Partie 3 : Le calamar du restau-route

1.

Le réveil fut laborieux. Callinoé rêvait qu’il se faisait courser par Voldemort et, au moment où il trouvait une cachette dans un placard, sa baguette se mettait à faire de la musique. Il lui fallut plusieurs minutes pour réaliser que c’était le réveil de la personne qui partageait leur dortoir. Du lit au-dessus du sien lui parvint un grognement d’ours : Paul.

Ensuite ce fut un pas traînant qui l’arracha au sommeil, et le claquement de la porte. Il parvint à sombrer à nouveau quand Roxanne le secoua.

— Lève-toi, on n’aura pas de petit déj’ sinon.

C’était une bonne raison pour s’extraire du matelas (sur lequel il avait transpiré, un constat qui le fit grimacer).

— Je me douche et je vous rejoins, dit-il en se frottant le visage. Si Paul est levée… ?

— Oui, elle nous attend en bas. Je me suis lavée avant de te réveiller. Dis… Callie…

Il grommela un assentiment, essayant encore de décoller ses paupières, mais le silence de sa sœur lui indiqua que c’était relativement important. Il leva la tête pour l’interroger du regard. Roxanne portait une de ses tenues préférés pour voyager : short large à grosses fleurs rouges et un débardeur rapiécé sur le côté qui avait été blanc dans une vie antérieure.

— Roxxie, crache le morceau. Je pue et je colle, il me faut une douche d’urgence.

Elle sourit, ce qui le rassura : ce n’était rien de grave.

— J’aimerais bien qu’on continue de voyager avec Paul. Voilà.

Elle croisa les mains dans le dos, l’air vaguement intimidée. Elle savait que ce n’était pas une décision qui se prenait seule.

— Moi aussi je voudrais bien, répondit-il. On va la laisser trancher.

— Tu veux vraiment ?

— J’ai laissé croire que je ne l’appréciais pas ?

Il avait dit ça avec une pointe d’inquiétude. Avait-il été trop froid ? Trop distant ? En comparaison de Roxanne, c’était vrai qu’il faisait pâle figure. Il avait eu l’impression de ne pas rester en retrait, pourtant. Certes, il aimait écouter et observer, il se mettait la pression quand il s’agissait d’exprimer son attachement.

Comment dire à quel point on tenait à quelqu’un ? Où trouver l’éloquence nécessaire ? Quels mots mettre, quelles phrases tourner, pour exprimer un ressenti ?

Parfois, Callinoé aimerait qu’on puisse se brancher sur lui, via un port USB, pour qu’il transmette muettement les vibrations qui parcouraient son corps.

— Oh non, pas du tout, lança Roxanne sans sembler avoir remarqué son trouble. Mais c’est juste que je te propose un voyage à deux et on finit à trois… Je suis chiante, non ?

Il fut surpris de la sincérité de sa question.

— Ben non, pas du tout.

Ça parut lui suffire. Elle déclara qu’elle se chargeait de prévenir Paul, lui conseillait de se presser pour les retrouver au self de l’auberge de jeunesse, et quitta la chambre.

La douche fut salvatrice. Quand il en sortit, Callinoé se sentait à nouveau prêt à conduire. Peut-être pas cinq heures d’affilés, mais à conduire tout de même. Il repassa par leur chambre pour boucler son sac, qu’il n’aurait qu’à récupérer avant de s’en aller, et suivit les flèches jusqu’au self.

Celui-ci se trouvait en sous-sol, mais se révéla étonnamment chaleureux malgré les minuscules ouvertures qui ne laissaient passer que peu de lumière. Il n’y avait presque plus personne, aussi repéra-t-il facilement Paul et sa sœur, qu’il salua de loin en désignant le buffet. Ou ce qu’il en restait, du moins. Il se désola en constatant qu’il n’y avait plus que des miettes en guise de viennoiseries, et se rabattit sur le pain de mie, le beurre salé et la confiture. Il remplit son mug de café presque à ras-bord et en renversa une partie sur son plateau le temps d’arriver à sa table.

— C’est vrai ? attaqua Paul en guise de bonjour. Je peux rester avec vous jusqu’à destination ?

Ses cheveux lâchés lui tombaient jusqu’au milieu du dos et ce qui restait de sa coloration bleue ressortaient sur le blanc de son débardeur. Si ce n’était ses cernes, elle avait l’air d’avoir plutôt bien dormi.

— Si ça te convient, ça nous ferait plaisir, confirma Callinoé.

— Vous êtes adorables.

C’était dit avec une bouleversante pudeur. Elle souriait, les yeux perdus dans son thé, et leur apparut soudain très timide.

— Toi aussi, glissa Roxanne comme pour briser la gêne silencieuse. Encore plus que le crush de mon frère, je suis sûre !

— Je mets mon véto sur ce sujet de conversation, grogna Callinoé en devinant que le rouge lui montait aux joues.

Paul se mit à rire, non pour se moquer mais pour se libérer, sembla-t-il. Elle rit avec ce naturel qui avait tout de suite plu à Callinoé et auquel se joignit Roxanne, tout en s’excusant pour « cette pique facile et un peu lâche ».

— Faudra quand même m’en parler, souffla Paul en prenant son thé à deux mains. Je suis très intriguée.

— Bah, le voyage n’est pas terminé, philosopha Callinoé en réponse.