Chapitre 19 : Une minute.

Par Camice

Un alarme aiguë assourdissante se propageait à l’intérieur du camp, les différents habitants sortaient de leurs maisons armes en main pour se ruer sur les ennemis surgissant de la forêt. Le sol se mit à trembler alors que le regard d’Octave était figé sur les deux jeunes filles, son épée en main et la rage dans ses yeux.

– Je ne suis pas surpris de vous voir du côté ennemi. cracha-t-il sans contenir son mépris.
Ariane plaça un bras protecteur devant Maï Rose, qui semblait figée d’horreur devant la scène. Il était à moins de dix mètres, s’il se décidait à attaquer, elles n’avaient aucune chance. Ses yeux jaunes étaient sousmontés de cernes creusant son visage et ses cheveux noirs de jait se collaient sur son front.

Mon épée est dans le chalet. 

En un instant, Octave se précipita sur elles, Ariane n’hésita pas et se mit à courir dans la direction opposée, tirant le bras de son amie, sans regarder derrière elle. Ariane seule n’avait pas réussi à le toucher pendant l’entraînement, impossible de lui faire face tout en devant protéger son amie. Un impact sourd raisonna au-dessus de l’alarme et les injures du milicien suivirent rapidement. Les jeunes filles ne s’arrêtèrent pas et se précipitèrent à l’intérieur du chalet, Ariane ferma violemment la porte derrière elle et scruta l’intérieur.
Il n’y avait plus personne.
Mais il y avait encore son épée et son sac, qu’elle s’empressa de récupérer. Maï Rose semblait incapable de former le moindre mot, sûrement assaillie par l’alarme qui la privait de toutes ses capacités de réflexion. Pour ne pas arranger les choses, le sol tremblait violemment et l’unique étagère de la pièce déversa tout son contenu sur le sol, manquant de les assommer au passage.

Elles devaient partir rapidement avant que quelqu’un ne les trouve. Mais où ? Où pouvaient-elles partir ? Un simple coup d’œil à l’extérieur lui suffisait pour savoir qu’elles ne survivraient pas entre les épées, les fusils et la magie. Un vacarme vint interrompre ses pensées, le chalet grinçait et à vue d’œil, les murs en bois pourrissaient alors que le toit s’effondrait lentement sur lui-même.
Ariane ne prit pas une minute de plus dans la bâtisse et prit la main de Maï Rose pour la sortir de là, mais la jeune fille ne bougea pas d’un centimètre, pétrifiée.

– Maï Rose ! Bouge toi ! Ce n’est pas le moment ! Je sais où aller !
S’il y avait bien un endroit où elle pourrait attendre que l’attaque passe, c’était bien là bas. Ariane prit le visage de Maï Rose dans ses mains, malgré le grincement pressant du toit qui menaçait de les écraser, elle n’irait nulle part sans elle.

– Maï Rose, regarde moi... S’il te plaît, on doit partir !

La gorge d’Ariane se serra.

La terreur ce n’était pas de mourir,

La terreur c’était de la perdre. 


Si elles ne partaient pas, ce serait le cas en moins d’une minute. 60. Sur le champ de bataille, comme sur l’autoroute, le temps de survie est à une minute. 59. Elle remonta ses mains pour lui couvrir les oreilles, et à ce moment les yeux de son amie se fixèrent enfin dans les siens, et une lueur de conscience survint.

– Ariane... parvint-elle à murmurer, la voix tremblante.

– Oui, oui c’est moi, j’ai besoin que tu me suives.

– O-ok je te suis.

Ses yeux étaient écarquillés, sa peau gelée, elle était terrorisée.

52... 51... 50... 49...

Une déchirure trancha l’air et Ariane poussa Maï Rose hors de la pièce avant qu’une poutre ne s’effondre à l'exact endroit où elles se trouvaient et bientôt l’entièreté du bâtiment se trouvait à terre, rongé d’un mal inconnu qui empestait la pourriture.

48... 47... 46...

Ariane prit à nouveau la main de Maï Rose et la fit s’accroupir près des débris, le temps d’examiner le chemin à prendre. Celui avec le moins d’épée, de fusil ou de magie. En face d’elles, il n’y avait que le chaos. Les coups d’épées s’abattaient de part et d'autre, tant qu’on ne saurait où donner de la tête. 

44... 43... 42...

D’un côté, d'immenses créatures de pierre balayaient d’un revers de main les chalets en bois disposés de toute part. De l’autre côté, Arachis se battait avec ferveur avec l’effrayante générale Maslizhnoye qui semblait prête à lui arracher le visage avec ses crocs. Il semblait déjà avoir perdu de ses cheveux dans l’altercation, et il semblait bien moins enragé à combattre contre son adversaire.

40... 39... 38..

De nombreux chalets tournaient au noir, Ariane avait repéré le chalet de Théo, elles pourraient se mettre à l’abri dans la cave. Elle avait l’air bien plus solide, et même si la maison s’effondre, il n’y a pas de bois au sous-sol. 

34... 33..

Théo en sortait, une lueur colorée inondait ses mains et des rayons de lumières en sortaient pour faucher ses adversaires, avant qu’une bête de pierre immense s’effondre contre la maison.

30... On ne peut plus y aller... 29...

Pendant l’espace d’un instant, elle pouvait entendre sa montre à nouveau.

Tic... 28... Tac... 27...

Chaque cliquetis était accompagné par une inspiration, une expiration. Ralentissant son environnement. Voyant les failles entre les tirs.

Tic.

Là.

Ariane prit son courage et tira Maï Rose à leur gauche, se précipitant vers le côté de la forêt la plus proche.

22... 21...

Elle le savait, c’était le chemin ou les tirs étaient les moins présents. 

20... 19..

Les deux jeunes filles tentaient de naviguer et éviter les combats, que ce soit des épées, lignes de tir ou magie en toute forme qui se dressaient entre elles et la sortie. 17.

– Attention aux golems !

Le cri retentissaient derrière elles, mais les deux filles avaient déjà aperçu l’immense monstre sans yeux ni aucuns traits du visage qui se dressaient sur leur passage. Octave semblait manipuler avec des fils verts une immense créature en pierres sombres et craquelées similaires à celles du château comme une machine.

14...

D’un geste de la main, Octave fit s’abattre mécaniquement le bras de la créature à quelques mètres à peine de leur position. L’impact fit trembler le sol et pétrifiée par l’angoisse, par les émotions, par la peur, Ariane n’arrivait pas à bouger.

10 secondes
Non, non, non il faut que je bouge !

Le golem s’approchait à pas lourds, barrant leur passage vers la forêt.

6 secondes.

Il fallait qu’elles se mettent à courir, qu’en restant ici, elles ne faisaient que s’assurer de leur mort aux mains de la créature qui s’approche encore.

4 secondes.

Elle devait mettre Maï Rose en sécurité, elle ne pouvait pas se permettre de la laisser mourir, pas elle. 

2 secondes.

– Ariane !

Aude se précipita devant elles alors que le bras du golem s’élevait au-dessus de leurs têtes, prêt à les écraser.

1 seconde... C’est... Trop tard...

Un éclat de lumière aveuglant jaillit des mains de Aude et forma une fine demi-sphère d’un vert scintillant, stoppant le poing de la créature qui allait s’écraser sur les filles. 

– Aude !

– Courrez ! s’écria Aude en ployant sous l’effort.

Ses pieds s’encraient dans le sol alors qu’elle tentait désespérément de les protéger du golem. Ses mains luisaient d’une lumière verte qui ne pouvait venir que de quelque chose de magique. Ariane ne prit pas le temps de réfléchir aux implications de cette nouvelle et se contenta d’attraper Maï Rose par le bras. Elle la tira vers la forêt avec tant de précipitation qu’elle manqua de tomber la tête la première dans les racines de l’arbre. Ariane tira son ami devant elle. La poussant pour qu’elle avance en première, protégée de l’attaque, toujours au plus profond dans la forêt. Qu’importe si elles se perdaient, leurs assaillants seront eux aussi perdus.
L’air lui brûlait les poumons, le son des cris la hantait de plus en plus à chaque pas, s'éloignant du combat. Qu’est ce que des collégiennes pouvaient bien faire face à une guerre ? Rien. Rien et elles ne font que fuir, mais cette fois, elles n’ont nulle part où aller. Personne pour les diriger, aucun refuge à rejoindre, et que pourraient-elles faire une fois dans la forêt ? Rien, mais rien c’était mieux que la mort.

Les branches, fouettaient son visage, ses bras, elle regrettait d’avoir pris son sac qui s’emmêlait avec les arbres, la ralentissant autant que Maï Rose le faisait. Mais elle ne lâchera pas sa main, jamais. En un instant, elles se trouvaient à nouveau au pied du glissement de terrain qui avait abrité Liz. Sans réfléchir, Ariane s’y précipita, attrapant son amie par la taille pour glisser sur les pieds jusqu’en bas. Sans succès, car elles finirent par tomber et dévaler le reste de la pente sans s’arrêter. 

4 minutes... Depuis la fin du compteur...

Ariane ignora la douleur fulgurante qui brûlait sa hanche et se releva, titubante.

– Maï Rose ? 
On n’entendait plus que vaguement les bruits du combat, les cris, les tirs. Mais la jeune fille restait complètement pétrifiée, au sol, à bout de souffle.

– J-je peux plus- courir- je peux plus-

– Si ! s’exclama Ariane sans perdre de temps, tentant de la relever de force. On n’a pas le choix, on continue.

Maï Rose tenait à peine debout, les jambes tremblantes.

– J-je ne peux plus ! Vraiment !

– Alors on va marcher. marchanda son amie avec angoisse. 

– Merci- Merci....

Ariane ne voulait que l’éloigner des cris et du danger, au moins jusqu’à ce qu’elles n’entendent plus rien, et c’est ce qu’elles firent. S’enfonçant dans la forêt à nouveau, sans direction mais avec un but. Après 11 minutes de marche, elles n’entendaient plus rien, et firent une pause. Elles étaient vivantes.
Vivantes mais seules au milieu de la forêt, remplie de loups la nuit.
Ariane ne voulait pas y penser pour l’instant et s’efforçait de trouver un plan pour leur survie. Elle ne pouvait pas rester, et même si elle apercevait à nouveau les petites fleurs jeunes, les cepits, elles ne pouvaient pas les suivre, au risque de se retrouver dans un camp à feu et à sang à nouveau.
Enfin si, elles pourraient, mais uniquement quand le combat sera terminé et elle ne pourra pas deviner quand.

Du bruit.

En relevant la tête, elle tenta d’identifier d’où venait cette... Musique ? Un chant ?

Une voix cristalline s’élevait dans les bois, à en deviner, elle venait de l’Ouest. Ariane ne parvenait pas à comprendre les mots de chant inconnu, mais il ne signifiait rien de bon. Un vent froid claqua contre son corps, Ariane prit la main de Maï Rose à nouveau.

– Tu l’entends aussi ? chuchota son amie qui avait repris ses esprits. 

– Oui mais... 

Elle avait déjà entendu cette chanson quelque part, mais impossible de se souvenir où ni quand, à chaque fois qu’elle essayait de s’en rappeler, c’était comme tomber dans un vide sans aucune réponse.

– On devrait partir, on ne sait pas ce qu’il y a là bas.

– Attend, et si c’était-

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase et à la place montra le sol, qui commençait à geler. Une petite couche de glace recouvrait le sol au fur et à mesure, s’arrêtant autour d’elles. Chaque plante gelant crépitait et mourait sous le choc de température. Ariane, prise de panique, recula en tenant d’entraîner Maï Rose avec elle, mais cette dernière la retenait fermement.

– Ariane ! C’est le pouvoir de Eleo !

– Quoi, non ce n’est pas-

Ou si, ou peut être qu’elle avait raison, mais elle ne pouvait pas risquer de l’emmener à leur mort. Ce serait...

– Fais moi confiance ! J’en suis sûre !

Ses yeux gris brillaient de détermination, le chant continuait, et Ariane ne pouvait que ployer sous ses implorations.

– D’accord, mais, en silence, et si ce n’est pas lui, on ne réfléchit pas en on s’en va.

Maï Rose hocha la tête avec véhémence, et alors qu’Ariane tentait de localiser le son précisément, sans vraiment y arriver, c’était son amie qui se prit de la diriger dans la forêt.

– Je sais où aller. lui signa Maï Rose avec des gestes brefs.

Plus elles approchaient, plus le chant angélique se faisait fort, elle pouvait distinguer des syllabes mais impossible de comprendre ce qu’elles signifiaient. Et alors qu’il se faisait le plus fort, le chant s’arrêta, et elles n’entendaient plus que la fine couche de glace qui se brisait à chacun de leurs pas. Elles arrivaient face à une cabane décrépie entourée de petite fleurs jaunes, et pas une seule personne en vue.
Ariane dû forcer Maï Rose à s’arrêter pour qu’elles se cachent. 

Un chalet pourri ? Comme ça ? Au milieu de nulle part ? Non, ça n’avait aucun sens, surtout si un chant magique qui gelait les plantes les avait menées jusque là. Il y avait juste un milicien fou dans le coin, et elle n’était pas prête à se jeter dans la gueule du loup. 

En un instant, une ombre se dressa devant elle, et sans réfléchir, Ariane brandit son épée atterrissant contre une autre lame. Maï Rose s’exclama :

 

– Eleo ! 


C’était effectivement la cape blanche de leur protecteur, qu’elle avait entaillé par sa lame. Il avait son air souriant habituel, et sa propre épée arrêtant celle d’Ariane, arrivée près de son bras.

– Ah, si je ne t’avais pas arrêtée, je serais mort.

Ariane devint livide et manqua de défaillir sous l’attaque qu’elle venait de perpétrer. Elle s’empressa de baisser sa lame alors que Maï Rose se précipita sur le grand homme pour se jeter dans ses bras.

– On a eu si peur ! Il y avait d'énormes pierres qui bougeaient ! Des fusils, du feu !

– C’est fini maintenant...

– Et Aude ! Oh Aude est restée là bas ! 

Eleo tapota les épaules de Maï Rose.

– Suivez-moi...

Eleo encouragea les deux filles à le suivre, même si Ariane avait du mal à sentir ses jambes après avoir manqué de peu de trancher le bras de leur sauveur. Les emmenant près du bâtiment qui tombait en morceaux, révélant leurs trois compagnons manquant, cachés.
Ils venaient d’affronter l’impossible, et ils avaient tous réussi à s’en tirer. Maï Rose se précipita sur Aude pour l’enlacer. 
 

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