En fin d’après-midi, le Nautëa accosta dans le port de Skagen où l’attendait déjà une dizaine de bateaux termajis. Les règles du capitaine Meneham Horn étaient claires, il fallait ranger le voilier et installer les tentes et les attractions à leur emplacement habituel avant la nuit.
Chaca avait d’autres choses en tête que les corvées et il réfléchit à un moyen de les esquiver. Il prit au hasard un baluchon, sauta sur le port, et abandonna aussitôt son chargement. Vite, il se glissa dans la foule avant que son père ne puisse l’apercevoir. Il passa entre les pêcheurs qui nettoyaient leurs filets des algues et autres déchets qui s’y étaient coincés. Il hésita à partir à la recherche de Synwulf, mais décida que celui-ci n’en valait pas la peine. Alors son regard se porta au loin sur la digue, où le phare noir et blanc à damier de Skagen trônait fièrement. Il pourrait toujours aller là-bas guetter l’arrivée de sa cousine Youna. Elle ne devrait pas arriver avant plusieurs heures, d’autant plus que la mer était particulièrement démontée aujourd’hui, mais la perspective d’attendre lui paraissait plus séduisante que celle de monter des manèges.
Son chemin le mena à travers le marché. Même si les récoltes avaient été mauvaises, le marché du Solstice était toujours plein de surprises pour les ventres affamés. L’odeur de tourtes chaudes ouvrit l’appétit du jeune homme. Pourtant, malgré le délicieux fumet qui se rependait autour de son stand, le boulanger n’avait que peu de clients. Ici, aussi, l’argent se faisait rare. La part de tourte aux légumes était à cinq écus. Chaca fouillât méticuleusement dans chacune de ses poches sous le regard méfiant du vendeur. Il sourit en sentant du bout de ses doigts quelques pièces, mais malheureusement c’était loin d’être suffisant, constata-t-il en inspectant sa trouvaille. Il abandonna à regret le stand et poursuivit sa route.
La plupart des fruits et légumes semblaient déjà gâtés avant même d’être vendus. Chaca s’apprêtait à abandonner sa quête de nourriture, malgré les protestations de son ventre quand un étal rempli de belles oranges venues du lointain Yestel attira son attention. Il n’avait que deux clients, un couple richement vêtu accumulant les bijoux sertis de pierres multicolores.
Juste au bord du stand, une jeune femme sortie une main rapide de son châle et attrapa une orange, qu’elle cacha tout aussi prestement.
- Sale pied nu, tu crois que je ne t’ai pas vue, hurla le commerçant.
La scène se déroula ensuite de manière confuse, la termajie se mit à courir, poursuivie par l’apprenti du commerçant pendant que Chaca faisait discrètement les poches du riche client.
Il sortit une pièce de deux écus d’une petite bourse en cuir brun et la tendit au vendeur.
- Je paye pour son orange et pour la mienne.
Même si le maraicher ne faisait pas confiance aux termajis, un sou était un sou. Il consentit à prendre la pièce avec une grimace et lui donna un fruit.
Chaca profita de son trésor pour prendre une belle part de tourte et reprit sa route en direction de la digue.
Il croisa sur son chemin l’apprenti du commerçant. Son visage était aussi coloré que les oranges de son patron. Il était revenu bredouille de la chasse, pensa Chaca en souriant.
Il se demanda qui était la jolie voleuse. Il ne connaissait pas tous les termajis, mais quand même. Elle pouvait soit appartenir aux tribus du nord, soit aux tribus des îles d’Ys-La-Belle, parce qu’il connaissait tous les termajis du Terraque et du Yestel.
Tout à sa dégustation de tourte et à ses pensées, il ne remarqua pas l’ombre noire qui arrivait derrière lui. Une lourde main s’agrippa à son épaule et une voix qu’il reconnut tout de suite lui dit :
- Tu vas où comme ça ?
Avec un soupir, Chaca répondit :
- Je vais surveiller Youna, comme il semblerait que je sois le seul de la famille à m’intéresser à elle.
La main relâcha l’étreinte sur son épaule.
- Écoute, Chaca. Youna a plus de ressources que tu ne le penses. Elle n’a pas besoin de ton aide, ni de la mienne d’ailleurs. Quand elle arrivera tout à l’heure, nous serons tous là pour l’accueillir. Elle boira son premier grog, toussera comme toi tu l’as fait et grâce à cette expérience, elle aura acquis un courage et une force qui l’aideront toute sa vie. Allez, viens, il y a du travail à faire.
Le père et son fils passèrent l’après-midi avec les autres termajis à installer leurs chapiteaux et leurs attractions colorés à côté du marché. Entre deux coups de marteaux sur des piquets, le jeune homme chercha des yeux la jeune voleuse, mais le soir arrivait et il ne l’avait toujours pas revue.
Des cris sur le port lui rappelèrent sa première préoccupation de la journée, sa cousine Youna. Il se précipita en direction du bruit avec son père pour voir la jeune termajie émerger des flots. Sa peau habituellement dorée avait pris des reflets gris et ses longs cheveux noirs ressemblaient à des algues mortes. Elle tremblait et d’un coup, ses jambes se dérobèrent sous elle. Plusieurs termajis se précipitèrent sur la jetée pour la soutenir. Les gens criaient et riaient autour d’elle. Aujourd’hui une vraie termajie était née des flots de l’Ourgan.
Bleuzhenn Horn poussa tout le monde armée d’une couverture et d’une tasse fumante.
- Tiens, ma chérie. Bois, ça te fera du bien.
Avec reconnaissance la jeune femme but une gorgée de rhume chand, pour la recracher aussitôt en toussant, ce qui fit rire l’assemblée.
Youna reprit tout de même une gorgée de la potion qui semblait ramener la vie dans son corps, une brûlure après l’autre.
- Mon ambre, réclama Youna.
- Il te faudra attendre demain, lui rappela Bleuzhenn.
Deux hommes aidèrent la jeune femme à rejoindre le siège qui avait été préparé près du feu pour elle. Sa tante s’apprêta à lui servir une soupe, quand elle s’aperçut que la jeune termajie s’était endormie. Elle ajouta une couverture sur son corps fatigué et partie fêter l’évènement avec sa famille.
Un deuxième chapitre qui lève un peu le voile sur l'univers dans lequel nos protagonistes évoluent, sa structure sociale, son économie... j'ai trouvé ça chouette dans la mesure où ça permet de rendre plus crédible l'ensemble.
J'ai globalement bien aimé ce chapitre, mais j'ai trouvé que la tension que tu avais bien construit dans le premier tend à disparaître trop vite, je m'attendais à ce que tout le monde soit vaguement anxieux/impatient de voir Youna arriver. Après je comprends qu'il s'agit d'une tradition à laquelle la plupart des perso sont rodés, mais tu pourrais peut-être nous maintenir dans une certaine inquiétude (d'autant que la mer est démontée!) afin qu'on ait une meilleure continuité avec le chapitre 1... Après, je dis ça, mais le côté contraste peut fonctionner aussi!
J'ai beaucoup aimé la scène de l'orange et j'ai hâte de connaître l'identité de la voleuse... par contre petite question: si j'ai bien compris, les Termajis ne constituent qu'une fraction de la population, comment se distinguent-ils des autres? Et qui sont les riches clients avec leurs pierreries?
Concernant l'arrivée de Youna, j'ai envie de faire la même remarque qu'au début: ça va un peu trop vite, et on ne sent pas assez la tension se dénouer. Si on doit suivre Youna dans les chapitres à venir, il faut vraiment qu'on frémisse pour elle. Du coup peut-être étoffer un peu la fin du chapitre?
Voilà voilà, dis-moi ce que tu en penses.
PS: le capitaine s'appelle Meneham... Tu serais pas du nord finistère par hasard? :p