Chapitre 19 : Les aveux de Max

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

 

Playlist Charlie :

Got my mind set on you – George Harrison

 

 

***

 

 

Il y a un jour dans la semaine que j’aime encore plus que mes ateliers pâtisseries et tricot chez Mme Anne ou nos réunions au Billie’s, c’est notre rendez-vous hebdomadaire au skatepark. Si Romy est aussi à l’aise sur des patins que Tom sans son téléphone, les jumeaux, eux, adorent le skate. Je ne me souviens même plus qui des deux à initier l’autre à l’art noble de la glisse, mais leur passion respective se valent et pouvoir rouler avec eux, même par plus de 39°C à l’ombre est un vrai plaisir.

Et aujourd’hui, c’est notre jour spécial glisse.

Parée de ma short-salopette préférée – j’ai abandonné, elle s’appellera comme ça à partir de maintenant – et de mon vieux chapeau de pailles à ruban, je quittai ma chambre pour rejoindre le hall. Rien ne saurait me saper le moral, pas même ce con de Tom que je croisai dans l’entrée. Ce qui était d’ailleurs assez surprenant puisque mon frère était adepte des longues grasses matinées qui finissent inévitablement par déborder sur l’après-midi.

— T’as l’air de sortir tout droit des années 80, lâcha-t-il quand je vins enfiler mes rollers.

Le ton était si plat que je n’aurais su dire s’il se fichait de moi ou non. Dans le doute, et sans me départir de mon sourire, je lui répondis :

— Au moins je ne ressemble pas à tout le monde.

De toute façon, il y avait plus de chance pour que ce soit un reproche qu’un compliment. Et Nick étant absent – le travail n’attendait pas ! – je pouvais me permettre une petite pique.

Je ne lui laissai pas le temps de répondre et, encore guillerette, fourrai mes convers dans mon sac avant de quitter la maison.  

J’avais toujours en tête le fiasco de la fête de la semaine dernière. Tom était rentré étonnement tôt et surprenamment morose. Il m’avait à peine accordé un regard ni n’avait ouvert la bouche avant de s’enfermer dans sa chambre. Et ça valait sans doute mieux pour lui. Après tout, c’était l’un de ses « potes » qui avait foutu la merde en premier et ses mots me restaient encore en travers de la gorge. S’il avait osé faire un commentaire, je crois que j’aurais imité Alex. Être privée de sortie, ça n’aurait pas été trop cher payé pour casser le nez à Tom.

Mais peut-être suis-je un tantinet méchante.

Le skatepark, contrairement au Billie’s, était assez loin de chez moi. Il me fallut bien dix minutes avant d’en voir les grilles se profiler. À cette heure-ci, personne ne venait par ici, raison pour laquelle le grand parking que je devais traverser pour y accéder était partiellement vide.

Je retrouvais Max et Alex à l’entrée, en train de se prendre la tête à propos de je ne sais quoi. Le ton commençait à monter lorsqu’ils relevèrent les yeux au son de mes roulettes. Presque aussitôt, leurs traits se détendirent et des sourires chaleureux m’accueillirent.

— C’est pas trop tôt ! s’impatienta Max l’air tout à fait radieuse. On a failli attendre.

— Dit-elle alors qu’elle a insisté pour venir plus tôt exprès pour arriver avant Charlie, nuança Alex avec un sourire de chat.

Max gonfla les joues et passa le portail la première, sans nous attendre. Alex en profita pour passer un bras autour de ma taille et m’attirer à lui pour un baiser. S’il m’accueillait tous les jours de cette manière, je crois que je ne ferai pas long feu !

— On y va ? demanda-t-il en me proposant la main.

Encore un peu hagarde, je me contentai d’opiner timidement en prenant sa main. Pour être honnête, j’avais encore un peu de peine à y croire. En fait, je me pinçais plusieurs fois par jour pour être sûre de ne pas rêver tant cela me semblait idyllique. Main dans la main, nous traversâmes le portail à notre tour et rejoignîmes Max sur la piste de course qui entourait les divers modules.

Nous avions élaboré un petit rituel : nous profitions d’abord de la grande piste pour nous dérouiller et discuter, puis les jumeaux s’élançaient sur les rails, plans inclinés, rampes et autres noms que je ne maîtrisais assurément pas mais qui les amusaient toujours beaucoup.

Lors de notre premier tour, je demandai à Alex comment se portait sa main. Si les égratignures s’étaient vu recouvrir de croutes brunes, la couleur de ses jointures me semblait toujours assez préoccupante, d’autant plus qu’aujourd’hui, sa main était bandée jusqu’au poignet.

— Ça va, répondit-il avec son calme habituel. Ça fait encore un peu mal quand je bouge les doigts, mais il n’y a rien de cassé. Par contre, ça se voit que je ne pratique plus trop la boxe, je me suis foulé le poignet.

Je grimaçai.

— Et tu appelles ça « aller » ? relevai-je, atterrée.

Il me lança ce sourire mutin qui faisait bondir mon cœur.

— Bien sûr, puisque l’autre se trimballe avec des broches dans le nez.

— T’es pas sérieux ? paniquai-je.

À côté de nous, Max éclata de rire.

— Oh que si ! s’amusa-t-elle en manquant tomber de sa planche. Et c’était hilarant à voir.

— Il est venu au Billie’s avec ses parents, m’apprit Alex alors que sa sœur continuait de se bidonner. Apparemment ses parents ont l’habitude qu’il revienne chez eux dans un sale état, sauf que normalement c’est lui qui donne les coups. Ils ont d’abord cru à un règlement de compte mais il semblerait que des témoins les aient contactés pour leur raconter ce qu’il s’était passé, comme il t’avait insulté et comme j’avais réagi quand il est allé trop loin. Mon premier coup ne lui a donné qu’un œil au beurre noir, il aurait pu s’arrêter, mais il ne l’a pas fait, à partir de là c’était de la légitime défense. Et quand les parents l’ont appris, ils l’ont traîné au restaurant pour s’excuser.

— T’aurais dû voir sa tête, riait Max. On aurait dit une momie avec son bandage sur le nez et son œil violet fermé !

— Elle exagère, me souffla-t-il, il n’avait qu’un pansement, ce sont ses parents qui nous ont expliqué pour les broches.

— Et ils ne porteront pas plainte ? voulus-je savoir, inquiète.

— Non. Ce n’est pas la première fois qu’il provoque une bagarre, ils ont surtout voulu s’excuser. D’ailleurs, ils se sont plus inquiétés de savoir si nous, nous allions porter plainte.

Je haussai des épaules.

— Ça n’en vaut pas vraiment la peine vu la raclé qu’il s’est pris.

— Nous sommes d’accord, avait souri mon grand blond avant d’embrasser ma main. L’avantage, ajouta-t-il, c’est qu’avec des mains dans cet état, je ne suis plus obligé de faire la plonge.

— Ouais, mais tu peux plus non plus jouer, nuança Max et il se rembrunit.

— Ça guérira vite, lui assurai-je pour l’apaiser et il m’offrit un faible sourire.

Pendant le deuxième tour, Alex lança l’idée d’aller à la fête foraine, idée qui me plut beaucoup. Je ne me souvenais plus de la dernière fois où nous y étions allés mais je savais que ça remontait à loin. Puis, y aller avec Alex en tant que petit-ami ? Ce serait un rêve cliché tout à fait intéressant !

Pourtant à y regarder de plus près, je remarquai que Max semblait un peu ailleurs tout d’un coup. Elle se mordillait la lèvre inférieure, songeuse, et ne semblait pas même avoir entendu son frère parler de foire. Son silence intrigua également Alex qui cessa de réfléchir à une date pour se tourner vers sa sœur.

— Bah alors MadMax, la réveilla-t-il avec un coup dans l’épaule, tu t’endors sur ta planche ?

Max sursauta si fort qu’elle faillit en tomber.

— Bordel Alex ! s’exclama-t-elle en se rattrapant, une main sur le cœur. Tu veux ma mort ou quoi ?

— Non, je veux juste savoir pourquoi quand je parle de fête foraine, ma droguée de manège à sensation forte préférée ne réagit même pas. Tu sais, ajouta-t-il alors qu’elle le regardait avec de grands yeux, je vais vraiment finir par croire que tu as été échangée par des aliens.

Cette dernière réplique eut au moins le mérite de la faire rire.

— Qu’est-ce qui t’arrives ? j’enchaînai dès qu’elle se calma. Tu as l’air ailleurs, quelque chose te chiffonne ?

Elle pinça les lèvres, soudain mal à l’aise.

— C’est rien, affirma-t-elle en jouant négligemment avec l’une de ses mèches brune striée de bleu.

Alex, qui un instant plus tôt paraissait inquiet se renfrogna presque instantanément.

— Ah, souffla-t-il blasé. Elle sort avec un nouveau tocard.

— Alex ! s’offusqua sa sœur en s’arrêtant juste devant nous.

Nous freinâmes pour ne pas la percuter et Alex posa pied à terre.

— Quoi ? Fallait bien le dire, ça te ronge depuis des jours.

— C’est quelqu’un qu’on connait ? demandai-je, curieuse.

— Le gars qu’elle dévorait au bar pendant la soirée anniversaire, avança Alex, moqueur.

— Je ne le dévorais pas ! se récria Max, cramoisie.

— Non, tu lui ratissais juste le portrait à coups de langues, la nargua son frère. Pendant un instant tu m’as fait penser à un labrador.

Sa comparaison me fit éclater de rire. Puis je me souvins de cet instant et un sourire de chat étira mes lèvres. Ah, ce garçon…

— Il est nouveau, m’apprit Alex alors que Max faisait la moue, vexée. Et apparemment il a eu un sacré crush sur notre MadMax.

— Et le souci, c’est ? insistai-je.

Alex haussa des épaules.

— Elle hésite. Tu te souviens de l’autre crétin avec qui elle sortais le mois dernier ?

Je réfléchis un instant. Dur de se souvenir de tous les couillons avec qui Max était sorti.

— Celui qui se prenait pour la réincarnation de Casanova ? hasardai-je.

— Lui-même, confirma Alex avec les yeux pétillant d’humour.

— Et donc ?

— Il est revenu y a quelques jours et rampe littéralement à ses pieds.

— À ce point ? m’étonnai-je.

— Il exagère, contra Max en croisant les bras sur sa poitrine.

— Non, non, il s’est même planté à genoux devant moi pour tenter d’entrer à la maison il y a genre… une semaine, je crois, ajouta-t-il après un instant de réflexion. Il avait l’air désespéré.

— Tu me l’avais pas dit ! accusa Max, sidérée.

Nouveau haussement d’épaules.

— Inutile, j’ai pas eu le temps d’en placer une qu’il était déjà reparti. À croire que je lui ai fait peur.

— Ton verni à ongle peut-être ? proposai-je avec effronterie en levant nos mains jointes.

Ses ongles y étaient soigneusement manucurés et couvert d’une jolie couche de verni à l’effet de velours liquide émeraude tout à fait magique. Je n’avais aucune traitre idée de comment il parvenait à un tel résultat, c’était incroyable.

— Ou ce masque que tu te mets sur le visage, là, tu sais ? renchérit Max, trop heureuse de pouvoir retourner la situation à son avantage et vanner son frère. Celui qui te fais ressembler à un fou tout droit sorti d’un bain de goudron !

— Un masque de charbon, grogna Alex, renfrogné.

— C’est ça ! Il a une de ces gueules après l’avoir mis ! rit-elle de plus belle.

Alors c’était ça le secret de sa peau si douce ? m’ébahis-je en fixant ses joues avec intérêt. Juré, la prochaine fois que je dors chez lui, on se fait une soirée masque de charbon et soin capillaire !

— Peut-être, répondit Alex en grinçant des dents, mais tu devrais essayer, un jour. Ça ne te ferait pas de mal avec tous les points noirs que tu te traînes depuis le collège.

— Hé ! se récria Max.

N’y tenant plus, j’éclatai de rire. Leur dispute était tellement puérile ! Alex se dérida rapidement, mais si un faible sourire passa sur les lèvres de Max malgré sa tentative de bouderie, il s’évapora vite au profit d’une mine soucieuse.

— Pour en revenir à ce qu’on disait, reprit-elle un peu trop sérieusement pour être honnête, non, je n’hésite pas entre le nouveau et mon ex. Ce trou de balle peut bien aller se faire frire, ajouta-t-elle revêche, je n’en ai plus rien à carrer.

Il fallait dire qu’il en tenait une sacrée couche aussi. Max l’avait chopé en train de peloter une fille à même pas deux pas de chez elle. Et il avait osé lui dire que ce n’était pas ce qu’elle croyait. Si je n’avais pas été là, je crois bien qu’elle lui aurait brisé la mâchoire, que ce soit avec son poing ou la planche de skate qu’elle tenait à la main. Je crois que je me demanderai éternellement ce qu’il avait dans la tête à ce moment-là. Un singe qui joue des cymbales ? Le vide intersidéral ? Une sacrée grosse paire de bur…

Ok, arrêtons-nous-là.

— Alors c’est qui ? relançai-je plus doucement.

Max pinça les lèvres et détourna les yeux. Son comportement, à des années lumières de la Max que nous connaissions, nous intrigua autant qu’il nous inquiéta. Qu’y avait-il de si grave pour qu’elle peine à réussir à nous en parler ?

— Tu vas me prendre pour une folle, lâcha-t-elle enfin d’une petite voix.

— Mais non, tentai-je de la rassurer.

Elle prit une grande inspiration, avant de lâcher :

— J’ai… comme qui dirait… couché avec le meilleur ami de ton frère.

Il y eut un blanc assez conséquent pendant lequel je cru avoir mal entendu. Mais vu son regard coupable et plein d’incertitude, ça n’était pas le cas.

— Le play-boy ? s’étonna Alex en premier, ce qui me ramena sur terre avec la violence d’un astéroïde.

T’as fait quoi ? explosai-je en même temps.

— Mais c’était pas exprès, reprit si rapidement Max que je m’attendais à la voir trébucher sur sa propre langue. J’avais trop bu et lui aussi et…

Je levai une main impérieuse entre nous. Une affreuse migraine commençait à poindre derrière mes yeux.

— Attends, attends, rembobine, demandai-je en me massant les tempes. Ça s’est passé quand ?

Lorsque je reposai les yeux sur elle, Max détourna les siens, rouge de honte.

Max, grondai-je en pressentant la réponse.

— Pendant la soirée où vous êtes partis plus tôt, lâcha-t-elle à toute vitesse.

J’accusai le coup et inspirai profondément pour ne pas me jeter sur mon amie pour la secouer dans tous les sens. À la place, et essayant de me maitriser, je me passai une main sur le visage.

— Et donc, dis-je lentement, tu as laissé Romy toute seule pour aller t’amuser avec cet abruti ?

— Non, non ! se récria Max, horrifiée. Romy était en train de discuter avec ton frère.

Je cillai.

Pardon ?

— Mon frère ? répétai-je bêtement.

— Tom, confirma Max toute penaude. Il… Vous veniez tout juste de partir et Lucas de prendre la fuite. Elle avait attiré l’attention de quelques lourdingues, j’étais assez loin et le temps que je traverse la foule il l’avait déjà rejointe. Il s’est montré assez gentil, il a repoussé les lourdauds et l’a même fait sourire !

Je fis les yeux ronds.

— Euh… on parle bien de mon frère ? Tom ?

Elle opina.

— Qui est gentil ? insistai-je, abasourdie. Avec Romy ?

Nouveau hochement de tête.

— Tu es sûre que tu n’as pas déliré la scène ? demandai-je avec inquiétude. Tom est incapable d’être gentil avec elle ! Il la harcèle depuis la primaire et se moque d’elle depuis aussi longtemps que je m’en souvienne !

Max haussa des épaules, impuissante.

— Bah je sais pas moi, je fais que te raconter ce que j’ai vu. Je crois qu’ils ont passé le reste de la soirée ensemble et quand elle a voulu rentrer il m’a même assurer s’occuper de la raccompagner chez elle. Elle n’était pas ivre, ni droguée et lui non plus. Je me suis dit que ça irait. En plus elle rayonnait. Sérieux, je ne l’avais jamais vu aussi souriante en dehors de son musée d’astronomie !

— J’hallucine… soufflai-je en me passant une main sur le visage.

Il allait falloir que j’en touche deux mots à Tom.

Je pris un instant supplémentaire pour assimiler tout ce foutoir avant de me redresser.

— Bon, et toi alors ?

Max se dandina à côté de sa planche.

— Je vais pas te faire un dessin, marmonna-t-elle, on a couché ensemble et c’était cool.

— Cool ? répétai-je, ahurie. Cool ? Comment ça, cool ?

Max ouvrit la bouche, la referma. Elle ne semblait plus savoir où se mettre ni quoi dire. Je ne l’avais encore jamais vue dans un état pareil. Mais qu’avait-il fait à mon amie ? Peut-être que ce n’était pas elle qui avait été échangée par un alien mais Tom et Jules !

Après une petite éternité de silence, Max soupira.

— Je… Je sais pas comment le dire autrement. C’était bien. Très bien même. Il était sympa, ne m’a pas forcée ni rien et s’est montré étonnement doux avec moi. Il avait plus rien à voir avec le connard qu’on connait et même après…

— Après la coucherie ou après la fête ? voulus-je savoir.

— Quelques jours après, avoua-t-elle. On s’est recroisé et il était toujours aussi cool. Je m’attendais vraiment à ce qu’il se foute de moi, ajouta-t-elle plus vivement, j’avais même préparé des punchlines pour le rembarrer, mais il n’a rien dit, absolument rien. Il m’a même souri et est venu me parler comme si on était ami ! J’ai absolument rien compris et sa bande non plus.

— Mmh… fis-je, les bras croisés.

— Tu n’as pas à me croire, mais je t’assure que c’est vrai, poursuivit bravement Max malgré son air abattu. Et maintenant… maintenant je suis perdue. Je ne sais plus quoi faire parce que les deux sont adorables et me plaisent beaucoup.

Sans attendre de réponse, Max reprit sa planche et poursuivit sa route pour notre troisième tour. Alex et moi la fixâmes en silence, perplexes.

— Tu vas aller leur botter les fesses ? demanda innocemment Alex.

— Quand j’en aurais fini avec eux, tu pourras t’amuser, promis-je.

— Je t’en remercie, sourit-il avant de m’embrasser sur la tempe.

Le reste de notre sortie me parut complètement lunaire.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez