Chapitre 2.

Par Alixxx
Notes de l’auteur : Voici le 2e chapitre, toujours en compagnie de Corentin ! (d'autres personnages devraient bientôt suivre...) Bonne lecture !

Le jeune externe

 

  Le premier pas hors de l’hôpital apporta à Corentin une bouffée d’air frais, quoique ranci par la pollution de Paris. Un vent vif glissait son murmure à travers sa chemise, et il sourit devant ce plaisir simple. Sa montre indiquait que l’heure du déjeuner était passée depuis longtemps, et il jura quand il songea à tous ses camarades de promo qui devaient déjà être en train de réviser à la bibliothèque. Aussi pressa t-il le pas, son sac pendant négligemment sur son épaule. Un traité de cardiologie pesait lourdement à l’intérieur, livre emprunté quelques mois plus tôt, et dont le retard de retour à la bibliothèque lui valait des relances de plus en plus vindicatives.

  Le soleil descendait dans un ciel encombré de nuages. Des voitures scintillaient sous les rayons de l’astre, l’éblouissant au moindre mouvement. Des bus pilaient devant les piétons téméraires qui traversaient au dernier moment, des taxis tournaient dans l’espoir d’apercevoir celui qui les avait mandé via une application, des Velibs zigzaguaient savamment entre les voitures embouteillées, plongées dans un nuage gris de particules dont Corentin préférait ignorer la composition. Il passa devant un SDF qui faisait la manche sans lui accorder un regard. Il marchait rapidement sur le trottoir, les mains dans les poches, agacé par les piétons plus lents que lui, qu’il se voyait obligé de doubler tout en heurtant ceux qui venaient en face.

    Les klaxons énervés de Paris, les pots d’échappements brûlants des voitures, les bruits indiscernables des humains qui jacassaient et s’insultaient décidèrent le jeune homme à emprunter des rues moins passantes, de façon à percevoir de meilleure façon la musique que ses écouteurs peinaient à faire déferler dans ses oreilles. Bien qu’il étudiât à Paris depuis quatre ans, il ne parvenait pas à s’habituer à ce trafic dense et moite. Il ressentait une hâte certaine à s’assoir dans son train, ouvrir son livre, et laisser le paysage urbain derrière lui, tandis que, défilerait à une vitesse folle à travers sa fenêtre la lente transition du béton à la forêt. Il lui tardait de rentrer chez lui, de goûter le parfum de la campagne, le silence émerveillé des arbres, l’immobilité paisible qui empruntait toute chose.

  C’était en réalité très étrange. Il parvenait à profiter de la réelle mesure du temps que seul, au calme, loin de l’urbanisme. A Paris, il devenait comme tous ces gens affairés courant en tout sens, guidés par l’heure, la vie régie par ces aiguilles inlassables qui tournaient, tournaient, à une telle vitesse que tout paraissait trop rapide pour être correctement vécu. Savourer les riens du quotidiens demandait un réel effort d’attention au présent.

  L’éclat bref et furtif d’une veste en cuir le sortit vaguement de son engourdissement. Il se rappelait l’avoir déjà vue quelque part. Peut être ce matin. Il ne s’agissait pas d’une veste en cuir lambda. Un énorme dessin, type tag, fleurissait en gras sur l’étoffe rugueuse du vêtement. Une veste de motard, du genre qui permet peu de discrétion. Le jeune homme classa rapidement l’apparence générale de l’homme portant la veste comme de mauvais goût, et l’oublia aussitôt alors qu’il disparaissait de son champ de vision, soudain englouti par le magma de la foule.

  Alors que ses pas le portaient vers des rues moins fréquentées, où, loin du brouhaha ambiant qui piétinait la gare, le nombre de passants se réduisait à poignée de misère, le sentiment qui accompagnait le jeune homme depuis le début de la matinée s’exacerba soudain, comme s’il était passé d’un grain de sable coincé dans une sandale, gênant inconsciemment, à un caillou pointu se ressentant de façon beaucoup plus nette. Une impression étrange irradiait dans sa nuque, descendant tout le long de son échine. Comme l’expression d’un sixième sens, l’expression d’un sens signalant un danger imminent. Sa peau le picota; l’impression qu’on l’épiait s’enracina plus profondément en lui tandis qu’il jetait un regard furtif derrière son épaule, soudain intimidé par cette rue brusquement déserte.

  Personne derrière lui.

  Il leva les sourcils bien haut et respira profondément. Absurde. Depuis quand n’avait-il pas éprouvé cette sensation? Depuis ses dix ans? Il se sentit soudain ridicule. Il empruntait ce chemin depuis assez longtemps pour savoir qu’il n’encourait aucun risque.

  Alors qu’il s’enfonçait plus profondément encore dans les petites rues, faisant un détour pour parvenir à la fac sans être en contact avec l’excitation pleine de nervosité et d’agressivité  dégagées par les gens pressés qui s’agglutinaient sur les grandes avenues, le sentiment qu’on l’épiait le repris, plus intense, plus présent. Il se fit violence pour ne pas de nouveau tourner la tête en arrière, et s’efforça de garder un pas calme et mesuré, irrité par ces messages d’alerte qui provenaient certainement d’un instinct de survie émoussé. Il détestait ce genre de superstition déjantée, totalement en dehors de la réalité, vivant uniquement grâce à l’excentricité de son imagination.

  Un soudain froissement d’aile s’éleva au dessus de lui, et, alors que le jeune homme sursautait si violemment qu’il bondit sur le côté, un coassement rauque ricocha sur les immeubles crasseux qui étendaient piteusement leurs façades ternies. Le coeur battant, il se retourna, une mydriase complète ouvrant ses pupilles, un peu atterré devant ses réactions plus excessives que d’ordinaire. Un euphémisme. Le claquement d’aile d’un pigeon volant au dessus de lui ne lui faisait d’habitude pas autant d’effet.

  Cependant, l’oiseau qui le regardait différait en tout point du pigeon de base qui encrassait les rue de Paris. Beaucoup moins commun, le corbeau qui se tenait devant lui, perché sur une barrière rouillée, son plumage lustré renvoyant sous le soleil des miroitements bleutés au gré de ses mouvements infimes, fixait le jeune homme, d’un regard un peu trop intense pour être celui d’un simple animal.

  Mal à l’aise, Corentin tenta de l’ignorer, et détourna les yeux devant le rapace. Il sentait encore son oeil noir fixé dans son dos lorsqu’il traversa en toute hâte les bandes blanches marquées sur le bitume. Une goutte de sueur perla le long de son échine, mouilla sa chemise. Il se sentit ridicule. Lui, un esprit purement cartésien, soudain réduit à une pauvre peur intuitive par la vue d’un simple corbeau! Il tâcha d’endiguer la voix qui lui dictait que quelque chose d’anormal se produisait. Foutaises ! Quelle était la source de cette brusque poussée de superstition?

  Alors qu’il reprenait le dessus sur son impression et le contrôle de lui-même, il avisa au loin, marchant tranquillement, un jeune dégingandé, un peu plus vieux que lui. Un bonnet lâche recouvrait sa tignasse hirsute, et, alors qu’il pianotait négligemment sur son téléphone, les doigts filant à toute vitesse sur le clavier tactile, la démarche traînante, le visage obstinément baissé, Corentin s’agaça du raclement crissant de ses baskets sales sur le béton, du sweat shirt trop large et du jean troué que portaient l’inconnu. Comment pouvait-on se négliger à ce point?

  Alors que le type qui marchait à contre courant de lui le croisait, ce dernier, soudainement, dans un mouvement si brusque que le jeune homme ne put l’anticiper, le bouscula avec une violence qui contrastait de façon inouïe avec son allure laxiste, le projetant contre un réverbère. Corentin heurta avec rudesse le métal, la respiration soudain coupée, une douleur sourde pulsant dans son dos. Alors que le type lui arrachait d’un geste fulgurant son sac de l’épaule, Corentin trébucha, emporté par sa chute, s’égratignant la paume en se retenant de justesse contre une balustrade.

  Il ne se préoccupa pas des points rubis qui mouchetèrent alors sa peau éraflée.

  Ses yeux ne voyaient que le voleur, qui, d’un bond agile, s’écartait vigoureusement de lui, prenant les jambes à son cou, emportant son modeste sac en bandoulière. Son larcin.

  Corentin n’attendit pas que le type fut hors de sa vue.

  Sans réfléchir, il se lança à sa poursuite, toute confusion initiale dissipée. Une féroce envie d’en découdre l’anima soudain, une volonté impétueuse et primale de rattraper l’inconnu pour lui régler son compte face à ce dépouillement. Il éprouvait rarement un tel sentiment, si exaltant, si porté vers le combat, la lutte animale et ancestrale pour s’approprier et défendre un bien.

  Ses chaussures de cuir étroites le désavantageaient face à son adversaire, dont les baskets souples qu’il venait de blâmer facilitaient la foulée. Il sentait par procuration les cloques qui allaient se former à l’arrière de son talon. Sa chemise taillée au corps ne l’avantageait pas non plus, entravant de façon minime les mouvements de ses bras qui battaient son flanc alors que sa foulée s’allongeait, que ses muscles se réveillaient sous l’effet de l’adrénaline, que son souffle s’adaptait à l’effort exigé par la course et se stabilisait. Son passé d’athlétisme en compétition n'était pas étranger à sa performance.

  Il se rapprochait inexorablement du type en sweat, qui bringuebalait comme il pouvait son sac, gêné dans ses mouvements par ce fardeau encombrant.

-Hé, hé! le tança t-il.

  Ses cris ne stoppèrent pas son agresseur. Les deux jeunes hommes traversèrent une rue un peu plus fréquentée, sous le regard médusé de certains passants. Ils fendirent le monde à la manière de deux requins un banc de poisson, et Corentin, toute retenue oubliée, criait à visée des personnes qu’ils croisaient:

-Arrêtez le! Il a volé mon sac!

  Bien qu’il ne s’attendait pas à recevoir une grande aide de la part des passants auxquels il proposait de se joindre à cette brutale course poursuite, il éprouva une rapide consternation en constatant qu’aucun ne lui apportait renfort, à la limite de l’indifférence hautaine, trop centrés sur eux mêmes, ou trop effrayés de prendre le risque de se mettre en travers d’un différend, se contentant de regarder sans se mêler des affaires qui ne les concernaient pas.

  Le voleur l’entraîna dans des rues malfamées, loin des regards inquisiteurs, outrés ou terrifiés des passants. Alors que la course s’intensifiait, le type déployait des trésors d’ingéniosité pour semer son poursuivant acharné, en vain. Corentin le suivit dans les ruelles étroites, dérapa à l’angle d’une rue déserte et famélique, où des ordures jonchaient le trottoir, sauta par dessus un muret, se réceptionna de justesse sur une poubelle, continua sa poursuite, hors d’haleine. Non qu’il accordait une valeur particulière au livre de cardiologie que son sac contenait. C’était juste une question de principe. Il n’était pas de ceux qui acceptent passivement les choses qui leur tombent dessus.

  Encouragé par les signes d’épuisement que le voleur montrait, il força encore l’allure et atteignit soudain son adversaire, lui agrippant brutalement le bras. L’homme aux fausses allures de type cool, tout vif qu’il fût, l’avait sous estimé, et avec ça, le poids du sac. Le bouquin de 500 pages qui se trouvait dedans y était sans doute pour quelque chose.

-Rends. Moi ça, grogna t-il en hachant ses mots, le souffle court, un rictus presque sauvage dessiné sur ses traits.

  Un court moment d’accalmie s’installa, les deux hommes reprenant leur respiration, prostrés dans leurs attitudes respectives, se regardant en chien de faïence. Seul le mouvement saccadé de leurs cages thoraciques et leur souffle rauque bougeaient tandis qu’ils se toisaient. Ils se trouvaient dans une impasse, pour une raison que le jeune homme ne saisissait pas. Le voleur connaissait-il si mal le quartier pour se tromper d’une façon aussi grossière? A moins que son intention de fuite résidait dans l’escalade du mur aux pierres saillantes pour gagner les toits?

  Corentin étudiait son adversaire, conscient qu’une lutte au corps à corps devenait fort envisageable de seconde en seconde. Il devinait le côté lunatique et imprévisible de l’homme; il s’agissait du genre de type qui pouvait très bien dissimuler un couteau dans sa manche.

  Il tenta la carte de la diplomatie.

-Il n’y a rien là dedans qui puisse te faire envie. Rends moi ce sac, et on en restera là.

  Il s’efforçait de parler d’une voix calme et apaisante, de cette même voix qu’il employait pour calmer un patient hystérique. Il devait prendre sur lui pour refouler la colère qui grondait encore dans son corps. Par ailleurs, il restait étonné par la réaction du voleur. En temps ordinaire, ces derniers fuyaient le terrain lorsqu’on les rattrapait, sans chercher d’histoire. Cet énergumène semblait plus tenace.

  Il espérait que ces quelques mots rendraient la raison à son agresseur, et qu’ils n’en viendraient pas aux mains. Il transpirait, il avait chaud, soif et faim, et la perspective d’une lutte qui achèverait de ruiner ses habits ne l’enchantait guère.

  Le type montra presque les dents. Son visage commun se para d’un rictus peu engageant.

-Non! refusa t-il soudain avec agressivité. Déguerpis, si tu ne veux pas y laisser de plume!

  Les rares passants qui les avaient vu s’engouffrer dans cette rue sans issue pressaient le pas pour se retrouver loin de la bagarre imminente qui régnait dans l’air.

  Corentin faillit perdre patience. Pourquoi ne fuyait-il pas? Il avait perdu. La raison de cette prise de position lui apparut évidente lorsqu’une voix menaçante s’éleva derrière lui.

-Alors gamin, on fait moins les durs maintenant?

  Le jeune homme sursauta violemment. Pris en tenaille, il se plaqua dos au mur, adoptant instinctivement une position défensive. Il s’autorisa un rapide coup d’oeil vers le nouveau venu. Un frisson d’effroi le parcourut. Un type baraqué marchait d’un pas calculé vers lui, ses énormes muscles saillants, bombés, prêts à broyer n’importe quoi. Cependant, le frisson du jeune homme n’était pas motivé par la vue de cette masse de chair et de myocytes, mais par la veste que ce dernier portait. Une veste de motard en cuir, gravée d’un logo blanc qu’il avait déjà remarqué deux fois dans la matinée.

  Coïncidence? Il ne pensait pas.

  On l’avait filé. La sueur de Corentin se glaça lorsqu’il comprit enfin ce qui clochait.

  Le sac ne les intéressait absolument pas. Il s’agissait d’un appât, rien de plus. Un appât pour le mener jusqu’à ce guet-apens. Ces voleurs ne voulaient pas le sac; ils le voulaient, lui.

  

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B1anca
Posté le 26/10/2020
(Ծ‸ Ծ) <- moi quand j'ai commencé à lire le début du chapitre
( ゚Д゚)<- moi pendant la course poursuite
ಥ﹏ಥ <- moi à la fin du chapitre
Sont ce des gentils ou des méchants ? 눈눈
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Alixxx
Posté le 27/10/2020
ahah je suis absolument fan de tes smileys !
Réponse au prochain épisode °u° (les miens sont plus simples ! ;p)
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