Lundi matin.
Je priai que le ciel se déchire. Qu'un orage s'abatte sur le lycée. Que les sirènes hurlent. Qu'on évacue le bâtiment. N'importe quoi pour éviter ça.
Mais rien ne vint. Juste lui.
Il entra dans la salle de classe avec une nonchalance qui m'irritait déjà. Et avant d’arpenter l’allée centrale comme s’il était dans son salon, son cartable cogna son bureau. Son petit numéro me collait la migraine. Elle se logeait là, derrière mes globes oculaires.
Je me crispai.
— Je suis Monsieur Bravelles, et je veux que la philosophie soit une douce symphonie, plus excitante et plus vibrante qu’une série Netflix !
Qu’il crève !
Qu’il crève avec ses phrases toutes faites, sa posture de comédien égaré, son ton d’orateur en plastique. Chaque mot me lacérait, il devenait un clou planté sous les côtes.
Il aurait pu aller n’importe où. Se volatiliser. Disparaître. Mais non. Il était là. En chair et en os. En costume de philosophe. Lui, mon calvaire. Mon père.
J’étais sur ma chaise. À bouillir. Et les autres buvaient ses paroles. Fascinés. Hypnotisés. Il venait de leur offrir sa vérité sur un plateau télé.
Il avait déjà conquis cette classe de Seconde en une fraction de secondes. Sans mauvais jeu de mots, bien-sûr. Avec sa poésie toute pourrie.
J'avais la nausée. Je me serais glissé sous la table, pour me fondre dans les joints du carrelage, ou pris un avion pour partir loin d'ici. Aux Bahamas. Et ne jamais revenir.
Il avait un charisme, nul à chier, un pouvoir de manipulation qui me glaçait. Et je le détestais pour ça. Parce qu'il avait le talent de captiver les autres, en un claquement de doigts. Je me haïssais aussi, pour ne pas pouvoir m’empêcher de l’écouter.
— Lucas s’excite tous les matins en arrivant ! lança Jules, et les rires fusèrent.
— Ferme-la, imbécile ! répondit Lucas.
Jules, assis juste à côté, essayait d'attirait l'attention en lançant des blagues à tire-larigot. Il arrivait à me faire oublier, pour cette réalité cauchemardesque. Enfin… « oublier », c'était vite dit. Ses efforts, aussi sincères soient-ils, échouaient à dissiper la boule d’angoisse qui me comprimait la gorge, qui me prenait à chaque syllabe que mon père laissait échapper.
Là, devant nous, Michel se tenait, dans une posture de maître, figure dressée, sculptée dans l’assurance. Oui je ne savais plus comment l’appeler : Papa ou Michel ?
Parce que ce n’était pas lui. Pas cet homme-là. Pas celui qui nous avait quittés. Sans un regard. Sans un mot. Nous abandonnant à l’abîme, livrés à une absence sans fond. Je voyais un autre type. Un étranger planté là, dans notre décor, les pieds ancrés là où il n’avait rien à faire. Un intrus qui se faufilait dans ma vie et qui colonisait mes repères.
Il s’installait dans cette pièce, s’insinuait dans mon esprit, avec une autorité volée. Il n’avait aucun droit d’être ici. Et pourtant, il y était. Présence imposée. Image fabriquée. Masque posé.
Aucune force, ni aucun désir d'avoir pris cette option à la rentrée.
Si j'avais su, j'aurais pris maths renforcées.
— Bah quoi ? Tu bandes encore ? chuchota Jules, hilare, persuadé que seul Lucas capterait.
— Ta gueule ! répliqua Lucas en lui assénant un coup de règle sur l’épaule.
Jules continuait de multiplier les blagues, et chaque éclat de rire qu’il déclenchait en moi faisait naître un trouble. Il était un rayon de soleil. Pourtant, plus il illuminait le monde autour de lui, plus je m'isolais. Ce n'était pas sa faute, non, lui n'y était pour rien. Il vivait sans se soucier du poids des non-dits, sans regarder derrière lui, ni s'interroger sur les opinions de ceux qui l'entouraient.
Mais, dans mon ventre, tout se nouait, tout se crispait à chaque fou rire. Il était ce qui m'échappait, ce que je ne pouvais pas toucher, du moins, pas comme je le désirais. Ses actions parlaient pour lui. Calmes, assurées et sans hésitation. Moi, je me retrouvais paralysé. Écrasé par cette présence, sans défense, incapable de poser des limites. Il se mouvait sans jamais se questionner. Il avait ce regard qui ne fuyait jamais, qui traversait les gens, qui perçait les pensées, mais la sienne restait hors d'atteinte. C’était ça qui me déstabilisait. Son manque de gêne face à tout ce qui semblait me détruire de l’intérieur.
Son odeur m'envahissait chaque fois qu’il s’approchait. Je ne pouvais pas la nommer mais elle était juste là. Pourtant, il ne portait jamais de parfum, encore moins ceux remplis de clichés qu’on décrivait dans les fictions à l’eau de rose. Non, pas d’Yves Saint-Laurent, pas de Jean-Paul Gautier. Juste une odeur discrète, douce et capable de me renverser. Tout en lui me percutait. Me bouleversait. M’attirait. Je me sentais coincé dans un truc que je ne contrôlais pas. Incapable de détacher mon regard, j’essayai de fixer autre chose, de me raccrocher à un détail, et pourtant…
J’entendais les rires, mais tout ce qui résonnait, c’était la panique. Jules rendait tout plus facile, alors que moi, je me noyais. Je coulais dans mes interrogations, dans cette chose qui m’aspirait. Je refusais de la laisser remonter.
Pourquoi me fais-tu autant d'effet ?
Jules avait toujours fait partie de ma vie. Ancré dans mon quotidien, je n’avais jamais rien remis quoi que ce soit en question. Depuis l’enfance, il avait trouvé sa place. D’abord, des vêtements trop petits, des baskets trouées. Il vivait ensuite chez nous, avec une douleur inexprimable. Il était resté. Il avait continué à dormir près de moi, à partager ma chambre, mon lit… Lorsqu’il était arrivé, c’était pour combler cette solitude. Puis, c’était devenu une habitude. Il devint alors, à la fois nécessaire et inaccessible. Un besoin ambigu. Une tension sexuelle jamais résolue.
Collé à moi, nuit après nuit, silence après silence. Je connaissais la chaleur de son corps contre le mien. Son existence me donnait un sentiment que je n’avais pas choisi. Comme une marée qui m’asphyxiait. Parler de tout ça, de ce tiraillement, m’était impossible. Alors je ne faisais que le penser, même si c’était déjà assez compliqué.
La seule barrière qui existait mais incapable à franchir : ma sexualité et mes attirances. C'était trop complexe. Un territoire interdit, trop vaste et trop risqué. J’enfermais ce secret derrière une porte blindée, bien verrouillée, loin des regards et des réflexions. Je n'étais pas prêt pour affronter tout ça. Je venais tout juste de l’accepter envers moi-même. Et je priai juste pour qu’elle tienne, cette porte à chier. Jules, lui, vivait sans détour. Sa bisexualité était connue et acceptée par nos amis, intégrée par nos familles. Il ne s’expliquait pas. Il ne se cachait pas. Il ne se justifiait jamais.
Est-ce qu’ils savent ? Est-ce qu’ils devinent ce que je m’efforce d’enfouir ?
Je n’avais jamais eu de petite amie. Je n’avais jamais parlé d’amour à personne.
C’est donc évident, non ? Mais peut-être qu'Emma comprendrait. Peut-être que si je lui disais…
Pourtant l’idée même d’y mettre des mots me tétanisait.
Pourquoi ça semble si simple pour lui et si insurmontable pour moi ?
— Vous savez ce qu'on me dit tout le temps sur la philo ? Que c’est un truc de vieux, que ça sert à rien, qu’on ferait mieux de se concentrer sur des choses plus utiles, comme avoir un bon salaire ou dormir plus. Et pendant ce temps, plus personne ne sait écrire une phrase sans faute... ni même la dire correctement ou poser une division sans trembler. La philo n'est pas moins importante que le reste. Sans elle vous ne pensez plus. Et si vous ne pensez plus, si vous arrêtez de vous poser des questions, vous allez juste finir par être des zombies, à suivre tout ce qu’on vous dit sans même réfléchir.
Mon cerveau était en fusion lorsque la voix de mon père me ramena violemment à la réalité. Je sursautai. Le monde revint d’un coup. Les murs de la salle, les élèves autour, la lumière trop blanche… Tout ce qui semblait inimaginable, redevint d’un coup brutalement présent.
— Aujourd’hui, on nous balance des trucs pour « optimiser » tout. Notre temps, nos études, nos vies, comme si on était tous des machines. Mais est-ce que quelqu’un vous a déjà dit qu’il fallait « optimiser » vos doutes, vos interrogations ? Non. Parce que ça, ça dérange. Ça fout en l’air toutes les règles, tout ce qu’on nous a appris à croire. Un esprit qui se pose des questions, ça ne fait plaisir à personne. Mais sans ça, vous allez juste marcher dans le même sens que tout le monde. Et vous allez regretter d’être devenus des moutons.
Il ne s’arrêtait pas. Il parlait toujours, conscient de notre attention. Les phrases, qu’il nous jetait en pleine poire, avaient ce pouvoir particulier de nous toucher, de nous agiter. Michel continuait, insouciant de l’effet qu’il produisait, toujours aussi détendu. Pendant que chacun d’entre nous tentait de saisir le sens de ses paroles, d’en tirer quelque chose qui nous semblait à la fois évident et abstrait.
— Mais, franchement, vous êtes là pour ça, non ? Pour vous poser des questions. Pas juste pour répondre à des exercices ou à des tests. Tout le monde doute un jour. Mais ne vous contentez pas de ça. Ne laissez pas les jours s’enchaîner sans comprendre ce qui vous entoure. Vous avez plus de pouvoir que vous croyez, c'est moi qui vous le dis. Vous pouvez voir au-delà de ce qu’on vous montre.
Pourquoi a-t-il ce pouvoir sur nous ? Comment arrive-t-il à nous faire croire à des vérités qu'on a jamais réussi à exprimer ? Pourquoi réagit-on comme ça ? Qu'est-ce qui nous rend si sensibles ?
Je n'étais qu'un spectateur dans ce rôle qu'il maîtrisait. Un spectateur qui ne voulait pas lui accorder cette victoire, qui refusait d'accepter que son discours nous touchât à ce point. Et même si je refusais l’admettre, je savais qu’il ne nous laisserait pas indifférent. Du moins, pas pour longtemps.
La journée se termina, et comme d’habitude, nous traînions au parc. Notre petite parenthèse. Notre refuge lors des journées de cours. Si loin du bahut. Mais c’était ridicule : l'établissement était à deux pas, juste de l’autre côté d’un gros bloc de bâtiment et de deux rues à traverser. Pourtant d’ici, il semblait loin. Ici, pas de pression. Les arbres, les bancs pourris et les crottes de chien devaient nous suffir pour nous laisser respirer.
En hiver, le parc avait perdu toute sa couleur. Les arbres, nus, tendaient leurs branches sombres sous un ciel bas, et une brume fine qui glissait sur la ligne de désir. L’air frais s’accrochait à nos manteaux. Les bancs, sous une lumière pâle, semblaient nous attendre pour qu’on s’y laisse tomber.
Je regardai mes camarades. Certains étaient là, perdus dans leurs pensées, cachés derrière une fumée qui piquait les yeux. L’herbe passait de main en main. D’autres scannaient leurs téléphones, faisaient défiler des pages sans rien voir, ou fixaient l’horizon. La musique hurlait dans l’enceinte, saturée. Toujours le même refrain : pas de vraies discussions, pas d’éclats de rires, juste des ados coincés dans le froid, à tuer le temps en attendant le bus de chacun, en attendant que la journée finisse pour pouvoir recommencer le lendemain.
Emma et Lucas étaient dans un monde à part, un cocon rien qu'à eux, avec personne autour de ces deux amoureux. Leur complicité était évidente. Ils se comprenaient sans un mot. Emma, radieuse, semblait à l’abri de toute angoisse. Lucas, lui, avait ce sourire niais, un équilibre parfait avec elle.
Puis il y avait Jules. Lui, c’était une autre histoire. Il restait un mystère, une silhouette floue dans le décor. Avec Chloé, c’étaient des sourires en coin, des œillades appuyées, mais il ne laissait jamais échapper ses faiblesses, il ne montrait jamais ce qui le touchait vraiment. En fait Chloé, bien qu’elle soit une belle et grande brune déterminée, elle n’était qu’une distraction parmi d’autres, une conquête de plus pour passer le temps, dans cette danse du flirt. Elle restait à quelques mètres, et si elle tentait de se rapprocher, il se renfermait dans son monde, totalement indifférent. Elle était comme une pièce d’un puzzle qu’il n’avait jamais eu l’intention de finir.
— Ce prof de philo déchire, non ?
— Bien sûr, toi et tes profs parfaits… T’es incorrigible, petit intello, se marra Valentin.
Éloi était l’élève exemplaire, celui qu’on mettait toujours en avant, qu'on surnommait « le brillant ». Il était resté fasciné par le cours de mon père. Pour lui, Michel n’était pas seulement un enseignant, c’était un modèle, ou un héros. Ce qui faisait me demander ce qu’il trouvait d’aussi incroyable chez ce prof.
— Mais Éloi a raison, il a l’air sympa, ajouta Azélie.
Est-ce que je lâche tout maintenant ?
Michel et moi avions naturellement gardé nos distances. Nous n’avions rien laissé transparaître. Pas un mot, pas un regard, rien qui ne puisse nous relier. Rien qui ne dévoile notre lien familial, cette vérité cachée. C’était mieux ainsi, mais en même temps, ça me rongeait de l’intérieur. Cette situation me pesait. Je sentis Maxine me dévisager. Elle cherchait à percer la façade que j’avais construite. Ses yeux me scrutaient, elle attendait un faux-pas. Je pris donc une grande inspiration. Je me tournai vers le groupe, essayant de contrôler l’inquiétude qui montait.
— Le prof de philo… c’est mon père, balbutiai-je, une vérité difficile à prononcer mais qui aurait de toute façon fini par se savoir.
La non-réaction qui suivit était un peu bizarre. Quelques sourcils se haussèrent, certains sceptiques, d’autres surpris. Tout le monde semblait chercher quoi dire, mais personne ne savait comment réagir. Antoine éclata de rire.
— Ah, ça, c’est du Théo Bravelles !
Le son de cette moquerie me déchira. Elle m'enfonçait un peu plus dans une petite brûlure. Il n'y croyait pas deux minutes. Il ne prenait pas ça au sérieux. Son expression, pleine d'incrédulité, me montrait qu’il ne cherchait même pas à comprendre. Blessé, mon cœur martelait ma cage thoracique, mes poings se contractaient. Je restai coi.
Arrête de rire connard !
Je n’étais pas sûr de pouvoir supporter ça. Il n’avait pas le droit. Pas de cette façon. Pas sur ce sujet. Surtout que j’aurais préféré que ce ne soit pas le cas. Que ce ne soit pas mon père. Je voulais lui dire que ce n'était pas une blague. Mais ma voix restait coincée. Je me contentai alors de le fixer.
Ce n'est pas comme si j'avais quelques traits de ressemblance avec lui !
Je n'avais même pas remarqué Jules se lever en même temps. D’un mouvement sec, il saisit Antoine par le col d'une main ferme, sans ménagement. Antoine, qui était assis dans l'herbe, se retrouva debout, propulsé comme un pantin qu’on arrachait. Il fut surpris, les yeux écarquillés.
Chaque respiration semblait trop bruyante.
Jules tenait Antoine, prêt à le briser. Et lui se débattait, ses bras frappaient dans le vide, pour se libérer. Mais c’était trop tard. La violence de Jules le cloua sur place.
— Tu vas fermer ta grande gueule, oui ? hurla Jules.
Antoine s’agita, encore, avec de faibles bras.
— Mais c’est une blague… calme-toi… je vois pas pourquoi tu…
Ce n'était plus qu'un gamin qui avait merdé. Jules le maintenait, doigts crispés sur le tissu.
— La prochaine fois que tu te moques d’un de mes potes, je te pète les dents, t’as compris ?
Antoine stoppa tout et encaissa.
— Ok… ok, c'est bon, je n'ai rien dit… désolé…, murmura-t-il, presque inaudible, les lèvres frémissantes.
Le temps semblait s'étirer à l'infini. Jules se concentra sur cette chose dérisoire qu'il réduisait à un poids superflu. Je me précipitai vers eux, mes jambes acceptaient enfin de bouger, et saisis fermement l’épaule de Jules. Il tourna brusquement la tête, le visage durci par une colère froide. Sans un mot, il me scruta avant de détourner le regard. Peu à peu, sa tension sembla retomber. Il lança un dernier coup d'œil à Antoine, puis laissa échapper un profond soupir.
— Jules, on y va. Il en vaut pas la peine.
Il lança un dernier coup d'œil à Antoine, puis laissa échapper un profond soupir. Il recula. il avait sans doute compris qu’Antoine n’était qu’un être imbécile. Il lui tourna le dos, et nous nous éloignâmes, pas à pas, marchant côte à côté, sans ajouter quoique ce soit. Avec bruit de nos semelles sur le pavé.
— Tu n’aurais pas dû réagir comme ça, lui dis-je enfin. Il ne connaît même pas la relation avec mon père.
Antoine était ce genre de type qui traînait avec nous à la récré, parce qu’il était dans notre classe, sans être pour autant notre ami. Il se glissait dans nos discussions, parfois accepté, parfois gênant. Parfois, il savait se montrer supportable, mais à d'autres moments, il pouvait se transformer en un véritable tocard. Il n’hésitait pas à rabaisser ou à humilier les autres juste pour attirer l’attention. Il avait aussi ces périodes où il devenait celui qu’on pouvait tolérer, l’humoriste de service qui prenait tout à la légère, l’idiot sympa. C’était peut-être pour ça que Jules n’avait pas réagi tout de suite. Il réfléchissait. Il pesait le pour et le contre. Grâce au froncement de sourcils, j'avais estimé qu'il m'écoutait. Alors je continuais à avancer, me forçant à attendre que ses pensées se posent.
— Tu te rappelles comment est Antoine ? Il faisait partie des harceleurs de Aylan. Ça a toujours commencé comme ça… et regarde où on en est aujourd’hui, on a même plus de nouvelles de lui. Il est hors de question que tu subisses le même sort.
J’étais touché. Il avait eu ce réflexe protecteur qui ressortait dès qu’il voyait une injustice. Et en me souvenant du comportement de l'autre débile avec Aylan, qu'il s'était moqué de lui car il le trouvait chelou et « dégueulasse » selon ses critères de beauté. Je ne pouvais pas le blâmer.
Par exemple, si on n’avait pas de succès auprès des filles, il nous traitait de « tafiole » ou de « tarlouse ». Ou encore, quand Emma commença à sortir avec Lucas, il balança à tout le monde qu’elle le trompait avec moi. Heureusement pour Emma, Lucas ne le crut jamais. En y repensant, Lucas n’avait jamais montré la moindre jalousie vis-à-vis de ma relation avec sa meuf. Peut-être qu’au fond, lui aussi savait. Quant à Antoine, il n’avait jamais remis en question mon orientation. Non, pour lui, c’était toujours Emma l’infidèle, Emma la fille volage. Et quelque part, ça m’arrangeait. Ça me protégeait, même. Mais ça me rappelait aussi une chose : mes amis savaient. Ou pressentaient. Et tôt ou tard, il faudrait bien que je cesse de faire semblant.
Enfin bref, qu’est-ce qu’on gagne à se battre contre Antoine ? Rien. Rien du tout.
— C'est gentil de me défendre mais… tu n’as pas à régler ça. On va pas se battre à chaque fois qu’on croise un abruti, tu sais ?
Je n’obtins aucune réponse. Il avait compris, d’une manière ou d’une autre, mes sentiments. Je lui étais plus que reconnaissant d'avoir pris ma défense, néanmoins, je détestais par dessus tout, tout type de violence.
En nous approchant en scooter de la maison, massive et imposante, je ressentis une familiarité rassurante. Elle s’élevait au bout de l’impasse, entourée de vieux arbres, en périphérie de la ville, créant une sorte de cloison invisible autour de nous. Le portail en fer forgé s’ouvrit aussitôt le code entré, nous invitant à pénétrer dans un univers décalé. Le jardin était immense, mais si bien conçu que, parfois, nous oubliions sa grandeur. La piscine à débordement, bleu nuit, étincelait sous le ciel déclinant. Au fond, le jacuzzi en marbre noir, baigné de lumière tamisée, m’apparaissait tel un endroit où l’on pourrait s'évader. Et au centre de tout ça, il y avait, elle. Ma grand-mère. C'était chez elle avant tout.
Elle n’avait jamais vraiment eu besoin de briller, bien qu'elle ne passât jamais inaperçue. Elle était là, inépuisable, prête à revivre chaque rôle qu’elle avait joué dans sa vie. Elle n’avait jamais cessé d’être une actrice.
— Je dis pas que je suis la génie de ce pays. Mais les Oscars m’ont oubliée cette année !
C'était une évidence. Ma grand-mère, parlait avec un accent estrémègne, si caractéristique, un petit morceau d'Espagne qui refusait de la quitter. Je n'avais jamais voulu qu'elle soit quelqu’un d’autre. Parfois, je l'observais, un peu distrait, en me demandant comment elle pouvait se perdre dans des rêves aussi grands. Mais c’était sa manière de vivre. La folie qui hantait cette baraque. J’avais appris à ne pas chercher à comprendre. Mieux valait ne rien dire, hocher vaguement la tête, et monter, sans rien ajouter.
Jules avait déjà filé quelque part. Il faisait souvent ça. Je ne me posai même plus la question. Je montai les escaliers, trainant des pieds, lessivé. C’était le genre de journée où il fallait rapidement se coucher. Je me laissai tomber sur le lit, tout habillé, épuisé. Le clapotis léger de l’eau me fit tourner la tête. Jules était à la salle de bain. Quelques minutes plus tard, il réapparut, serviette sur les hanches, les cheveux encore humides. Il se dirigea vers son côté du lit et s’arrêta à mon niveau, posant brièvement une main sur mon bras.
— Théo… tu peux bouger ? J’arrive pas à me glisser sous les draps avec toi là.
Pour le moment, je vais de surprise en surprise, et ai vraiment hâte de voir la suite de cette œuvre.
Continue comme ça, ne lâche rien !
T'entends quoi par : « impression que je n'avais pas lors du premier chapitre » ? Qu'est-ce qui a changé ici ?
Merci de ton honnêteté, il n'y a que de cette façon qu'on peut progresser.