Chapitre 3

Cette fois-ci, le réveil se fait en douceur. Comme lors d’une grasse matinée, quand on sent le soleil pointer à travers les rideaux et nous chatouiller les paupières. Olivier se sent si bien, allongé dans son lit. Il entend quelques murmures autour de lui. Il préfère ne pas se concentrer dessus. Il est si fatigué. Peut-être que s’il se détend un peu plus, il pourra retourner à ses rêves, à son souper avec Maude et à son fou rire. Il se sent si bien.

— Olivier, vous m’entendez ? Olivier ? Je vous prends la main gauche. Si vous m’entendez, serrez ma main.
Quel drôle de rêve. Olivier essaie de mettre la voix de côté pour se concentrer sur le visage de sa femme. Sur sa peau, si douce et si blanche. Ses yeux, écarquillés par… Quelque chose ne va pas. Maude

Il finit par ouvrir les yeux, paniqué. Devant lui, deux femmes en blouse médicale le regardent, visiblement soulagées.
— Bonjour Olivier, dit la femme de gauche. Je suis la docteure Gagnon. Est-ce que vous savez où vous êtes ?
Dans sa main gauche, elle tient un porte-document. De sa main droite, elle écarte une mèche de cheveux bruns de son visage et la glisse distraitement derrière son oreille. Elle a les yeux verts. Comme Maude. Olivier commence à se débattre sous ses draps.
— Calmez-vous, continue la femme aux cheveux bruns. Tout va bien. Est-ce que vous savez comment vous êtes arrivés là ?
— On rentrait à Montréal, répond Olivier.
Sa gorge était si sèche.
— On rentrait en voiture. La route était glissante… 
Sa voix se brise tandis que son esprit se remémore les dernières images de l’accident. Il y avait tant de sang.
— Vous avez embouti un pick-up, complète la docteure. Vous avez réussi à appeler les secours avant de perdre connaissance et heureusement, vous n’étiez pas loin d’une caserne de pompiers volontaires. Ce sont eux qui sont arrivés en premier sur les lieux. Une chance. Ils ont pu vous sortir de l’habitacle avant que le moteur ne prenne feu.

En entendant ce “vous”, Olivier tressaille.
— Où est ma femme ? Je veux la voir !
Il se redresse complètement sur son lit, ce qui lui arrache un grognement de douleur. L’autre femme, une petite blonde au regard inquiet, le prend gentiment par le bras et l’aide à se rallonger. Il comprend qu’il s’agit d’une infirmière.
— Faites attention, vous avez plusieurs côtes brisées, explique-t-elle.
— Dites-moi comment va ma femme, s’il vous plaît.

La docteure et l’infirmière échangent un regard. Le temps semble suspendu. L’inconscient d’Olivier entend le tic tac d’une horloge, le bip des machines autour de lui, et les voix du personnel médical qui passe dans le couloir. Mais lui est concentré sur une seule chose : la réponse du docteur.

— Votre femme a été particulièrement touchée par l’impact, répond la femme.
Elle marque une pause et remet une autre mèche de cheveux en place.
— Elle était inconsciente quand les pompiers l’ont extraite du véhicule. Elle est restée stable pendant le trajet jusqu’à l’hôpital, mais son état s’est aggravé au bloc opératoire. Un élément métallique s’est enfoncé dans la hanche, ce qui a endommagé plusieurs organes. Les chirurgiens sont actuellement en train d’évaluer les dommages. Ils vont faire tout leur possible pour stopper l'hémorragie et… 

Olivier n’écoute plus. Il tourne la tête vers la fenêtre et laisse son regard se perdre dans les branches nues des arbres. Le ciel est bleu. Un joli bleu pur, sans aucun nuage. Cela veut sûrement dire qu’il fait très froid dehors. C’est ce qu’il préfère dans l’hiver montréalais : les journées froides, mais ensoleillées. C’est un temps à se promener sur le Mont-Royal, entre les touristes et les sportifs qui gravissent la colline en petite foulée. Un temps à s’amuser des écureuils qui sautillent partout pour récolter des feuilles et de la nourriture pour l’hiver. Un temps à admirer la vue depuis le belvédère et à râler un peu contre les touristes et leurs selfies, avant de se dire qu’on mérite un bon brunch. Une journée à flâner dans les rues du Plateau. 

Une bourrasque de vent agite les arbres. Olivier se demande où il se trouve, et si le Mont-Royal est loin. Il ne connaît pas les hôpitaux de la province, alors comment savoir lequel était le plus proche du chalet ?
Il tourne à nouveau la tête vers sa docteure pour lui poser la question, mais ne voit personne. Il est seul dans la petite chambre d’hôpital, seul avec le bruit des machines et du goutte-à-goutte qui coule jusque dans ses veines. Par le petit hublot de la porte, il voit passer quelques têtes. Des têtes baissées et concentrées. 

Quand il regarde à nouveau par la fenêtre, la nuit est tombée et les branches d’arbres disparaissent dans l’obscurité. 
 

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ABChristLéandre
Posté le 27/10/2023
Un chapitre très obscure et mélancolique. Et oui, il fallait bien que l'on passe par une telle étape dans ce type d'histoire.
Le pauvre Olivier qui est shooté aux regrets. On lui souhaite bien du courage pour se remettre d'une telle épreuve. Et dire que sa femme est sur le point de perdre la vie à cause de lui... il y a rare épreuve aussi douloureuse.
Vivement la suite...
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