L’air était lourd, humide et frais, Isil était la seule réveillée. Elle continuait son tour de garde. Le jour n’était pas encore levé et un fin brouillard rendait le paysage flou avant l’aurore. Elle venait d’entendre la clochette. Isil paniqua. Une sensation étrange remonta depuis son estomac, l’empêchant de réagir dès l’instant où elle appréhendait ce son désespérant. Lorsqu’elle se raisonna, elle avança en douceur vers ses compagnons autour d’elle. Elle fit vite d’une manière furtive. Quand Isil entendit ce « ding », elle discerna également comme des pierres que l’on frictionnait l’une contre l’autre. Elle tenta de garder son calme et de réveiller tous ses compères. Au fur et à mesure qu’elle les réveillait, elle leur indiqua de se taire. Seulement, au moment de remuer Dola, elle finit par donner un petit coup dans un caillou qui en entraina un autre. Soudain, les bruits de frottement s’arrêtèrent.
Ils se trouvaient dans une ancienne grange dont le plancher de l’étage s’était maintenu, malgré des dernières années d’abandon. La tieffeline s’éveilla et en découvrant la tête de Cattleya mal réveillée, elle se mit à la juger. Ça ne m’étonne pas, se murmura-t-elle. Ymir dormait en armure. La veille, elle avait senti la goule et avait préféré garder sa panoplie pour la nuit. Elle se releva au-dessus de sa couche, pourvue de paille. Il faisait noir, mais elle voyait comme si c’était une nuit bien éclairée. Les chevaux étaient attelés à l’intérieur de la grange et l’un d’eux remua près de la tieffeline.
— N’est-ce pas préférable de prendre les chevaux et de partir ? songea Ymir en réfléchissant à voix basse.
Puis, elle voulait voir la menace de ses propres yeux avant d’adopter une décision. Ymir jaillit immédiatement de la grange, une épée en main. Dans la pénombre, elle pouvait apercevoir une goule en train de renifler dans leur direction et la créature la vit sortir du bâtiment. Le monstre était accroupi, comme une sorte de grenouille à taille humaine. Elle était blême dans la lumière du matin. Ymir sentit quelque chose d’autre. Ses dons lui révélèrent qu’il y en avait deux. La vision de cette goule effraya légèrement la tieffeline. La goule ne tarda pas à se précipiter en direction de leur grange, vers l’angle du bâtiment. Elle escalada un mur pour se cacher d’Ymir. La tieffeline reprit confiance en se disant que la créature avait peur d’elle.
Elaron était en train de se réveiller et il discerna les bruits de frottement de la créature grimpante. En entendant cela, le demi-elfe se mit à avoir peur. Puis, un bruit sourd tonna sur le plancher de l’étage. Quelque chose tomba sur les vieilles planches du toit. Avec sa vision dans le noir, Elaron put apercevoir la poussière chuter à l’endroit où la goule se trouvait. Paniqué, il opéra un mouvement maladroit et envoya un trait de feu en direction du plancher. Le plafond pourri céda et tous purent voir une forme émaciée, griffue et d’un aspect humanoïde répugnant, dégringoler à l’intérieur de la grange. En chutant, la créature tenta de se rattraper au mur avec ses griffes sans y parvenir. Elle était dorénavant couchée sur le sol face à eux, prête à bondir.
Isil tenait ses dagues en main. Elle se précipita vers la goule sans réfléchir et y asséna ses armes. Isil voulait la maintenir au sol, mais elle n’y parvint pas. Elle la lacéra alors qu’elle était en train de se débattre à terre dans un râle effroyable. Isil fit un pas en arrière et se positionna entre elle et Dola pour protéger la halfeline. La terreur pouvait se lire sur le visage de l’elfe. Cattleya se mit dans l’alignement. La créature se trouvant toujours au sol, Cattleya se rapprocha et s’interposa entre la halfeline et la goule. Elle était en face du monstre. Elle invoqua les ténèbres et projeta l’une de ses attaques. La goule fut touchée en plein dans le torse. Elle fut lacérée, ses muscles s’arrachèrent, la peau fut éclatée et en sale état. Dola se réveilla en sursaut et bégaya. Avec le peu de lucidité qu’elle avait, elle se mit à recharger son arbalète en soubresaut et tira immédiatement sans prendre le contrôle. La flèche alla siffler aux oreilles de Cattleya et Isil aperçut le carreau passé juste en face d’elle pour ricocher sur les deux murs en passant entre les deux têtes des femmes.
— Dola ! Arrête de faire n’importe quoi ! hurla Cattleya. Sors les chevaux !
— Pardon, gémit-elle.
— Non ! rugit Isil qui sentait la menace à l’extérieur et qui avait une idée en tête.
À cet instant, Ymir aperçut la deuxième goule qui finit de déblayer le trou qu’ils avaient bouché la veille, le terrier dans lequel elle avait été bloquée. La tieffeline comprit alors que la première créature était en train d’aider la deuxième à sortir. Ymir qui se trouvait à l’extérieur du bâtiment décida subitement de rentrer en trombe dans la grange. Elle découvrit le monstre en sale état, acculé par Isil et Cattleya contre le sol dans un angle de la bâtisse. Elle avait presque pitié pour ses compagnons et se dit qu’ils n’étaient même pas capables de finir une créature comme celle-ci. Elle dégaina immédiatement son épée et se jeta sur elle. La goule prit soudain peur en revoyant la tieffeline et se recroquevilla dans le coin de la grange en tentant de se protéger par crainte de mourir. Ymir avait un regard impassible alors que le monstre se mit à gémir et elle lui trancha la gorge. Du sang noir gluant fusa et dégoulina sur le sol. Ymir se retourna vers Elaron et lui annonça.
— Il y en a une deuxième à l’extérieur !
— On ne peut pas s’enfuir, enchérit Isil.
— Pourquoi ne veux-tu pas qu’on parte ? demanda Cattleya.
— Parce qu’on ne va pas laisser des goules là ! répliqua Isil. On doit les exterminer.
— Il est vrai, accentua Elaron.
— Imagine qu’il y en ait une centaine ? suggéra Cattleya. Crois-tu pouvoir en venir à bout toute seule ?
Sans écouter la réponse d’Isil, Elaron prit son courage à deux mains et se lança vers le trou qu’il avait percé dans le toit et y grimpa. Il n’avait pas le pied sûr et la position était instable, mais il réussit à atteindre l’étage. Il avait dorénavant une vision sur la deuxième goule qui finissait de jaillir.
— Elle émerge du terrier, engagea-t-il à l’attention de ses compagnons. Mais elle n’est pas encore sortie. Faites vite ! S’il vous plait. Je la vois, elle m’angoisse. Dépêchez-vous les filles ! Eurk, j’aperçois ses doigts !
Isil sortit de la grange et se trouvait à côté du mur extérieur avec une vue directe sur la goule. Pendant sa course, elle avait rangé ses dagues et pris son arc. Dès qu’elle l’aperçut, elle s’immobilisa et décocha sa flèche. La créature esquiva ce projectile de justesse, mais déchira un petit morceau de chair de son épaule. Du sang noirâtre perla et en découvrant Isil, le monstre grogna méchamment. Isil recula à nouveau de quelques pas. Cattleya se précipita à son tour vers l’extérieur et passa devant Dola tout en sortant.
— Prépare les chevaux, nous disparaissons juste après, dit Cattleya avec un regard sérieux.
Dola lui répondit paniquée, agrippée à son arbalète avec un hochement de tête et un halètement. L’occultiste sortit de la grange et se trouva juste à côté d’Isil. Elle prépara une nouvelle invocation de ténèbres en direction de la goule. L’attaque toucha la créature en travers du visage. Les deux femmes pouvaient voir le cou du monstre se briser, mais sa tête retomba avec un cri supplémentaire et elle rampa dans leur direction. Dola réussit à calmer les chevaux pour les emmener vers l’extérieur. La goule rampa dans un premier temps, puis galopa et se redressa pour se mettre sur ses deux jambes. Elle se jeta sur Cattleya pour l’écorcher. Les griffes de la créature la lacérèrent à travers l’armure de cuir de la jeune femme. Cattleya sentit quelque chose pénétrer son sang. Une sorte de picotement froid menaçait de se répandre depuis sa griffure. Mais cette sensation disparue presque aussitôt dès que Cattleya apposa l’une de ses mains sur sa blessure et gémit de douleur.
— Ne vous faites pas toucher, s’écria-t-elle.
Ymir sortit une fois de plus de la grange et arriva sur le flanc de Cattleya en proie à cette goule. La créature se précipita pour enfoncer ses dents dans la gorge de Cattleya. Ymir profita de cette inertie pour donner un dernier coup d’épée violent et envoyer la tête à plusieurs mètres d’elles. Le corps inerte du monstre alla se plaquer mollement contre celui de Cattleya qui fut aspergé du sang de la créature. L’occultiste tomba à la renverse avec la dépouille sur elle.
— Fais-lui un baiser, Cattleya, suggéra Ymir avec un rictus.
— Je ne peux pas, répliqua la jeune femme en tentant de se relever et d’ironiser à son tour. La tête a volé.
Puis en se redressant, elle constata sa tenue à peine détachée du sang de l’ours, à nouveau couverte du liquide écarlate. La colère monta aux joues de l’occultiste.
— Mais tu es malade, rétorqua Cattleya. J’en ai partout ! Regarde.
Ymir contempla les vêtements de l’humaine, puis le cadavre de la goule et se sentit fière d’elle. Isil et Elaron furent dégoutés de l’attitude de la tieffeline qui semblait vouloir récupérer toute la gloire, alors qu’elle n’avait fait que porter le coup final.
Alors que l’adrénaline était à son comble, ils restèrent tous sur leur garde en attendant le prochain danger. Dola sortit les chevaux de la grange pour les atteler à la carriole le plus rapidement possible. Après plusieurs minutes, le calme subsista et ils comprirent qu’ils étaient tirés d’affaire.