2.
La nuit commençait à voiler les pièces et la rue, l'une de ces nuits de juin qu'on respire plus qu'on ne voit. Le chant des insectes s’était intensifié et, quand Callinoé ouvrit la fenêtre de la salle de bain, la vapeur tourbillonna dans le parfum prégnant du début de soirée.
Son portable indiquait dix-neuf heures trente. Il coupa la musique et ses oreilles bourdonnèrent.
Papy Del était mort. C'était dur de se faire à l'idée. Callinoé et sa sœur n'avaient jamais connu leurs grands-mères, le père de leur mère était décédé quand Callinoé n'avait que sept ans... Il lui semblait que c'était la première mort à laquelle il faisait réellement face. Cette pensée le glaça.
C’était chez Papy Del que remontaient ses premiers souvenirs de lecteur, quand il se posait dans le vieux sofa, une BD ouverte sur les genoux et son grand-père qui lui désignait les bulles en lisant pour lui à ses côtés. La bibliothèque n’y était pas très fournie — d’anciens magazines, des BDs que lisait son père quand il était enfant, une rangée de romans à l’édition vintage — mais l’odeur de papier et de poussière l’avait profondément marqué. Il voyait encore, avec une précision nostalgique, ce meuble bancal dont il ne pouvait atteindre les étagères que sur la pointe des pieds.
Il sécha ses larmes d’un battement de cil, quitta la salle de bain et remarqua la porte close de la chambre de sa sœur. Il balança ses vêtements dans son antre – son caleçon tomba derrière son pouf, il essaya de s'en souvenir pour ne pas le retrouver par hasard dans dix jours – et traversa le couloir pour toquer chez Roxanne. Leur mère regardait la télé en bas, les rires d'un jeu télévisé lui parvenaient.
— Entre.
Roxanne était à l’envers sur son lit, les bras croisés derrière la nuque et les pieds contre le mur. Ses yeux fixaient son lustre en forme d'étoile.
— Comment tu vas ? demanda-t-il en s’asseyant près d'elle.
Elle parut essayer de hausser les épaules malgré sa position.
— J'essaye de me souvenir d'un maximum de trucs, répondit-elle. Je suis triste mais j'ai pas envie de pleurer. C'est normal, tu crois ?
— Moi non plus, je réalise pas vraiment.
C’était comme s’il pensait encore se rendre chez Papy Del pour Noël, où il ferait glisser un doigt sur la tranche usée des couvertures qu’il atteignait désormais sans difficulté.
— Quand j'étais petite, ça m'emmerdait de pas pouvoir regarder les dessins-animés quand on allait en vacances chez lui.
Callinoé sourit. Il y avait ça, aussi.
— Ben attend, il fallait pas qu'il rate Amour, Gloire et Beauté, rappela-t-il.
Roxanne rit et changea de position pour se mettre en face de lui.
— Je finissais toujours par regarder, ça craint.
— Un jour, il avait essayé de me raconter pour que j'y trouve de l'intérêt, se souvint Callinoé. Mais le seul truc dont je me rappelle c'est à quel point il avait l'air de croire que les personnages étaient réels.
— « Elle, c'est une conne », imita Roxanne avant de glousser.
— Ensuite, papa venait lui demander de faire attention à son langage.
— Et il nous faisait un clin d’œil et on se marrait comme des baleines !
Ils se sourirent, complices, et Callinoé eut l'impression de se trouver dans la maison de leur grand-père, avec le vent qui soufflait toujours contre les carreaux. En fermant les yeux il pourrait redessiner le salon ouvert sur la cuisine, la vieille télé et le canapé défoncé.
Ils restèrent mutiques un moment, côte à côte sur le lit défait. Roxanne avait sorti une robe de sa penderie, pour leur soirée, pliée sur le dossier de sa chaise de bureau. Son porte-monnaie était posé sur le brouillon d'une dissertation mais Callinoé décida qu'elle n'en aurait pas besoin. Il paierait les consommations de sa petite sœur. C'était un peu son rôle, de la couver, non ?
— J'espère que papa va bien, murmura Roxanne.
Leur père, seul en Bretagne avec ses souvenirs d'enfance et un enterrement à mettre sur pied, qui allait s'occuper de lui ?
— On le rejoindra vite, répondit Callinoé en ravalant la boule dans sa gorge.
Tu retranscris vraiment bien le deuil, ça fait ... bah réel...
L'évocation des souvenirs, les larmes qui ne veulent pas couler et son style d'écriture rendent vraiment le truc très réaliste. C'est même assez touchant alors qu'on en sait finalement très peu sur leur grand-père.
Quelques remarques (tu prends ce que tu veux) :
"La nuit commençait à voiler les pièces et la rue, l'une de ces nuits de juin qu'on respire plus qu'on ne voit." répétition de nuit, peut-être écrire : le crépuscule commençait à voiler les
"C'était dur de se faire à l'idée." à cette idée me semble plus approprié
"leurs grands-mères, le père" -> mères et le père
Un plaisir de te lire,
A très vite !
Merci pour tes remarques. Je ne sais plus si j'ai actualisé le texte après mes dernières corrections... Mais je sais que j'avais laissé cette répétition volontairement (mais bon, on reste son pire juge xD)
Merci aussi pour ton compliment ♥
Pour quelle raison ? Ca m'intéresse d'en savoir plus.
Je n'ai pas commenté pour le premier chapitre parce qu'il y avait peu de questionnements : il était précis, rapide, extrêmement introspectif.
Là, les conversations sont très drôles et nous rappellent des choses que nous avons tous pu vivre ; je suppose que c'est cela qui touche le plus. Seulement, je tiens à signaler que certaines expressions me surprennent : "rire comme des baleines" en est une. Une autre, dans le premier chapitre, m'a un peu fait tiquer. "état de liesse", je crois.
Mais ce n'est qu'un ressenti qui n'a en rien gâché mon plaisir.
Bravo.
Je vois à ma boîte mail que tu commentes plus vite que ton ombre ! Je vais essayer de te faire honneur en répondant à tout ça !
En ce qui concerne les expressions j'ai 2 hypothèses :
- Ce sont des régionalismes ou des expressions propres à ma famille que j'ai toujours prise pour acquis
- (Plus probable encore) je me mélange les pinceaux en les écrivant, mais du coup en parlant aussi xD
Je mènerai l'enquête
Merci beaucoup pour ton retour ♥
Et à travers ça, on sent encore une fois la complicité entre Roxanne et Callinoé. La mère est un peu à l'écart par contre. Callinoé semble être quelqu'un qui a beaucoup d'empathie et qui se préoccupe beaucoup des autres (sa sœur, son père), ce qui, bien sûr, le rend infiniment attachant ♥
Ce n'est pas la première fois, mais je constate que décidément, les syntaxes simples (dans le sens : dénuées d'artifice) font vraiment bien passer les émotions. Même si c'est en retenue, qu'il n'y a (encore ?) aucun déferlement émotionnel, on sent bien que ça affleure, dans ton récit).
J'ai aussi tendance à redécouvrir l'efficacité d'un simple "il pleura." Je me sens pas de tomber dedans tout le temps, j'ai l'impression qu'il faut que j'habille ce genre de phrase avant de la mettre. Mais dans un texte comme celui-ci, c'était un peu plus facile d'essayer.
Merci Isa ♥
J’ai rien à dire, le rythme fonctionne bien, les personnages sont déjà attachants, le style est tout doux.
Et puis le début du deuil est bien rendu, c’est touchant et vrai.
Détails :
« C’était comme s’il pensait encore se rendre chez Papy Del pour Noël, où il ferait glisser un doigt sur la tranche usée des couvertures qu’il atteignait désormais sans difficulté. » : Je n’ai pas été convaincue par cette idée, les livres il les reverra, non ? Il pourra faire glisser son doigt comme il veut quand ils iront vider la maison hihi. Si je peux me permettre une suggestion, peut-être qu’il pourrait s’imaginer se rendre chez son grand-père à Noël, mais aussi que ce dernier soit présent ? Genre « où il entendrait son rire » ou quelque chose comme ça, je ne sais pas trop.
« Ben attend, il fallait pas qu'il rate » : attends
« Roxanne rit et changea de position pour se mettre en face de lui. » : plutôt que d’écrire « changea de position », ce qui est un peu vague, peut-être que tu pourrais dire la position qu’elle prend ?
Je m'étais un peu lâchée dans les expériences personnelles, avec ce texte. Elles poussent par-ci par-là, dans les anecdotes, et je suis contente d'avoir (apparemment) réussi à les retranscrire
Je me suis assez bien retrouvée dans cette scène. Elle sonne très juste par rapport à mon expérience personnelle lorsque j’ai perdu ma première grand-mère. Elle aussi était une grande fan d’Amour, Gloire et Beauté, et plus tard de Plus belle la vie. :’D Je trouvais ça marrant, parfois agaçant, mais quand on a arrêté d’aller chez elle après son décès, ben c’est bête, mais le fait de plus entendre cet arrière-plan sonore et de la voir tricoter en regardant ses feuilletons préférés, ça m’a fait comme un grand vide.
Les dialogues sont efficaces et justes encore une fois, ce qui donne à l’ensemble un ton très réaliste. La relation entre Callinoé et Roxane est très attachante et complice. J’ai beaucoup aimé la manière dont ils se renvoient mutuellement leurs souvenirs.
Je me demande si tu n’aurais pas pu continuer encore un peu, explorer davantage des souvenirs qui seraient attachés à la relation entre leur père et leur grand-père, peut-être pour qu’on puisse se projeter un peu plus. Mais tu le fais peut-être plus loin dans les prochains chapitres, donc je vais me hâter d’avancer dans ma lecture pour découvrir la suite !
Ton témoignage est précieux, merci de le partager. Y a rien de bête dans un grand vide <3
Merci de ta lecture Luna !
C'est cruel, ce que tu fais, Claquette. Parce que cette scénette, elle sonne assez juste. Le fait de vouloir se rappeler des détails pour garder la personne disparue encore un peu avec soi, la difficulté à pleurer alors qu'on crève de tristesse, toussa toussa.
Je ne suis pas cruelle très longtemps (mais je reconnais être satisfaite si tu trouves la scène assez juste !)
Te sens pas obligée de commenter à chaque fois si tu veux, les chapitres sont courts et je sais que quand on n'a rien à dire c'est relou
Le fait de partager les souvenirs entre frère et sœur, j'ai trouvé ça vraiment mignon. Le fait que j'ai connu une expérience similaire avec la télévision m'a fait sourire à la lecture. Et je trouve ça hyper touchant cette inquiétude pour leur père. Il me fait de la peine alors qu'on le connait à peine.
A très vite pour la suite !
Je suis très très heureuse que tu arrives à te projeter naturellement avec mes personnages, et que du coup tout te sembles vrai. Ce que tu dis me touches vraiment <3
Une expérience similaire avec la télé ? Je n'ai pas eu le plaisir d'entendre mon papy faire ça (ou alors j'étais trop petite pour m'en souvenir) mais c'est un truc que m'avait raconté ma soeur (moi j'étais celle qui râlait parce qu'elle ne pouvait pas avoir ses dessins-animés toute la matinée xD)
A très vite Dé, avec grand plaisir !
J'ai une journée "migraine affreuse" mais j'ai hâte de revenir sur ton texte, sache-le ;)
J'ai bien aimé la véracité (toujours) des sentiments confus et des souvenirs qui s'entremêlent. Les personnages sont attachants.
En lisant, j'ai petit à petit relevé des trucs, les voilà donc dans l'ordre chronologique :
- "La nuit commençait à voiler les pièces et la rue" : sur le coup, ce n'était pas très clair pour moi de quelles pièces il s'agissait. Les pièces en général (mais celles où la lumière est allumée ne sont pas trop impactées par la tombée de la nuit) ? Les pièces de la maison/appartement de Callinoé ? Les pièces de monnaie ? ^^
- J'aime l'idée de l'odeur du soir, même si à première vue elle ne représente rien pour moi (sauf quand y a un barbecue dans le coin ^^)
- En juin, le coucher du soleil est vers 21h30, donc le fait qu'à sa montre il soit 19h30 quand la nuit e couche me paraît étonnant.
- J'aime la résurgence des souvenirs avec les bons et ceux qui font râler. De vrais bons souvenirs de vie.
- J'ai trouvé un peu étrange à première lecture les détails de qui paierait quoi pour la soirée, mais en définitive, c'est la vie qui continue !
Voilà ! C'est tout pour ce chapitre ! Merci !
Merci à toi de lire et commenter avec autant de gentillesse !
Il est court ce chapitre, mais raconte avec beaucoup de délicatesse les souvenirs, simples et vrais, bons ou plus moqueurs, liés à ce grand-père qui vient de disparaître. Il n’y a pas à dire, tu es très douée pour raconter « du rien et du quotidien », comme tu le dis (mais je m’insurge, ce n’est pas du « rien »).
Détails
Son portable indiquait dix-neuf heure trente : heures
C’était chez Papy Del que remontait ses premiers souvenirs de lecteur : remontaient
les rires d'un jeu télévisé lui parvenait : parvenaient
sans difficultés : toujours singulier « sans difficulté »
Roxanne avait sortie une robe : sorti
<br />
Je réalise que ce gentil commentaire, posté il y a longtemps, n'avait reçu aucune réponse. Désolée !! Les fautes ont été corrigées en tout cas.
Si ce que je raconte n'évoque pas du "rien" c'est que j'ai réussi alors, et rien ne pourrait me faire plus plaisir avec ce texte !
<3