2.
Paul prit la place du mort quand ils remontèrent en voiture. Callinoé se surprit à respirer avec plaisir le parfum de chaleur, de plastique et de renfermé de l’habitacle, il avait la saveur d’une madeleine de Proust.
— C’est le plan de route ? s’enquit Paul.
Elle avait prit les feuilles abandonnées sur le siège avant de s’asseoir. Callinoé vérifia et confirma :
— On a préparé tout ça avec nos parents.
— Trop mignon de leur part.
— Un peu lourdingues mais sympas, nos vieux, commenta Roxanne en se penchant pour mettre sa tête à leur niveau.
— Tu veux bien m’orienter, Paul ?
— Okay, donne-moi une minute.
Cependant, leur amie paraissait étudier la liasse en elle-même plutôt que son contenu. Elle souriait étrangement.
— Ça va ? osa demander Roxanne avec un coup d’œil pour son frère.
Paul releva le visage et ramena ses longs cheveux sur son épaule en tournant la tête pour la regarder.
— Oui, pourquoi ?
— T’avais l’air bizarre.
Paul éclata de rire. Il sonna faux, mais Callinoé songea qu’il hallucinait : la jeune femme avait retrouvé ses yeux brillants et son grand sourire.
— J’ai eu une absence. Je pense que je vais me rendormir dès que j’aurais trouvé le chemin de l’autoroute.
— Je sens que je vais vite être bien seul, grimaça Callinoé.
Roxanne se pencha tant qu’il eut peur qu’elle bascule figure la première sur le boîtier de vitesse.
— Au moindre moment de fatigue, tu te gares, okay ?
— Je ne nous enverrai pas dans le fossé, jura-t-il en levant la paume, une main sur le coeur. Sauf si tu mets « My heart will go on » en guise d’ambiance sonore.
— Merde, lâcha-t-elle.
En fin de compte ce fut Roxanne qui s’endormit, ayant réussie à s’allonger sur la banquette arrière malgré sa ceinture. Son débardeur remonté laissait voir son nombril et le piercing qu’elle s’était fait faire l’année précédente.
C’était Callinoé qui l’avait accompagné, essayant durant tout le chemin de la dissuader de son idée : leurs parents avaient dit non, elle jouait avec le feu. Mais Roxanne étant Roxanne, elle avait répliqué qu’elle avait dix-huit ans et que, de toute façon, si Callinoé était réellement contre, il ne se serait pas dévoué pour venir avec elle. Son frère avait feint l’agacement, fourrant les mains dans les poches de son imperméable en marmonnant qu’elle était têtue comme une vieille mule décatie, ce qui avait fait rire sa sœur.
Ce qu’il ne lui avait pas dit, c’était qu’il admirait son culot.
Elle cacha bien son piercing jusqu’à l’été qui suivit où, oubliant totalement son secret, elle s’était présentée sur la plage en bikini. Leurs parents, interdits, avaient oscillé entre la colère et l’hébétude. Callinoé rentrait les épaules en solidarité avec sa sœur, quand Papy Del s’était exclamé :
— C’est le nouveau truc pour amener les mâles dans tes filets ?
— Papa ! avait répliqué leur père d’un ton offusqué.
Leur mère avait ri.
— À quoi tu penses ?
Callinoé sourit. Il sentait le regard de Paul, qui avait arrêté de dessiner sur son bras. Il avait remarqué qu’elle traçait sans attendre d’avoir bien effacé les anciennes marques, ajoutant une histoire aux précédentes, mélangeant de nouveaux traits avec leurs fantômes.
— À mon grand-père, avoua-t-il.
Le véritable but de leur voyage avait fini par sortir, la veille.
— Il avait l’air gentil.
— Il l’était.
Le silence menaça de s’apesantir et Callinoé lâcha :
— Et toi ? Tes grands-parents ?
Elle eut un geste méprisant.
— Je n’ai connu que mes grands-mères. La mère de ma mère avait Alzheimer, elle est décédée quand j’étais petite alors je m’en souviens peu. Celle de mon père était une vieille mégère qu’on allait plus voir par obligation que par amour. Elle est morte quand j’étais en… 4éme je crois, et passait son temps à me faire des reproches.
Callinoé se sentit extrêmement con. Roxanne aurait su quoi dire, comment réagir, s’excuser avec emphase et embrayer immédiatement sur autre chose. Lui se concentra davantage sur la route pour ne pas que son anxiété les envois sur le bas-côté. Une boule de malaise lui remontait dans la gorge. Mais qu’est-ce qui lui avait pris de demander ça ?
— Je… euh, désolé, baragouina-t-il la gorge sèche.
— Boarf, le sois pas ! Maintenant j’en rigole, franchement. Elle parlait du nez et remontait toujours sa lèvre supérieure pour exprimer son dégoût. Attends.
Et Paul partit dans une imitation ridicule de sa défunte grand-mère.
« Mais qu’est-ce que c’est que ces vêtements que tu portes ? Tu les as trouvé dans une poubelle ? Non mais c’est dommage parce que tu pourrais être bien si tu prenais la peine. Un wonderbra et des talons hauts et tu serais même pas mal. »
La fin se noya dans un éclat de rire qui rassura pleinement Callinoé. Elle ne mentait pas, c’était réellement devenu un sujet de blague. Ils se calmèrent quand Roxanne grogna dans son sommeil. Un sourire contrit pincé sur ses lèvres, Paul se tourna à moitié pour surveiller l’endormie.
Après quelques minutes, quand il fut évident qu’elle ne se réveillerait pas, elle se détendit.
— J’aurais aimé avoir une sœur comme Roxanne, souffla-t-elle soudain.
— Tu es fille unique ?
— Oui. Ces derniers temps ça me travaille un peu, j’aurais aimé un frère ou une sœur.
Callinoé lui coula un bref regard. Elle avait appuyé un coude à la fenêtre et regardait le paysage défiler d’un air absent.
— Pourquoi particulièrement ces derniers temps ?
Il s’écoula un long moment silence, à tel point qu’il se demanda si elle l’avait entendu.
— Regarde, dit-elle en pouffant, y a le gamin dans cette voiture qui nous fait des coucous.
Elle y répondit, ce qui fit marrer l’enfant qui tapa sur l’épaule de son voisin qui se tourna à son tour. Ils s’amusaient bien. Callinoé ne prit pas la peine de répéter sa question, certain que Paul avait délibérément changé de sujet.
C'était sympa de voir Calli mis en avant, se confier sur son grand-père et discuter avec Paul. Ces échanges d'anecdotes… Tu les gères tellement bien. On en redemande à chaque fois. J'avoue que j'avais presque oublié pour Papy Del. Ce chapitre, ça a été comme si on m'annonçait sa mort une deuxième fois. Aîe bobo à mon petit cœur…
Et puisque j'en redemande, je m'en vais lire la suite !
Je triche pour les anecdotes, j'en invente presque pas xD C'est plus facile tout de suite
Tes petits chapitres sont comme de petits bonbons, ils fondent tout seuls sous la langue. ^^
Ce sont de petits moments de plaisir avec les conversations, les silences aussi entre les personnages, les évocations du grand-père de l’un et de la grand-mère de l’autre. Paul prend de plus en plus de place, elle se dévoile plus fragile qu'au début et le trio fonctionne très bien. Bref, j’aime toujours autant !
Ca me plaît que mes chapitres soient des bonbons <3 C'est un compliment qui me fait bien plaisir ! J'espère qu'ils continueront à l'être
Callinoé est à nouveau plus timide. J'espérais qu'il se détendrait un brin, surtout après l'épisode du bar, mais il retourne à ses vieilles angoisses. Et c'est super crédible, parole de grande timide !
Bref, top.
Paul plonge bien vite dans ses pensées, en effet. Elle n'est pas si forte.
Merci <3
Excuse-moi pour l'absence de constructivité dans mes commentaires, c'est mignon et fin, les dialogues sont subtils, je vois rien a te faire remarquer !
Continue, c'est parfait ! je veux pas que ce voyage s'arrête !
Merci mille fois !