ? suppose Valiente.

- Autant que toi, répliqua Kaïna.

- Moi, je suis l’héritier, c’est normal, répliqua-t-il.

Kaïna se tourna à demi vers son frère et murmura :

- Et moi, seulement la bâtarde.

Valiente fronça les sourcils et grimaça.

- Ne parle pas de toi de cette manière ! gronda-t-il. Kremilla et Charmille sont deux connasses qui…

- Ont raison, termina Kaïna à sa place. Je suis une bâtarde.

- Ne dis pas ça ! insista Valiente. N’apporte pas de crédit à leurs propos.

- Je suis la fille de la reine mais pas celle du roi. Tu appelles ça comment toi ?

- Ma sœur, répondit Valiente.

- Demi-sœur, répliqua Kaïna.

- Ma sœur, insista Valiente avant de poser une main aimante sur l’épaule de la jeune femme.

- C’était bien avec Kremilla ? interrogea Kaïna en le transperçant des yeux.

- Pas mal, admit Valiente en retirant sa main.

Il ne s’imaginait pas toucher sa sœur tout en parlant de relations sexuelles.

- Il est bien, son nouveau pouvoir ? interrogea Kaïna.

- Quel rapport ? s’étonna Valiente.

- Empathie, rappela Kaïna. Elle devrait être en mesure de connaître ton état d’esprit et donc, de s’adapter pour te donner encore plus de plaisir, non ?

- Tout d’abord, elle vient de l’obtenir. Le maîtriser prendra du temps. Ensuite, mademoiselle la non mage, comment peux-tu posséder un tel savoir sur Kremilla ?

- Kremilla n’est pas plus mage que moi, cingla Kaïna, agacée. Elle assassine des gens pour obtenir ces…

- L’empereur a interdit le meurtre de mages, rappela Valiente d’un regard sombre.

- Et tu crois que ta famille obtient ses pouvoirs comment ? Tu n’ignores pas que seul l’héritier obtient…

- Tais-toi, siffla Valiente dont les yeux crachaient des éclairs. Sors de ma chambre, introduisit-il de force dans l’esprit de sa sœur.

Kaïna en gémit de douleur. Elle se glissa hors du lit pour disparaître dans le couloir. Valiente serra les draps. Il détestait qu’on dise du mal des siens. Sa famille, pas celle de Kaïna. Demi-sœur, en effet, mais par leur mère, pas par leur père. Kaïna ne portait pas le bon sang, celui de la famille royale de Valdoria. Mise à l’écart, elle subissait les railleries et mises à l’écart quotidiennes des descendants légitimes.

Valiente la protégeait comme il pouvait mais les leçons de Ash prenaient presque tout son temps. Il regretta d’avoir éloigné Kaïna. Il la voyait si peu. Il ne lui avait même pas demandé comment c’était passé sa journée. Avait-elle réussi à maîtriser cette fichue cinquante-deuxième mesure ? Ce triolet croche avait-il enfin cédé face à sa persévérance ?

Valiente hésita à rappeler Kaïna. Il effleura son esprit pour le trouver clôt. Elle ne voulait pas lui parler et il refusait de la forcer de nouveau. Il s’en voulait de l’avoir repoussée. Il ferma les yeux tout en serrant les draps de toutes ses forces. Il retint le hurlement de rage qui crevait d’envie de sortir. Il se savait écouté. Combien de membres de la famille collaient leurs oreilles – physiques ou magiques – au mur afin d’espérer percevoir une faille, une faiblesse à exploiter ?

Valiente n’avait aucune envie de leur offrir le moindre bâton pour se faire battre. Il jeta un coup d'œil aux murs de sa chambre, ornés de tapisseries représentant l'histoire glorieuse de Valdoria. Ces tissus précieux cachaient-ils des passages secrets, des oreilles indiscrètes ? Dans ce palais, même les murs semblaient avoir des yeux et des oreilles.

Il admirait Ash de subir sans broncher les insultes quotidiennes, murmurées ou prononcées fort dans son dos puis niées. Ses préférences sexuelles offraient tout ce dont cette famille d’hypocrites avait besoin pour baver. Ils lui reprochaient sans cesse de n’avoir eu qu’un seul enfant, de ne s’être pas remarié, d’être seul sur le trône, privant l’une des femmes du clan de le rejoindre au sommet.

Ash tenait bon et se montrait inflexible. Il ne se remarierait pas. Valiente l’enviait. Il montrait une telle force. Il se demandait souvent si, un jour, il en serait capable, lui aussi. Il fallait beaucoup de courage et de détermination pour tenir le trône de Valdoria.

Valiente sentit son cœur s’emballer à l’idée de diriger. Chaque semaine, un membre de la famille royale Valdorienne, mourant ou malade, venait toucher Ash, lui offrant ainsi son pouvoir contre sa vie. Un jour, Ash agirait de même avec Valiente. Le jour où sa rune se transformerait en glyphe. Valiente redoutait tant ce moment.

Ash le poussait à la travailler, à modeler, à améliorer son pouvoir. Valiente freinait des quatre fers. Pour rien au monde il ne voulait perdre son père, se retrouver seul dans ce monde de menteurs et de profiteurs. Une larme coula sur le visage du jeune homme qui ne l’essuya pas. Si seulement sa mère était là. Elle saurait le rassurer, l’envelopper d’amour, le réconforter, le porter vers le haut, l’encourager. Il se sentait si seul.

D’elle, il n’avait aucun souvenir. Elle l’avait mis au monde puis avait été arrêtée par l’empereur, avant d’être brûlée sur le bûcher pour un crime ignoble dont Valiente ne savait rien. Il avait essayé de questionner Ash, sans succès. Quant à la famille, inutile d’espérer obtenir autre chose que des ricanements satisfaits. La parvenue, comme ils aimaient l’appeler, ne méritait pas mieux, selon eux. Qu’est-ce que Lyra avait bien pu faire ?

Lyra… Son prénom, voilà la seule information que Valiente avait réussi à arracher à Ash, un jour de déprime où sa langue avait fourché. Valiente aurait tellement aimé pouvoir se la représenter. Était-elle brune, blonde ? Lui ressemblait-elle ?

Il pouvait passer des heures à se regarder dans le miroir, cherchant des ressemblances avec Kaïna. Ses yeux en amande, ils les tenaient de son père, évidemment, mais le reste ? Avait-il son front ? Ses oreilles ? Il crevait de ne pas savoir.

Le domaine ne comportait aucun portrait d’elle. Logique. Qui aurait voulu garder le moindre souvenir de la parvenue, la fille de rien ayant osé revendiquer le trône ? Comment l’avait-elle obtenu, d’ailleurs ? Inutile d’imaginer qu’elle ait pu séduire Ash. Il n’aimait que les hommes.

Pourtant, Valiente existait, ce qui prouvait que Lyra et Ash s’étaient rapprochés physiquement. Lyra avait-elle réussi à s’emparer du cœur de Ash malgré son sexe ? Était-ce la raison pour laquelle Ash détournait le regard à chaque fois que Valiente posait des questions sur la mise à mort de sa mère ? Ash pleurait-il la disparition de la seule femme qu’il ait jamais aimé ? Cela expliquait-il pourquoi Ash refusait de se remarier ? Son amour perdurait-il au-delà de la mort ?

Valiente sanglota avant de sombrer, épuisé, dans un sommeil agité.

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