Chapitre 2.3 Les bandits de grand chemin

Ils arrivèrent à ce petit hameau. Ils passèrent un gros fourré humide de saule et de frênes. Cattleya et Isil reconnurent le coin qui était désolé. Alors que Cattleya se souvenait de la taverne, comme un lieu de vie en pleine reconstruction, elle aperçut les cendres et les tombes des anciens pêcheurs qui habitaient là et des voyageurs présents au moment de l’attaque. Elles se trouvaient sur le bord de la route. C’était devenu une ruine. Isil se rappela être passée par là fugitivement. C’était l’une de ses cachettes et un lieu de transition pour la frontière. Cela n’avait pas beaucoup bougé pour elle, c’était toujours aussi vide et abandonné. Isil se souvint avoir créé une fausse tombe près de celle des pêcheurs. Elle y avait enfermé de quoi changer d’identité. Après quelques années sans être revenue, elle espérait qu’elle y soit encore. La fosse avait un peu évolué, quelque chose comme un charognard avait dû s’occuper de la sépulture. Elle creusa et chercha. Quelques lattes avaient pourri, mais elle retrouva des vêtements utilisables. Cattleya s’interloqua en voyant Isil creuser les tombes. Elle se retenait d’exploser face à l’elfe et préféra se rendre dans l’ancienne taverne à la recherche de quelques rations. Elaron resta près de la carriole en n’étant toujours pas rassuré par cet orage. Il jetait un œil furtif derrière son épaule pour s’assurer qu’il ne s’était pas rapproché. Il repensait à son passé et cela le minait. La tristesse se lisait sur son visage et Ymir le nota. Elle n’osa pas le déranger.

Cattleya fouilla pour oublier, mais elle était tellement choquée par l’écart entre sa mémoire du lieu et la désolation. Malgré les nuages, quelques rayons dorés de soleil passèrent au-dessus des collines avant de disparaitre. C’était d’une certaine beauté, mais tout était mort et reconquis par la nature. Elle ne trouva rien. Énervée, elle retourna auprès d’Isil et voulut passer ses nerfs sur elle.

— Qu’est-ce que tu fais ? Mais pour qui te prends-tu ? Ces gens, tu ne les connaissais pas !

Isil s’arrêta en plein mouvement d’une manière calme et se tourna vers l’humaine.

— C’était une de mes cachettes, répliqua Isil paisiblement.

— Une cachette ? À côté d’une tombe ? C’est quoi ce respect ?

Ymir y voyait là une certaine ironie sur sa propre condition de nécromancienne et elle espérait ne pas être interpellée par la jeune femme. Elle recula d’un pas pour s’éloigner de la dispute.

— Je ne savais pas que tu connaissais les gens ici, précisa Isil. Te rappelles-tu que je travaillais avec Lucan pour sauver des vies ?

— Oui !

— Quand il sortait de la ville, nous devions changer leur identité, surtout s’ils n’avaient pas de quoi remplir leur valise ou…

— Ça justifie-t-il de l’effectuer à côté d’une tombe ?

— La meilleure manière de cacher quelque chose c’est de l’effectuer aux endroits auxquels nous n’aurions pas pensé.

Cattleya soupira. Elle savait qu’Isil avait raison, mais ne pouvait pas l’admettre et elle préféra partir un peu plus loin. Dola revenait après avoir abreuvé les chevaux près de l’étang.

— Hey ! Pour la dispute, j’ai la solution ! répliqua-t-elle en sortant quelque chose de l’une de ses caisses. L’Hydromel !!!

Alors qu’Elaron était en train d’essayer de faire des recherches dans de vieilles boites d’un bâtiment abandonné, Ymir scruta tout. Elle trouva sous le parquet pourri d’un des édifices près de la source d’eau, une sorte de passage. Elle comprit que c’était un sous-sol, mais que cela avait dû être comblé par les débris au fil des années par de la boue et des feuilles mortes. Seulement, quelque chose avait creusé un passage et l’avait maintenu. Elle constata à l’intérieur que cela descendait et continuait pendant facilement quatre ou cinq mètres, comme un genre de couloir qui était complément remblayé.

— Cela vous parle, un corridor abandonné ! survint Ymir attirant l’attention.

Cela parlait à Isil, mais pour elle ce passage était effondré. Cattleya ne désirait plus les voir. Elle ne répondit rien et s’enfuit près de l’étang.

— J’ai trouvé un tunnel ! continua Ymir.

Isil se dirigea vers Ymir tout comme Elaron. Dola, les voyant plus intrigués par ce couloir que par elle, intervint attristée.

— Vous ne voulez pas, on boit un coup avant ?!

— C’est gentil Dola, mais là, nous n’avons pas le temps ! répliqua Elaron en poursuivant sa route.

Isil se rapprocha, mais eut un vertige soudain et se sentit mal. Elle était fatiguée et elle le sentait. Mais elle ne souhaitait pas renoncer et reprit sa route pour rejoindre les autres.

— Tu veux qu’on aille à l’intérieur ? demanda Ymir à Elaron qui était le plus proche.

— Je peux faire de la lumière avec un trait de feu, répondit le demi-elfe.

— Vaut mieux condamner l’accès maintenant, proposa Isil. On va boire un verre, on se repose un peu et l’on va voir après.

— Nous pourrions trouver des rations pour ce soir, énonça Elaron.

— Normalement, ce passage a été détruit ! précisa Isil.

— Où menait-il ? demanda Ymir.

— C’était une sorte de cave où les pêcheurs accumulaient des vivres pour durer l’hiver et de bonnes bouteilles de vin pour les invités. Mais ça s’est effondré à cause de l’attaque des orcs.

— Bah ! allons-y ! suggéra Ymir. Attends, il y a du bon vin !

Ils décidèrent de rentrer juste au début de ce tunnel et de voir à l’intérieur. Ils aperçurent comme une voute d’entrée de salle. Mais il ne remarquait rien au-delà, c’était trop sombre. Ymir utilisa l’un de ses sens aiguisés. Elle sentit pendant une demi-seconde à la limite de sa perception, comme une odeur familière de poussière dans une salle calme. C’était une sensation de mort-vivant. Mais dès qu’elle flaira cette trace, cela s’échappa aussitôt. Ymir s’inquiéta et donna la consigne de s’éloigner.

— Ça pue quand même. Quelque chose d’étrange se trouve à l’intérieur, quelque chose de mort-vivant. Est-ce qu’on dort ici ? demanda Ymir.

Une odeur rance sortait du tunnel, mais ils n’arrivaient pas à déterminer laquelle.

— Je ne le sens pas ! continua Ymir oppressée.

— Ce n’est pas grave, nous allons mettre des pièges, reprit Isil.

— Je ne le sens quand même pas ! Les morts-vivants, tu ne les attrapes pas avec des pièges, précisa Ymir.

— Oui, mais ça peut faire du bruit ! Nous pourrons les entendre arriver, reprit Isil.

Cattleya s’était mise à fouiller dans d’autres maisons abandonnées près du lac. Mais elle ne trouvait rien d’intéressant. Elle regardait les murs et fut envahie par l’émotion de la nostalgie. Elle s’arrêta un instant et repensait aux pêcheurs.

— Trouve-t-on une légende dans la région ou une menace qui plane dans le coin ? demanda Ymir à l’attention d’Isil.

L’elfe lui fit un hochement de tête négatif.

— Donc, pas de monstre dans l’étang, rit nerveusement Elaron.

— Je n’ai rien vu pendant la guerre. Lorsque j’amenais les gens à sauver, nous n’avons rien subi.

— Personne n’est mort dans ce tunnel ? demanda Ymir. Pourquoi s’est-il effondré ?

— Les orcs avaient mis le feu à la bâtisse pour massacrer, manger, tuer, violer ou réduire en esclavage toute personne. Mais personne n’était dans le souterrain quand il s’est effondré.

— Je me sens mal à l’aise dans cette maison, ajouta Ymir. Je trouve que ça pue.

— Nous pourrions aller manger, reprit nerveusement Elaron.

Ils s’éloignèrent et rejoignirent Cattleya et Dola. Cette dernière, un peu paniquée par la conversation de ses compagnons, tremblait.

— Cela vous dit, on évite les problèmes, on s’ouvre une bouteille et l’on fait un jeu ?

— Dola, nous avons des morts-vivants dans ce tunnel ! rajouta Ymir qui figea de peur Dola sur le champ.

— Je te propose quelque chose, Dola, intervint Cattleya en revenant de sa ballade. Nous prenons tes sacs de farine, nous bouchons l’entrée et nous buvons une bouteille d’hydromel !

— Non, soutint Isil. C’est précieux !

— Et jamais je ne mangerais de la farine qui a trempé dans du mort-vivant, reprit Dola écœurée.

Le soleil venait de se coucher. Soudain, Isil remarqua quelque chose. Elle se souvint des marques de dents sur la jambe retrouvée plus tôt dans la journée. S’ajouta à cela l’odeur rance, plus le lieu abandonné. Cela lui fit penser aux goules qui passaient parfois à côté des charniers ou des champs de bataille pendant la guerre.

— Oh non, les saletés de goules ! souffla Isil.

Ces créatures étaient étranges et personne ne savait vraiment d’où elles venaient. Certains racontaient que lorsque l’on mourait mordu par une goule, il y avait des chances que l’on en devienne une. C’était des êtres à forme humanoïde, mais qui étaient des morts-vivants connus pour être nécrophages et se jeter sur des lieux de morts. Elles pouvaient se rabattre sur de la chair fraiche, quand les vivres manquaient. La troupe commençait à douter. Certains voulaient partir, mais la peur des bandits les fit rester. L’annonce de l’orage les obligeait à s’abriter.

— Très bien ! Nous n’avons qu’à y entrer et les anéantir toutes ! indiqua Cattleya.

— Les goules ne possèdent pas de point faible. Inutile de les empoisonner, elles sont mortes, et l’attaque d’une goule peut paralyser sa cible, raconta Isil. Es-tu sûr de vouloir entrer dans un lieu sombre ?

— Qui serait plus à même de tuer l’une de ces créatures parmi nous quatre ? demanda Cattleya.

— Personne, répondit de manière défaitiste Isil.

— Nous devons partir ! proposa Ymir.

— Nous ne pouvons pas partir avec l’orage, indiqua Elaron en étant terrifié.

Soudain, la pluie commençait à tomber et les éclairs se rapprochaient. Le cœur du demi-elfe se serra une fois de plus.

— Nous pourrions boucher l’entrée, proposa Cattleya de nouveau.

— Et faire des rondes comme la nuit précédente ? termina Elaron.

— Nous pouvons nous protéger dans le bâtiment le plus éloigné, précisa Cattleya.

Dola approuva le choix de Cattleya.

— Et vous pouvez faire le truc qui explose les ours dessus quand ils sortent, s’il vous plait.

— Je suis là, Dola, indiqua Elaron avec fierté.

Isil décida alors d’installer un système d’alarme avant que le trou ne soit obstrué. Elle trouva quelques petites babioles. Une sorte de corde et elle tenta de l’accrocher à des pierres et des planches de bois dans le passage pour un piège. Le plus important était l’installation d’une clochette pouvant bouger au moindre mouvement sur le passage. Les autres parvinrent à mettre des pierres face au trou pour le boucher.

Dola avait monté le camp avec les chevaux, dans un des plus grands bâtiments en ruine avec Cattleya. Dans celui-ci, il restait le plancher d’un étage supérieur et ils pouvaient faire un feu de camp à l’abri de la pluie. La maison possédait encore trois murs intacts et le quatrième défoncé.

Ils s’installèrent paisiblement. Le groupe ordonna à Isil de dormir la première pour qu’elle se repose davantage, car chacun avait vu sa fatigue. Mais avant ça, ils se retournèrent vers Dola pour lui demander sa bouteille d’hydromel. La halfeline avait espéré que l’ambiance serait festive, mais elle était terrifiée par la conversation centrée sur les goules. Elle alla se pelotonner dans un coin avec son arbalète et un couteau en gardant les yeux ouverts.

— Je propose que nous partions dès les premières lueurs du jour, trembla Ymir.

— Et si l’orage s’est terminé, acheva Cattleya.

— Oui, mais je préfère être sous l’orage plutôt que d’affronter des goules, reprit Ymir.

La tieffeline alla saisir la bouteille de Dola et la proposa au groupe. Isil déclina l’initiative, elle préférait avoir l’esprit clair, au cas où. Cattleya refusa également, préférant rester sobre pour sa première ronde. Elaron en profita et Ymir aussi. Mais la nécromancienne était dégoutée par le gout affreux de cet hydromel. Elle aurait apprécié un vin d’épice. L’elfe décida d’aller se coucher, tendue en tenant ses dagues à proximité. À partir de cet instant, ils prirent un petit moment pour discuter, mais la fatigue les gagna. Cattleya prit le premier tour de garde. Ymir s’occupa du second, Elaron le troisième et Isil le quatrième.

Cela devait être l’aurore, mais le ciel était toujours voilé. Alors qu’Isil regardait le ciel qui peinait à s’éclaircir, le bruit d’une clochette retentissait au loin.

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