Après avoir mené une enquête minutieuse, Juliette s'était rendue à l'évidence. Ce voyage était bien réel et le contrat était solide. Elle avait même rencontré brièvement l'animateur de télévision à son domicile - un moment qui s'était révélé frustrant puisqu'elle était dans l'incapacité de s'en vanter auprès de quiconque. Alors, elle avait concocté un mensonge pour ses proches concernant la destination de leur voyage et préparé ses valises. Elle se sentait coupable de mentir ainsi à sa famille et à ses amis, en particulier à Hugo, mais elle se dit qu'ils en riraient plus tard à son retour. Après un temps qui lui parut interminable, ils prirent l'avion. Tout au long du vol, Paul se moqua de sa peur de la légende du triangle des Bermudes. Toutefois, quand, à l'approche de l'île, l'avion fut pris dans une longue et vertigineuse série de turbulences, il cessa ses blagues pour planter ses doigts dans les accoudoirs de son siège. A l'atterrissage, les passagers applaudirent le pilote. Juliette se joignit à eux, toute à son soulagement d'être arrivée à bon port. Une bouffée d'air chargée d'une humidité extrême les accueillit à la sortie de l'aéroport. A travers les vitres du taxi, Juliette, qui n'était jamais venue dans les Caraïbes, s'émerveilla face à tant de verdure, contrastée par la couleur rouge feu des flamboyants et autres fleurs tropicales qu'elle pouvait apercevoir. Arrivés à destination, ils franchirent un majestueux portail en bronze au-dessus duquel il était inscrit en lettre métalliques dorées: golden key park. Ils visitèrent le parc en voiture, traversant tout d'abord une forêt dense. Ils arrivèrent ensuite à une plage de sable blanc bordée de cocotiers, qu'ils longèrent quelques temps avant de parvenir à une fête foraine, avec ses manèges et son grand huit. Vint ensuite un marché pittoresque et quelques bungalows aux toits de paille. Enfin, le chauffeur de taxi les déposa devant l'hôtel. Juliette s'arrêta quelques instants dans le hall pour prendre des photos. C'était une grande bâtisse de trois étages au plafond haut et au décor vintage de style colonial. Tandis que Paul récupérait les clés à la réception, Juliette prenait des notes sur son portable quand elle fut bousculée par une employée en gilet rouge bordeaux (l'uniforme de l'hôtel), qui renversa un plateau et son contenu (deux verres de jus d'orange) sur elle. La jeune femme poussa un petit cri avant de s'excuser platement et de s’accroupir pour réparer les dégâts. Juliette se baissa également pour retrouver son téléphone. Quand elles se redressèrent toutes deux, la serveuse épongea ses vêtements avant de s'éloigner. Juliette s'apprêtait à reprendre son activité interrompue quand elle sentit quelque chose dans la poche avant de sa blouse. C'était un petit papier plié, qui ne se trouvait pas là auparavant. Elle le déplia et lut un message écrit à la main:
« Partez d'ici tout de suite, avant qu'il ne soit trop tard. Ne montrez ce message à personne. »
La bouche ouverte en un oh de surprise, Juliette chercha des yeux l'inconnue qui avait disparu. Elle hésita une seconde avant d'aller retrouver Paul à la Réception. Il était en grande discussion avec une femme, qui partit en riant avant que Juliette ne put l'approcher.
— Alors, à peine arrivés tu t'es déjà trouvé une blonde ?
Paul leva les yeux au ciel et s'apprêta à répondre mais elle ne lui en laissa pas le temps. Elle avait plus urgent. Elle lui raconta l'incident et lui lut le message.
— Qu'est-ce que c'est que ces conneries encore ? répondit-il. Je parie que c'est un coup de la concurrence.
— La concurrence ?
— L'hôtel d'en face. Quelqu'un doit être au courant qu'on est des espions et ils essaient de nous faire peur pour qu'on mette des mauvaises notes.
— Tu crois ? Je n'aime pas ça. Et si on partait ? On peut rembourser les billets d'avion et aller dormir ailleurs.
— Et manquer tout ça ? dit-il en balayant l'espace de ses bras. Naaaah.
Il l'attira à lui et l'enveloppa de ses bras, avant de la lâcher pour s'écrier en pointant du doigt:
— Hé regarde là-bas, une célébrité !
Elle reconnut en effet l’acteur Tony Brightstar derrière ses lunettes de soleil.
— Tu vois c'est un signe. Même les people viennent ici. Il faut qu'on reste.
Passant un bras autour de sa taille, il la mena vers l’ascenseur. Pour aller au troisième étage où se trouvait leur chambre, il fallait tourner une petite clé dorée dans une serrure - ce qu'il fit. Alors, l’ascenseur étroit commença sa montée lente, avant de s'arrêter brutalement entre deux étages. Paul jurait tandis que Juliette appuyait frénétiquement sur les boutons. Brusquement, la lumière s'éteint. Juliette s'agrippa à Paul qui déversait un flot de jurons et entreprit d'appeler la réception avec son portable. Toutefois, à son grand soulagement, la lumière revint et l’ascenseur se remit en marche. Ceci sembla avoir calmé Paul qui ne disait plus un mot. Pendant tout le trajet jusqu'à leur chambre, elle parla toute seule sans s'en rendre compte. Arrivés devant la porte, Paul ouvrit, lâcha les clés sur le sol et s'assit sur le lit. Juliette entreprit de défaire les valises et de ranger les affaires dans les armoires, tout en détaillant la pièce à haute voix. Elle était propre, aussi grande que sur la photographie du site web, joliment décorée, mais dans un style un peu vieillot. Tandis qu'elle s'extasiait devant la taille de la salle de bains, elle réalisa que Paul était silencieux depuis qu'ils étaient sortis de l'ascenseur. Elle l'appela pour qu'il vienne admirer le jacuzzi. Il ne répondit pas. Alors elle vint le rejoindre. Elle poussa un soupir en ramassant les clés sur le sol puis s'assit à côté de son compagnon, qui n'avait pas bougé d'un centimètre. Doucement, elle tourna son visage vers elle, et se plaqua les mains sur la bouche. Livide, le visage de Paul était parfaitement immobile et totalement inexpressif. Son corps était raide. Seuls ses yeux faisaient des allers retours frénétiques dans une panique manifeste. Même ses paupières ne bougeaient pas.
"Paul ... Paul... PAUL !" répéta-t-elle en lui donnant des gifles de plus en plus fortes. Aucun changement. Juliette se jeta sur le téléphone fixe pour contacter la réception. Il n'y avait pas de tonalité. Elle prit alors son téléphone portable. Il n'y avait de réseau. Elle sortit et tambourina la porte d'à côté qui pivota sur ses gonds. Juliette entra en commençant un discours pour les voisins quand elle fut frappée par l'image qu'elle avait sous les yeux. Les deux occupants de cette chambre, un homme et une femme d'une soixantaine d'années étaient tous les deux assis sur leur lit. Leurs visages livides étaient immobiles. Seuls les allers retours frénétiques de leurs yeux traduisaient le fait qu'ils soient encore en vie. Juliette recula, se cogna à un meuble et faillit s'étaler de tout son long. Le monde tournait autour d'elle. Une goutte de sueur glacée courrait le long de son dos. Elle eut vaguement l'impression de reconnaître le visage de l'homme, mais ne s'attarda pas pour le vérifier. La tête entre les mains, elle sortit dans le couloir et se mit à crier "Au secours ! A l'aide ! Quelqu'un ?". Pas de réponse. Alors elle parcourut l'hôtel en hurlant. Chambre après chambre, étage après étage, elle fit le même terrible constat. Dans la piscine, des corps immobiles flottaient. Au restaurant des clients immobiles tenaient des verres remplis. Sur le court de tennis des sportifs immobiles se faisaient face, raquettes en l'air. Elle chercha la jeune femme au gilet bordeaux qui lui avait adressé un message qui prenait soudainement tout son sens. En vain. Il n'y avait d'ailleurs aucuns employés dans l'hôtel. Juliette décida alors de quitter tout de suite cet endroit. La nuit commençait à tomber sans qu'aucun lampadaire ne s'allume. Devant l'entrée, elle trouva une voiture de service, une jeep. Par une chance incroyable, la clé était sur le contact. Elle démarra en trombe et emprunta le chemin en sens inverse jusqu'au portail en bronze qui était fermé. Elle sortit de la voiture et plaqua sa tête contre la grille. Alors, l'horreur lui tenailla le ventre, la fit reculer et tomber sur son séant. Il n'y avait rien au-delà de ce portail. Rien qu'une chute vertigineuse et abrupte, un précipice dont on ne voyait pas le fond. Le cœur tambourinant dans sa poitrine, la bouche sèche comme du papier de verre, elle remonta dans la voiture comme un automate, et sortit du chemin goudronné pour faire un tour chaotique du parc, dans l'obscurité maintenant totale. Revenue à son point de départ, la réalité s'imposa à elle comme un couperet: elle était prisonnière de ce parc, comme posée sur un plateau circulaire entouré de vide, avec des dizaines de personnes simultanément paralysées, et sans aucuns moyens de communication avec l'extérieur. Assommée par le poids de ce constat surréaliste, elle repris le volant et retourna à l’hôtel, en croisant les doigts à s’en faire mal pour qu’à son arrivée, une foule se jette sur elle en criant « surprise ! ». Peut-être participait-elle sans le savoir à un canular télévisé très élaboré ? Mais rien ni personne ne l’attendait à l’hôtel, que le noir total (aucun interrupteur ne fonctionnait) et le silence. Alors, elle alla retrouver Paul, et allongea son corps raide sur le lit. Elle s'étendit ensuite à ses côtés, les yeux grands ouverts sans trouver la force de pleurer. Était-elle en train de perdre la raison ? Avait-elle mangé de la nourriture toxique provoquant des hallucinations ? Les questions et les théories fusaient dans son esprit. Mais elle ne pourrait rien y faire ce soir, dans cette obscurité. S’attendant à tout moment à entendre un bruit elle demeura ainsi le cœur battant la chamade, les yeux écarquillés pendant une grande partie de la nuit. Elle s'était assoupie depuis quelques minutes quand, tout à coup, une image surgit de sa mémoire. L'homme de la chambre voisine. Elle pensait l'avoir reconnu mais n'y avait pas fait attention dans la panique du moment. Désormais elle en était certaine: le voisin d'à côté était un ancien client, acquitté grâce à elle des charges qui pesaient contre lui: le meurtre de sa femme et de ses deux filles.
pas mal non plus ce chapitre! mais où sont-ils? que se passe-t-il? serait-elle dans un cauchemar? c'est très curieux et intrigant! J'apprécie toujours ta fluidité et le mystère de ton histoire.
Quelques remarques:
-« Doucement, elle tourna son visage vers elle », vers lui.
-« Il n'y avait d'ailleurs aucuns employés dans l'hôtel. Juliette décida alors de quitter tout de suite cet endroit. La nuit commençait à tomber sans qu'aucun lampadaire ne s'allume », ne serait-ce pas « aucun employé », il y a ensuite une redondance de « aucun », justement lol.
-« aucuns moyens de communication avec l'extérieur », ici encore, je le mettrais au singulier car moyen n’est pas toujours au pluriel, tout comme plus haut avec « employé ».
-« elle repris le volant et retourna à l’hôtel », elle reprit.
-« S’attendant à tout moment à entendre un bruit elle demeura ainsi », une virgule après « bruit ».
Au plaisir
A bientôt
Elsa