[ 1 ]
Trois mois s'étaient déjà écoulés. Novembre touchait à sa fin et le froid commençait à s'installer. Le souffle blanchi par l'air glacial, les élèves marchaient à pas vif pour se réchauffer sur le chemin de l'école. C'était la saison des manteaux d'hiver, des gants, des bonnets, des écharpes et des cache-oreilles. Les plus frileux d'entre eux glissaient des chaufferettes dans les poches de leur manteau pour garder leurs mains bien au chaud.
Malgré le changement de saison, la vie à l'école suivait son cours. L'inlassable routine subordonnée à un emploi du temps aussi strict que répétitif. Les leçons, les activités extracurriculaires, les cours du soir et les rares sorties entre amis rythmaient la vie des adolescents. Les élèves profitaient des quelques pauses dans la journée pour se retrouver entre eux et évacuer un peu la pression. Quinze minutes le matin, une heure et demie à la pause déjeuner, et trente minutes l'après-midi pour ceux qui enchaînaient avec les activités optionnelles.
Chacun se défoulait à sa façon. La plupart d'entre eux occupaient ce temps à scroller sur leur téléphone, faire le tour des réseaux sociaux, laisser des commentaires plus ou moins sympathiques, et plaisanter avec leurs amis, souvent au dépens d'autrui. D'autres trouvaient un coin discret pour fumer, bien que ce fût interdit, au risque de se faire prendre par un adulte et d'en payer le prix. Et certains, les plus aigris et les plus cruels, se trouvaient un punching-ball pour évacuer toute la frustration accumulée jour après jour.
Le harcèlement prenait de nombreuses formes, certaines plus insidieuses que d'autres. Les garçons faisaient rarement dans la subtilité, mais les filles pouvaient se montrer aussi vicieuses que sournoises. Une insulte déguisée en compliment, un ordre déguisé en faveur, une relation de maître à esclave déguisée en fausse amitié. Au moindre reproche sur leur attitude, elles feignaient l'innocence et criaient au malentendu et à l'injustice.
Ces mauvais traitements s'exportaient à l'extérieur de l'école et se poursuivaient via les réseaux sociaux, sur les groupes de conversation, et les victimes se retrouvaient à devoir divertir leurs bourreaux à toute heure du jour et de la nuit, y compris le week-end.
Su-ji était la reine de l'esclavagisme moderne. Elle avait tout un groupe de suivantes plus ou moins consentantes qui se pliaient en quatre pour elle. Elle les envoyait faire la queue, un samedi à six heures du matin, pour mettre la main sur un produit en édition limitée. Elle les appelaient tard le soir pour qu'elles l'écoutent s'égosiller sur des chansons d'amour au noraebang. Elles étaient maquilleuses, habilleuses, blanchisseuses et coursières. Tout cela pour avoir le droit de faire partie de sa clique.
En plus d'être tyrannique, Su-ji était également pingre. Elle payait rarement de sa poche ou seulement en partie. Plus d'une fois, elle avait promis de rembourser ses "amies" lorsqu'elles lui avaient avancé de l'argent pour acheter certains produits, parfois coûteux, mais elle n'avait jamais tenu sa promesse. Elle remettait toujours cela à plus tard, et si on insistait un peu trop, on s'exposait au risque de se faire bannir du groupe et de devenir une paria. Mieux valait une vie d'esclave au service de Noh Su-ji que devenir sa cible, car si elle prenait vraiment quelqu'un en grippe, elle faisait de sa vie un véritable enfer.
[ 2 ]
Lundi 4 décembre 2017. Une date qui marquerait l'histoire de la Korean Global School. Ce jour-là, les cours de l'après-midi avaient été annulés pour préparer la visite du PDG de Blue Sky Inc. M. Kim Byeong-cheol. Il était venu présenter lui-même la nouvelle application qui allait révolutionner la vie des élèves de cet établissement. Il avait tenu un discours dans l'auditorium de l'école qui rassemblait une centaine d'élèves : les délégués de classe, les membres du conseil de la vie collégienne et ceux du conseil de la vie lycéenne. Étaient également présents le principal, son adjointe et quelques professeurs, ainsi que le maire de Gangnam. Le discours de M. Kim était simultanément diffusé sur petit écran pour que tous les élèves puissent y assister depuis leur salle de classe, en compagnie de leur professeur principal.
Certains le voyaient en chair et en os pour la première fois, mais tout le monde connaissait Blue Sky Inc., et tout le monde savait qui était M. Kim Byeong-cheol. Surtout, tout le monde savait que c'était le père de Kim Yerin, ce qui ne jouait pas forcément en sa faveur, car de nombreux élèves enviaient sa filiation avec un père aussi influent et populaire.
Le lancement de l'application Payback avait reçu un accueil mitigé parmi les élèves, mais aussi parmi certains membres du corps enseignant. M. Kim avait bien insisté sur le fait que, contrairement à ce que pouvait laisser entendre le nom de l'application, il ne s'agissait en aucun cas d'inciter les élèves à se faire justice eux-mêmes en empruntant le chemin de la vengeance et de la violence. Toutefois, il s'agissait d'aider les victimes à sortir du silence en dénonçant ces abus afin d'obtenir justice et réparation pour les dommages physiques et psychiques subis.
L'union faisait la force et les harceleurs exploitaient le principe de division pour isoler leurs victimes et régner par la terreur. Le but de cette application était d'offrir un espace sûr et anonyme pour que les élèves victimes de harcèlement puissent s'exprimer librement et s'entraider sans peur des représailles. Un espace où ils pourraient trouver le courage de tenir tête à leurs agresseurs et de les dénoncer aux autorités. M. Kim avait terminé son discours en adressant un message aux harceleurs eux-mêmes.
— Un enfant n'est jamais coupable aux yeux de ses parents. Il sera toujours, au mieux innocent, au pire, une victime incomprise. C'est peut-être vrai. Peut-être que ceux qui sont réellement à blâmer pour les actes de leurs enfants, ce sont les parents qui ont échoué à les élever correctement. Et, dans ce cas, c'est à eux d'être punis et de payer pour les erreurs commises par leurs enfants. Mais je suis d'avis que vous êtes tous assez grands ici pour prendre vos responsabilités et assumer les conséquences de vos actes. Personne ici ne se lèvera pour clamer avec fierté qu'il est un harceleur qui prend plaisir à torturer et racketter ses camarades plus faibles et plus vulnérables que lui. Pourquoi ? Parce que vous savez tous que c'est mal. Vous le savez, vous vous en cachez, mais vous le faites quand même. Pourquoi ? Parce que vous vous pensez plus forts et plus malins que les autres. Vous avez tort. Vous allez apprendre ce qu'il en coûte de ne pas respecter l'intégrité physique et psychologique de vos camarades. Ces enfants qui eux aussi ont des parents qui les aiment et qui font de leur mieux pour les élever et en faire de bons citoyens, justes et honnêtes.
Ces dernières paroles avaient fait grincer des dents plus d'un membre du gang des perles. Ban Min-gyu et Kwon Hyeon-seok n'accueillaient pas cette nouvelle d'un bon œil. Cette application, aussi pathétique et ringarde fut-elle, allait impacter négativement leurs affaires. Ils allaient devoir redoubler de prudence et trouver de nouvelles combines pour échapper à ce flicage collectif. De son côté, c'était le signal que Jong-goo attendait pour débuter la chasse aux sorcières et s'en mettre plein les poches.
[ 3 ]
Su-ji avait exploité son réseau afin d'obtenir des informations sur Kim Yerin. Ce n'était pas évident, car elle avait assez peu de contacts au collège. Ces gamines étaient encore des bébés à ses yeux. Elles étaient trop immatures pour susciter son intérêt. Elle était passée par certaines de ses camarades qui avaient des petites sœurs ou des petits frères au collège. Il y avait une jeune fille en particulier qui semblait bien partie pour emprunter la même voie que son aînée : Song Hye-ji.
Malgré son caractère de peste, Hye-ji était une des filles les plus populaires de son niveau, car elle était plus mûre que les autres, mentalement et physiquement. Elle avait un sens aigu de la mode, des produits de soin et de beauté, et elle maîtrisait les réseaux sociaux avec le talent d'une future influenceuse. Elle possédait un compte Instagram sur lequel elle documentait chaque instant de sa vie. Plus récemment, elle s'était lancée dans les danses TikTok, très à la mode sur cette plateforme lancée par leur voisin chinois un an plus tôt. En quelques mois, elle avait conquis plusieurs milliers d'utilisateurs qui la suivaient avec assiduité.
Hye-ji avait l'admiration des élèves de sa classe qui voulaient tous faire partie de son cercle. Enfin, presque tous. Il y avait quelques résistants, à commencer par Kim Yerin et ses amis, qui ne couraient pas après la popularité par procuration. Min-jun et Jong-goo étaient trop occupés par leur projet personnel pour s'en soucier. Quant à Min-ji et Yerin, elles étaient satisfaites de leur amitié à deux et préféraient se concentrer sur leurs études et leurs activités sportives. Quelques élèves dans la classe étaient également immunisés au virus de la célébrité. Ils avaient décliné son invitation à la suivre sur les réseaux et Hye-ji les avaient immédiatement catégorisés comme losers pathologiques.
Su-ji avait rapidement compris que sa cadette avait pris les deux filles en grippe. Apprendre que Jong-goo était en fait son frère adoptif avait quelque peu apaisé sa jalousie, et Hye-ji ne considérait plus vraiment Yerin comme une rivale amoureuse sérieuse, mais elle avait une nouvelle raison de la détester. Elle n'avait pas oublié l'humiliation que lui avait fait subir Jong-goo quelques mois plus tôt. Elle ne pouvait pas s'en prendre directement à lui, mais elle pouvait se venger sur sa sœur adoptive. Et pour atteindre Yerin, elle devait cibler Min-ji. C'était comme un jeu de domino. Si elle s'en prenait à la plus faible du groupe, elle affecterait indirectement les autres et sèmerait la discorde dans leurs relations. Diviser pour mieux piétiner.
Su-ji avait approché Hye-ji pour lui proposer quelques bons plans mode et beauté en échange de sa collaboration active. Elle lui avait aussi promis de faire la promotion de ses comptes sociaux et de lui trouver plus de followers. Sa mission était simple : tenir Yerin à l'œil, s'assurer qu'elle ne fourre pas son nez dans les affaires des autres élèves, et si nécessaire, faire pression sur elle en exploitant sa relation avec Min-ji. Elle voulait aussi que Hye-ji utilise son influence et sa popularité pour dissuader les élèves d'utiliser l'application de lutte contre le harcèlement en présentant cela comme quelque chose de ringard et de ridicule. Une opération de contre-marketing, en quelque sorte.
[ 4 ]
Jong-goo ne s'attendait pas à ce que son affaire décolle dès le départ. Il savait que cela demanderait un peu de temps. L'application peinait à convaincre son public. Ils avaient besoin d'une égérie. Une success-story qui prouverait l'utilité de l'application.
— Hé, Min-jun. Tu devrais poster sur le forum de l'app pour raconter ton histoire. Comment tu as tenu tête à tes deux harceleurs et que vous êtes même devenus potes après ça.
— Ce n'est pas mes potes ! Et je n'ai rien fait... c'est toi qui les as remis à leur place.
— C'est vrai, mais moi j'ai pas le profil d'une victime.
— Ça veut dire quoi ça ?! De toute façon les utilisateurs sont anonymes. T'as qu'à poster toi et inventer ce que tu veux.
— Hm... mais est-ce que ça va suffire pour les convaincre ? Il faudrait qu'on puisse opérer directement sur le terrain.
— C'est le boulot de Kéké et Titi ça, non ? C'est eux nos éclaireurs.
— Ouais, je ne sais pas ce qu'ils branlent. Même si le gang des perles est sur ses gardes, c'est un peu trop calme.
Finalement, c'était Min-ji qui leur avait donné une piste à explorer. Elle avait infiltré le groupe de conversation de la classe pour suivre un peu les rumeurs qui circulaient à leur sujet. Elle n'avait pas été déçue.
— Ces filles, c'est vraiment des vipères.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'elles disent ? demanda Yerin avec curiosité.
— Rien. Des trucs gratuits et méchants, pour ne pas changer.
— Comme quoi ?
Min-ji hésita un moment.
— Elles disent que c'est à cause de toi que ton père a obligé l'école à utiliser cette application. Que t'es une fille à papa et que... t'es une... bref... que tu mériterais qu'on te remette à ta place.
— Fais voir, fit Jong-goo en tendant la main vers sa camarade pour qu'elle lui passe son téléphone.
Min-ji ne s'attendait pas ce qu'il fasse un truc aussi stupide. Il avait tapé : "C'est vous les putes. Allez vous faire foutre." Il avait appuyé sur "envoyer" avant que sa camarade puisse intervenir.
— Jong-goo ! s'exclama-t-elle, horrifiée. Pourquoi t'as fait ça ?! Je vais me faire bannir. C'était ma seule façon de les espionner.
— Ah ben... merde alors, mais je ne regrette rien. Déso pas déso.
Bien entendu, l'insulte avait fait l'objet d'une notification sur le téléphone de plusieurs de leurs camarades de classe, et certaines avaient vivement exprimé leur colère.
— C'est qui la pute qui nous insulte ? s'exclama Ga-eul en parcourant la classe du regard. C'est qui @DGWaifu ?
— C'est moi ! fit Jong-goo en se levant. T'as un problème ?
Ga-eul resta interdite un instant. Elle le regarda de haut en bas comme si elle avait affaire à un détraqué.
— C'est un groupe réservé aux filles, fit-elle remarquer, l'air dubitatif.
— Ah bon ? J'étais pas au courant. C'est quoi cette discrimination ?
— T'es banni ! Quel genre de mec veut devenir la femme de DG ? Trop chelou...
Min-ji l'avait échappé belle, mais elle s'était fait éjecter du groupe par l'administratrice, qui n'était autre que Ga-eul, une des amies proches de Hye-ji. Jong-goo s'était rassis, les mains dans les poches. Il se fichait complètement d'avoir foutu les plans de sa camarade en l'air.
— C'est pas plus mal comme ça, dit Yerin à son amie. Ce genre de groupe, ça n'apporte que des problèmes. On s'en fiche de ce qu'elles disent de nous, tant qu'elles nous laissent tranquilles.
— C'est vrai...
— Les mecs aussi ont ce genre de groupe ? demanda Jong-goo.
— Hm, je ne sais pas, répondit Min-ji. Je sais qu'il y a un groupe de classe qui regroupe tout le monde, mais il ne s'y passe pas grand-chose. Ça sert surtout à échanger sur les cours. Hye-ji a créé un groupe à part juste pour pouvoir parler des garçons en secret et cracher sur les élèves qu'elle aime pas.
— Comment t'as fait pour infiltrer le groupe ? lui demanda Yerin avec curiosité.
— J'ai commencé à suivre Hye-ji sur les réseaux en utilisant le compte de ma mère. Puis je lui ai dit que j'étais dans sa classe et que j'étais trop fan de ce qu'elle faisait. Elle est tellement bête, elle n'a même pas cherché à savoir qui j'étais exactement.
— Hm... Pourquoi personne ne m'a parlé de ces groupes ? demanda Jong-goo en affichant un air vexé. T'étais au courant, toi, Min-jun.
— Je suis sur le groupe de classe, oui. Pas toi ?
— Moi aussi j'y suis, fit Yerin. Et je suis aussi sur le groupe de gym.
— Comment ça se fait que je sois le seul à ne pas être dans le groupe de classe ?
— Euh... ben ça je sais pas, fit Min-jun. Normalement, c'est le délégué de classe qui gère le groupe. C'est lui l'administrateur. Il a peut-être oublié.
— C'est qui le délégué ?
— Tu ne sais pas ça ? s'étonna Yerin. C'est Park Yeong-bin. Au premier rang, près de la porte. Où est-ce que tu vas ?
Jong-goo s'était levé et s'était planté devant le bureau de son camarade.
— Oy. Paraît que c'est toi le délégué ?
— Euh, o-oui... bégaya Park Yeong-bin avec une toute petite voix à peine audible, le nez dans ses cahiers.
Il n'était pas rassuré du tout.
— C'est toi qui gères le groupe de classe ?
— Oui, c'est moi, mais...
— Rajoute-moi.
— P- pardon ?
— T'as oublié de me rajouter dans le groupe. Je fais partie de la classe, non ?
— C'est vrai... Excuse-moi...
— Hein ? Parle plus fort. J'entends rien de ce que tu dis.
— Ce... c'est... c'était une erreur. Je te rajoute tout de suite. T'as un compte Kakao ? C'est quoi ton pseudo ?
— @KingGoo1202.
— Je croyais que c'était @DGWaifu ? s'exclama Ga-eul qui avait entendu leur conversation.
Jong-goo lui répondit par un doigt d'honneur sans même daigner se retourner. Park Yeong-bin l'avait rajouté au groupe un peu à contrecœur. Ce n'était pas un oubli. Il l'avait volontairement évincé du groupe, car il ne l'aimait pas. Il ne l'aimait pas et il avait peur de lui. C'était un cancre et un délinquant grossier et violent.
— Voilà. C'est fait.
— Pour un délégué, tu ne fais pas très bien ton travail. Est-ce c'est parce que t'es pas payé... ?
— Désolé...
Jong-goo se contenta de hausser les épaules puis retourna à sa place. Il était loin de se douter que cette rencontre fortuite le mènerait à sa première affaire.
[ 5 ]
Park Yeong-bin était un garçon discret et timide. C'était le plus petit garçon de la classe, il était même plus petit que certaines filles de son âge. Il était frêle et peu endurant. Les cours de sport étaient un vrai calvaire et il détestait se changer dans les vestiaires devant ses camarades. Il avait honte de son corps rachitique dénué de muscles. Les filles le trouvaient dégoûtant et les garçons le trouvaient faible et efféminé. Ils le traitaient de fillette et faisaient des blagues déplacées sur sa virilité.
On le surnommait Park Myeolchi* et on le comparait à toutes sortes de choses peu flatteuses, comme le saeujeot, un condiment à base de petites crevettes roses fermentées, ou les dangmyeon, de fins vermicelles grisâtres et translucides à base de patate douce utilisés dans la confection du japchae. Dans les vestiaires, certains garçons lui montraient discrètement leur petit doigts en référence à la taille présumée de son pénis, puis éclataient de rire.
Il y avait quelques élèves un peu grassouillets dans leur classe, mais ils avaient l'avantage d'être plutôt grands et plus forts que lui. Ils assumaient davantage leur corpulence et plaisantaient souvent en disant qu'ils étaient en prise de masse et prétendaient cacher des muscles sous leur graisse. Ils compensaient leur physique désavantageux avec un caractère jovial et drôle. C'était eux les pires. De tous les garçons de la classe, c'était eux qui se moquaient le plus de lui et ne manquaient jamais une occasion de l'humilier.
Puis il y avait les garçons comme Jong-goo et Min-jun. Ceux qui ne se posaient même pas la question de savoir ce que les autres pensaient de leur corps, parce qu'ils avaient déjà un corps parfait. Jong-goo, en particulier, n'avait aucune pudeur et exhibait fièrement son corps d'athlète comme un lutteur grec. Il avait beau être arrogant, grossier et violent, il suscitait l'admiration de ses camarades et recevait souvent des compliments sur son physique. Park Yeong-bin le détestait autant qu'il l'enviait.
Il n'avait jamais voulu être délégué. Il ne s'était même pas présenté aux élections. Il parlait très peu et, quand il ouvrait la bouche, il était presque inaudible ou il bégayait tellement que son interlocuteur finissait par perdre patience. ll était si timide qu'il ne pouvait pas regarder les gens dans les yeux. C'était pour ça que les élèves avaient voté pour lui. C'était un défi qu'ils s'étaient lancé. Ils voulaient juste voir la tête qu'il ferait lorsque son nom sortirait au moment du dépouillement.
Ce qui avait commencé comme une simple moquerie était devenu une réalité. Le défi avait été pris un peu trop au sérieux et Park Yeong-bin avait obtenu la majorité des voix, ce qui avait causé aussi bien l'étonnement que l'hilarité générale. Il était mortifié, mais il était trop timoré pour s'opposer à cette décision démocratique. Même le professeur principal avait validé le résultat du vote. Sa suppléante était une fille du nom de Baek Hee-na, mais à en juger par son expression de dégoût, elle n'avait pas l'air ravi de ce partenariat.
Park Yeong-bin n'avait pas besoin d'essayer de faire profil bas. Il n'y avait pas plus transparent que lui. Et, ironiquement, c'était ce qui faisait de lui l'élève le plus mal aimé de la classe. Sous prétexte qu'il était délégué, certains élèves l'accablaient de demandes diverses et variées, dont certaines n'avaient rien à voir avec son rôle de délégué. Comme il ne savait pas dire non, il était devenu le larbin d'un certain nombre d'élèves dans la classe.
Il faisait les devoirs de ses camarades à leur place, il allait leur acheter des snacks au kiosque pendant la récré, il les remplaçait quand c'était leur tour de nettoyer la salle à la fin de la journée, il avait même dû prêter sa propre tenue de sport à un camarade qui avait oublié la sienne. C'était lui qui s'était fait gronder par le prof de sport et il avait dû participer à la séance dans son uniforme classique. En juin, lors du festival culturel organisé pour les portes ouvertes de l'établissement, c'était lui qui avait tout organisé selon les désirs de ses camarades. Quelques élèves l'avaient aidé, dont Kim Yerin et Cha Min-jun, mais le reste s'était contenté de le laisser se démener sans lever le petit doigt.
Park Yeong-bin savait que c'était lui le problème. Ses camarades le traitaient comme un moins que rien parce que c'était ce qu'il était. Il savait qu'il avait juste à leur dire non, mais il avait peur. Il avait peur de leur tenir tête et d'aggraver son cas. Jusqu'à maintenant, il s'estimait heureux de subir quelques moqueries et de servir de larbin. Au moins, ils ne le frappaient pas et ils ne lui volaient pas son argent. Ce n'était pas vraiment du harcèlement. C'était ce qu'il se disait pour se rassurer. Il ne voulait pas admettre qu'il était une victime. Tout sauf ça.
[ 6 ]
Payback avait offert à Park Yeong-bin une échappatoire dont il avait désespérément besoin. C'est une véritable bouffée d'air frais. Un endroit où il pouvait s'exprimer librement et dire tout ce qu'il avait sur le cœur sans peur du jugement. Il s'était rapidement rendu compte qu'il n'était pas le seul dans cette situation. D'autres camarades dont il ignorait l'identité vivaient des expériences similaires. Quelque part, c'était réconfortant de savoir qu'il n'était pas le seul à souffrir, mais une partie de lui éprouvait du mépris pour ces élèves. Ils étaient faibles comme lui. Ils pouvaient le comprendre, mais que pouvaient-ils faire pour lui ? Ils n'étaient même pas capables de s'aider eux-mêmes.
Il s'était défoulé sur le mini-jeu en imaginant battre à mort ce gros lard de Hong Dong-hae qui l'envoyait lui acheter des petits pains briochés fourrés à la crème tous les matins à la récré, et qui lui piquaient tous ses accompagnements au déjeuner, sous prétexte qu'un anchois n'avait pas besoin de manger autant. Yeong-bin devait se contenter de manger du riz blanc avec du kimchi. Si seulement il pouvait s'étouffer sur ses fichus pains à la crème.
Puis une semaine après son inscription sur l'application, il avait reçu un message privé pour le moins intriguant. "Tu en as marre de te faire harceler ? L'équipe de Payback peut t'aider. La vengeance est un plat qui se mange froid." Le message était accompagné d'un lien qui menait à une page externe. Sur cette page, il avait eu accès à un formulaire en ligne qui lui demandait de renseigner le nom de ses harceleurs, les circonstances du harcèlement, si on lui avait volé de l'argent et s'il souhaitait récupérer son argent. Il avait commencé à se méfier lorsqu'un message d'avertissement s'était affiché pour lui signaler qu'il s'agissait d'un service payant et que des frais supplémentaires pouvaient être facturés.
C'était suspect. Très suspect. Et très tentant aussi. Dans un premier temps, il s'agissait d'un simple devis. On ne lui avait pas demandé d'entrer son numéro de carte bancaire ou de renseigner ses informations personnelles. On ne lui avait même pas demandé son propre nom et prénom. Il avait donc envoyé le formulaire sans attendre grand-chose en retour. Quelques jours plus tard, il avait reçu un nouveau lien dans la messagerie privée de l'application. Cette fois-ci, le lien renvoyait vers un autre chat privé.
"On a bien pris en compte ta demande. On va s'en occuper, mais ce n'est pas gratuit. Le montant total de la prestation s'élève à 150.000 wons, hors frais supplémentaires. On demande un acompte de 50.000 wons. Tu peux payer directement en cliquant sur ce lien ou faire un dépôt en liquide à un guichet sur le numéro de compte suivant. Une fois qu'on aura confirmé l'acompte, on procédera au nettoyage."
Park Yeong-bin avait hésité. Il avait attendu un jour, puis deux. Il n'avait reçu aucune relance de la part de son interlocuteur. Cinquante mille wons, ce n'était pas grand-chose. Même si c'était une arnaque, ce n'était pas une grosse perte. Dans le doute, il avait fait un dépôt en liquide à la banque. C'était plus sûr qu'un virement en ligne. Puis, de toute façon, il n'avait pas de carte de crédit et il ne voulait pas utiliser celle de ses parents. C'était trop risqué.
Une heure après son dépôt, il avait reçu un nouveau message lui indiquant que son paiement avait bien été reçu et qu'ils allaient procéder au nettoyage. Une curieuse expression. C'était lui qu'on traitait comme un déchet, c'était lui qui faisait tache dans le décor. Est-ce que ces mystérieux nettoyeurs allaient vraiment le débarrasser de ces vermines qui lui pourrissaient la vie ?
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Myolchi signifie "anchois" en Coréen.