Chapitre 2

Seuls de légers grincements métalliques et le bruit du vent tapant sur la carlingue venaient troubler le silence de mort qui régnait dans l'habitacle. Chacun semblait vérifier qu'il était encore en vie.

- Tout le monde va bien ? demanda Mark d’un ton légèrement souffrant.

- Je crois que mon cœur bat encore, répondit Lisa.

- De mon côté tout va bien, informa Kolt.

- Plus jamais je fous les pieds dans une navette pilotée par Lisa, jura Clora avec un ton de reproche.

Lisa eu un rire jaune.

-  J'aurais bien aimé t'y voir toi, à devoir poser un tas de ferraille de cinquante tonnes à moitié en ruine. Si mes talents de pilote ne conviennent pas à ton petit cul, je t'en prie, branche-toi et prends ma place !

- Toi t'en veux...

- Mettez la en veilleuse, coupa sèchement Kolt.

Clora et Lisa se tournèrent vers lui, prêtes à en découdre.

- Sacha n'a pas supporté l'atterrissage. Il est mal en point.

Les deux filles stoppèrent immédiatement leur dispute et s'approchèrent de Kolt qui se tenait auprès du corps inanimé de Sacha.

- Quelles sont ses blessures ? demanda Mark.

- Je me suis connecté à son armure, je suis en train de faire un diagnostic complet, répondit Kolt, une chose est sûre, ce n'est pas bon. Je repère déjà que la plèvre du poumon gauche a été perforé, il a aussi un léger traumatisme crânien et les ligaments de son épaule gauche sont arrachés.

- Un poumon perforé ? répéta anxieusement Lisa, il n'y a pas de risque d'hémorragie interne avec une pareille blessure ?

- Si, bien sûr, répondit Kolt, mais l'armure de Sacha a repéré sa blessure et l'a directement placé en coma artificiel pour limiter les dégâts, son état actuel est stable mais il va falloir l'opérer en urgence pour éviter que ça s'aggrave.

- L'opérer ? s'exclama Clora, et comment ? Je ne crois pas que ce tas de ferraille soit un parfait bloc opératoire...

- Merci pour ta perspicacité Clora. Répondit Kolt. J'ai ce qu'il faut dans le drone médical, il me faut juste un grand espace.

- J'ai repéré une grotte à moins de cent-cinquante mètres de la navette, elle est assez profonde pour nous protéger au moins du vent, informa Lisa.

- Parfait, on se dirige là- bas, confirma Mark. Ce n'est pas dangereux de transporter Sacha sur notre dos ? demanda-t-il à Kolt.

- Ça ne sera pas nécessaire. J'ai un brancard télescopique dans le sac de ma combinaison. Il me faut juste deux bras de plus pour m'aider à le porter, expliqua-t-il.

- Je m'en occupe, dit Clora.

Parfait, on se prépare, ordonna Mark.

Alors que Clora aidait Kolt à placer Sacha sur le brancard, Mark était en train de vérifier l'objectif de mission sur l'écran se trouvant sur l'avant-bras de sa combinaison.

Objectif 1A : Cartographier les grottes dans un rayon de 10 km autour des coordonnées ci-jointes :

> Cont-2 / Sect-12 / 37:La - 12:Lo / Distance actuelle : 2.178 km.

Objectif 1B : Contacter l'infrastructure :

> Orbital Surveillance A-71 / et attendre les ordres.

Soudain Lisa apparut dans son champ de vision

- Un changement dans la mission ? lui demanda-t-elle.

- Non... Rien du tout, c'est ça qui m'intrigue. répondit Mark, perplexe.

- Pourquoi ça ? s'étonna-t-elle.

- Je crois que tu connais notre statut au sein de l'armée de l'OSU, on ne vaut pas mieux que de la chair à canon pour les puissants, de simples soldats comme nous ne servent qu'à déstabiliser l'ennemi. Alors pourquoi nous envoyer scanner un petit bout de grotte à l'opposé des conflits ? Ce genre de missions est normalement destiné aux forces de reconnaissances, pas à des soldats issus de l'Épuration comme nous...

- Je pense que tu te prends trop la tête, rigola Lisa.

- Ça te fais rire ? Ça t'arrive de prendre les choses au sérieux parfois ? répondit Mark agacé.

Lisa s'arrêta immédiatement de rire et fixa froidement Mark de ses grands yeux bleus. Elle avait perdu en un instant son air candide auquel tout le monde était maintenant habitué.

- Oui, ça m'arrive de prendre des choses au sérieux. J’essaye juste de relativiser. On est sur une planète infernale, équipé de matériel merdique et soumis à un objectif flou. En soi, je vois difficilement comment la situation pourrait être plus anxiogène. C’est ça que tu voulais entendre ?   

Elle lui tourna le dos et partit voir où en étaient Clora et Kolt avec Sacha. Elle avait déjà repris son sourire en les approchant.

Mark sentit un profond malaise s'installer en lui. Le changement soudain d'attitude chez Lisa lui rappela avec l'effet d'un coup de poing que tout le monde ici souffrait au moins autant que lui de la situation actuelle. Certains le géraient juste mieux que d'autres. Il se sentit soudain coupable et voulut s'excuser auprès d'elle quand Kolt l'interpella.

- Mark, on est prêt à partir, l'état de Sacha empire, du sang s'est déjà infiltré dans la plèvre et commence à envahir le poumon, il faut l'opérer le plus vite possible.

- Oui...oui bien sûr, on y va, déclara Mark, troublé.

Tout le monde s'était rejoint dans le sas menant vers l'extérieur. Après avoir vérifié que personne ne manquait à l'appel, Mark ferma la porte hermétique et fit un point de la situation avec les autres membres de l'escadron.

Les bruits sourds du vent et du tonnerre dehors contrastaient avec le silence qui régnait maintenant dans le sas.

- Notre objectif principal est d'atteindre la zone de scan se trouvant à plus de deux kilomètres de notre position actuelle, déclara Mark. Mais nous devons d'abord opérer Sacha en urgence, c'est pour ça que Lisa a déjà repéré une grotte à moins de cent-cinquante mètres où on pourra s'abriter des vents et de la température extrême de cette planète. Il jeta un coup d'œil à Lisa qui avait déjà fini d'envoyer l'itinéraire à chacun.

- La température extérieure tourne autour des 400 °C, avertit Clora. Nos combinaisons dignes du dernier millénaire ne tiendront pas plus de dix minutes avant que le régulateur thermique et le recycleur d'oxygène ne commencent à déconner, à partir de là, vous divisez vos chances de survie par dix, donc pour éviter de finir asphyxiés ou complètement cramés, je vous conseille de vous magner une fois dehors.

- T'inquiète pas, je pense que personne n'a envie de s'éterniser dans cet enfer... répliqua Kolt.

- Tout le monde est prêt ? demanda Mark.

Chacun acquiesça d'un signe de tête.

- Je pressurise le sas.

Un bruit d'aération fit trembler la carlingue pendant que l'atmosphère toxique et brûlante de Topan emplissait le sas.

- J'ouvre le sas ! cria Mark

Au moment même où Mark leva le verrou magnétique de la porte, un cri tétanisant retentit dans le sas. Le vent était si fort et l'atmosphère si dense que le blizzard sifflait dans chacun des interstices du sas et des combinaisons, donnant l'impression que des centaines de milliers de cris fendaient l'air.

- On y va ! cria Mark dont la voix passait difficilement au travers des sifflements du vent, maintenant devenus assourdissants.

Mark descendit la rampe, bientôt suivi de Lisa qui aidait Kolt et Clora à descendre le brancard sur lequel se trouvait Sacha, toujours inconscient. Pendant que Mark attendait que tout le monde soit prêt à le suivre, il regarda brièvement autour de lui. Le paysage de cette planète était infernal, les vents soulevaient des tourbillons de poussière verdâtre, formant un brouillard semi-opaque rendant l'évolution à pied quasiment impossible sans l'aide de l'ATH. De puissants éclairs illuminaient de temps à autre les gigantesques volcans, recouvrant la quasi-totalité de la planète. Les échos du tonnerre venaient se mêler aux cris du vent s'engouffrant entre les parois rocheuses.

Mark jeta un ultime coup d'œil derrière lui. Tout le monde était prêt à y aller, il fit un grand geste de la main et tout le monde se mit à courir vers la grotte signalée par Lisa.

Les vents, couplés à l'épaisse atmosphère, rendaient la course lente et fatigante. Clora et Kolt essayaient tant bien que mal de compenser le tangage du brancard sous l'effet du vent pendant que Lisa les suivait au cas où Sacha tomberait.

L'ATH de Lisa affichait une température extérieure de 394 °C pendant que les couches superficielles de sa combinaison fondaient à vue d'œil. Une forte vibration dans son dos lui indiquait que le régulateur thermique fonctionnait à plein régime, pendant qu'une odeur de brûlé, mêlée à celle de la transpiration, emplissait sa combinaison, signalant à Lisa que le recycleur d'oxygène supportait mal la température topanienne.