Z Y A N
Je toque à la porte en bois et attends un bref instant, avant qu’une servante vienne m’ouvrir.
— Vous en êtes où ?
— Nous avons fini. Elle vient de s’habiller.
— Quel a été son comportement ?
— Calme, silencieuse, perdue dans ses pensées.
Je hoche la tête. La deuxième servante arrive et elles passent devant moi en s’inclinant poliment.
Je ferme derrière moi, puis regarde Alégria. Elle est si près du feu de cheminée qu’elle va finir par s’y brûler. Je m’approche, tire une chaise et m’assieds à côté d’elle.
— Elles ont été correctes avec vous ?
Elle acquiesce.
— Je vous demande des réponses limpides.
Elle s’enfonce dans son siège et me confirme par un « oui » plus clair.
— Et merci.
Surpris, je l’observe en penchant la tête sur le côté.
— Enak…
— Seigneur Batz, la coupé-je.
— Pardon, seigneur Batz. Il est vraiment… je le comprends, c’est normal, mais… je…
Elle pince les lèvres et se frotte les yeux. Je me rends compte qu’ils sont rougis, sûrement suite à de nombreuses larmes. J’imagine que découvrir que son père est un assassin ne doit pas être commode.
Je dois la jouer finement pour obtenir des réponses. Enak a endossé le rôle du méchant – malheureusement, sans le vouloir – donc c’est à moi de devenir le gentil, même si ce n’est pas ma fonction préférée. Elle sait forcément où se dissimule son père. Il n'a pas pu commettre cet acte sans la prévenir pour qu'elle puisse s'enfuir. Logiquement, il aurait dû la cacher avant de passer à l'action. Ce qui indique que ce n’était pas prémédité. Mais quel parent sain d'esprit abandonnerait son enfant ?
Les miens.
Je me racle la gorge et tire mes cheveux en arrière. Ce n’est pas le moment d’y penser.
— Quand votre père a-t-il quitté votre domicile ?
Elle fixe le feu. Je patiente impatiemment.
— Il y a deux jours.
— Pour aller où ?
— À Brag.
— Pourquoi ?
— Vendre deux chevaux.
— Il devait revenir quand ?
— Il ne m’a pas dit.
Un soupire m’échappe.
— Il laisse sa fille mineure, seule et sans défense, sans lui dire quand il revient, remarqué-je en le jugeant clairement.
— Non !
Elle se lève et je me tends, prêt à l’empêcher de quitter la pièce, mais me rétracte en la voyant rester immobile. Elle se tient proche de la fenêtre, les bras croisés contre son corps.
— Je ne suis pas seule. Vous l’avez vous-même constaté, avant de saccager ma maison.
Touché.
— C’est une procédure normale quand on recherche un tueur en fuite.
Elle tressaille et ferme les paupières, avant de revenir vers la cheminée. Les flammes se reflètent sur son visage opalin et accentuent l’ombre de la cicatrice sur sa joue gauche. Elle me regarde brièvement, puis me tourne le dos. Ne pas me considérer quand je parle est quelque chose qui m’agace fortement.
— Où est-il ?
— Je ne sais pas, murmure-t-elle.
— Où est-il ? répété-je.
— Je ne sais pas.
— Où est ton père ? insisté-je en élevant la voix.
Elle se retourne vivement et plante son regard vert dans le mien.
— Je ne sais pas ! assène-t-elle.
Nous nous observons. Je me lève lentement, jusqu’à la dépasser d’une tête. Elle recule et fixe le sol.
Je regrette d’en arriver à cette conclusion, mais elle dit la vérité, c’est clair comme de l’eau de roche. Elle ne sait rien. Nous sommes interrompus par la porte qui s’ouvre dans mon dos.
— Alors, où est-il ? questionne Enak.
Je me retourne, avance jusqu’à lui et l’invite à me suivre hors de la pièce. La porte fermée, je lui explique l’entrevue et le résultat décevant.
— Je suis certain qu’elle en sait bien plus ! s’énerve-t-il.
— Non, je te l’assure.
Un juron lui échappe. Son poing rencontre le mur et il grimace.
— Nous le trouverons. J’ai envoyé des patrouilles dans chaque auberge et dans les différents districts.
C’est faux.
J’ai conscience que les chances de le trouver sont faibles, même si on décide de fouiller chaque maison d’Hélvessia.
— Quels sont tes ordres la concernant ? demandé-je dès qu’il paraît plus calme.
— Ramène-la.
— Un soldat peut le faire, grogné-je.
— Mais je n’ai pas confiance en un soldat comme en toi. Son père pourrait l’y attendre et tu sauras réagir rapidement. Ça m’étonnerait qu’il l’ait abandonnée, il va forcément vouloir la récupérer. Mets en place une surveillance autour de la maison.
— Oui. En effet, admets-je. Comment va Éline ?
— Très mal, mais elle est plus forte qu’elle ne le croit. Elle y arrivera.
— J’en suis sûr, confirmé-je en posant une main sur son épaule. Et toi aussi.
Il sourit tristement, puis me laisse. Il me manque également, mais je n’ose imaginer leur peine.
Je retourne à l’intérieur et informe Alégria que je la ramène chez elle. Elle se lève et vient directement vers moi. Je fronce les sourcils.
— Où sont tes vêtements humides ?
Elle hausse les épaules et s’apprête à passer devant moi, mais je lui bloque le passage de mon bras.
— Une vraie réponse.
— Dans le feu, chuchote-t-elle.
Je la laisse y aller, puis la suis. J’en connais deux qui vont m’entendre, j’ai pourtant été clair.
Nous descendons aux écuries. Sur le passage, j’ordonne à quatre soldats de venir avec moi.
Elle patiente pendant que je selle mon cheval, mais je la vois frissonner. Je saisis une couverture et la lui tends. Elle me remercie en s’enveloppant dedans. Une fois ma monture harnachée, je sors et monte dessus.
— Grimpe derrière moi.
Je lui tends mon bras. Elle s’y accroche et je la tire sur la croupe. Nous prenons la route en silence, suivi de mes hommes. Elle ne me touche pas et j’en suis surpris. Son assiette est excellente, elle reste bien en équilibre, même au trot. Ce n’est pas étonnant, vu le métier de son père, elle doit être bonne cavalière.
Je m’égare, qu’est-ce que ça peut me faire, après tout.
En arrivant dans la cour, elle descend à peine mon cheval arrêté et je la préviens que des biens ont été saisis en dédommagement. Ses épaules s’affaissent. Je descends à mon tour et demande aux hommes de fouiller la maison et l’écurie.
— Pourquoi encore ? me demande Alégria sur un ton de reproche.
— Si ton père est là, je n’aimerais pas le manquer.
Elle baisse la tête et part à la suite de deux soldats dans l’écurie. J’accompagne les autres dans la maison en espérant tomber sur Gildric.
⚔️ 𝐎 𝐊 𝐓 𝐎 𝐃 𝐔 𝐑 ⚔️
Je rejoins le précédent commentaire sur "Je patiente impatiemment". C'est redondant. Peut-être est-ce voulu, mais ça casse le rythme.
Sinon, chapitre très intéressant. Il est bref, c'est plaisant à lire. L'immersion dans un autre point de vue donne une nouvelle dimension à l'histoire ! On a un début de mystère à éclaircir avec les parents du narrateur, mais peut-être est-ce trop flagrant dans un deuxième chapitre ?
Hâte de connaître la suite !
J'espère que tu aimeras :)
"Son assiette est excellente". Son assiette ?
Super chapitre, c'est intéressant d'avoir un autre PDV. Alégria est vraiment triste, elle me fait mal au cœur. Quant à Zyan, il m'intrigue déjà beaucoup ! J'ai hâte de lire la suite !
L'assiette est la manière dont le cavalier gère sa stabilité en selle, ou à cru.
Merci pour ton retour *_* je suis trop contente que tu aimes !
De rien ! J'aime vraiment beaucoup !