Les ondes ont repris puis cessé brusquement. Je redresse mes senseurs : la créature noire a disparu. J'ai raté son envol, et j'en verdis d'agacement. Il est temps de partir ; espérons que l'occasion se représentera. Chez nous tout rampe et glisse, et le déplacement dans l’atmosphère est un miracle que nous n'aurions jamais cru possible ; la plupart de mes semblables restent dubitatifs sur sa réalité, et émettaient l'hypothèse de filins invisibles qui auraient expliqué ce maintien en altitude. Ainsi, je dois pouvoir capter l'action de mes propres senseurs, pour leur affirmer avec force couleur : si, cela est.
Je commence à glisser en direction de l'unique étoile visible. Elle est d'un jaune très pâle, et sa chaleur est moindre. C'est une direction comme une autre. Il faut que je quitte la zone de chlorobiontes ramifiés : je dois à présent repérer les lignes strictement horizontales et verticales des volumes. C'est là que j'ai le plus de chance de trouver les bipèdes.
La lumière s'amplifie : les chlorobiontes semblent s'arrêter net, là-bas. Je glisse encore, et j'arrive effectivement à une frontière : la nouvelle zone n'a rien de comparable avec celle que je m'apprête à quitter. Une fois encore c'est une étendue terne, mais le sol tire cette fois vers un noir fatigué. Cette surface est plane, bien qu'imparfaite, et dure. Son odeur est délicieuse. C'est une bande qui s'étire à l'infini et derrière laquelle d'autres zones sont cernées de délimitations rudimentaires. Je suis frappé par leur vert intense, qui s'étend presque à perte de vue. De toutes les couleurs, il a fallu que le décor panoramique soit à dominante verte ; cela doit être terrible à supporter. En association avec la blancheur macabre de l'atmosphère, cela donne une impression parfaitement lugubre, et renforce ma compassion pour les bipèdes. Une captation de mes senseurs visuels interrompt le fil de mes pensées : j'aperçois au loin les volumes typiques des bipèdes. Je m'approche du but.
Je glisse le long de la bande noire. Mes filins sont devenus violets sous l'effet de son fumet délicieux. Je n'avais jamais rien senti de tel. Soudain, des vibrations inattendues me font tourner au jaune. Elles s'amplifient. Mes senseurs visuels scrutent les altitudes, mais non, c'est bien la bande noire qui vibre, et soudain une créature massive fonce sur moi. J'aurais largement le temps de glisser sur le côté – je vous l'ai dit, ici, tout est lent –, mais les ondes de grande amplitude qu'elle émet soudain me terrifient. C'est une succession de signaux denses, courts et agressifs, et mes senseurs électromagnétiques en souffrent cruellement. Les filins contractés et orange de douleur, j'ai toutes les peines à glisser ; heureusement, la créature m'évite et se retire, me semble-t-il, bien plus rapidement qu'elle n'était arrivée. Je m'immobilise quelques instants, le temps que mes senseurs électromagnétiques se régénèrent. Des ondes sonores, une fois encore. Voilà un danger que nous n'avions pas anticipé. Je dois être plus prudent.
J'ai cependant réussi à faire quelques captations visuelles et olfactives de la créature qui s'éloigne maintenant promptement le long de la bande noire. D'un orifice à l'arrière, elle dégage un autre délicieux parfum. Sa couleur était bien plus chatoyante que tout ce que j'ai vu jusqu'à présent : sa carapace était d'un beau rouge vif, un rouge d'une grande tranquillité, légèrement brillant. Ce qui me surprend, c'est qu'elle n'a pas changé de couleur en me rencontrant, pas même quelques taches, rien. Elle a pourtant capté ma présence, puisqu'elle a modifié sa trajectoire. Je vais de surprise en surprise.
Peut-être bien que je lui ai fait peur. L'inverse serait étonnant. Je vais la suivre, d'autant qu'elle se dirige vers les volumes, mais à distance, pour ne pas l'effrayer plus. En la revisualisant, je me dis que cette créature à carapace n'a pas grand-chose de commun avec les bipèdes, si ce n'est d'avoir un orifice qui a une fonction déterminante selon toute évidence, et deux senseurs visuels. Mais les bipèdes ont un épiderme fort différent, plus terne et beaucoup plus mat, et sont emballés dans des surfaces de fibres tissées. Ils sont parfaitement dépourvus de carapace chatoyante, et sont beaucoup plus lents. Je recommence à glisser. Je pourrais rejoindre les volumes en un rien de temps, mais je préfère évoluer prudemment.
Mes senseurs visuels captent du mouvement en basse altitude, à un demi-filin de moi. Ils sont désordonnés et difficiles à percevoir. Je change de focale, et le miracle apparaît. Il s'agit d'une sorte de nuée de minuscules organismes qui évoluent dans l'atmosphère, sans filin, à la seule puissance de leurs éventards. J'avais donc raison. Serait-ce une autre espèce de plumet ? Leur taille est incomparablement plus petite que celle du spécimen noir. Leurs éventards se meuvent très rapidement. Ils vont et viennent en trajectoires complexes, et restent proches les uns des autres. Leurs mouvements sont fascinants. En changeant de nouveau de focale, j'en observe un de près : il s'agit d'une créature gracieuse, dotée de six pattes rattachées à un tronc couvert d'un duvet soyeux, et de splendides éventards translucides. À proximité de ses senseurs visuels d'une grande sophistication, émergent deux appendices zébrés. En revanche, tout son corps est là encore d'un brun terne.
Oh, tout me distrait ici ! Je ne suis là que depuis quelques nanomicrons de révolutions aégnosiennes, et j'ai déjà croisé trois créatures extraordinaires dont la diversité m'enchante. Je poursuis le long de la bande noire. Elle est bordée de curieuses excroissances fines et souples, d'un vert franc et au parfum grossier. Leur implantation ne suit aucun ordonnancement. Des taches d'un jaune éclatant attirent mon attention : ce sont des petites boules aplaties et duveteuses, soutenues par les excroissances vertes, et qui, elles, puent franchement. Couleurs et odeurs ne semblent pas faire bon ménage sur cette planète. Peut-être est-ce que pour cela que la plupart des bipèdes que nous avons pu observer n'étaient emballés que dans des fibres tissées de couleur noire, ou bleu-gris. Sinon, ils sentent.
La bande noire s'élargit. Je capte de nouvelles vibrations. L'une d'elles est plus imposante que les autres, et ne me parvient pas du sol. Mes senseurs s'élèvent de nouveau vers les hauteurs.
Maintenant, je crois que je suis habituée à la perception et au langage de notre narrateur.<br /> C’est marrant que de son point de vue, le danger vienne des sons plutôt que des véhicules.<br /> C’est très intéressant et amusant de redécouvrir les choses les plus banales de notre environnement à travers ce regard extraterrestre. Sa perception des odeurs est étonnante, ainsi que le fait d’associer l’odeur des humains à la couleur de leurs vêtements. (Si j’ai bien compris...)
Coquilles et remarques :
Je pivote mes senseurs de nouveau [« Je pivote de nouveau mes senseurs » me paraîtrait plus naturel.]
J'ai raté son envol, et j'en verdis d'agacement [Ici, la virgule avant « et » ne me paraît pas justifiée / Là, je comprends clairement la relation entre l’émotion et la couleur. C’est exactement le genre de précision qui manquait dans le premier chapitre.]
Je glisse encore, et arrive effectivement à une frontière [Ici non plus, la virgule avant « et » ne me semble pas justifiée.]
Il est plus plane [« plane » est le féminin ; il faudrait donc écrire « Il est plus plan », mais je ne suis pas sûre que les lecteurs comprendront.]
Une captation de mes senseurs interrompent le fil de mes pensées [interrompt]
Mes filins sont devenus violet [violets]
Les filins contractés et oranges de douleur [orange ; en principe invariable]
Je suis frappée par le fait qu'elles soient d'un vert intense [frappé ; puisque plus loin, tu écris « Je dois être plus prudent » / par le fait qu’elles sont ; il n’y a pas de doute]
un rouge d'une grande tranquilité [tranquillité]
même pas quelques tâches, rien [taches]
Je vais de surprises en surprises [de surprise en surprise]
n'a pas grand chose de commun avec les bipède [pas grand-chose / les bipèdes]
Seraient d'autres spécimens de plumets ? [Seraient-ce]
A proximité de ses senseurs [À]
Des tâches d'un jaune éclatant [taches]
soutenues par les excroissantes vertes [excroissances]
et qui elles puent franchement [Il faudrait mettre « elles » entre deux virgules.]
L'une d'elle est plus imposante [L’une d’elles]
Mes senseurs s'élèvent vers les hauteurs de nouveau [Je propose : « Mes senseurs s'élèvent de nouveau vers les hauteurs » ou « Mes senseurs s'élèvent vers les hauteurs, de nouveau ».]
- je ne savais pas que plane était féminin ! Je vais chercher un autre terme, "plan" sera effectivement pas évident...
- ah, les couleurs invariables et non invariables... Je connais pourquoi la règle, mais elle demande une grande vigileance !
- "tranquillité" comme "imbécillité", je le saurai !
Bon, je vais lire le dernier commentaire, mais tu es une correctrice impeccable !
Je vais de suite voir ce qu'il (ou elle? J'ai vu un adjectif au féminin tantôt, ou alors iel?) pense de l'avion qui passe ^^.
Ok pour l'herbe, les fleurs, la voiture rouge, la route, les maisons. Mais le plumet du début, je ne vois pas (un insecte, un oiseau, une plume ?), et les trucs qui volent, je dirais mouches ou abeilles, mais les appendices zébrés me mettent des doutes.
Je dirais que du coup, c'est un peu frustrant, et il faudrait qu'on puisse tout identifier (enfin, je suis peut-être trop pointilleuse, hein, ce n'est que mon ressenti).
Du coup maintenant, toutes les questions vont vers le narrateur. On ne sait pas si on peut trouver (parce que c'est un truc qui existe) ou si c'est vraiment une créature que tu as inventée. C'est vraiment bien d'avoir pris le sujet dans ce sens. C'était imposé ou un choix de ta part ?
Je trouve que ton style est plus fluide et plus facile à lire qu'au premier chapitre.
Détails :
"des vibrations inattendues me font tourner jaune." : je dirais plutôt "tourner au jaune" ou "devenir jaune".
"puisqu'elle a modifié sa trajectoire en fonction." : le "en fonction" en fin de phrase est un peu curieux même si très compréhensible. Je ne suis pas sûre que ça soit grammaticalement correct. A toi de voir ;)
"n'a pas grand chose de commun avec les bipède" : manque le S à bipèdes.
"Seraient d'autres spécimens de plumets ? " : Seraient-ce
"et qui elles puent franchement." : j'encadrerais le "elles" de virgules.
"Sinon, ils puent. " : répétition de puer. Je comprends que c'est pour forcer la note mais ça gâche un peu l'effet de la familiarité du verbe.