Ils arrivèrent à un carrefour, à la sortie de la forêt. Ils avaient atteint une grande prairie clairsemée avec d’importants blocs de roche. Les chevaux étaient nerveux et Dola n’aimait pas trop ça. Elle fit ralentir la caravane. Isil continua de presser la main d’Elaron pour lui faire comprendre que Dola n’allait pas bien et que c’était inquiétant. Ymir, en voyant que quelque chose n’allait pas, regarda en avant. Elle remarqua immédiatement les ombres projetées au sol des rochers. Elle pensait que des personnes se cachaient derrière.
— Arrête… Nous devons nous arrêter tout de suite, paniqua Ymir. Je sens quelque chose d’anormal.
Dola tira la bride de ses chevaux et Cattleya chuta une nouvelle fois dans la carriole.
— Mais qu’est-ce qui se passe encore ? protesta l’humaine.
— Des ombres ! Là-bas ! pointa Ymir.
— D’accord, on s’interrompt pour des ombres, grogna à nouveau Cattleya.
Ils s’arrêtèrent à la lisière de la forêt, près du carrefour. Ils entendaient arriver derrière l’une des pierres, une voix tonitruante, mais claire.
— Vous avez l’œil ! répliqua cette voix d’une manière bourgeoise et enjouée. N’ayez crainte, il vous sera fait aucun tort, tant que tout le monde reste raisonnable ! Nous sommes une douzaine et vous ne pouvez certainement pas être plus de six ou sept. Nous préférerions ne pas avoir à en venir à de telles extrémités, mais si vous tentez un passage au galop, nous délogerons les rochers qui vous tueront à notre place, vous ou vos chevaux.
— D’accord, marmonna Ymir.
— Ou bien nous vous bloquerons l’accès et vous laisserons à notre merci, reprit la voix enjouée. Fort heureusement, il existe une solution ! Lancez sans coup férir sur la route vos bourses et bijoux et permettez poliment que l’un de nos amis les collecte et nous irons chacun vers nos chemins respectifs, indemnes !
Ymir sentit quelque chose et son visage devint grave, presque menaçant. Cattleya suggéra d’envoyer le membre le plus diplomate pour tenter de les amadouer le temps de trouver une astuce pour passer. Isil indiqua du doigt la tieffeline qui restait les yeux fixes vers l’avant, prête à en découdre. Cattleya confirma qu’Ymir était le bon choix pour cette démarche, mais Elaron avait un autre plan. Il proposa d’utiliser un de ses sorts de brouillard pour dissimuler la caravane. Isil ne répondit rien, mais approuva d’un hochement de tête. Cattleya suggéra d’attendre les négociations avec Ymir. Cette dernière gardait son regard sur le roc d’où provenait la voix. Puis, elle jeta un œil vers l’arrière pour indiquer à la troupe qu’elle allait broder et tenter de marchander et si cela ne fonctionnait pas, ils pourraient alors lancer son maléfice.
— Savez-vous qui je suis ? s’écria Ymir en se relevant.
— Pauvre, mais charmante, j’en suis sûr, voyageuse ?!
— J’insiste ! Tu ne vois toujours pas qui je suis ? intimida Ymir avec son regard sombre.
Un petit vent souffla lentement dans la prairie, puis la personne sourit et répondit de manière joviale.
— Une menteuse ! Vos bourses, je vous prie !
— Je vais te la lancer dans la gueule la bourse, marmonna Cattleya.
Découvrant l’insistance du bandit, Ymir se retourna vers Elaron. Elle le fixa sévèrement puis hocha la tête. Fais-le, indiqua-t-elle subtilement. Les yeux d’Elaron se transformèrent et devinrent brumeux. Pendant le temps d’incantation, Isil se pencha vers l’avant pour tenter de déterminer l’emplacement des brigands. La voix principale provenait de derrière un rocher à une vingtaine de mètres devant eux. Alors qu’elle remarqua ce qu’Ymir avait vu, elle pouvait recenser trois silhouettes dans l’ombre des pierres. Au même moment, la tieffeline reprit la conversation avec ce voleur afin de gagner du temps et elle se rendit compte qu’il semblait amoureux de lui-même. Elle arriva à l’engager dans une fausse joute verbale. Cattleya en profita pour réaliser son incantation du serviteur invisible et l’envoya totaliser le nombre de brigands présent dans la prairie. Le diablotin de l’occultiste revint rapidement et tapota le bras de Cattleya pour lui spécifier le chiffre de six. De plus, il lui indiqua l’emplacement imprécis des bandits. Ils entouraient la route qu’ils devaient emprunter. La plupart étaient dissimulés derrière des rochers et d’autres sur le bord d’une falaise qui surplombait le chemin.
— Bon, six phénomènes se trouvent autour de nous, énonça Cattleya après le rapport de son serviteur. Préparons deux équipes de deux. Je vous propose de les diviser de cette manière, trois vers l’avant et les trois sur la falaise. On achève ça aussi rapidement que possible.
Elaron continuait son incantation pour élaborer la nappe de brouillard. Ymir laissa parler le bandit seul pendant qu’elle chuchota à l’arrière.
— Je suis plus forte au corps à corps, donc c’est préférable que j’exécute ceux de devant.
— Moi je peux attaquer à distance, ajouta Cattleya. Donc je m’occupe de ceux de la falaise.
Isil se retourna vers Dola et remarqua qu’elle semblait fébrile, mais pas paniquée. La tieffeline essaya de glisser le plan à l’oreille de la halfeline et lui demanda si elle était confiante. Dola écouta ce qui se chuchotait derrière et indiqua avec un hochement de tête rapide qu’elle était prête à foncer. Ymir donna alors l’assaut. Dès l’instant où l’ordre fut communiqué, Elaron relâcha toute sa puissance et le brouillard apparut au milieu de la route camouflant les rochers où se cachaient les bandits. Seuls ceux sur la falaise pouvaient encore distinguer la carriole à la lisière de la forêt. Tandis que la nappe de brume s’étendit par magie au centre de la plaine, un brigand brailla.
— Sorcellerie ! Faites tomber le caillou !
Cattleya se redressa et sortit la tête par l’arrière de la charrette en s’accrochant aux arceaux. Elle élança sa main droite en direction d’une silhouette cachée à terre sur la crête et envoya une flèche ténébreuse depuis sa main. Elle se rendit compte que son coup avait lacéré le dos d’une personne et un cri s’éleva depuis la falaise. Cattleya l’avait touché. Soudain, Elaron eut la désagréable pensée de la nuit d’avant et il espérait fortement qu’aucun membre de sa compagnie ne serait tué cette nuit. Après l’attaque de Cattleya, une silhouette se déplaça rapidement derrière les rochers. Seule Ymir pouvait voir cette créature circuler tel un rat chapardeur. C’était un tieffelin. Ce dernier remarqua les belles et longues cornes d’Ymir et eut tout à coup un air déçu et triste d’être son ennemi. Mais il sortit son arc et tendit une flèche.
— Bâtard ! marmonna Ymir.
Le trait se décocha, mais Ymir attrapa un bouclier à temps et dévia la première pointe. Mais une seconde arriva aussitôt. Ymir ne se laissa pas désorienter et réussit à détourner la seconde. D’une allure humble et forte, elle toisa la créature d’un regard menaçant. Ses cheveux ondulaient à la brise qui s’était levée. Elle était bien trop forte pour quelqu’un comme lui.
— Tu as osé toucher à un tieffelin ! À ton peuple ! s’écria-t-elle à travers la plaine.
— Et toi, qu’est-ce que tu fous avec des aventuriers ? rétorqua l’ennemi en se dissimulant de nouveau derrière le rocher.
Elaron hésitait. Il voulait aider Cattleya avec les trois silhouettes de la falaise, mais n’était pas sûr de savoir comment s’y prendre. En entendant les rugissements d’Ymir et de son adversaire, il se décida et se dirigea vers l’arrière de la charrette. Il sortit à son tour la tête. Il se concentra et posa ses deux mains sur les tempes. Alors qu’il créa un bruit de monstres, il parvint à effrayer deux ennemis du haut de la crête qui révéla leur position.
— Tirez ! s’écria Cattleya en les apercevant.
De l’autre côté de la plaine, un des brigands tenta de déloger un rocher pour le mettre en travers de la route. Seulement, tout se passa dans le brouillard, pendant qu’un autre leva une arbalète en direction de Dola. Il tira son carreau, mais Ymir dévia une fois de plus l’attaque grâce à son bouclier. Dola avait fermé les yeux et entendu le bruit métallique de la pointe sur le bouclier. Elle monta son regard vers Ymir et parla fébrilement.
— Merci.
— Vous pouvez avoir confiance ou pas alors ? sourit Ymir.
Les deux silhouettes qui se relevèrent sur la falaise prirent en cible Elaron et le dernier pointa Cattleya. Les flèches des arbalètes arrivèrent sur la caravane. L’une d’elles frappa la toile et l’autre heurta méchamment le bras du demi-elfe. Elaron tomba en arrière et se tint le bras en s’écriant de douleur. Le dernier bandit tira à son tour, mais toucha un arbre à côté de la carriole. La halfeline, avec la force du désespoir, donna un grand coup de fouet aux chevaux et avança dans le brouillard. La caravane disparut totalement et la visibilité devenait mauvaise. Arrivée au milieu du chemin, Ymir sauta de la charrette pour retrouver le tieffelin qui avait osé l’attaquer. Elle dégaina son épée pour décapiter la créature, mais à cause de la brume, elle calcula mal ses distances et la lame heurta la roche formant des étincelles impressionnantes.
— Ha, haha, s’amusa le tieffelin. On est rouillé ?!
Après le bruit métallique sur la pierre, Isil passa par l’avant et sortit son arc pour tirer sur le même ennemi qu’Ymir. Elle extirpa une flèche de son carquois, tendit et décocha, mais le brouillard restait trop épais. Le trait alla rebondir sur le rocher très près de l’ennemi qui se décomposa et prit peur. L’occultiste renvoya une seconde attaque sans changer de cible. Elle remarqua que son adversaire était un halfelin comme Dola. Il était en train de recharger son arbalète quand il fut touché par les ténèbres. L’offensive forma un trou au milieu du front du bandit, qui tomba en arrière.
— Vous voulez que l’on continue ou pas ? s’écria Cattleya à l’adresse des brigands.
Le tieffelin en face d’Ymir rangea son arc et sortit une épée courte pour commencer à se battre. Il asséna deux coups de lame. Seulement Ymir réussit à parer les assauts en rejetant l’arme de l’ennemi. Puis, elle donna un coup de pied dans son plastron pour le faire reculer, tout en émettant un grognement terrifiant. Elle se mit ensuite à crier.
— Vous voulez toujours continuer !
— Tu n’es pas à ta place ! répondit le tieffelin. Tu crois que tu fais partie de leur monde.
Cattleya entendit la réflexion du bandit et ne put s’empêcher de le lui rétorquer.
— Elle fait partie des nôtres ! hurla-t-elle.
Ymir, sous le choc, se retourna vers l’ombre de la charrette traversant le nuage de brume pour tenter d’apercevoir le visage de l’humaine. On pouvait presque lire un quoi sur les traits noirs de la tieffeline, mais son cœur se serra dans un sautillement soudain. En entendant les provocations de l’ennemi, Elaron reprit son courage et se redressa pour s’approcher de l’arrière. De sa main ensanglantée, il attrapa un des arceaux pour se pencher vers l’extérieur. Avec son bras meurtri qu’il releva difficilement, il lança un éclair de givre en direction de la dernière silhouette debout sur la falaise. L’attaque recouvrit le sol devant le bandit et se répandit à travers les interstices de la roche.
— Oh punaise ! paniqua le brigand. Franco est mort ! Franco est…
Puis, l’ennemi glissa sur la plaque de glace devant lui et chuta de la crête. Il atterrit la tête en avant au bord de la route. Elaron et Cattleya remarquèrent que c’était une naine. Elle se trouvait dans un sale état, mais pas encore morte.
— Alors, que dites-vous maintenant ! hurla Elaron à son tour d’une voix grave pour les intimider. Voulez-vous continuer ou pas ?
— Ça vient ce putain de cailloux ! répliqua un autre bandit.
Le dernier brigand en haut de la falaise se mit à tirer en direction d’Elaron, mais celui-ci rata son coup. La naine agonisante utilisa ses ultimes forces pour se relever et tirer avec son arbalète déjà armée sur Cattleya. Elle fut touchée sur l’épaule. Sur l’impact, elle gémit et rentra pour s’abriter, suivie par Elaron. Le demi-elfe regarda la plaie de l’humaine et posa une main tendre dessus.
Un nouvel adversaire s’approcha d’Ymir et se posta derrière elle. Il souhaitait l’empêcher de faire demi-tour et la coincer. Les deux bandits voulaient en finir avec elle. Le nouvel ennemi utilisa un cimeterre et frappa l’armure d’Ymir. L’arme rebondit et forma un bruit strident dans toute la plaine. L’instant d’après, un énorme écho de craquement se fit entendre. Un rocher était en train de bouger. Seulement, Dola redonna un coup de fouet à ses chevaux qui redoublèrent d’efforts. Plus de la moitié du trajet fut effectué à travers cette brume, mais la panique s’empara de la halfeline.
— Ymir ! Reviens, j’ai peur !
La tieffeline ne se laissa pas décourager et remploya son épée pour frapper le bandit derrière elle. Elle se retourna et lui opéra une lacération saignante à travers le torse. C’était à cet instant qu’elle constata que son adversaire était une humaine. Celle-ci tenait encore debout pendant qu’Ymir reprit la route en direction de la charrette, esquivant de peu l’attaque du tieffelin. Elle s’élança dans la brume et se jeta en avant. Elle aperçut, à l’arrière de la caravane, une simple main qu’elle saisit sans réfléchir. Cette main la hissa et ce ne fut qu’une fois arrivé à l’intérieur qu’elle comprit que ce fût Cattleya qui la sauva. Cependant, elle ressentit une douleur entre deux jonctions de son armure. La souffrance la trancha sévèrement. Elle avait été touchée par la femme qu’elle avait fuie et blessée. Au moment où Ymir grimpa dans la caravane, Isil tendit son arc pour frapper l’humaine tenant son cimeterre. La flèche alla se planter dans la gorge de l’ennemi qui fit tomber son arme et atterrit au sol inerte. Ymir, haletante, regarda dans les yeux Cattleya et lui exprima sa gratitude. L’occultiste lui sourit, légèrement gênée, mais ne répondit rien.
— Tu me fais confiance maintenant ? demanda Ymir à l’attention de Cattleya.
— Nous verrons ! répliqua-t-elle en se retournant vers la halfeline.
— Je prends ça pour un oui, glissa la nécromancienne.
Dola continuait de guider ses chevaux pour sortir définitivement de la brume. L’inertie de la caravane était forte et elle tentait de ne pas les faire chavirer. Ils réussirent à quitter la prairie menaçante. En s’éloignant du brouillard, une voix s’éleva.
— Tôt ou tard, les bonnes gens choisissent un bouc émissaire et c’est écrit sur ta gueule ! lâcha le tieffelin à la destination d’Ymir.
— Il essaie de nous monter contre toi, s’interrogea Elaron inquiet.
Les yeux d’Ymir passèrent du bordeaux au rouge sang. Sa mâchoire se contracta sous sa force démesurée. Elle saisit une javeline sur le plancher de la caravane, se redressa vers l’arrière et lança l’arme. La javeline fendit l’air de manière majestueuse et frappa le bandit qui remuait les bras en guise d’insulte. L’ennemi fut touché au ventre et grogna sous la douleur.
— Traitresse ! grommela-t-il dans un râle terrible.
— Va te faire foutre ! cracha-t-elle sur le sol.
Le reste de la compagnie était interloqué par l’action et personne n’osait dire un mot. Ymir se réinstalla à l’arrière sur un sac de farine et commençait à panser ses blessures.
— Bon, vous me faites confiance maintenant ? demanda une dernière fois la tieffeline.
Mais toujours aucune réponse de qui que ce soit. Dola, quant à elle, se trouvait dans un état second en donnant des coups de fouet à ses chevaux. Cattleya semblait frustrée de ne pas les avoir démolis tous en voyant que Dola ne voulait pas s’arrêter. La jeune femme s’installa à côté d’Ymir et glissa une petite blague à l’intention de la halfeline.
— Mais Dola, n’allons-nous pas les achever ?
— Quoi ? Euh… Non ! s’exprima-t-elle en continuant de les guider.
— L’avantage, c’est qu’à ton retour, tu ne les verrais plus jamais, reprit-elle pour détendre l’instant. Nous, nous ne retournons pas à Paçon, mais toi !
Dola n’écoutait plus l’humaine. Elle préférait rester concentrée et foncer loin d’eux. Elle avait trop peur pour être raisonnable.
— Mince, chuchota Cattleya qui avait tout tenté pour regagner le combat.
Après quatre ou cinq minutes de galop, les chevaux étaient recouverts de sueur tout comme Dola. Malgré ses coups de fouet, la charrette s’arrêta. La halfeline se calma et réussit à positionner la carriole sur le bord de la route. Elle descendit en titubant et se dirigea vers un arbre pour vomir quelques secondes. Elle vida ses tripes et essayait de se retenir à l’arbre pour ne pas tomber.
— Ça va ? demanda Isil inquiète et s’élançant dans sa direction.
L’elfe se permit d’attraper sa tignasse rousse et de l’aider dans cette épreuve difficile. Dola lança un regard manifestement calmé, mais avec des yeux rouges et des larmes sous forme de morves.
— Ça va aller ! rassura Isil.
— Oui… trembla Dola.
— Tu veux de l’eau ? suggéra Ymir en descendant à son tour.
La halfeline se mit à nouveau à pleurer et se dirigea vers Ymir pour la serrer dans ses bras. La tieffeline n’était toujours pas à l’aise avec ces démonstrations physiques.
— Je… J’ai… euh je… bafouilla Ymir paniquée. Je n’aime pas trop qu’on me touche, Dola. À part quand c’est un homme.
La dernière phrase fut prononcée à voix basse. Elaron s’approcha sans l’avoir entendu et posa sa main sur l’épaule d’Ymir.
— Bien joué ! lui avoua-t-il.
Finalement, Dola respecta le choix d’Ymir et se retira. Elle essuya ses larmes et la regarda en reniflant.
— Moi je m’en fous. Je ne te prendrais jamais comme bouc émissaire, confia-t-elle en attendrissant le cœur d’Ymir. Tu es trop bien et tes cheveux ils sont trop beaux, même si tu fais peur.
La nécromancienne se mit à rire et lui tapota la tête en guise de geste amical. Cette dernière se rendit compte que la tignasse de la halfeline était plus agréable qu’il n’y paraissait.
— Ils sont soyeux, c’est de l’huile d’oursin ! remarqua Ymir.
Et la tieffeline partit se coiffer. Isil regarda subitement les chevaux. Elle s’inquiéta pour eux. Les animaux étaient agités, mais se calmaient. Ils étaient fatigués, exténués d’avoir eu à galoper dans un harnais qui n’était pas prévu à cet effet, tout en portant des centaines de kilos de bois et de farine, sans parler de ses passagers. Isil laissa ses compagnons se câliner et se dirigea vers les bêtes, suivie par Cattleya. L’elfe leur donna une caresse et l’un d’eux secoua la tête. Elaron finit par se rapprocher de la charrette pour s’assurer qu’elle n’ait reçu aucun dégât.
— Nous devrions regarder la carriole ! suggéra Elaron à l’attention de Cattleya.
Elle s’approcha du demi-elfe. Ce n’était pas la première fois qu’elle devait lancer une carriole à toute vitesse qui n’était pas faite pour ça pour échapper à un danger mortel. Elle savait déjà où regarder. Elle aperçut en dessous un des essieux qui avait un peu cédé sous le poids. Elle se dit que ce n’était pas problématique à partir du moment où il ne recommençait pas à s’enfuir au galop.
— Elaron, viens ! demanda-t-elle. Tu vois ça, c’est typique dans les courses-poursuites. Une légère fêlure.
— Je peux la réparer ! indiqua le demi-elfe. Je maitrise un sort.
Il parvient à amoindrir les dégâts grâce à sa magie. Il permit, sous l’œil expert de l’occultiste, à la carriole de repartir. Il en profita pour restaurer l’armure endommagée d’Ymir qui trouva la sensation très agréable.
— Tu as des mains de fée ! répliqua-t-elle à l’attention d’Elaron gêné.
Ils finirent par se reposer quelque temps avant de reprendre leur trajet. Ils se soignèrent avec les quelques bandages retrouvés sur la jambe en décomposition découverte précédemment sur le bord de la route. Ymir s’était apposé une pommade sur sa plaie. Elle avait découvert qu’Elaron était plus séduisant qu’au départ. Elle avait aperçu ses oreilles pointues dépasser de sa chevelure. Ses joues qui rougirent le rendaient plus désirable à son gout. Mais Elaron semblait très gêné et ne voulait plus croiser son regard. Dola partit se soulager quelque temps derrière un autre arbre et Ymir en fit de même en lançant un clin d’œil au demi-elfe. Quelques instants après, Cattleya retourna auprès des chevaux et d’Isil toujours à leur côté.
— Pourquoi as-tu décidé de rejoindre Lucan ? Tu nous as posé la question à tous, mais toi tu ne nous as pas répondu, soupçonna Cattleya.
— Il m’a appelé, j’arrive ! répliqua simplement Isil.
— Quel est ton passif avec Lucan ? demanda Cattleya.
— Nous avons travaillé ensemble pendant la guerre, riposta Isil calmement.
— Du coup, lui aussi a aidé des gens à traverser la frontière ? supposa Ymir revenue de derrière un buisson. Parce que moi aussi je l’ai rencontré pendant la guerre.
— Donc tous les trois, vous ne vous êtes jamais croisé ? demanda Cattleya qui trouvait la coïncidence étrange.
— Moi, c’était pendant la fin du conflit, précisa Elaron. Les affrontements avaient déjà commencé quand j’ai rejoint les rangs.
— J’étais blessé et c’est lui qui m’a soigné, reprit Ymir.
— C’est amusant, intervint Elaron avec un drôle de sourire. Parce que lui était blessé et c’est moi qui l’ai soigné.
— Je l’ai rencontré plutôt au début de la guerre, précisa Ymir. Et toi ?
— C’était bien avant, répondit Cattleya.
— Oui et tu n’as pas pu participer à la guerre, pour ton grand regret, reprit Isil avec une réelle compassion.
— Oui. Je m’étais entrainée pour. Puis finalement…
— Où es-tu parti ensuite ? demanda Elaron.
— Dans le sud, répondit-elle simplement.
— Et pourquoi n’as-tu pas pu participer à la guerre ? demanda Ymir
— Parce que j’ai dû protéger ma famille, s’agaça Cattleya ayant le sentiment de se répéter.
— C’est une noble mission, déclara Isil.
Les yeux de la jeune femme baissèrent et elle répondit seulement d’un grognement.
— Tu es d’une noble lignée ? ajouta Ymir à l’attention de Cattleya.
— Pourquoi ? Ne parles-tu qu’au noble ? ironisa Cattleya.
— J’ai l’impression de t’avoir déjà vu, soupçonna Ymir.
— Je ne suis pas noble, répondit l’humaine.
— En tout cas, ton visage me dit quelque chose, reprit Ymir.
— Vraiment ?
— J’ai le sentiment d’avoir entendu parler de toi, accentua Ymir.
Dola regagna ses esprits et coupa court à la conversation. Elle voulait reprendre la route en apercevant le soleil couchant. Isil cherchait du bois avant de partir pour créer des flèches. Mais, ayant quitté la forêt et le bois étant de mauvaise qualité, elle n’en récupéra que pour en fabriquer une seule. Les chevaux reprirent leur chemin et tous cette fois-ci se retrouvèrent derrière. Ymir n’avait pas oublié leur conversation et revint au sujet principal.
— Du coup Isil, tu ne nous as pas répondu ! À quel moment l’as-tu rencontré pendant la guerre ? reprécisa Ymir.
— Pendant ! indiqua vaguement l’elfe.
— Et vous vous êtes connu dans quelles circonstances ? demanda Cattleya toujours à l’attention d’Isil.
— Nous étions en affaires !
— En affaire ? s’étonnèrent Cattleya et Ymir.
— Tu faisais des affaires pendant le conflit ? intervint Elaron.
— Oui, sauver des vies !
— Tu gagnais de l’argent pour sauver des vies ? demanda Elaron
L’elfe se mit à rougir. Elle était submergée par ses émotions et ne pouvait plus répondre. C’était sans compter sur la tieffeline qui se retourna de nouveau sur l’humaine.
— Mais je pensais à quelque chose, s’interloqua Ymir à l’attention de Cattleya. Comment as-tu fait pour ne pas subir la guerre ?
— Je suis partie !
— Oui, mais les affrontements frappaient partout.
— La guerre m’a rattrapée, je peux te le dire ! Malgré moi. Du moins, c’est ce que je suppose.
— D’accord !
— Donc, rencontré pendant la guerre en affaire, ressaisit Cattleya en fixant Isil. Ce n’est pas très clair.
— J’ai aidé des gens donc, nous nous sommes croisés à plusieurs moments.
— D’où venez-vous à la base ? demanda Ymir à l’attention de tous.
— J’ai vécu dans le même village que Lucan, répondit Cattleya. Nous avons grandi ensemble.
— Moi j’arrive de Mornski, répondit Ymir. Je viens du nord.
— Je viens d’Eppenmond, répondit Isil. Entre les montagnes et lacs, au milieu.
— Je proviens d’un village dans les montagnes, ajouta Elaron en restant vague. Près des Monts de fer.
Les soupçons de Cattleya s’approfondirent sur Elaron. Sa théorie devenait de plus en plus sûre. Isil avait noté la réponse vague d’Elaron, mais ne savait pas quoi en penser. Pendant qu’Isil parlait de ces champs de fleurs et de sa région natale à Elaron, Ymir glissa quelque chose d’inaudible pour les autres à l’oreille de Cattleya.
— Si tu connais Lucan depuis que tu es petite, est-ce plus qu’un ami ?
— Quelle question déplacée ! riposta Cattleya. Tu vas recevoir mon serviteur en plein visage !
Les minutes s’écoulèrent et le paysage se transformait. Malgré son enfance vécue dans ces régions, Cattleya avait du mal à reconnaitre les routes qui avaient beaucoup changé. De nombreux champs avaient été abandonnés et la végétation avait repris le dessus. Les chemins n’étaient plus aussi bien entretenus et les maisons tombèrent en ruine. Cattleya avait quitté ces provinces depuis trop longtemps. Rien n’était plus pareil.
Au détour d’une bosse, Ymir s’interrogea sur l’état d’Isil.
— Ça va toujours ta cicatrice ?
— Ça me lance un peu plus qu’avant. La douleur s’est intensifiée maintenant que tu m’en parles.
— Allons nous mettre dans un coin, je vais opérer quelques incantations.
Cattleya se déplaça pour s’éloigner de cette magie et passa à l’avant de la carriole. Elle ne voulait pas voir ça. Ymir sortit son livre de prières au même moment ainsi que des bâtons d’encens.
— Ça va bruler au début ! indiqua Ymir.
— J’aimerais bien en apprendre plus sur cette forme de médecine, marmonna Elaron.
Il se mit à observer les incantations d’Ymir. Il surveilla et comprit que ce n’était pas le même type de médecine qu’il avait appris, mais il n’en détermina pas plus. Il ne comprenait pas son fonctionnement.
— Je te préviens Ymir, osa Cattleya. Je ne veux pas que tu touches à mon corps ! Quoiqu’il arrive. M’as-tu bien entendu ?
— Tu as peur de la nécromancie ? demanda-t-elle avec un petit sourire tout en feuilletant son livre.
— Je n’ai pas peur de la nécromancie, je ne veux juste pas que mon corps subisse davantage de dégâts !
— Davantage ? surpris Ymir. Tu es occultiste pourtant. Je ne comprends pas. Nous sommes presque pareils !
— Toi et moi ? Pareil ? s’offusqua-t-elle en se retournant une bonne fois pour toutes.
Isil sentit une démangeaison sur sa gorge. Les picotements circulaient dans sa chair pendant qu’Ymir lança ses sorts. Les yeux de la tieffeline étaient devenus sombres. Isil prenait son mal en patience. Ses doigts s’agitaient étrangement et ses yeux faiblirent.
Puis, un lourd grondement d’éclair se fit entendre au loin. Elaron se sentit mal à l’aise. Ils ressentirent l’air qui s’alourdit. Depuis la sortie de la forêt, ils n’avaient fait que grimper en altitude. Et dorénavant, ils aperçurent clairement que le ciel blanchâtre allait céder pour un fort orage de fin d’été. Elaron entendit un nouveau grondement et vacilla.
— Tu n’aimes pas le tonnerre ? demanda Ymir qui avait terminé.
— Ce n’est pas que je n’aime pas les éclairs, mais je ne suis simplement pas à l’aise.
Cattleya sourit dans son coin. Elle était proche de la vérité concernant le demi-elfe. Voyant l’orage approcher, Dola engagea la conversation.
— Au rythme où nous allons, nous serons à Gondalfen demain, annonça-t-elle en montrant la route qui les attendait au loin.
Une chaine de colline se dressait devant eux. Dola refusait de faire subir ça aux chevaux de nuit. Elle leur raconta que non loin d’ici, une des rivières qui descendait de ces collines formait un grand étang. Juste à côté se trouvait une sorte de taverne de grand chemin pour les voyageurs qui voulaient se reposer. Elle prévoyait de réaliser une halte là-bas pour éviter de laisser les animaux et eux-mêmes sous la pluie.
Soudain, Cattleya pensa se souvenir du lieu dont parlait Dola. Elle se remémorait une auberge où une famille de pêcheurs y vivait et offrait le gite et le couvert aux voyageurs. Ce qu’ignorait Cattleya, c’était que lorsque la guerre menaçait d’arriver, une troupe d’orcs avait saccagé l’endroit. Depuis, la région avait été abandonnée un ou deux ans après le conflit.