Le jour se levait sur le campement sommaire des Mecers ; l’Émissaire Matthias préparait la tisane matinale alors que Lucas et Syrcail émergeaient tout juste du sommeil, les membres engourdis. La journée s’annonçait maussade avec un ciel gris et des nuages bas, et des écharpes de brume recouvraient encore le sol par endroits. Pas le moindre rayon de soleil en vue pour réchauffer leurs corps endoloris.
Lucas étouffa un bâillement. Son bras restait douloureux et il lui tardait de rejoindre Larimar. Arcal leur annonça que des secours arriveraient d’ici quelques heures. La veille, ils s’étaient occupés de leurs blessures ; maintenant, il restait la corvée d’empiler les cadavres pour un bûcher – une perspective que les Envoyés avaient jugée peu réjouissante.
Les feuillages bruissèrent soudain ; si les Envoyés furent aussitôt sur le qui-vive, Matthias et Arcal n’avaient pas bougé, prévenus par leurs Compagnons.
—Tout va bien, les tranquillisa Arcal.
Lisko apparut devant eux, épuisé. Surtout, seul.
—Satia n’est pas avec vous ? demanda aussitôt Lucas.
—Nous nous sommes séparés, avoua le marchand. J’avais pris quelques repères et j’ai cru reconnaitre l’un de vos oiseaux.
—Le brouillard ne se lèvera pas au cœur de la forêt, commenta Arcal. Lucas, tu es le seul à être en état de voler. Va la chercher.
—Comment ? Je suis censé fouiller la forêt entière ?
—Je ne l’aurais pas formulé ainsi mais… oui, répondit simplement le Messager avec un sourire.
Matthias s’approcha de Lucas. Plusieurs plumes avaient été arrachées à son aile gauche ; suffisamment pour qu’il lui manque assez de portance pour voler.
—Tu seras bien plus rapide que l’un d’entre nous. Une fois que tu l’auras localisée, fais signe à l’un de nos Compagnons. Némo et Tekeos sauront te guider jusqu’à nous.
—Oui, Émissaire, murmura Lucas, dépité.
—Où se trouvait-elle quand vous l’avez quittée ? s’enquit le Messager Arcal.
—Nous avons d’abord suivi le nord. Nous nous étions réfugiés dans les hauteurs d’un sapin, après avoir entendu des loups. Quand des impériaux ont surgi au pied de l’arbre… je ne savais pas trop où vous étiez, alors, j’ai préféré faire diversion. J’ai pris vers l’ouest, approximativement.
—Trois impériaux étaient parvenus à gagner la forêt, en effet, reconnut Matthias. Zack et moi les avons éliminés, c’est une certitude. Votre fille ne craint que les animaux sauvages, et la plupart la fuiront.
—Je lui ai conseillé de ne pas bouger et de rester là. S’il vous plait, retrouvez-la !
Lucas ravala sa salive et s’inclina poliment.
—Je ferai mon possible.
Après quelques pas d’élan, il gagna les airs.
Les nuages étaient bas, et un crachin brouillait toute visibilité. Il soupira. C’était bien sa veine. Une mission vouée à l’impossible, et son père qui lui passerait un savon d’avoir négligé son devoir. Lucas pâlit. Son échec allait rejaillir sur toute la Seycam. Son regard se perdit sur l’immensité verte qui l’entourait. Comment le vol pouvait-il être un avantage ici ? C’était sans espoir.
Ses sens aiguisés repérèrent bientôt les oiseaux, puis les écureuils. Les branchages s’agitaient de ci de là ; et même s’il ne les distinguait pas, il savait ces signes annonciateurs de la présence d’animaux plus gros. Des cerfs, des biches, voire même un ours.
Ou un humain incapable de se déplacer avec discrétion. Comme la jeune fille qu’il devait retrouver. Un sourire gagna ses lèvres. Finalement, ce ne serait peut-être pas impossible.
*****
Satia frissonna et leva les yeux vers le ciel, cherchant en vain un quelconque changement de luminosité annonçant l’aurore. Ses vêtements étaient trempés par l’humidité ambiante, elle avait froid, elle avait faim, elle était fatiguée.
Rien ne s’était passé comme son père l’avait prévu.
Depuis qu’ils avaient grimpé dans cet arbre pour échapper aux bêtes féroces qui peuplaient les lieux, tout était allé de mal en pis. Entre les grognements furieux émis par des formes sombres en-dessous d’eux, et les hurlements plus lointains qui l’avaient glacé d’effroi, elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Lisko était suffisamment inquiet pour qu’elle le soit à son tour. Quand ils avaient perçu des bruits étouffés non loin d’eux, le cliquetis de l’acier…
Pire, les murmures d’une conversation. Satia avait souhaité plus que tout devenir invisible. Par Eraïm, si les soldats levaient les yeux… non, avec l’épaisseur de la brume, ils ne pourraient pas les voir. Mais peut-être entendre leurs respirations. Le craquement d’une branche. Satia n’osait bouger.
Sous eux, les combats s’intensifiaient. Les jurons avaient remplacé les murmures, un coup sourd avait ébranlé l’arbre dans lequel ils se trouvaient. Lisko avait attrapé sa main.
—Je vais descendre, ma chérie. Les attirer ailleurs.
—Je ne veux pas rester seule !
La panique avait gagné sa voix. Son père avait toujours été là pour elle. Comment pouvait-il seulement songer à l’abandonner ?
—Calme-toi, dit Lisko avec douceur. Seule, tu seras encore moins visible. Surtout, ne bouge pas. Je vais essayer de passer d’arbre en arbre. D’attirer l’attention plus loin. C’est la meilleure solution, tu comprends ?
Muette, elle acquiesça, avant de se rendre compte que son père ne pouvait la voir.
—Oui, je comprends, papa, murmura-t-elle.
Il serra sa main.
—Tu es forte, Satia. Ne l’oublie jamais.
La gorge nouée, la jeune fille regarda son père disparaitre dans la brume. Les feuilles s’agitèrent à son passage, elle aurait juré que le temps d’un souffle, le combat au pied de son arbre s’était suspendu. Les derniers bruits disparurent. Qui avait gagné ? Les Massiliens, ou les Impériaux ? Était-ce une ruse pour qu’elle descende se jeter dans leur piège ? Étaient-ils partis sur les traces de son père ?
Satia frissonna. En d’autres circonstances, elle aurait apprécié le magnifique spectacle des rayons de lune qui jouaient avec la brume, le scintillement généré par les myriades de gouttelettes en suspension.
Mais elle était seule.
Les bruits de la nuit lui parurent aussitôt plus forts, plus nombreux, plus effrayants.
Lugubres.
Le moindre hululement la faisait sursauter. Une partie d’elle savait que ses craintes étaient infondées ; l’autre refusait toute incursion de la logique.
Elle était terrifiée.
Les larmes ruisselaient sur ses joues, ses mains étaient crispées sur l’écorce noueuse, des tremblements la secouaient.
S’en sortirait-elle ? Reverrait-elle son père un jour ?
Elle avait si froid. Le Maitre des Vents aurait su lui expliquer comment tirer parti de son Don ; mais Cérulis les avait quittés. Sans lui pour la guider, elle ne parvenait pas à se calmer suffisamment pour réussir les rares exercices qu’il lui avait conseillés. Satia eut un sourire amer. L’ironie serait de mourir transie de froid, là, parce qu’elle avait été incapable d’invoquer son pouvoir lié au Feu ! Mais elle avait beau se concentrer, impossible de faire surgir la moindre flammèche. Satia grelottait, glacée. Ses vêtements humides lui ôtaient toute chaleur.
L’aube approchait-elle ? Elle avait l’impression d’attendre depuis si longtemps.
Et son père ne revenait pas.
Et les Massiliens, censés les protéger, ne donnaient aucun signe de vie.
Elle était seule.
Satia ravala ses sanglots, se contraignit à attendre, encore. Elle étira doucement ses bras, l’un après l’autre, changea de position sans réussir à en trouver une confortable. Hésita encore. Continuer à attendre ici ? Les combats devaient bien être terminés. Et s’ils étaient tous morts, qui viendrait la chercher ? Et si son père s’était perdu ?
Satia se redressa sur sa branche, les sens aux aguets. Elle avait cru un instant… non, ce devait être son imagination. La forêt n’était pas silencieuse et elle savait que c’était normal. Ce qui l’inquiétait davantage, c’était d’être incapable de discerner les bruits normaux des bruits annonciateurs de dangers.
Et plus elle attendait, plus ses craintes augmentaient. Elle en avait assez, voulait se rendre compte de la situation par elle-même. S’ils avaient pris le nord pour venir ici, il lui suffirait de suivre la direction du sud pour sortir de la forêt, et de là, elle serait plus visible par les Mecers – s’ils la cherchaient.
Sa décision prise, Satia s’étira brièvement avant d’entreprendre la descente. L’exercice se révéla périlleux ; la brume masquait encore de nombreuses branches. Plusieurs fois, elle glissa sur le bois humide. Au moins, l’exercice la réchauffait, songea-t-elle pour se motiver. Son souffle s’exhalait en volutes blancs qui allaient se perdre dans la brume alentour. Puis, au bout de ce qui lui sembla des heures, mais n’avait certainement duré que quelques minutes, elle toucha enfin le sol. Son regard balaya les feuilles mortes : nulle trace de corps ou de combats. Avait-elle rêvé cette altercation ? Non, son père l’avait entendue lui aussi. Satia devait rester prudente.
Sa main se referma sur la dague à sa ceinture. Elle ne s’en était jamais servie pour autre chose que découper son repas ; son père lui avait néanmoins enseigné quelques mouvements de base. Cela suffirait-il face à un soldat entrainé ? Satia chassa la pensée déplaisante. Elle n’avait aucune chance contre un impérial, son seul espoir serait la fuite. Son ventre gargouilla, lui rappelant qu’elle n’avait rien mangé depuis la veille. Elle avait soif, aussi, malgré l’humidité ambiante. Satia frissonna et resserra ses bras autour d’elle en un futile effort pour se réchauffer. Rester immobile était inenvisageable. Lentement, pas après pas, elle avança sous le couvert végétal.
Satia n’avait aucune idée de la direction à emprunter, se rendait compte qu’elle s’était montrée bien présomptueuse en pensant savoir repérer le sud. Elle ne savait même pas si elle évoluait sur un quelconque sentier. Elle prêtait l’oreille aux bruits de la forêt, sursautant chaque fois qu’un buisson remuait trop près d’elle. Satia ne savait pas si des bêtes dangereuses peuplaient la forêt, mais hier soir, ou dans la nuit, elle avait entendu les loups. Elle espérait que les prédateurs se terrent en journée.
Où qu’elle porte le regard, elle ne voyait que des troncs d’arbre. Des feuilles, encore des feuilles, toujours des feuilles. Comment espérer se repérer alors que tous les arbres se ressemblaient ? La brume perdait en densité tandis qu’elle continuait son chemin. Depuis combien de temps marchait-elle ?
Le souffle court, Satia s’arrêta près d’un petit ruisseau. Sa gorge était sèche d’avoir marché des heures. Ou ce qui lui semblait être des heures. Elle se désaltéra avant de s’asseoir pour masser ses pieds endoloris. Elle leva les yeux, sans rien distinguer d’autre que des nuages gris entre les rares trouées de la canopée. Pas d’aigle, pas de Massilien.
Les larmes perlèrent à ses paupières. Où aller ? Elle était épuisée. Elle avait faim. Continuer en vain ne ferait que saper ses forces. Elle ne savait plus que faire. Ses jambes tremblantes s’écroulèrent sous elle ; effondrée, elle se mit à pleurer.
*****
Enfin il la retrouvait. Cette forme avachie près de ce ruisseau ne pouvait être qu’elle. Glissant sur les airs, Lucas diminua son altitude et se posa à quelques mètres. La jeune fille hurla et bondit sur ses pieds ; ses yeux rougies étaient écarquillés et des larmes avaient séché sur ses joues.
—Inutile de crier ainsi, grimaça Lucas.
Cette mission serait une plaie jusqu’au bout. S’imaginait-elle être la seule à avoir erré des heures ? Il était fatigué, son bras cassé douloureux et les muscles de ses ailes réclamaient du repos.
—Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, suspicieuse.
L’air perdu, elle avait sorti sa dague et s’efforçait d’afficher un air menaçant. Si la situation n’avait pas été si compliquée, Lucas aurait souri de sa piètre tentative. Même en étant seulement Envoyé, il discernait tous les défauts de sa posture. Avoir passé une bonne partie de la journée à survoler la forêt en long en large et en travers, dans une atmosphère lourde et humide, avait vidé ses dernières réserves de patience et de politesse.
—Je suis l’Envoyé Lucas, répondit-il sèchement. Je fais partie de ton escorte, même si apparemment tu l’as oublié et j’ai été chargé de te retrouver.
—Oh. Alors tu n’es pas un ennemi ? Désolée.
Le cri d’un aigle perça les airs et Satia bondit de nouveau, paniquée.
—Tout va bien, tenta de la rassurer Lucas. C’est le Compagnon de mon Messager.
Il signala sa présence avant de se retourner vers elle.
—Les aquilaires ne volent pas de nuit, et le crépuscule approche. Viens, nous allons trouver un coin sûr pour passer la nuit.
Satia recula d’un pas comme il lui tendait la main.
—Une autre nuit dans la forêt ? Je refuse.
Lucas soupira.
—Parce que tu crois que ça m’amuse de rester au sol parce que tu ne peux voler ?
—Tu connais vraiment un endroit où nous serons en sécurité ?
—Oui. Je l’ai repéré en survolant le coin. Ce n’est pas très loin. Viens, répéta-t-il. Je ne vais pas te manger.
Elle restait méfiante, réalisa-t-il comme elle avançait prudemment vers lui. Sans attendre, il remonta le ruisseau. Il perçut rapidement sa respiration haletante derrière lui, et ralentit le rythme. Régulièrement, il se retournait pour vérifier qu’il n’allait pas trop vite. Satia n’avait certes pas combattu mais passer une nuit dans la forêt était éprouvant pour qui n’avait pas l’habitude. Lucas doutait qu’elle ait mangé, et s’en voulut de ne pas avoir pensé à lui proposer quelque chose. Ses vêtements trempés étaient un problème, par contre : dès qu’ils seraient dans la grotte, il allumerait un feu pour les réchauffer.
Après de longues minutes d’une marche silencieuse, Lucas s’avisa que si leur refuge était tout proche, il restait un dernier obstacle. La grotte était à flanc de falaise ; et une paroi lisse de deux mètres de haut serait infranchissable pour la jeune fille.
—Un problème ? s’enquit Satia en arrivant à ses côtés. Oh. Je vois…
—Je ne peux pas te faire la courte échelle avec mon bras en écharpe, commença Lucas tout en réfléchissant. Néanmoins… (il mit un genou à terre). Peut-être que ça suffira ?
—Je ne vais pas te faire mal ? s’inquiéta la jeune fille.
—Ça ne peut pas être pire qu’un bras cassé.
Il ravala un juron quand Satia prit appui sur sa jambe.
—Quoi, encore ?
—Tu es… moins légère qu’il n’y parait, souffla-t-il en réponse.
La jeune femme grommela quelque chose qu’il ne comprit pas et se hissa sur le rebord en s’accrochant de toutes ses forces. À moitié couchée sur le sol rocheux, elle crocheta le sommet avec son pied droit avant de rouler en sécurité, pantelante. Juste pour le voir franchir l’obstacle d’un bond aérien. Satia pinça les lèvres. Les Massiliens ne rataient jamais une occasion d’utiliser leurs ailes.
—C’est là, indiqua-t-il.
À un mètre à peine, l’ouverture étroite d’une grotte se découpait devant eux. Ils s’y réfugièrent et Satia glissa au sol, harassée, glacée et transpirante à la fois.
—Nous y serons à l’abri du vent et du froid quand j’allumerai un feu, annonça Lucas. Je vais chercher du bois tant qu’il fait encore jour.
—Tu m’abandonnes ici ? demanda-t-elle, fébrile.
—Quoi ? Bien sûr que non.
—Alors laisse-moi t’accompagner.
—Désolé, mais tu ne voles pas. J’irai bien plus vite seul.
—Ne me laisse pas seule. S’il te plait.
—De quoi as-tu donc peur ? demanda Lucas, surpris par son insistance.
La jeune femme s’accrochait désespérément à lui sans qu’il ne parvienne à s’en défaire. Un coup d’œil au ciel lui apprit qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps. Voler dans l’obscurité était inenvisageable. Trop dangereux, avec tous ces arbres.
Doucement, Lucas lui releva la tête, plongea son regard dans le sien.
—Je ne t’abandonnerai pas, dit-il avec toute la conviction dont il était capable. Tu restes ici, et je reviens dans quelques minutes. Tu as ma parole.
Elle était terrifiée. De quoi, Lucas n’en savait rien, mais il sentait son pouls rapide sous ses doigts.
—Comment savoir si je peux te faire confiance ?
—Un Massilien ne ment pas, rappela-t-il.
—Mais… mais…
Lucas réalisa que la jeune femme était proche de la panique. Il n’avait pas le temps de gérer une crise d’angoisse. Rapidement, il réfléchit à ses options. Se passer de nourriture ? Ce serait désagréable mais possible. Se passer de feu ? Impossible. La nuit serait fraiche, et ils n’avaient même pas de cape. Et avec l’absence de nuages dans le ciel, tout indiquait que les températures n’allaient pas tarder à chuter. Sans compter qu’elle était trempée : une autre nuit dans ces conditions et les impériaux n’auraient même pas besoin de la tuer.
Il avait juste besoin de la convaincre. Comment s’y prendre ? Peut-être qu’avec un peu plus de persuasion… Il posa un genou à terre.
—Je jure que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te protéger. Ton honneur avant le mien, mon sang versé avant le tien, ma vie donnée avant la tienne. Est-ce que ce serment te suffit, comme assurance de mon retour ?
Satia déglutit, puis acquiesça et Lucas se sentit à la fois soulagé et soucieux. Soulagé parce qu’elle paraissait effectivement rassurée ; soucieux parce qu’il réalisait la portée de ses mots. Tous les citoyens de la Fédération connaissaient la passion des Massiliens pour les serments, au cœur des plus grandes histoires et Lucas avait compté là-dessus pour gagner du temps. Peut-être aurait-il dû choisir des mots moins contraignants. Peut-être qu’il aurait dû réfléchir davantage. Peut-être…
Avec un regard vers le ciel et un juron, il bondit dans les airs, vérifia d’un coup d’œil qu’elle ne tenterait rien pour le suivre. Lucas plongea sous le couvert végétal, maudit son bras blessé qui l’empêcherait d’être efficace. Le plus lourd en premier, décida-t-il.
Il lui fallut trois allers-retours pour être satisfait de leur tas de bois. Déjà, le crépuscule se parait de rouge et d’or. Satia battit le briquet, n’osant faire appel à son Don, et bientôt, une joyeuse flambée les réchauffa. Lucas tira de son sac quelques baies et champignons qu’il avait trouvés sur le chemin, et partagea ses derniers biscuits. Le repas restait frugal, mais leur faim était apaisée.
—Tu peux faire sécher tes vêtements, dit Lucas. Je ne regarderai pas.
Surprise, Satia le remercia. Elle ôta une première épaisseur qu’elle étala au sol de son mieux et se blottit près du feu en frictionnant ses membres.
Assis près de l’entrée, Lucas contemplait les derniers rayons de soleil avec satisfaction. Demain matin, tout rentrerait dans l’ordre.
*****
Lucas fut réveillé par le cri perçant d’un aigle. Il sursauta, sa main cherchant son arme, avant de reconnaitre le Compagnon d’Arcal. Il s’avança dans l’ouverture de la grotte, plissa les yeux face au soleil levant. À sa surprise, l’aigle se posa près de lui. Avec précaution, Lucas détacha le message attaché à sa patte. Les consignes d’Arcal étaient brèves ; un aquilaire avec l’Émissaire Matthias viendrait les chercher sous peu. Ils se retrouveraient à Larimar, avec les nouveaux Émissaires assignés à la mission, devina l’Envoyé. Le rendez-vous était fixé sur un plateau, facilement accessible aux aigles géants qui transportaient les aquilaires.
—Merci, Tekeos.
Lucas retourna dans la grotte. Satia dormait encore. Elle avait eu du mal à trouver le sommeil, et il savait qu’elle n’avait pas beaucoup dormi. Il culpabilisait de la réveiller, tout en sachant qu’il n’avait pas le choix ; s’ils voulaient être à l’heure au rendez-vous d’Arcal, ils devaient partir immédiatement.
Il s’agenouilla près d’elle, posa la main sur son épaule. Satia ouvrit immédiatement les yeux, paniquée.
—Tout va bien. Un aquilaire a été envoyé nous chercher. Viens, il faut partir.
Le regard encore un peu affolé, Satia acquiesça et accepta sa main pour se lever. Elle n’était pas bien épaisse, constata Lucas. Il vérifia que le feu était bien éteint, dispersa les cendres par précaution.
—C’est loin ?
Les premiers mots depuis son réveil. Elle semblait hagarde, et Lucas se demanda de quoi avaient été peuplés ses rêves.
—Dix minutes de vol. À pieds… au moins une heure, je pense.
Elle grommela quelque chose d’inintelligible. Lucas ne répondit pas, et sauta d’un bond en contrebas, grimaçant quand le choc remonta jusqu’à son bras blessé. Satia marmonna des paroles incompréhensibles dont il ne comprit que des bribes, sur les Massiliens, les ailes, et leur arrogance sans limites. Lucas choisit de n’en pas tenir compte. La descente était difficile, et avec son bras cassé il lui serait difficile de l’aider.
Bientôt les deux jeunes gens furent essoufflés et en sueur ; Satia suivait le rythme qu’il imposait, et Lucas s’efforçait de ne pas songer qu’ils seraient déjà arrivés trois fois s’ils avaient pu voler. Son bras le lançait ; il lui tardait d’arriver pour recevoir des soins appropriés.
La pente était traitresse, des cailloux roulaient sous leurs pieds. Plus d’une fois, Satia s’étala en jurant. Elle se relevait aussitôt avec un regard noir en massant ses écorchures. Lucas préféra ne pas répondre ; chaque fois qu’il était déséquilibré, un battement d’ailes le remettait sur ses pieds. Il n’osait se retourner trop souvent en sachant qu’il se heurterait à une hostilité glacée.
Le soleil était haut dans le ciel et les deux jeunes gens étaient épuisés. Leur repas frugal de la veille couplé à une nuit courte n’aidait pas. Lucas jura en trébuchant une nouvelle fois, serra un peu plus le bras cassé qu’il avait replié contre sa poitrine.
—Ça te fait mal ? dit Satia en s’approchant.
—Je ne veux pas de ta compassion, gronda-t-il.
Vexée, Satia se tut et ils parcoururent le reste du chemin dans un silence uniquement troublé par leur respiration.
Enfin, après une dernière colline, ils l’aperçurent. Un aquilaire, posé sur une petite surface plane nichée entre deux collines. Lucas soupira de soulagement. Cette corvée prenait fin. L’Émissaire Matthias lui adressa un signe ; une autre silhouette se tenait à ses côtés et Lucas espéra de tout cœur qu’il s’agisse du père de la jeune fille.
—Tout s’est bien passé ? s’enquit Matthias.
Lucas songea à la nuit dernière, glacée malgré le feu, à ses membres perclus de courbatures, à son bras qui pulsait de douleur, à l’ambiance morose de leur trajet. Il avait trouvé la jeune fille, oui, de là à dire que ça s’était bien passé… il ne le pouvait pas. Restait à le formuler poliment.
—Nous n’avons pas rencontré d’obstacle insurmontable, répondit-il prudemment. Sommes-nous en retard ?
Matthias sourit.
—Ce n’était pas un reproche, Envoyé. Ne nous attardons pas. Le Messager Arcal nous attend à Larimar.
Ah, super, les points de vue sont rigoureusement alternés, ce coup-ci... ça a tout de suite plus de tenue. Et vraiment, tu as un point fort pour la description de la nature, chaque fois que tu t'y attache, le texte devient plus consistant, plus convaincant car il suscite plus d'images.
Pour permuter discrètement du plus-que-parfait du flashback (lourd) aux divers temps du passé (pour revenir dans l'action), on passe généralement par l'imparfait de narration (mais qui est utilisé pour les évènements ayant une certaine durée, il faut trouver à en insérer). Tu le fais dans la scène de l'arbre, avec le père, là... ou alors tu sautes directement, donc je ne suis pas sûre que ça soit 100% conscient. D'autant qu'à un moment tu restes longtemps sur le pqp alors que tu pourrais déjà glisser.
La nuit serait fraîche ▶️ glaciale, plutôt (ou synonyme)... tu installes bien cette atmosphère de froid rigoureux... là, d'un coup, ça la casse (j'ai des souvenirs de nuit à la belle - truc que j'aimais bien faire, en camping - où on gèle quasiment à l'aube, même à la belle saison).
Bise à bientôt 🍂
Ah, merci pour les points de vue, parce que j'ai viré / reformulé des trucs pour essayer d'être carrée là-dessus ce coup-là ^^ (va falloir que je reprenne tout ça dans les chapitres précédents).
Je confirme que je fais à l'instinct pour le plus-que-parfait donc je vais regarder ça de plus près. Je crois que je profite d'un changement de paragraphe en général pour revenir sur l'imparfait.
Et bien vu pour la nuit fraiche, ça induit en effet un froid agréable alors que là ça ne l'est pas du tout ^^ Je remplacerai ça.
Merci tout plein pour tes retours :)