Magalie n’avait pas dormi de la nuit. Sa tête était lourde sur ses épaules, si lourde… Et les paupières se fermaient toutes seules, sans effort… Cette chaise n’était pas confortable, et la table devant elle était gelée, mais ses coudes lui paraissaient si douillets, de véritables oreillers, parfait pour dormir… Une minute, juste une minute, pas plus ! Elle souhaitant simplement fermer les yeux quelques instants, laisser son cerveau se mettre sur pause, et… Ronfler.
Ses propres ronflements la réveillèrent en sursaut. Maggie regarda aussitôt tout autour d’elle. Il n’y avait personne dans la salle de repos, les locaux étaient bien vides. Elle renifla et essuya la bave qui avait coulé sur son menton. Pendant combien de temps s’était-elle assoupie ? Elle jeta un œil par la fenêtre, il faisait si noir dehors ! Elle tenta de rassembler ses souvenirs des dernières heures – ou était-ce des derniers jours ? – sans succès. Elle ne parvenait pas à savoir combien de temps s’était écoulé depuis que ce sous-fifre de Polkov l’avait appelée pour lui montrer… Mais que lui avait-il montré, au juste ?
Elle devait prendre un café.
Magalie se leva péniblement de sa chaise. Ses jambes raides ne voulaient pas marcher. Elle se força à se déplacer, avança jusqu’à la machine à café. Elle souleva la cafetière et, tout en baillant à s’en arracher la mâchoire, versa du liquide dans sa tasse. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Maggie se rendit compte qu’il n’y avait en réalité plus une goutte de café. Elle vociféra :
« Non mais quel est l’idiot qui a fini le café et n’en a pas remis à couler ? »
Puis elle comprit que l’idiot en question n’était en réalité qu’elle-même. Magalie était seule dans le poste de police depuis des heures, les autres étaient allés se coucher, lui conseillant de faire de même. Richard aussi était parti. Ou bien, il n’était pas venu. Où se trouvait l’architecte ? Le lieutenant n’en avait plus la moindre idée. Elle bailla à nouveau. La fatigue était en train de l’achever. Elle se concentra du mieux qu’elle put pour refaire du café. Elle ouvrit le haut de la machine, retira le filtre souillé de marc de café qu’elle jeta dans la poubelle juste à côté, puis chercha un filtre propre. Lorsqu’elle trouva la boite, elle soupira. Il n’y avait plus de filtre. Et qui disait plus de filtre, disait plus de café. Pas de café, pas d’énergie. Pas d’énergie, impossibilité de rester éveillée. Il lui fallait absolument des nouveaux filtres.
Maggie songea un instant à récupérer celui qu’elle venait de jeter. Après tout, il était sur le dessus de la poubelle, elle n’aurait pas trop à y mettre les mains. Et puis, si elle raclait bien le papier avec une cuillère pour enlever un maximum de marc, elle pourrait peut-être le réutiliser. Mais elle ne souhaitait pas tomber malade, et elle n’était pas sûre que les détritus sous le filtre fussent de première fraîcheur. Elle calcula rapidement. On était jeudi. Ou peut-être vendredi, si elle avait beaucoup dormi. L’agent d’entretien passait trois matins par semaine. Le lundi, le mercredi et le samedi. Donc, si on était vendredi, la poubelle n’avait pas été changée depuis plus de deux jours. Au vu du nombre de personnes qui travaillaient ici et mangeaient dans cette salle, il n’y avait aucun doute : la poubelle était à l’heure actuelle un véritable nid à microbes. Pire que ça : une colonie entière de ces petits organismes proliférait là-dedans. Délicieux. Elle devait absolument trouver un nouveau filtre.
Magalie partit donc en quête de son filtre à café, son Saint Graal personnel. Tandis qu’elle voguait parmi le dédale de couloirs du poste, elle tenta de rassembler une nouvelle fois ses souvenirs. Pourquoi était-elle ici ? Et où était-elle exactement ? La deuxième question était facile : dans l’espace, ce qui expliquait pourquoi il faisait aussi noir dans la salle de repos. Plus précisément, Magalie, comme tous ses collègues, avait rejoint le poste de la police interstellaire en fin de soirée. Il y avait donc de grandes chances que jeudi ne fusse que du passé, et que vendredi fusse le présent. Bon, deux mystères de réglés ! On tenait un record.
Magalie écuma les salles de pause des locaux. Elle fit même un tour par un placard à balais en se disant qu’avec un peu de chance elle y trouverait son bonheur. Malheureusement, et comme on pouvait s’y attendre, elle ne trouva absolument aucun filtre à café. Et toutes les cafetières étaient vides. Le lieutenant retourna à la case départ, complètement bredouille, avec pour seule récompense le fait de s’être un petit peu réveillée. Marcher lui avait fait du bien.
Elle se rassit à table après s’être servit un verre d’eau. Elle y fit tomber un sucre. Cette boisson avait un goût absolument ignoble, mais elle avait au moins le mérite de faire passer le sucre dans le sang rapidement et de redonner de l’énergie. C’était tout ce que souhaitant le lieutenant. Elle but une gorgée en grimaçant et se massa les tempes. La fatigue ralentissait sa réactivité. Elle n’arrivait plus à réfléchir. Mais bon dieu, à la fin, pourquoi se trouvait-elle ici ? Il devait bien y avoir une bonne raison. Il ne lui restait plus qu’à la trouver.
Après la quête, ce fut donc le début d’une véritable enquête.
Magalie avala son verre d’eau sucrée d’un seul trait. Elle secoua la tête en se contorsionnant. Son dos craqua, ainsi que sa nuque. La douleur fit rapidement place à une sensation de plaisir, de bien-être, qu’elle accueillit volontiers.
Elle commença par rassembler méthodiquement les indices qui se trouvaient autour d’elle, utilisant également ses maigres souvenirs ensommeillés pour comprendre la situation. Tout d’abord, le café : lorsqu’elle avait jeté le filtre à café usagé, elle avait remarqué qu’un autre filtre encore humide se trouvait dans la poubelle. Magalie en déduisit qu’elle avait déjà dû boire une cafetière entière. Mais pas toute seule. Effectivement, en faisant le tour de la pièce et en s’approchant de la kitchenette à côté de l’entrée, Maggie remarqua qu’il y avait deux tasses dans le fond de l’évier. Et pas n’importe lesquelles : un mug de lieutenant, et une tasse de brigadier. Magalie n’avait plus aucun doute désormais : à un moment donné dans la soirée, ou la nuit, elle avait été en compagnie de deux personnes, dont au moins un lieutenant – Polkov, supposa-t-elle. Dès lors, l’enquête prit une nouvelle tournure. Magalie ne cherchait pas ce qu’elle seule avait fait, mais ce qu’elle et deux collègues avaient fait. Prise d’un doute, elle nota tout de même dans un coin de sa tête qu’il n’était pas impossible que la tasse de brigadier ait été prêtée à un invité du type Richard MacHolland.
Magalie récupéra ensuite le dossier sur Sindy Grassier qui se trouvait posé sur un coin de la table. Elle l’ouvrit sans grande conviction d’y découvrir quoi que ce fut. Elle le referma donc bien vite après avoir relu ses notes qui n’avaient alors aucun sens à ses yeux :
Sindy Grassier -----------------> Chicago
Harold -> couteau -> roi
Complot ? X
Enlèvement ? X
Chantage ??
<3 <3 <3 ?
Maggie soupira. Au moins, elle avançait. Elle se rendit compte que si elle se trouvait ici, c’était certainement parce qu’ils avaient trouvé quelque chose à propos de Sindy Grassier. Le cœur du lieutenant se mit soudain à battre à tout rompre : et si ce qu’ils avaient trouvé était le corps de Sindy ? Et si finalement elle s’était trompée sur toute la ligne et qu’elle était bien morte comme le disaient ses parents ?
Ces hypothèses la paniquaient, mais elle ne céda pas à la tentation d’écouter ses peurs. Cette nuit, Magalie voulait à tout prix comprendre ce qui se passait, et ce qui était arrivé à la jeune fille qu’elle cherchait depuis bien trop longtemps maintenant. Le lieutenant sortit donc de la salle de repos, le dossier Sindy Grassier / Luna Peyton en main, et plus déterminée que jamais à finir l’enquête, coûte que coûte.
Magalie prit alors la direction du bureau du chef. Gaston Francis n’était pas là et avait verrouillé sa porte. Maggie se demanda s’il avait conscience de l’incongruité ironique de son geste. Après tout, le bureau se trouvait en plein milieu du poste de police. Non seulement ses murs étaient en verre et donc cassables, mais en plus Maggie et tous ses collègues étaient capables de crocheter n’importe quelle serrure. Au moins, l’inconséquence de son chef la mettait en bonne posture. Le lieutenant s’accroupit, posa le dossier à côté d’elle et mit les mains dans ses cheveux. Elle trifouilla sa chevelure quelques instants avant d’en sortir deux épingles. L’une d’elles, un peu vieille, était tordue au bout : en somme, elle était parfaite pour crocheter. Maggie observa la serrure tout en se recoiffant rapidement afin de n’avoir aucun cheveux dans les yeux. Elle tenait les épingles entre ses dents. Une fois en place et bien concentrée sur ce qu’elle devait faire, Magalie prit l’épingle en bon état et l’inséra dans le haut de la serrure. Tout en gardant d’une main la première épingle en place, elle plaça la seconde un peu plus bas. Après quelques tours de poignet et un ou deux gros soupirs…
« Sésame, ouvre-toi ! »
La porte s’ouvrit dans un léger grincement. Satisfaite, Magalie rangea les épingles dans sa poche et récupéra le dossier, puis entra dans le bureau de son chef.
La première chose que fit alors Magalie Pierce fut de regarder l’heure sur l’ordinateur en veille du chef. Elle secoua la souris et le bureau s’afficha. Il était bientôt 5 heures – vendredi matin, donc. Magalie se fit la réflexion qu’il serait bon pour Francis de suivre un cours sur la sécurité, entre sa porte de bureau et son ordinateur sans mot de passe… Au moins, pour l’instant ça facilitait la vie à Magalie.
Elle effectua une rapide recherche dans les dossiers de l’ordinateur. Elle tomba sur une copie du dossier Grassier qu’elle ouvrit immédiatement. Elle fit défiler les pages. Le lieutenant ne décela aucune différence entre le dossier qu’elle avait en sa possession, et celui numérisé du chef. Elle ferma le fichier et tomba sur un onglet ouvert. Elle déglutit en voyant son nom, suivi de « Lettre… ». Magalie décida de ne pas regarder et mit l’ordinateur en veille.
Après un rapide tour dans le bureau, fait en ayant l’envie constante d’aller voir la « Lettre » que rédigeait son patron la veille, Magalie comprit qu’elle s’était décoiffée pour rien. Crocheter la serrure ne lui avait rien apporté, hormis des inquiétudes.
Sans s’attarder plus longtemps inutilement, Magalie referma la porte du bureau derrière elle et se dirigea vers sa prochaine destination : le poste de surveillance.
Ce n’était qu’une petite pièce, sombre, tout au fond des locaux du poste de police. Magalie savait où il se trouvait malgré qu’elle n’y fut jamais allée auparavant. Souvent, les policiers qui s’y rendaient étaient charriés par leurs collègues après leur excursion. Magalie n’avait jamais souhaité qu’on la traite de geek du dimanche, ou de rat de bibliothèque. Lorsqu’elle poussa la porte du poste de surveillance, elle comprit enfin ce qui attirait tout de même certains individus, ceux qui n’avaient pas peur des représailles.
Elle alluma la lumière. Le mur face à elle était tapissé d’écrans de surveillance qui donnaient, en temps réel, une vue de ce qui se passait absolument partout dans le poste. Magalie se rendit compte que lorsqu’elle allait se trifouiller le nez dans les toilettes, ceux qui se trouvaient là voyaient tout… Elle rougit de honte. Les murs de droite et de gauche étaient tous deux occupés par des étagères. L’une comportait des livres, pour la plupart des manuels d’utilisation du matériel ; tandis que l’autre était réservée au stockage des disques durs sur lesquels étaient enregistrées des centaines et des centaines d’heures de vidéosurveillance. Quels étaient ceux où on la voyait se curer le nez à midi ? Probablement un peu tous.
Par chance, malgré l’absence de garde cette nuit, les écrans étaient tous allumés tandis que les caméras tournaient. Magalie regarda attentivement chaque moniteur, un par un. La fatigue commençait à revenir. Elle s’assit dans un des sièges… si confortable… Elle commença à piquer du nez en regardant la retransmission de ce qui se passait dans le couloir menant au hangar à véhicules. Il n’y avait rien à voir. Elle se laissa glisser dans le siège. De nouveau, sa tête se faisait lourde sur ses épaules, et elle ne sentait plus ses mains au bout de ses bras. Ses yeux se fermèrent. Lorsqu’elle les rouvrit en sursautant, elle se rendit compte qu’elle avait dû toucher à quelque chose : les écrans n’affichaient plus les mêmes pièces. Là où se trouvait avant une vue de la salle de pause, il y avait désormais le couloir menant aux salles d’interrogatoire. Sur la ligne en dessous, tout du long, Magalie pouvait voir ce qui se passait dans chaque salle d’interrogatoire. Elle bailla, manqua de s’étouffer en voyant ce qu’il y avait tout au bout de la ligne, dans la salle n°5.
Un homme. Affalé sur la table. La tête dans les bras. En costume trois pièces. Des cheveux très courts, et une barbe qui remontait jusqu’aux oreilles.
Mais, que faisait donc Harold Rice ici ?
Les éléments se remettaient en place petit à petit dans la tête de Magalie. Elle avait reconnu Harold sans aucun problème, et pour une simple raison : c’était elle qui l’avait arrêté à Chicago.
Le jeune policier qui l’avait appelée alors qu’elle fouillait une maison dans ce quartier de riches l’avait emmenée jusqu’à une belle demeure. Loin d’être modeste, le garçon s’était longuement vanté d’avoir reconnu Harold Rice le premier. Et comme, pendant la réunion dans la T&RCorporation, Magalie avait montré une photo de lui en l’évoquant sous le nom de « suspect », il n’avait eu aucun doute. Le lieutenant se souvenait parfaitement lui avoir demandé s’il souhaitait une médaille pour avoir fait ce qu’un enfant de deux ans aurait fait à sa place et sans s’enorgueillir. Il n’avait alors rien trouvé à redire et l’avait guidée jusqu’à la fameuse maison où se trouvait effectivement Rice.
Elle se souvenait désormais de la manière dont l’homme leur avait ris au nez, clamant haut et fort qu’il les avait bien eu, qu’il les avait emmenés là où il le souhaitait.
« Je vous ai eu comme des bleus. Vous ne la retrouverez jamais ! »
C’était sur ces mots que Magalie lui avait passé les menottes sans hésiter. Cette fois-ci, il était allé trop loin. Et depuis le temps qu’elle avait envie de le coffrer celui-là !
Désormais, dans cette petite salle de vidéosurveillance, Magalie comprenait pourquoi elle était retournée dans l’espace. Ils avaient trouvé Rice et l’homme s’était quasiment auto-accusé d’avoir fait quelque chose à Sindy. Mais quoi ?
Magalie rouvrit son dossier et chercha toute trace d’un interrogatoire qui avait nécessairement eu lieu à leur arrivée ici. Il n’y avait rien. Aucune évocation de l’arrestation d’Harold Rice, et encore moins d’un quelconque interrogatoire. Elle se souvint alors que Polkov lui avait proposé un café alors qu’elle s’apprêtait à rédiger quelque chose dans son dossier afin de faire un rapport au chef dès le lendemain – aujourd’hui. Elle ne se souvenait cependant pas de la deuxième personne avec qui elle avait bien pu boire cette tasse de café.
Le lieutenant Magalie Pierce était désormais plus déterminée que jamais à comprendre ce qui se tramait.
Désormais, elle était partagée entre aller voir Harold Rice et, à la manière des flics dans les films, rentrer dans la salle en furie et le réveiller en lui flanquant une bonne claque derrière la tête ; et l’idée de se rendre aux scellés et voir ce que Rice avait sur lui. Elle comprit qu’au fond elle n’avait pas vraiment le choix : si quelqu’un, au matin, visionnait les enregistrement des dernières heures et voyait Magalie frapper un suspect, elle pouvait être sûre d’être virée dans la minute. Et, malgré tout, elle tenait un peu à son boulot.
Elle devait donc partir à la conquête de la salle des scellés !
Pour une fois, il s’agissait d’une pièce non seulement à laquelle elle avait normalement accès à tout moment, et qu’elle connaissait sur le bout des doigts ! Magalie se dirigea à toute vitesse à l’autre bout du couloir, et tourna le bouton de porte. Une fois à l’intérieur, elle se rendit compte avoir oublié son dossier sur Sindy et fit demi-tour.
La salle des scellés était absolument bondée de sacs plastiques de différentes tailles et recélant tous quelque chose de diamétralement opposé à son voisin. Magalie commença par attraper une paire de gants jetables qu’elle enfila sur ses mains. Elle fit claquer le latex sur ses poignets, en se mordant les lèvres à la morsure. Bon. Il ne lui restait plus qu’à trouver les affaires de Rice. Elle commença par faire un tour de la pièce. Les scellés étaient rangés par catégories puis par ordre alphabétique d’appartenance au suspect ou criminel. Sur les étagères, Magalie n’avait donc à regarder que les « R » et le contenu des sacs.
Elle passa d’abord devant une étagère sur lesquelles il y avait encore des dizaines et des dizaines de kilogrammes de poudre et d’herbe, des substances toutes aussi illégales les unes que les autres. Magalie se dit qu’elle en aurait bien prit une petite pincée, de cette poudre blanche qui lui faisait de l’œil, ça l’aurait réveillé. Mais encore une fois : il y avait les caméras de surveillance. Et puis, elle n’en avait pas franchement envie, bien au contraire. Le souvenir de cette gamine aux cheveux violets qui était probablement morte d’overdose à Kudos, sur Mercure, était bien présent dans son esprit.
Magalie dût ainsi faire le tour de la pièce avant de trouver l’étagère sur laquelle étaient soigneusement rangés les effets personnels des détenus actuels du poste. Il y avait cinq sacs, un pour chaque personne en détention cette nuit. Deux sacs étaient posés sur l’étagère « R ». Le lieutenant en attrapa un au hasard et souffla :
« Bingo ! »
Elle lut :
NOM : Rice
Prénom : Harold
Elle ne s’attarda pas sur la date et l’heure. Elle avait trouvé le plus important. Maggie se laissa choir sur le sol et ouvrit le sachet. Elle déplia le manteau d’Harold sur le sol, en fouilla les poches. Il était vide. Elle attrapa ensuite un plus petit sachet dans le sac plastique, qui correspondait aux petits effets personnels. Magalie y trouva deux jeux de clés, un stylo, un portefeuille et un porte-cartes. Rien d’intéressant, en somme. Il ne restait alors plus qu’une sacoche à fouiller. Le lieutenant la sortit en étant consciente que quelqu’un l’avait déjà secouée dans tous les sens avant elle. Elle commença par ouvrir toutes les fermetures éclairs et défaire les boutons. Elle retourna le sac. Rien n’en tomba. Elle l’agita alors dans tous les sens. Magalie fronça les sourcils. Elle recommença son geste : quelque chose bougeait à l’intérieur. Avec patience et minutie, deux adjectifs normalement inconciliables avec Magalie Pierce, le lieutenant essaya de trouver une pochette dissimulée ou un double fond.
« Eh beh, tu te cachais bien toi, murmura-t-elle. »
Elle triomphait. La sacoche était bien équipée d’un double fond extrêmement bien camouflé. Une toute petite languette, cachée sous la couture d’une pochette à l’intérieur de la sacoche, permettait de soulever le fond. Il y avait juste assez de place pour y glisser les doigts et… un téléphone portable ! Magalie l’attrapa et l’observa. C’était un vieux téléphone à clapet, un modèle qu’on ne trouvait plus depuis au moins trente ans, sauf chez les collectionneurs d’objets anciens. D’antiquités.
Le lieutenant comprit directement où Rice avait pu dégoter ce portable : grâce à la collection privée du roi Friedrich Grassier. C’était évident ! Le roi avait été si préoccupé par la disparition de la pièce maitresse de son arsenal, le couteau au manche d’ivoire, qu’il n’avait pas remarqué celle de ce petit téléphone ! Et Magalie était certaine que ce n’était pas un mais bien deux portables qui manquaient au roi.
Alors qu’elle réfléchissait à cette histoire de couteau – qui devait bien se trouver dans un endroit connu de Rice – Magalie fut surprise par la sonnerie du téléphone portable. Ce dernier vibrait aussi dans sa main. L’écran de veille affichait le nom du correspondant cherchant joindre Harold. Le contact était enregistré sous le nom de « Didine ». Mue par l’instinct – et par le souvenir d’avoir vu comment utiliser ce genre d’appareil à la télévision – elle ouvrit le clapet et appuya sur le petit téléphone vert. Ensuite, elle enfonça rapidement la touche qui se trouvait au-dessus du téléphone rouge : le haut-parleur se mit en route.
« Allô ? Harry chéri ? fit une voix féminine, relativement jeune. J’ai fait comme tu m’as dit ! J’ai trouvé une autre fille, comme celle de Kudos. Elle a aussi les cheveux violets, comme moi. Enfin, comme moi avant. Je l’ai laissé en plein Los Angeles, dans un parc, et j’ai mis une autre copie du couteau de mon père. Tu es sûr qu’ils vont croire que c’est mon père qui a orchestré tout ça ? C’est un roi… Je ne sais pas. Enfin bon, je te fais confiance, mon amour ! Oh ! Et puis, j’ai encore changé de teinture aussi, j’ai les cheveux blonds maintenant ! J’espère que tu vas aimer… Harry ? Tu m’écoutes ? »
Magalie ne répondit pas. Elle essayait de comprendre ce qui se passait exactement.
« Harold ? Tu es là ? J’entends ta respiration… Harold ? C’est Sindy ? Ta didine ! Je…
- Vous allez me dire calmement où vous vous trouvez Sindy, déclara Magalie. Vous resterez sagement au téléphone avec moi, sans bouger de votre position actuelle, jusqu’à ce que quelqu’un vienne vous chercher. On est bien d’accord ?
- Je… Qui est-ce ? Qui est à l’appareil ? Où est Harry ? Qu’est-il arrivé à Harold ? Harold ! Harold ! Tu m’entends ? Harry ! »
Magalie soupira. Elle avait mal au cœur pour la jeune femme à l’autre bout du fil. Toutefois, le lieutenant était soulagé. Toute cette histoire touchait enfin à sa fin, et Sindy était bel et bien vivante. Maggie comprenait l’affolement de l’étudiante. Elle fit donc tout pour la calmer, restant elle-même extrêmement calme :
« Ecoutez-moi Sindy, je peux vous appeler Sindy, n’est-ce pas ? demanda Magalie pour la forme. Je m’appelle Magalie Pierce, je suis lieutenant de la police interstellaire.
- Lieutenant, je…
- Laissez-moi parler Sindy, je vais tout vous expliquer. Déjà, je tiens à vous assurer qu’il ne vous arrivera rien. Tout ce qui s’est passé, et peu importe ce qui s’est passé, restera sans incidence pour vous et vos parents.
- Mes parents ? murmura la jeune femme, la voix remplie de tristesse.
- Oui. Vos parents ont tout fait pour vous retrouver, mentit Magalie. Ils ont signalé votre disparition et ont insisté pour qu’une enquête soit ouverte. Je suis le lieutenant en charge de vous retrouver et je suis à votre recherche depuis des semaines. Sindy… Ils vous croyaient morte, vous rendez-vous compte ?
- Je…
- Il est temps de mettre fin à toute cette histoire Sindy. Vous êtes d’accord avec moi ? »
Absence de réponse. Magalie passa une main sur son front. Elle était épuisée, et n’imaginait pas l’état dans lequel devait se trouver Sindy au même instant, seule, à Los Angeles. Elle lui demanda alors à nouveau :
« Pouvez-vous me dire où vous trouver ? Nous resterons au téléphone jusqu’à ce qu’un de mes collègues vienne vous chercher. C’est d’accord ? »
Cette fois, la jeune femme lui répondit. Magalie se releva et, tout en rassurant Sindy sur la situation, et particulièrement sur l’état d’Harold, elle gagna le bureau de Gaston Francis.
Pendant que Magalie fouillait la salle des scellés, il lui avait semblé entendre du bruit dans les locaux. Elle avait supposé que les premiers policiers arrivaient, après leur dernière garde difficile. Elle avait également comprit qu’un autre poste avait pris le relai pour les urgences de la nuit.
Le lieutenant Magalie Pierce, complètement vidée de toute énergie, entra donc dans le bureau de son chef, le portable d’Harold Rice dans la main, une communication sur haut-parleur en cours avec la personne la plus recherchée de l’univers : Sindy Grassier. Elle n’eut pas besoin de prononcer le moindre mot à son chef. Elle lui fit signe de prendre de quoi noter, elle ne voulait pas effrayer Sindy en parlant à quelqu’un d’autre en même temps. Magalie demanda à Sindy de répéter une nouvelle fois sa position en prétextant vouloir être bien sûre des indications qu’elle donnerait aux policiers de Los Angeles. Gaston Francis hocha la tête, signe qu’il avait bien tout noté. Magalie sortit du bureau et, pour la première fois depuis sa promotion, rejoignit son propre bureau de lieutenant. Elle s’assit dans son fauteuil, les coudes sur le bureau, et continua à parler à Sindy. Après une demi-heure de discussion, Sindy finit par dire à Magalie que des policiers arrivaient vers elle. L’un d’eux lui ôta le téléphone des mains.
« Lieutenant Pierce ? demanda-t-il. Lieutenant Harrison à l’appareil. Nous vous ramenons tout de suite la jeune femme.
- Parfait, merci lieutenant Harrison. Et, s’il vous plait, ne lui faites pas de mal. Elle n’y est pour rien dans toute cette histoire. »
Le policier lui promit et raccrocha. Le silence se fit dans la pièce.
Magalie n’en revenait pas. Elle avait véritablement retrouvé Sindy. Ou plutôt, elle lui était tombée dans les bras comme un cadeau tombé du ciel.
Il ne restait désormais à Pierce qu’une chose à faire.
Maggie se leva, sortit péniblement de son bureau, et se dirigea tout droit vers les salles d’interrogatoire. Elle fit un signe de tête à Gaston Francis pour le remercier en passant, puis, sans demander son reste, poussa la porte de la salle n°5.
A l’intérieur, Harold Rice était réveillé. Il voulut demander de l’eau et à manger, mais Magalie ne l’écouta pas. Elle s’installa face à lui, les bras croisés sur le torse. Elle le regarda droit dans les yeux. Désormais, le lieutenant ne souhaitait qu’une chose : voir le sourire d’Harold Rice s’effondrer.
Elle déclara alors simplement :
« Nous avons retrouvé Sindy. Elle devrait arriver ici d’une minute à l’autre. »
Harold Rice cessa alors instantanément de sourire. Voilà, il comprenait. Mais Magalie décida d’enfoncer le clou, une bonne fois pour toutes.
« C’est fini, Rice. Vous êtes fichu. »
Superbe final, l’affaire du café. Fallait y penser ! Mais avec qui elle l’a bu ?
Par contre, pourquoi ne sort-elle pas prendre un café dehors ?
Prendre l’air, ça réveille.
Merci beaucoup pour ton commentaire ! L'affaire du café (très bon nom d'ailleurs !), m'est venue à la dernière minute. Ce chapitre ne devait pas du tout se dérouler comme ça au départ :)
Et Maggie a bu le café avec Polkov (on en est sûr vu qu'elle se souvient de lui), mais on ne sait pas qui est la deuxième personne (au choix, Léopold, Richard, etc). Pour ta deuxième question, eh bien... disons qu'elle n'y a pas pensé ;)