Chapitre 3

Par Naou

A L É G R I A

Je me précipite dans l'écurie, mais les soldats veulent y entrer en premier. Je patiente un instant, puis m'y engouffre. Je pince les lèvres en voyant que ma jument n'est pas. Je déglutis et renferme la panique qui tente de me posséder. Je compte les chevaux qui restent et déduis qu'ils ont en saisi cinq sur les vingt. C'est déjà un manque à gagner immense et deux étaient portantes. Je les contrôle tous, avant d'aller dans la maison.

La porte est ouverte. À l'intérieur, le commandant descend de l'étage, tandis qu'un soldat se tient dans le séjour. J'observe les dégâts, le cœur serré. La plupart de nos meubles sont renversés et cassés. La cuisine semble sens dessus dessous. Tout a été vidé et gît au sol. Les coussins de notre canapé, devant la cheminée, sont éventrés. Hésitante, je monte dans ma chambre. Le même spectacle désolant s'offre à moi et une larme s'échappe sur ma joue. Je ne me sens plus à l'aise dans ma propre maison, comme si j'avais été moi-même fouillée et dépouillée de tous mes biens.

Je descends à l'extérieur. Le commandant discute avec ses hommes. Je lui demande s'ils peuvent me laisser seule. Sa réponse est positive, bien que des soldats vont rester postés autour du domaine. Je hausse les épaules et me réfugie à l'intérieur en claquant la porte, puis glisse contre le bois. Des sanglots m'envahissent. Je me sens si seule. J'ai toujours pu compter sur Papa et voilà qu'il n'est plus là pour me guider. Il m'a abandonnée.

Des frissons me parcourent. J'allume rapidement un feu, pose les coussins de ma chambre devant et m'y installe, enroulée dans une couverture. Je me sens vide. Que suis-je censée faire ? Qu'est-ce qu'il veut que je fasse, bon sang ?

Je prends un morceau de pain dans la cuisine. Assise à ma place, je le grignote sans appétit. La nuit tombe vite et je réalise que je dois aller nourrir les chevaux. Je m'habille chaudement avant d'aller accomplir ma tâche.

Je pénètre dans l'écurie. Les têtes se tournent dans ma direction. Les oreilles pivotent, ils sont attentifs. Enfin, ils connaissent surtout la raison de ma présence. Je distribue les rations de foin, puis laisse mes doigts se perdre dans leurs crinières. Je me sens déjà mieux. Leur odeur me réconforte, c'est familier. Un long soupir m'échappe.

On dit que la nuit porte conseil.

* * *

À mon réveil, mes pensées sont loin d'être éclairées. J'enfile mon peignoir, mes pantoufles et descends à la cuisine. Je ravive le feu, puis me sers un verre d'eau et m'approche de la fenêtre. Au loin, j'aperçois les soldats. Je secoue la tête. Cette intrusion sur nos terres me met mal à l'aise. Je finis par ne rien pouvoir avaler et monte m'habiller, puis me rends aux écuries.

Comme hier, je leur donne à manger, puis les contrôle.

— Alégria.

Je sursaute, laisse échapper un petit cri et lâche ma brosse.

— Bon sang, Briam ! maugréé-je en me retournant.

— Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire peur.

— Ce n'est pas grave, réponds-je en ramassant la brosse.

— Je suis désolée pour vous...votre père... Comment vous sentez-vous ?

— Ça va. Je... je gère, je crois.

Il hoche la tête. Je quitte l'écurie, mais suis surprise de ne pas trouver sa femme. Par contre, le deuxième employé est là et me dévisage.

— Où est Mathie ? m'inquiété-je.

— Elle n'ose pas revenir. Je vous en prie, ne lui en tenez pas rigueur.

Déçue, j'acquiesce, puis me dirige vers l'employé. Bien sûr que je ne lui en veux pas, je l'apprécie trop pour cela.

— Tu vas continuer à nous payer ? attaque Daven avec arrogance.

— Déjà, tu me vouvoies. Le respect n'est pas parti avec mon père. Ensuite, bien sûr que je vais vous payer !

Enfin, je vais essayer de faire au mieux.

— Je veux une augmentation.

Quelle Brotatzauge.*

Malheureusement, je ne peux pas m'occuper de tout seule et vu la situation, aucun homme n'acceptera de travailler pour moi. Briam lui lance un regard réprimandeur.

— Très adulte de profiter d'elle.

— Chacun ses problèmes !

— OK. Ne commencez pas.

Ils ne se sont jamais entendus et ça ne risque pas d'arriver.

— Faites vos tâches quotidiennes et rentrez chez vous. Briam, ne t'occupe pas de la maison, je m'en chargerai.

Ce dernier me sourit, me salut poliment et va dans la grange, tandis que Daven tourne le dos pour partir de son côté.

Sac à foin.*

Déterminée, je retourne dans l'écurie, sors deux chevaux, ainsi qu'un troisième à qui je passe une bride. Je monte sur ce dernier en m'aidant d'un muret, puis prends les deux autres en dextres.

Pourvu qu'ils ne fassent pas les idiots.

J'entre dans Oktodur, l'angoisse m'enserre la poitrine. De nombreux habitants me scrutent. Leurs regards me transmettent leur amertume et colère, mais aussi de la tristesse. Je fixe mon attention sur la crinière de ma monture jusqu'à pénétrer dans la cour du château. C'est au tour des soldats à l'entraînement de me juger. Une boule se forme dans ma gorge. Je veux à tout prix récupérer Cassis. Ce n'est qu'un animal, mais c'est la seule chose à laquelle je tienne.

J'avance jusqu'à l'entrée de l'écurie royale où je descends. Deux gardent en sortent et leur méfiance est limpide.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Je me racle la gorge, mal à l'aise.

— Vous... vous avez saisi des chevaux chez moi, hier. Et vous avez pris ma jument. J'aimerais la récupérer en échange de ces trois chevaux. Ils ont trois ans et sont débourrés.

Les soldats avancent et font le tour des chevaux, avant de revenir devant moi.

— OK, donne.

À contrecœur, je tends les trois cordes. Ils les prennent et disparaissent dans l'écurie, tandis que je reste plantée droite comme un « i ». Je sens les regards de la garde me brûler la nuque. Les soldats réapparaissent, des sourires perfides assombrissent leurs visages. Je fronce les sourcils.

— Elle n'est pas là.

Menteur.

— Alors, rendez-moi les chevaux.

— Quels chevaux ? demande le deuxième.

Ma respiration s'accélère. Je viens de me faire arnaquer comme une enfant.

— Rendez-les-moi.

Ma voix n'est clairement pas autoritaire. Ils se mettent à rire.

— Rendez-les-moi ! insisté-je en serrant les poings.

L'homme se penche pour être à ma hauteur. Je veux reculer, mais il me bloque en agrippant mes bras.

— Sinon quoi ?

Garder le contrôle.

Je me dégage et m'enfuis en courant.

— Aussi lâche que son père ! entends-je dans mon dos.

Une larme coule sur ma joue, je l'efface rageusement. Je me cache dans la forêt sous le château où je piétine et casse toutes les branches que je trouve au sol, avant de m'asseoir. Mes joues sont inondées.

Mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Une fois la nuit tombée, je m'introduis discrètement dans l'écurie. Des torches éclairent l'allée principale. J'en saisis une, puis observe chaque cheval. Cassis n'est pas là. Je vérifie une deuxième fois pour être sûre et arrive au même résultat.

Mince.

Je me mords le poing. Mais où est-elle ? Je reviens sur mes pas. Je n'ai scruté que les balzanes pour repérer la mienne. Je remarque que plusieurs d'entre eux sont blessés, mal ferrés et ont des marques de fouets au sang sur les cuisses. L'idée qui germe dans mon esprit est très mauvaise, mais je ne peux pas y résister. Une petite vengeance me fera du bien... Ces chevaux ne méritent pas un tel traitement. J'attache les miens dans un box dont je ferme la porte. Ensuite, j'enlève les licols des autres, puis les force à reculer hors de leur stalle. J'ouvre la porte de l'écurie et les chasse en souriant.

Dès qu'ils sont tous dehors, je prends les miens, monte sur un et les fais sortir au trot de l'écurie. La direction ne va pas être facile au licol, mais tant pis. Si tout va bien, ils vont prendre le bon chemin pour rentrer.

À l'extérieur, je déchante. Des soldats essayent de rattraper les chevaux et je suis rapidement repérée, éclairée par la pleine lune.

— Halt ! hurlent-ils.

Je lâche les cordes et ordonne à ma monture de galoper. J'ai conscience que je vais tomber dans la descente, mais je pourrais me cacher dans la ville.

Soudain, je vois un poignard voler dans ma direction. Je me penche pour l'éviter et perds l'équilibre.

Non... non, pas ça...

Les pavés accueillent mon corps. La souffrance m'envahit. Ma tête n'y échappe pas. Ma vue se brouille. Je suis aveuglée par une douleur vive.

Je retrouve mes esprits à plat ventre. Mes mains sont attachées dans mon dos. Ce métal... je le sens... c'est de l'étain.

L'étain éteint les pouvoirs.

— Tu vas regretter de t'en être pris à des Vélenkiens !

Mes yeux s'agrandissent et je réalise l'ampleur de mon geste quand ils me mettent sur mes pieds. Je n'ai pas libéré des chevaux appartenant au district d'Oktodur, mais ceux du district de Vélenk en visite...

Nom de Xyda !

⚔️

Brotatzauge : Patois valaisan, méchante chose.

Sac à foin : Patois valaisan, abruti notoire et particulièrement agaçant.

⚔️ 𝐎 𝐊 𝐓 𝐎 𝐃 𝐔 𝐑 ⚔️

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Revelo
Posté le 25/08/2020
Encore un chapitre très prenant ! Alegria a vraiment un caractère de battante, et j'aime ça ! L'histoire sur ses pouvoirs reste mystérieuse, et cela m'intrigue ! J'ai hâte qu'elle s'en serve pour en voir l'étendue !
ElyMaze
Posté le 14/08/2020
Encore un chapitre très prenant ! Alegria a vraiment un caractère de battante, et j'aime ça ! L'histoire sur ses pouvoirs reste mystérieuse, et cela m'intrigue ! J'ai hâte qu'elle s'en serve pour en voir l'étendue !
Sinon, je rejoins Enahis, surtout pour les passages où tu décris ce qu'elle fait dans sa maison. On a l'impression que tu ne fais que citer chaque chose, et du coup je me suis sentie plus spectatrice qu'actrice de la scène. Je ne sais pas si je suis claire dans ce que j'explique 😆. Tu pourrais gagner en fluidité en modifiant légèrement cela.
Mais mon avis sur ce chapitre reste très positif ! J'adore !
Naou
Posté le 15/08/2020
Merci beaucoup 😍
C'est noté pour la réécriture 😊
Naou
Posté le 15/08/2020
Bisous
ElyMaze
Posté le 16/08/2020
De rien ! Bisous à toi ;)
enahis.hayl
Posté le 14/08/2020
Et bien quel chapitre :)
(Oui je te lis ici du coup lol )
J'aime déjà le caractère de la petite dame et je trouve sympa de la suivre. J'apprécie également l'action et le fond qui sont prenants. Néanmoins, si je peux me permettre, tu as pas mal de phrases courtes qui donne un effet haché à ton récit, alors qu'en les connectant entre elles, tu gagnerais, je pense, en rythme. Voilà =)

Je reviens vite pour la suite.
Naou
Posté le 15/08/2020
Hihi merci 😊
Merci pour ton retour 😍
C'est noté pour la réécriture 😊
Bisous
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