En ce jour de congé, tout le monde s’était réuni dans la salle d’entraînement.
Adossée contre le mur, Ayra observait en silence le tableau qui se dressait devant elle.
Mira avait un objectif clair : créer une symbiose entre les protecteurs.
Chacun maîtrisait déjà son pouvoir avec assurance, mais cela ne suffisait plus.
Elle voulait les voir fusionner leurs forces.
Les faire résonner les unes avec les autres.
Parce qu’ensemble, ils seraient bien plus puissants.
Mira avait laissé le choix à chacun de participer ou non.
Ayra, elle, avait préféré rester en retrait.
Non pas par manque d’intérêt, mais parce qu’elle ne se sentait pas encore prête.
Pas pour ce genre d’exercice.
Pas tant que certaines choses restaient floues… en elle.
Alors elle s’était installée contre le mur, en silence, et observait.
Les mouvements.
Les énergies.
Les éclats de pouvoir qui fusaient et s’entremêlaient au centre de la salle
Ayra sentait une certaine chaleur lui monter au visage, sans doute à cause de l’énergie et des mouvements déployés autour d’elle.
Autour d’elle, la salle vibrait.
Mira avait mis une musique rythmée, énergique, pour stimuler l’élan collectif.
Le genre de morceau qui donnait envie de bouger, de frapper juste, de pousser ses limites.
Un éclat de rire échappa à Ayra lorsqu’elle vit Lucas et Riven s’affronter au centre.
Lucas, toujours aussi théâtral, avait lancé un jet d’eau vers son ami.
Riven, surpris, esquissa une grimace sévère avant de lever une main, calme et précis.
Un petit geste. Et Lucas se retrouva plaqué au sol, les pieds figés.
— Aïe ! Attends que je me venge ! lança-t-il, le ton boudeur d’un enfant pris à son propre jeu.
— Qui cherche, trouve, répondit Riven avec un calme implacable.
— Les garçons, ce n’est pas un duel que je vous ai demandé,
leur suggéra doucement Mira.
— Essayez plutôt de voir ce que l’eau et la gravité peuvent créer ensemble.
Non loin de là, Elenor et Dahlia semblaient mieux maîtriser leur fusion.
Tandis que Dahlia faisait surgir un monticule de terre sèche mêlé de cailloux plats et tranchants,
Elenor propulsa un courant d’air vif d’un simple geste.
Le tout s’abattit sur le mannequin d’entraînement,
Le faisant tanguer sous l’impact et le criblant de projectiles.
— Bravo les filles. Voilà ce que je demande :
Pas trop, juste de la maîtrise.
La voix de Mira était calme, mais clairement satisfaite.
Dahlia et Elenor se tapèrent dans la main, complices,
Avant de lancer un coup d’œil triomphant en direction des garçons.
— C’est ça, riez ! leur lança Lucas, faussement vexé.
— Ça se voit que vous n’avez pas Riven comme coéquipier, vous !
Il le désigna vivement d’un geste accusateur, presque dramatique.
— Hey Lucas ! Attrape !
Élika, visiblement amusée par la scène, avait décidé de le tester.
Il y avait dans son regard une flamme, un éclat,
Emporté par une idée qu’elle savait un peu folle —
Mais trop tentante pour y résister.
En un geste, elle écarta les doigts, libérant l’un de ses filets d’éclairs flamboyants.
Lucas n’eut même pas le temps de réfléchir.
Par pur réflexe, il intercepta l’attaque avec ses deux mains, formant une bulle d’eau massive.
L’éclair s’y engouffra.
La sphère se mit à crépiter violemment, illuminant son visage de lueurs électriques.
Puis il la projeta de toutes ses forces vers le mur.
Un fracas assourdissant éclata.
La bulle explosa à l’impact, libérant une vague d’eau mêlée d’électricité qui ricocha dans la salle.
Le sol trembla, des éclairs filèrent sur les murs.
Le silence tomba brutalement.
Ayra avait retenu son souffle.
Une vague de chaleur lui effleura le visage,
Suivie d’une odeur âcre, métallique, typique des décharges d’énergie.
L’air vibrait encore légèrement, chargé de cette tension électrique.
Ayra plissa les yeux.
Même à distance, elle sentait l’intensité du pouvoir d’Élika…
Et sa propre immobilité, en contraste, lui pesa un peu plus lourd.
Les jambes tremblantes, Lucas se laissa tomber assis au sol.
— Élika… ne me refais plus jamais ce coup-là,
souffla-t-il, encore haletant.
— J’ai cru mourir en voyant ton éclair arriver.
— Oh, ne fais pas ta chochotte.
Là, tu viens surtout de montrer ton vrai pouvoir !
Lui rétorqua sa sœur avec un sourire en coin.
Mira s’avança de quelques pas, son regard se posant brièvement sur Élika.
— Bon… les choses ont été amenées de manière un peu brutale.
Elle marqua une pause.
— Mais dans un vrai combat, c’est exactement comme ça que ça peut arriver.
Plus elle les observait,
moins elle avait l’impression d’être capable d’utiliser son pouvoir comme eux.
Pourtant, elle ressentait une certaine excitation.
Une envie, presque brûlante, d’en faire partie.
D’être au cœur de cette force partagée, et pas seulement spectatrice.
Elle était censée être plus forte.
La glace et la lumière, ça, c’était dans son sang.
Des pouvoirs qui, chez elle, devaient être plus puissants.
Mais elle ne le sentait pas. Pas comme elle devrait.
Et un jour, elle était aussi supposée maîtriser ceux de ses protecteurs.
Mais là, maintenant, tout ça lui semblait loin. Vraiment loin.
Presque irréel.
Comme si ce rôle n’avait jamais été taillé pour elle.
Peut-être qu’ils s’étaient trompés.
Peut-être… ou alors, c’était elle qui se retenait encore.
Trop ancrée dans ses rêves de normalité.
Comme si les deux ne pouvaient pas aller de pair.
— Bon, vous avez bien travaillé.
Nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui.
Elle balaya la salle du regard, marquant un court silence.
— Et souvenez-vous… la clé, c’est la symbiose.
Pendant que les autres reprenaient leurs équipements, Ayra resta assise, perdue dans ses pensées.
Elle n’observait plus vraiment.
Les bruits de chaussures sur le sol, les éclats de voix, tout lui parvenait comme un bourdonnement lointain.
Même lorsque le silence s’installa, elle ne bougea pas.
Ce ne fut que lorsque Mira s’accroupit devant elle qu’elle sursauta légèrement, tirée de ses réflexions.
— Qu’est-ce qu’il se passe, Ayra ? Tu veux en parler ? demanda doucement sa tante en la regardant avec bienveillance.
Ayra mit quelques secondes avant de répondre, le regard toujours dans le vide, comme si elle cherchait les bons mots.
— Je ne sais pas…
C’est la première fois que j’en ai vraiment envie.
L’envie de participer à leur entraînement.
Pas juste regarder. Pas juste observer.
Envie d’en faire partie, moi aussi.
— Et ce n’est pas bien ? demanda Mira avec douceur.
— Non… ce n’est pas ça, répondit Ayra en secouant légèrement la tête.
— Alors quoi ?
— On m’a toujours poussée à m’entraîner. Et jusqu’ici… j’ai jamais vraiment accepté. Pas totalement.
Elle marqua une pause, baissa un peu la voix.
— Ici, je suis censée étudier. C’était ça, mon objectif en venant.
— Et voilà que maintenant, l’envie me prend…
— Mais j’ai des années de retard. Je ne suis pas au niveau. Pas comme eux.
— Tu penses qu’ils te jugeront ? demanda doucement Mira.
— Je ne sais pas… Je ne crois pas.
Mais tout le monde attend de grandes choses de moi.
Et s’ils voyaient que je n’y arrive pas ?
Ils seraient déçus… peut-être même plus que moi.
— Alors commence doucement.
Un pas à la fois, Ayra.
Tu n’as rien à prouver… juste à avancer.
Et puis… fais-leur confiance.
Ils ne te jugeront pas.
Mira posa une main légère sur son épaule.
Ayra hocha doucement la tête, sans rien dire.
Mais dans son regard, quelque chose s’était un peu apaisé.
— Je vais y réfléchir, souffla Ayra.
Elle ne savait pas encore quand. Ni comment.
Mais l’envie était là. Et c’était déjà un début.
Passer sa nuit et sa journée de repos à chercher une bête qui ne daignait même pas se montrer.
Voilà comment Kael avait utilisé son congé.
Et franchement, il aurait préféré dormir.
Le manque de sommeil le rendait irritable, et le brouhaha du réfectoire n’arrangeait rien.
Tout lui tapait sur les nerfs : les rires trop forts, les couverts qui grinçaient sur les assiettes, la lumière trop vive qui se réverbérait sur les grandes vitres.
Tout était trop.
Pour ne rien arranger, voilà que Claire — l’étudiante trop zélée qu’il avait croisée à la rentrée — venait de faire son apparition.
Un appareil amplificateur collé à la bouche, elle hurla dans la salle comme si elle s’adressait à un marché.
— STANDS ARTISANAUX !
— METS DES TEMPS ANCIENS !
— SPECTACLE DE RAPACES ET DE PYROTECHNIE !
— TOUT CELA DANS DES COSTUMES D’ÉPOQUE !
— VENEZ NOMBREUX AU FESTIVAL MÉDIÉVAL !!
Kael grimaça.
Il n’était qu’à une seconde de lui envoyer une dague mentale en pleine gorge.
— Hé, l’intelligence artificielle ! lança-t-il en se levant à moitié.
Si tu veux pas que ton spectacle de pyrotechnie démarre plus tôt que prévu… coupe ce truc tout de suite !
Voilà que la salle entière parlait encore plus fort. Des éclats de voix dans tous les coins, des plateaux qui claquaient, des rires inutiles.
Kael sentit son front chauffer. Il allait tous les brûler, c’était certain.
Il était à deux doigts de se lever quand Ayra et Dahlia vinrent s’asseoir à sa table, un sandwich à la main.
— Allez-y, installez-vous… grogna-t-il sans même lever les yeux.
— On est de mauvaise humeur ? lança Ayra, un sourire taquin au coin des lèvres.
Il grogna, marmonna quelques mots dans sa barbe — que même lui n’aurait pas su répéter.
— Alors, tu comptes y aller ? demanda Dahlia.
Il resta quelques secondes sans réagir, une main contre son crâne, accoudé à la table.
Il lui fallut un moment pour comprendre qu’elle s’adressait à lui.
— Tu t’adresses à qui ? grogna-t-il enfin en se retournant.
— À ton avis ? répondit Dahlia avec un grand sourire, bien consciente que ce genre de réponse avait le don de l’agacer encore plus.
— Bon, cesse de faire semblant d’être de mauvaise humeur, lâcha Ayra à son tour.
Elle s’adresse à toi, ça se voit non ?
Tu veux un manuel pour comprendre, ou bien ?
— Voilà que la deuxième intelligence du jour s’y met…
Grogna-t-il, toujours aussi crispé.
— Tu sais quoi, Dahlia ? Viens, laissons-le.
À croire qu’il est le seul à avoir le droit de piquer tout le monde à vif.
Le regard marron d’Ayra s’était assombri.
Presque noir.
À croire qu’elle était vraiment vexée, cette fois.
Elle jeta un dernier coup d’œil à Kael, sans un mot, puis se leva.
Dahlia suivit immédiatement, sans même chercher à détendre l’atmosphère.
Elles firent quelques pas en direction de la sortie.
Kael ne sut se l’expliquer, mais il n’aimait pas ça.
Il avait aimé la voir monter sur ses grands chevaux, dès la première fois qu’elle l’avait défié dans l’amphithéâtre.
Et il avait tout de suite voulu en rajouter.
La titiller, la pousser dans ses retranchements.
C’était lui, tout craché.
Mais aujourd’hui, ce regard noir…
Non. Il n’aimait pas ça du tout.
Décidément, cette ville leur jouait vraiment des tours.
Il passa une main nerveuse dans ses cheveux mi-longs.
— C’est bon… Rasseyez-vous, lâcha-t-il dans un souffle.
Ça lui avait coûté.
Beaucoup plus qu’il ne l’aurait cru.
Ayra échangea un regard rapide avec Dahlia, puis haussa les épaules.
— Si le maître le dit…, ajouta-t-elle, mordante, avant de se rasseoir.
Dahlia lui donna un léger coup de coude.
Il sursauta, pris sur le fait.
— Alors ? Tu comptes y aller ?
Son regard était chargé de sous-entendus.
L’avait-elle remarqué ?
Il détourna les yeux, sans répondre tout de suite.
— La foule, les fanfreluches… c’est pas trop mon truc, lâcha-t-il en haussant vaguement les épaules.
— Vous, vous comptez y aller ?
Il s’efforçait d’avoir l’air détaché. Comme si de rien n’était.
Mais il n’avait pas encore reposé les yeux sur Ayra.
— À mon avis, oui… répondit Ayra, le regard toujours tourné vers la salle.
— Bien. Amusez-vous bien, dans ce cas.
Il se leva.
Il ne savait pas vraiment pourquoi, mais il se sentait mal à l’aise.
Un poids dans la poitrine, un besoin d’air.
Sûrement le manque de sommeil.
— Ouais… c’est ça… marmonna-t-il plus pour lui-même que pour les autres.
Les filles le regardèrent s’éloigner, sans rien ajouter.