CHAPITRE 2

Par itchane


CHAPITRE 2


 

Le soleil n’avait pas encore repoussé la nuit que le capitaine Grive claquait la portière de sa voiture et s’avançait à grandes enjambées vers le centre du désastre. Un jeune policier l’accosta immédiatement. Grive, prêt à tout entendre, remonta les manches de sa chemise.
— Dites-moi tout.
— Et bien vous n’allez pas être surpris je crains, mon Capitaine. Un incendie a frappé cette maison au milieu de la nuit, il y a une heure ou deux à peine. Le père de famille, Monsieur Barniss, est décédé, brûlé vif. Sa femme et son fils ont pu s’échapper à temps.
Le policier fit un signe vers la droite, où se trouvaient une femme et un jeune homme emballés dans des couvertures de survies, pleurant et tentant de répondre malgré tout aux premières questions des enquêteurs.

— Et le départ du feu ? demanda le Capitaine qui avait bien peur de connaître la réponse.
— Et bien… comme les autres mon Capitaine. Il semblerait que le départ soit le corps de Monsieur Barniss lui-même. 
— Comme s’il s’était immolé. 
— Oui mon Capitaine. Et, comme les autres, impossible de déterminer pour le moment avec quoi. L’équipe scientifique est dessus.

Grive grogna. 
Et de six.

Ils passèrent le pas de ce qui fut une porte et entrèrent dans les ruines noircies d’une grande maison de famille, qui avait, sans aucun doute, été très cossue. Malgré les ravages du feu, restaient la taille plus que généreuse des salles et les débris d’un mobilier de qualité. Des fumerolles valsaient encore entre les décombres, les pompiers n’avaient pas quitté les lieux pour s’assurer de sa sécurité.
Rodé, Grive porta un mouchoir à son nez avant d’aller plus avant. Ces dernières semaines lui avaient malheureusement enseigné l’odeur de la chair cramée ; ce n’était pas agréable.

 

Il ne passa que peu de temps sur place. Tout était brûlé, noir, sinistre. Et impossible à démêler. Les flammes emportaient les indices, les cendres et débris recouvraient le passé. Le corps charbonneux, presque laqué, ne communiquait plus grand chose en dehors de l’horreur de la douleur. Seule la police scientifique pourrait éventuellement tirer une épingle de ce jeu de désolation et qui durait depuis bien trop longtemps. 

Les flashs des appareils photos, les petits panneaux numérotés, c’était leur travail à eux ; celui de Grive, c’était l’interrogatoire des proches, de la famille, des amis, et aussi, tant qu’à faire, de tout le quartier. Recouper, recouper, recouper.

Une erreur finirait par être faite. Il en fallait une, il le fallait.

— Euh, excusez moi, Capitaine ?
Une jeune policière qu’il n’avait encore jamais vue s’avançait vers lui.
— Excusez-moi de vous déranger mais, on m’a fait vous prévenir qu’il était arrivé. Le… la… Monsieur Sorc.
— Qui ça ?
— Monsieur Sorc, le…hum. La sorcière. Il vous attend dans votre bureau.
Grive resta immobile un instant, son esprit peinant à trouver quoi faire de cette information. Puis finalement, il leva les yeux au ciel.
— Mes dieux, il ne manquait plus que ça.




*

 

 

— Bon, Monsieur Sorc.
Sorc fut tenté de reprendre le Capitaine, de lui dire qu’il ne s’appelait pas “monsieur Sorc” mais “Sorc” tout court car dans la Zone il n’y avait pas de nom de famille. Mais en considérant le degré manifeste d’agacement de son interlocuteur alors que la conversation n’avait même pas encore commencé, il préféra se retenir. D’ailleurs le policier, joignant ses mains et plongeant ses yeux glacés dans les siens, continuait déjà, la voix rauque et agressive.
— Je vais être très clair avec vous. En vous contactant, ma hiérarchie a fait un choix que je ne comprends pas. À mes yeux vous n’êtes rien de plus, au pire, qu’un arnaqueur, un fou pour le mieux. Votre attirail, là, la longue cape, le bourdon et le corbeau qui, parait-il, vous attend à l’entrée, fonctionnent peut-être sur la ménagère un peu paumée, mais ne font que renforcer mon plus grand scepticisme à votre égard. S’il ne s’agissait que de moi, jamais je ne vous laisserais mettre le nez dans cette enquête. Fort malheureusement, je ne peux m’opposer frontalement aux choix de mes supérieurs. Le fait est qu’ils vous ont contacté, que vous êtes là - à ma plus grande surprise - et que la demande m’a été faite de vous mettre au courant d’une certaine affaire.

Le policier fit une pause, Sorc ne dit rien. Il se savait jaugé, mais il n’était pas assez surpris par ce début de conversation pour laisser paraître la moindre gêne. Les deux hommes se regardèrent un instant, l’un capitaine de police à la quarantaine, blond râblé, teint halé, compact, au regard bleu de glace ; l’autre, sorcière sans âge, brun longiligne, peau pâle, au nez busqué et yeux plus noirs que la nuit.

Sans un mot, Grive porta sa main à l’un des tiroirs de son bureau et en tira une série de photographies. Il les déposa lentement, une à une, juste sous les yeux de Sorc qui découvrit sans ambages des images de corps carbonisés, recroquevillés dans la douleur, sous tous les angles, tous les détails. Dans des restes de salons, de cuisine, et même pour l’un, de salle de bain. Parfois dépassait un pied, une main encore reconnaissables, éléments d’humanité qui rendaient le tableau encore plus difficile à soutenir.

Mais à la grande déception du Capitaine, la sorcière ne broncha pas. Il aurait espéré du dégout, de la peur, n’importe quel signe de faiblesse, mais Sorc se pencha simplement et observa dans les détails chacune des photographies.
— C’est donc bien pour cette affaire que j’ai été appelé.
— On en parle jusque dans la “Zone” ?
Le Capitaine avait reniflé malgré lui en utilisant le mot. Sorc ignora cette vexation de plus.
— Non. J’ai lu le journal avant de venir vous voir.
— Parfait ! Je n’ai donc rien de plus à vous apprendre. 
— Veuillez m’excuser ?
— Écoutez-moi bien. Il est hors de question que je vous laisse fouiner dans mon enquête. Les détectives privés et autres charlatans n’ont rien à faire dans mes dossiers. Vous aviez déjà les faits, vous avez maintenant les images. J’ai fait ma part du travail. Et maintenant que les choses soient parfaitement et définitivement claires entre nous. Je vous interdis l’accès direct au dossier, je vous interdis de passer les barrière de sécurité sur les lieux des crimes, je vous interdis d’interroger les familles ou les proches. 
— J’ai donc fait des centaines de kilomètres après la réception d’un Corbeau Blanc et je ne peux ni avoir accès aux informations de l’enquête, ni voir les lieux, ni interroger les personnes concernées ?
— Je vois que comprenez parfaitement la situation. Mais si vous souhaitez enquêter, ne vous retenez pas, considérez-vous comme vous l’avez toujours été, un… indépendant.

Le silence se fit. Grive le brisa, n’en tenant plus de faire sa dernière annonce.

— Mais je ne voudrais pas pour autant qu’il vous arrive malheur dans cette ville que vous connaissez si peu, voire pas du tout. Cela doit vous faire drôle de parcourir ces rues, de voir ces immeubles, ces voitures, cette civilisation. Aussi, si vous acceptez cette mission, je serais ravi de vous adjoindre l’une de mes collègues pour qu’elle vous escorte dans vos recherches.
— Vous avez donc si peu confiance en moi que vous mettez en place une surveillance ?
— Une escorte, Monsieur Sorc, une escorte, répondit le Capitaine, le visage barré d’un rictus. Bien entendu, cette proposition a été validée par ma hiérarchie. Alors ? Qu’en pensez-vous ?
— Puis-je seulement refuser ?
— L’escorte ? Non. Mais vous pouvez rentrer chez vous, si ces conditions ne vous conviennent pas.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Lily D.P.
Posté le 10/11/2024
J’adore tout autant. C’est donc un monde moderne à notre image ou presque ? On sent bien le désarroi du policier, on sent son côté pragmatique qui rejette forcément la sorcière, on sent aussi le malaise des autres (la femme qui ne sait comment l’appeler) et ce mauvais regard sur "la zone". Les indices pour lire les codes de l’histoire sont très bien amenés ! ^^
J'aime beaucoup ce nouveau personnage policier.
Ainsi que le contraste entre les deux "mondes". J'ai hâte d'en savoir plus sur tout cela. ^^

Et bien, je suis très très très fan de cette histoire :D ! Encore une que j’aurais bien plaisir à dévorer format papier. 😉
À tout bientôt ! ^^

Coquilles relevées :
Un incendie a frappé cette maison au milieu de la nuit, il y a une heures ou deux à peine. -> une heure ou deux ?
L’équipe scientifiques est dessus. -> scientifique ? Je le vois comme l’adjectif d’équipe qui est au singulier.
Mais en considérant le degrés manifeste d’agacement de son interlocuteur alors que la conversation n’avait même pas encore commencé il préféra se retenir. -> degré ? Et, je mettrais une petite virgule après commencé, je pense que c’est un connecteur en début de phrase.
Le fait est qu’ils vous ont contactés -> contacté (accord pp avec auxiliaire avoir : ils ont contacté qui ? = vous = Sorc = singulier)
itchane
Posté le 19/11/2024
Coucou Lily,

Oooooh merci pour ton commentaire ! Je me demande toujours si le basculement soudain dans le moderne ne va pas en perdre quelques uns, je suis donc contente que tu aies aimé et que tu soies toujours là ^^

Tant mieux si les éléments de l'histoire te semblent bien amenés, le dosage n'est pas facile ^^"

Merci encore pour ton message : )
Baladine
Posté le 02/11/2024
Salut !
Deux mondes qui s'opposent frontalement, c'est intéressant d'assister à cette friction entre deux univers. Sorc est si peu le bienvenu en Ville, d'ailleurs, que je me demande ce qui l'a motivé à venir, à part la venue d'un Corbeau Blanc, bien sûr, mais était-il obligé de se plier à l'exigence de cette autorité ? Il doit y avoir un levier quelque part, et c'est aussi ça qui m'interroge, à ce stade, d'autant que Grive lui fait clairement comprendre qu'il peut partir quand il veut.
En tout cas voilà un début prometteur. J'arrête là ma lecture pour aujourd'hui, mais j'ai hâte de lire la suite !
A bientôt
itchane
Posté le 02/11/2024
Coucou Baladine !

Merci d'être toujours là à lire et commenter ♥
Alors pour Sorc, ce n'est pas tant une question d'autorité que de déontologie, je ne sais pas si cela se ressent suffisamment.
J'avance dans ce récit un peu au tout venant, je n'ai pas de plan super bien défini et les choses se décantent au fur et à mesure de l'écriture, alors tu fais bien de me dire ce qui fonctionne moins bien, j'en aurai bien besoin !
Je vais réfléchir à comment rendre cette "obligation morale" plus claire.

Merci encore pour ta lecture et ton commentaire !
A bientôt alors ; )
Sombie
Posté le 21/09/2024
Clairement cette série de cadavres immolés m'intrigue ! J'espère vraiment que le côté policier sera tout autant développé dans la suite.
J'aime beaucoup la trope du personnage "paria" qui n'a pas besoin de tout ce que le monde moderne peut lui apporter, même si dans son cas cet exil n'est peut-être pas volontaire ?
Si je puis me permettre une toute petite suggestion, je trouve que la phrase : "Seule la police scientifique pourrait éventuellement tirer une épingle de ce jeu de désolation et qui durait depuis bien trop longtemps." serait plus fluide sans le "et", voire avec une virgule à la place ? J'espère ne pas être inconvenante avec ma remarque je m'excuse donc par avance au cas ou !
itchane
Posté le 23/09/2024
Re Sombie : )

Normalement on reste dans un simili policier oui, même si des petits méandres seront pris, j'espère que cela t'attirera toujours autant ^^

Tu as raison pour ta suggestion, cette phrase est un peu lourde, je vais sans doute suivre ton conseil et retirer ce "et" : )

Merci encore pour ta venue sur mon texte et pour tes messages qui me donnent de la force pour avancer sur ce projet !
Isapass
Posté le 13/09/2024
Oh que j'aime ce contraste entre la Ville et la Zone ! Et que j'aurais aimé que ce chapitre soit plus long XD
Bon, essayons d'être constructive...
La première partie du chapitre réussit à exposer les évènements et le point de départ de l'enquête (tout ça m'a l'air gratiné, en effet), tout en présentant ce charmant Capitaine Grive. Bon, lui je l'aime déjà d'amour : il a l'air imbuvable, c'est parfait, j'aime les persos bougons et sceptiques.
Ces incendies criminels qui ressemblent à des auto-immolations ont l'air tout à fait sordides et mystérieux. Parfait aussi en ce qui me concerne : je suis pour y aller carrément dans le trash, sinon c'est pas drôle XD. En tout cas, c'est prometteur.

La seconde partie est très sympa aussi : Grive n'est pas du genre à y aller par 4 chemins pour dire ce qu'il pense. J'ai beaucoup aimé la façon qu'il a de tomber sur le râble de ce pauvre Sorc qui n'a pas le temps d'en placer une. Pareil : leurs relations sont extrêmement prometteuses ! Du coup, je suis un peu déçue qu'il refile Sorc à quelqu'un d'autre. Est-ce que ça va être la jeune policière qu'on voit au début du chapitre ? Et que personne ne connaît (tiens, tiens...) ? Je suis sûre que ce duo-là aussi va être intéressant, mais j'avoue que j'espère qu'on va quand même revoir Sorc et Grive ensemble, parce que je pense qu'il y a de quoi s'amuser.
Pour l'instant, j'ai du mal à voir en quoi l'affaire peut relever de la compétence de Sorc, mais c'est normal, on entre juste dans l'univers. En tout cas c'est immersif à souhait ♥
Bon ben encore une fois, vivement la suite !
itchane
Posté le 16/09/2024
Hello Isa !

Merci pour ton message : )

Haha, ouf, le contraste fonctionne donc, j'avais peur de perdre les personnes qui se seraient imaginé l'histoire dans un monde heroic fantasy, alors qu'on est plutôt dans l'urban fantasy du coup ^^"

Effectivement le binôme de travail sera différent, ce ne sera pas Grive/Sorc, mais on devrait tout de même retrouver Grive de temps en temps ; )

Merci encore pour ton commentaire si positif et encourageant ! Tout cela me met un peu la pression du coup : P
J'espère que la suite te plaira toujours ^^
RedFeather
Posté le 12/09/2024
Moi, à la place de Sorc : *Se lève* Eh bien monsieur, au revoir. Votre hiérarchie a besoin de moi, mais l'inverse n'est pas réciproque. Faites-moi savoir quand je pourrai travailler dans des conditions acceptables, et je reviendrai. Bonne chance quand les cadavres s'accumuleront sur votre conscience.
Mais je suis, er, très direct'e et je déteste ce genre d'ordure odieuse.
Bref, reprenons depuis le début ^^

Début qui est d'ailleurs aussi efficace que le précédent. Nous avons donc des voitures, donc époque relativement moderne. Tes descriptions sont parfaites, elles mettent bien dans l'ambiance. J'apprécie particulièrement les mentions aux odeurs, trop souvent oubliées sur les scènes de crimes, alors que très importantes.
Etrangement, au début, Grive me paraissait être un humain décent. Il connaît son travail, regarde méticuleusement les scènes de crimes, et la poésie de ta plume aidait à le rendre sympathique !

Vient ensuite la rencontre avec Sorc. Je conçois qu'il ne soit pas ravi de travailler avec une Sorcière, mais il se révèle en fait une ordure pleine de préjugés. Sur tout ce qui n'est pas sa précieuse Ville, sur les corbeaux alors qu'étrangement, la Ville en utilise donc il doit connaître leur intelligence...
Je suis content'e qu'on ait une description, même un peu courte, de Sorc, je voulais vraiment pouvoir le visualiser !

Pas d'erreurs grammaticales ni de répétitions, mais le une voix "rAUque", et non "roque", à moins que ce soit un adjectif que je ne connais pas.

Je suis un peu surpris'e de là où tu as coupé le chapitre ; je verrais lorsque je lirai le prochain, mais à mes yeux il peut être plus long. Après, tu préfères peut-être les formats courts et pour Plume d'Argent, ça convient bien.
Si tu désires l'éditer un jour, pour une question de rythme, qui diffère un peu en livre, il faudra sans doute recouper ;)

Avec l'aperçut du mystère et de la culture dans laquelle nous plongeons, mon intérêt est toujours piqué. Ce chapitre est bon, et j'ai hâte de découvrir la suite !
itchane
Posté le 13/09/2024
Hello RedFeather !

Merci beaucoup pour ton message !

Je note que la coupure est peut-être un peu sèche, il est vrai que j'ai tendance aux ellipses coupées à la hache, et donc un peu trop coupées parfois x'D
Je verrai cela en réécriture.

Haha, oui il existe sans doute un monde parallèle dans lequel Sorc répond cela à Grive, mais pas ici, sinon il n'y aurait pas d'histoire : P

Je suis contente que ce monde de la Ville, si différent des chapitres précédents ne te rebute pas, ouf, j'avais un peu peur de perdre les gens.

Merci encore pour ton commentaire, je m'en vais changer ce "roque" ;)

A plus !
itchane
Vous lisez