Chapitre 20 : Fausse accusation, investigation et gros gloutons.

[ 1 ]

Jong-goo et Min-jun s'étaient retrouvés après les cours. Assis sur un banc dans un parc non loin de l'école, une canette de coca à la main, ils discutaient de leur toute première affaire en attendant la fin de l'entraînement de gym de Yerin. Après avoir reçu la requête de leur premier client, ils avaient mené leur petite enquête. Ils avaient découvert que le commanditaire anonyme n'était autre que Park Yeong-bin, le délégué de leur classe. Il y avait toutefois un tout petit problème qui les laissait perplexes. Quelque chose d'un peu louche.

— Tu vas vraiment valider sa demande ? demanda Min-jun en jetant à coup d'œil à l'écran du téléphone de son voisin.

— Ouais. C'est notre première demande. On ne peut pas passer à côté.

— Et ça ne t'inquiète pas ?

— De ?

— Les noms des harceleurs que Park Yeong-bin nous a donnés... T'es dedans. Pourtant, tu ne lui as jamais rien fait. Tu ne savais même pas qu'il existait avant cette histoire avec le groupe de conversation de la classe. À moins que tu l'aies tabassé en secret...

— Pas dans mon souvenir, non. Mais raison de plus pour accepter cette mission. Ça m'intrigue. Je suis curieux de savoir pourquoi il me considère comme un harceleur.

— Peut-être qu'il te voit comme ça à cause de ton caractère.

— Je vois pas pourquoi tu dis ça ! Je suis le mec le plus cool que je connaisse !

Min-jun lui jeta un regard de travers. Ce mec avait un melon phénoménal. Le mot modestie ne faisait clairement pas partie de son vocabulaire.

— Quand on apprend à te connaître et qu'on n'est pas ton ennemi, ouais, peut-être, mais vu de l'extérieur t'es juste un délinquant impulsif et intimidant. Bref, dans tous les cas, va falloir qu'on enquête sérieusement sur les gens de la liste qu'il nous a donnée. Il a balancé plus de la moitié de la classe. Y en a quelques uns, je veux bien, ils ont carrément la tête de l'emploi et ils emmerdent tout le monde. Mais les autres, je ne suis pas si sûr qu'ils soient réellement coupables.

— C'est ton job, ça. T'es pas sur la liste noire de Park Yeong-bin et tout le monde t'aime bien.

Min-jun resta songeur un moment. C'était vrai que parmi leur groupe de quatre amis, il était celui qui avait le plus de compétences sociales. Il choisissait de passer la majeure partie de son temps avec Yerin, Jong-goo et Min-ji, mais il s'entendait bien avec d'autres garçons dans la classe et il discutait parfois avec eux à la récré. Il était aussi assez populaire auprès de certaines filles de la classe. Les plus sages et les plus timides qui osaient à peine croiser son regard. Les divas comme Hye-ji ne s'intéressaient pas à lui. Ce n'était pas un bad boy. Il était trop bien élevé et gentil pour qu'elles le trouvent attirant.

Jong-goo fascinait à sa façon, mais personne n'osait l'approcher et il ne faisait aucun effort pour socialiser avec ses camarades. S'il n'avait pas une raison bien précise de leur parler, il ignorait tout simplement leur existence. La plupart des élèves de la classe se méfiaient de lui et se sentaient intimidés par son seul regard. Min-jun était plus apte que lui à gagner la confiance du délégué de classe.

[ 2 ]

Min-jun avait tenté de se rapprocher de Park Yeong-bin pour en savoir plus sur lui. Il venait lui parler presque tous les jours, à la pause du matin, mais son camarade était plus fermé qu'une huître. Min-jun voulait juste savoir ce qu'il aimait faire, ses loisirs, ses centres d'intérêts, mais Yeong-bin esquivait ses questions en prétendant être occupé ou ne répondait que très vaguement tout en évitant son regard.

— Hé ! Park Yeong-bin. Ça te dit qu'on déjeune ensemble ce midi ?

— Je ne peux pas.

— Pourquoi pas ?

— Parce que... j-je...

Yeong-bin jeta un regard anxieux en direction des deux poids lourds de la classe. Hong Dong-hae et Kwak Ho-nam. Ils rigolaient bruyamment en regardant leur portable et se goinfraient de chips tout en sirotant une brique de jus.

— Je mange déjà avec Dong-hae et Ho-nam...

Ces deux-là figuraient tout en haut de la liste des harceleurs que leur avait fourni Yeong-bin et Min-jun aussi les trouvaient très désagréables et sans gêne, mais il avait besoin de preuves tangibles qu'ils harcelaient vraiment le délégué.

— Dans ce cas, je peux me joindre à vous. Ça ne me dérange pas de manger avec eux.

— D-d'acc... d'accord...

Yeong-bin avait cédé face à l'insistance de son camarade. Il ne savait pas dire non de toute façon. Il espérait juste que les deux lourdeaux ne le prendraient pas mal et que ça ne lui retomberait pas dessus plus tard.

[ 3 ]

— Qu'est-ce qu'il a encore, Min-jun ? s'étonna Min-ji en voyant son ami s'installer à une autre table. Il nous fait encore une crise ?

— Je ne sais pas non plus, fit Yerin en jetant un regard en direction de la table à l'autre bout du self. Jong-goo, tu sais ce qu'il lui arrive ?

— Il est en mishion, répliqua-t-il la bouche pleine de riz.

— En mission ?

Jong-goo se rinça gosier avec un grand verre d'eau pour faire descendre le riz qui lui cimentait le palais.

— C'est top secret confidentiel. Je ne peux rien vous dire.

Yerin plissa les yeux.

— Qu'est-ce que vous trafiquez encore tous les deux ?

— Je te le dirai plus tard, mais pas ici. À la maison.

— Hé ! Moi aussi je veux savoir ! protesta vivement Min-ji.

— Ben t'as venir chez nous, mais je ne peux pas en parler à l'école.

— Tu sais bien que je ne peux pas, répondit la jeune fille avec déception. Je dois aider mes parents au restaurant après les cours. Yerin, tu m'appelleras ce soir pour me faire un résumé ?

— Oui, si tu veux.

Yerin avait un mauvais pressentiment et, surtout, elle ne voyait pas d'un bon œil cette nouvelle complicité entre Jong-goo et Min-jun. Elle commençait à avoir l'habitude que Jong-goo se mette dans des situations pas très nettes et clairement dangereuses, elle n'aimait pas ça, mais elle savait aussi qu'il était fort. Il pouvait s'en sortir sans trop de mal, puis il n'en faisait qu'à sa tête quoi qu'elle dise de toute façon. Min-jun était différent. Elle avait peur qu'il s'attire des ennuis à cause de Jong-goo.

[ 4 ]

Min-jun était assis en face de Yeong-bin. Ce dernier était coincé entre les deux armoires à glace qui le flanquaient des deux côtés. Il se faisait tout petit et avait l'air très à l'étroit. Les yeux rivés sur son plateau-repas, il mastiquait lentement son riz blanc pendant que les deux pique-assiettes se servaient allègrement parmi l'assortiment de banchans. Ils avaient commencé par la viande, puis s'étaient attaqués aux légumes braisés, aux œufs marinés et aux racines de lotus marinées. Il ne lui avait laissé que le kimchi et le riz blanc.

Min-jun les avait observés pendant qu'ils faisaient la queue à la cafétéria. Les élèves avaient le choix entre deux viandes ou une option végétarienne, qu'ils pouvaient compléter avec trois banchans différents parmi une sélection de plus d'une quinzaine d'accompagnements. Le kimchi et le riz étaient servis à volonté. Min-jun avait trouvé bizarre que Dong-hae choisisse les banchans à la place de Yeong-bin. Ce n'est qu'une fois à table qu'il avait compris qu'il comptait les manger lui-même.

Ho-nam avait fait pareil. C'était une combine qui leur permettait de manger en plus grande quantité et avec plus de variété. Ils ne s'en cachaient même pas, car Yeong-bin se laissait faire sans protester. Il faisait comme si cela ne le dérangeait pas, mais Min-jun pouvait voir qu'il n'appréciait pas du tout son repas et se forçait à manger ce plat insipide et peu nutritif.

— Tiens, fit-il en déposant un morceau de viande et un bout d'omelette aux cives sur son bol de riz. Et vous deux, vous devriez partager vos banchans avec Yeong-bin. Vous avez tout pris sans rien lui donner en échange.

— Oy, Cha Min-jun, répliqua Dong-hae en essuyant sa bouche pleine de sauce avec une serviette en papier. Qui t'a permis de t'asseoir à notre table ? J'ai rien dit parce que tu nous a laissé bouffer en paix jusqu'à maintenant, mais tu viens de me gâcher mon repas !

— Je me suis invité tout seul. J'avais besoin de discuter d'un truc au sujet des cours avec Yeong-bin.

— Tu crois que c'est l'endroit pour parler des cours ? lança Ho-nam en lui jetant un regard en biais. La bouffe c'est sacré ! Tu vas nous donner une indigestion.

— Dans ce cas, vous n'avez qu'à aller manger ailleurs la prochaine fois, et me laisser seul avec Yeong-bin.

Min-jun n'avait pas l'intention de se laisser intimider par ces deux lascars. Ils étaient grands et imposants, ils avaient des caractères de cochon, mais ils n'arrivaient pas à la cheville de Kim Jong-goo.

Dong-hae s'était levé d'un coup, imité par son camarade.

— Tu veux te battre ?! T'es sur notre table ici ! Toi, dégage !

— Tout le monde nous regarde, lui fit remarquer calmement Min-jun. Tu devrais te rasseoir.

— De la merde ! Je vais te défoncer !

Dong-hae l'avait empoigné par le col de son blouson pour le tirer vers lui malgré la table qui les séparait. Le pichet d'eau s'était renversé lors de l'altercation, son contenu arrosant généreusement l'entrejambe de Ho-nam.

— Merde ! Putain ! s'exclama le collégien en reculant alors que son pantalon gris clair prenait rapidement une teinte plus foncée.

Il avait attrapé un tas de serviettes en papier pour éponger le plus gros du liquide, mais la tache était plus que suspecte. Dong-hae tenait toujours Min-jun par le col, mais il le lâcha dès que le sifflet du surveillant retentit.

— Hé ! Vous là-bas ! On ne se bat pas à la cantine ! Et nettoyez moi ça tout de suite ou je vous colle une heure de retenue !

Dong-hae et Ho-nam s'étaient aussitôt excusés en s'inclinant bien bas plusieurs fois.

— On rigole juste, monsieur ! C'était une blague ! Faut pas vous énerver comme ça. On va nettoyer, promis !

Le surveillant leur jeta un regard de travers, l'air méfiant, puis il retourna à son poste, à l'autre bout de la salle, le nez dans son portable. Les deux gloutons s'étaient rassis en affichant un air mauvais. Ils étaient visiblement très remontés par ce qui venait de se passer.

— Oy, Myeolchi, nettoie tout ça, ordonna Dong-hae, l'air sombre.

— O-oui... Tout... tout de suite...

— Pourquoi ce serait à lui de nettoyer ? proteste Min-jun. C'est de votre faute si le pichet s'est renversé. C'est à vous d'essuyer la table et le sol.

— Tu veux vraiment qu'on te pète la gueule ? demanda Ho-nam avec agressivité. Tu te prends pour qui ? T'es qui pour nous donner des ordres et nous péter les couilles comme ça ?

— Vas-y, Ho-nam. Ça me soûle. Viens, on se casse.

Les deux amis se levèrent en laissant leur plateau sur la table. Ce n'était jamais eux qui débarrassaient et nettoyaient la table après le repas. C'était le boulot de l'anchois. Après leur départ, Min-jun avait aidé Yeong-bin à tout remettre en ordre.

— Ils font toujours ça ? demanda-t-il alors qu'il passait la serpillère sous la table.

O-oui... avoua son camarade en baissant les yeux.

— Pourquoi tu les laisses faire ? Pourquoi tu ne dis rien ? Ils te menacent ? Ils t'ont déjà frappé ?

Yeong-bin secoua la tête.

— N-non... Ce n'est pas ça... Ils ne m'ont jamais fait de mal, mais... Ils me font peur...

— Je vois. Je comprends. Dans ce cas, si tu veux, je peux leur demander d'arrêter de t'embêter.

Yeong-bin secoua frénétiquement la tête.

— Non, non ! Surtout pas ! Je... je ne veux pas que tu aies des problèmes à cause de moi...

— Ne t'inquiète pas pour ça. Je n'ai pas peur d'eux. Fais-moi confiance.

[ 5 ]

Yerin et ses deux camarades avaient assisté à toute la scène de loin. Yerin avait voulu intervenir, mais Jong-goo l'avait arrêté.

— Laisse-le. Il est en mission je t'ai dit. Tu vas griller sa couverture.

— Mais de quoi tu parles à la fin ?!

— Je te le dirai à la maison. Ne t'inquiète pas. Tu vois bien qu'il va bien.

Yerin s'était rassise un peu à contrecœur tout en jetant un regard angoissé en direction de la table de Min-jun. Elle espérait que Jong-goo avait une bonne explication à tout cela. Elle attendait la fin de la journée avec impatience. Elle avait hâte de rentrer pour qu'il crache enfin le morceau.

— Quoi ?! fit-elle lorsque Jong-goo lui révéla le véritable but de l'application Payback. Vous êtes pas sérieux ?! Vous avez perdu la tête ?!

— Tu vois ! Je savais que tu réagirais comme ça. C'est pour ça que je t'ai rien dit.

— Non, mais là, c'est...

Elle n'avait pas les mots pour décrire ce qu'elle ressentait. Elle tombait des nues.

— Et tu dis que mon père a approuvé ce projet ? Qu'il a lancé cette application exprès pour t'aider à gérer ton affaire de vengeance ?

— Oui. En ce moment, on travaille sur le cas Park Yeong-bin. Le délégué de notre classe. Min-jun est sur le coup. Il essaye de découvrir qui sont ses véritables harceleurs. Et vu ce qu'il s'est passé ce midi, il est sur la bonne piste.

— Et après ? Vous allez les tabasser pour qu'ils arrêtent ?

— On va d'abord demander gentiment, mais oui. Il y a de grandes chances qu'il faille qu'on leur pète quelques dents pour leur mettre du plomb dans la tête. C'est les risques du métier, ma petite Yerin.

— Ne m'appelle pas comme ça ! Je ne suis pas d'humeur à plaisanter, Jong-goo !

— Tu trouves ça si mal ? Je fais ce que personne n'ose faire. Je tiens tête aux méchants et je les remets à leur place pour qu'ils arrêtent d'emmerder les plus faibles. Je suis presque un héros à ce tarif-là !

— Tu fais ça pour l'argent, lui fit remarquer Yerin en lui jetant un regard accusateur. Il n'y a rien de louable là-dedans.

— On s'en fout que ce soit louable ou pas ! Ce qui compte, ce sont les résultats. Au final, je fais une bonne action quand même, non ?

— Peut-être, admit son amie en poussant un soupir défaitiste. Mais quand même...

— Quand même quoi ? Tu vois bien que t'as pas d'arguments convaincants. Et si tu t'inquiètes pour Min-jun, ne t'en fais pas. Je surveille ses arrières. Il a décidé de se joindre à moi sans aucune contrepartie. Il veut juste faire ça pour aider ses camarades.

— Il a plus d'honneur que toi.

— Pff... Si tu veux. Moi je pense juste qu'il n'a pas la valeur de l'argent. Il ferait un très mauvais businessman.

Yerin resta songeuse un moment. Toute cette histoire ne lui plaisait qu'à moitié.

— Si tu tiens vraiment à ce projet, je veux en faire partie aussi. Je veux aider, comme Min-jun.

— Non.

— Pourquoi ?

— Parce que t'es une fille. C'est dangereux et tu ne sais pas te battre. Tu t'attires assez d'ennuis comme ça toute seule.

Yerin lui jeta un regard noir en levant un poing irrité dans sa direction. Qu'est-ce qu'il pouvait être blessant et agaçant !

— Tu crois qu'il y a que les garçons qui harcèlent et se font harceler ? Les filles aussi peuvent être cruelles ! Et les victimes préféreront en parler à une autre fille comme elle qu'à un garçon.

Jong-goo se prit le menton, l'air songeur. Yerin n'avait pas tort. Il n'avait pas pris cet aspect-là en compte dans ses calculs.

— J'ai aussi remarqué autre chose, dit alors son amie. Je me suis inscrite sur l'application juste pour voir comment c'était, et il manque quelque chose de très important.

— Quoi donc ?

— Des modérateurs pour gérer le forum.

— Est-ce que c'est vraiment nécessaire ? Tout le monde est anonyme de toute façon.

— Et alors ? Il y a quand même une personne réelle derrière l'écran. Puisque tout le monde peut avoir accès à l'application, y compris de potentiels harceleurs, il faut faire attention à ce qu'il n'y ait pas d'abus.

— Hm... Tu as peut-être raison. Je vais voir avec Kouji s'il peut créer un rôle spécial pour les modérateurs. Tu veux le faire ?

— Je peux ?

— Oui. Je veux bien te laisser gérer le forum. Comme ça, tu pourras aussi repérer les cas intéressants et me les envoyer. Par contre, je ne veux pas que tu t'en mêles IRL, c'est compris ?

Yerin hocha la tête. C'était mieux que rien.

— Tu peux aussi demander à Min-ji si elle est intéressée. Elle a l'air de s'y connaître en infiltration de groupe et en espionnage en ligne.

Un peu plus tard dans la soirée, Yerin avait appelé son amie pour lui résumer toute l'affaire. Contrairement à Yerin, elle trouvait le concept absolument génial et elle s'était empressée d'accepter le rôle de modératrice qui lui était proposé. Ainsi, les deux filles s'étaient jointes au projet Payback, elles aussi.

[ 6 ]

Dong-hae et Ho-nam avaient la rage. Une rage qu'ils avaient décidé de déverser sur le pauvre Park Yeong-bin. C'était Min-jun qui les avait mis en rogne, mais ils n'osaient pas s'en prendre à lui. D'une part, il n'était pas du genre à s'écraser facilement. D'autre part, il était pote avec ce taré de Kim Jong-goo.

— Fais chier, grogna Dong-hae en mordant rageusement dans une brioche fourrée à la crème qu'il avait dû aller s'acheter lui-même. Quel casse-burnes ce Min-jun ! Pourquoi il colle Myeolchi comme ça ? C'est son garde du corps ou quoi ?

— Faut qu'on coince cette tapette et qu'on lui dise d'arrêter de traîner avec lui. Park Yeong-bin, ce sale traître... Tu crois qu'il a un crush sur Min-jun ?

— Ha ! Ce serait hilarant ! Ça se trouve, il aimerait ça ce con. Se faire enculer par un mec plus fort et plus grand que lui.

— T'es gore, mec ! Rien que d'y penser, ça me dégoûte.

— C'est moi qui vais vous enculer bande de gros porcs, déclara Jong-goo en arrivant dans le dos. Je vais vous embrocher avec mon gros sabre et vous mettre à griller sur un joli feu de braise. On va voir si vous avez encore envie de rigoler après ça.

Les deux garçons pâlirent en reconnaissant la voix du fléau ambulant qui terrorisait jusqu'aux plus grosses brutes de l'école. Ils se retournèrent en lui adressant un sourire nerveux.

— Ki- K-kim Jong-goo, bégaya Dong-hae en se faisant aussi petit que possible malgré sa corpulence de baleineau. Ce... c'est pas... On disait juste ça pour plaisanter. On n'était pas sérieux...

Jong-goo posa pied sur le dossier du banc où ils étaient assis. Il le fit basculer en arrière et les saisit chacun par le col de leur manteau en les regardant droit dans les yeux.

— Je vous préviens. Park Yeong-bin est sous ma protection. Si vous l'emmerdez encore une fois ou que je vous entends dire du mal de lui, je vous défonce le cul !

— C-comment ça il est sous ta protection ? D-depuis quand t'es pote avec lui ?

— C'est pas mon pote, mais j'en ai marre des enfoirés de votre genre qui se croient tout permis. Vous avez entendu parler de Payback, non ? Il y a des tonnes d'élèves prêts à vous balancer si vous faites une connerie, alors vous avez intérêt à vous tenir à carreaux.

Les deux garçons échangèrent un regard apeuré. Ils avaient entendu trop de rumeurs au sujet de Kim Jong-goo pour oser lui tenir tête.

— On... on va arrêter... promis !

— C'est pas tout. Arrêter c'est bien, payer pour ses crimes c'est mieux. Maintenant, ce sera à vous d'aller acheter des brioches à Yeong-bin et vous lui donnerez vos banchans à midi. Vous lui cirerez ses chaussures et vous nettoierez la classe à sa place après les cours quand ce sera à son tour de s'en occuper.

— Q-quoi ?! Mais ! Pourquoi on ferait tout ça pour lui ?!

— Je sais pas. Pourquoi vous lui demandez de faire tout ça pour vous ?

Dong-hae et Ho-nam restèrent silencieux. Ils n'avaient rien à répondre à cela.

— N'oubliez pas, je vous ai à l'oeil. Et je ne suis pas le seul à vous surveiller. Je le saurai si vous ne faites pas les choses bien.

Jong-goo les avait laissés sur ces mots. Des mots percutants et une menace convaincante qui avaient eu leur effet.

[ 7 ]

— Je me suis chargé des deux gros lards, dit Jong-goo à Min-jun un peu plus tard. Qu'est-ce que tu penses des autres ?

— Je ne sais pas... Il y a pas mal d'élèves dans la classe qui se moquent de lui et abusent de sa timidité, mais je pense que le problème de Park Yeong-bin, c'est qu'il se laisse trop facilement faire. S'il leur disait non et se rebellait un peu, je pense qu'ils arrêteraient de l'embêter.

— Si c'était si facile, personne ne se ferait harceler. T'es bien placé pour le savoir, non ?

— Je sais, c'est pour ça que je trouve ça vraiment frustrant. Je sais ce que ça fait d'avoir trop peur pour tenir tête à des mecs plus forts qui nous font la misère, mais je sais aussi ce que ça fait de trouver le courage de se prendre en main et de surmonter tout ça.

— Et comment t'as fait toi, pour surmonter ça ?

— Je... je pense que c'est grâce à Yerin, avoua Min-jun. C'est parce qu'elle était là pour me soutenir et m'encourager que j'ai pu m'en sortir. Elle a toujours été là pour prendre ma défense, même quand je ne le méritais pas forcément. Sans elle, je ne sais pas où je serais aujourd'hui... C'est grâce à elle que j'ai décidé de devenir plus fort et que j'ai commencé le taekwondo.

— C'est peut-être de ça dont a besoin Park Yeong-bin...

— De quoi ?

— Apprendre un art martial pour se défendre !

Min-jun secoua la tête avec consternation. Jong-goo ne pensait vraiment qu'à la force brute. C'était la réponse à tous les problèmes pour lui.

— Je crois surtout qu'il aurait besoin d'un véritable ami pour le sortir de sa bulle et lui redonner confiance en lui. C'est une cible facile parce qu'il est complètement isolé. Peut-être qu'on devrait organiser une sortie avec d'autres garçons de la classe qui n'étaient pas sur sa liste et essayer de faire en sorte qu'il s'intègre un peu plus à la classe. T'en penses quoi ?

— Si tu le dis... mais c'est toi qui t'en occupes. Moi, mon job, c'est de gérer les méchants. Si tu veux te coltiner Park Yeong-bin et ses problèmes de sociabilité, c'est toi que ça regarde.

Min-jun poussa un soupir désabusé. Il n'était pas surpris par la réponse de son camarade. Jong-goo n'était pas quelqu'un de très empathique et ce n'était pas un fin psychologue.

[ 8 ]

En quelques semaines, la vie de Park Yeong-bin s'était grandement améliorée. Grâce à Min-jun qui l'avait un peu poussé à sortir de sa coquille, il avait profité de bons moments en compagnie de ses camarades de classes qui, finalement, étaient plutôt sympathiques. C'était la première fois qu'on l'invitait à faire des activités après l'école. Il était allé au cinéma, au karaoké et même dans un parc d'attractions. Au bout d'un moment, il s'était même fait deux amis dans la classe. De vrais amis avec qui il s'entendait bien et qui ne se servaient pas de lui comme esclave.

Dong-hae et Ho-nam aussi avaient changé. Ils se comportaient très bizarrement. Ils étaient toujours gentils avec lui et lui apportaient son goûter à la récréation du matin, qu'ils payaient de leur poche, alors qu'il ne leur avait rien demandé. Ils lui avaient même remboursé tout l'argent qu'ils lui avaient emprunté. Ça le mettait un peu mal à l'aise et il se sentait étrangement nerveux dès qu'ils les voyaient approcher avec un grand sourire crispé. Il leur avait demandé plusieurs fois d'arrêter et de le laisser tranquille, mais ils insistaient pour être aux petits soins avec lui. Ho-nam avait même proposé de lui masser les épaules une fois.

Quant aux autres élèves qui continuaient de se moquer de lui, ils avaient été dénoncés anonymement via l'application Payback et ils avaient tous été convoqués dans le bureau du principal. Après un rappel aux règles, le principal leur avait demandé de présenter une excuse formelle à Park Yeong-bin et ils avaient écopé d'une semaine d'inclusion-exclusion. L'affaire avait fait du bruit et les élèves, aussi bien les harceleurs que leurs victimes, commençaient à prendre un peu plus au sérieux le potentiel de cette application.

— Dis, Yeong-bin, je peux te parler deux secondes ? demanda Min-jun en s'approchant du délégué qui parlait jeux vidéo avec ses deux nouveaux amis.

— Euh, oui. Bien sûr.

Ils s'étaient isolés dans un coin pour discuter tranquillement.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as besoin d'aide pour quelque chose ?

— Non. Je voulais juste savoir une chose. Kim Jong-goo. Pourquoi tu as mis son nom sur la liste des élèves qui te harcelaient ?

Park Yeong-bin écarquilla les yeux.

— C- C-comment tu sais ça ?!

— Parce que c'est Jong-goo qui t'a envoyé ce message sur Payback. Et je l'aide à gérer les cas de harcèlement dans l'école. Pourquoi t'a menti ?

— J-je... j'avais peur de lui... Quand il est venu me parler l'autre jour, pour me demander de le rajouter dans le groupe, j'ai eu peur... Je pensais qu'il allait me harceler en ligne, lui aussi, et m'obliger à faire des trucs pour lui.

— Je vois. Ce n'est pas très grave, mais je pense que tu devrais t'excuser. Ce n'est pas bien de juger quelqu'un à son apparence. Jong-goo n'est pas quelqu'un de mauvais. Il ne s'en prend pas aux faibles et aux innocents.

— C'est pour ça que tu es ami avec lui ?

Min-jun hocha la tête.

— Faut le voir pour le croire, mais il n'est pas si horrible qu'il y paraît. Et pourtant, il me faisait peur aussi au début et je ne l'aimais pas du tout.

Park Yeong-bin s'était laissé convaincre. Il avait présenté ses excuses à Jong-goo et l'avait remercié pour son aide, mais son camarade n'en avait visiblement rien à battre. Il lui avait aussi demandé de dire à Dong-hae et Ho-nam d'arrêter leur cirque. Il savait que c'était Jong-goo qui leur avait demandé de faire tout ça, mais il ne voulait plus rien avoir à faire avec eux. Son camarade s'était contenté d'un "Ok. Cool. Dans ce cas l'affaire est classée. Je t'enverrai un reçu quand j'aurai encaissé le reste du paiement." Il lui avait à peine adressé un regard et l'avait chassé d'un geste de la main désintéressé. Yeong-bin ne l'aimait toujours pas, mais il ne le trouvait plus aussi effrayant qu'avant. Juste un peu grossier et désagréable.

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