Chapitre 2

- Quarante-et-un ans, sac d’os !

- C’est que tu vas bientôt me claquer dans les pattes ! C’est qui qui va conduire quand je vais devoir te laisser dans un fossé ? 

- Rêve pas, je ne suis pas prêt de te laisser tranquille. Il n’est pas né celui qui va m’enterrer j’te le dis. C’est même avec cette pelle que je te mettrai à la fosse. »

Le lézard sourit et se tourna vers la louve qui lui fit ;

« - C’est que vous faites un beau duo vous deux quand même. 

- C’est drôle ce que peut faire le destin tu sais. Ernest et moi avons été un peu attachés de force au début, je ne pouvais vraiment pas le blairer et lui non plus ne pouvait me voir en peinture.

- Comment vous vous-êtes recontrés ? 

- C’était sur un bâteau dans la méditerranée, j’ai décidé de quitter l’europe de l’est en empruntant la mer noire. J’ai sauté sur l’uns des rares steamers à Senex-Constanta et nous avons suivi les côtes. Je croyais fuir la violence du climat en rejoignant l’Italie. Mais j’ai surestimé mes connaissances en géographie, ma compréhension du climat, et ce périple en bateau fut inutile aux regards de mes attentes. Il m’aurait simplement fallu monter plus au nord et fuir le littoral. Il n’y a rien de pire que le littoral. Sur le bateau il y avait un bouc, voisin de couchette dans la cale, où les conditions de vie étaient assez difficiles je dois le dire, que je le trouvais arrogant et désagréable. La politesse faisait que je ne m’étais jamais fâché avec lui mais les yeux parlaient d’eux même, aucun d'entre nous deux ne s'appréciaient et nous allons être enfermé en tête à tête durant plusieurs semaines. Je dois te dire que l’ambiance était à son summum, surtout quand l’eau s'infiltre par endroit lors de tempêtes. Toujours très directeur, à me donner des ordres comme un général. J’aurai pu l’égorger de colère même si le bateau sombrait dans la tempête au même instant. C’était pour te dire à quel point il me les brisait, je te raconte pas l’horreur. 

- C’est alors que vos petites querelles se sont éteintes d'elles même sur le voyage ?

- Non, du tout. Nous nous sommes détestés de bout en bout. Au débarquement c’était un soulagement infini d’avoir en tête que tout cela été terminé. Mais tous deux sommes retrouvés sans rien ni personne. Je ne parlais même pas l'espéranto et lui non plus. Aucune aide, je ne connaissais rien et n’avait pas de quoi me déplacer dans ces contrées imprévisibles. Il m’était impossible de partir à pied indéfiniment, nous étions sur le point d’entrer dans le fort de la saison de ces infâmes tempêtes hivernales. Je ne voulais ni rester sur le littoral et mourir dans les inondations, ni m’aventurer plus au nord et me heurter seul à pied aux Alpes. Je n’avais aucune opportunité. Le peu de ressource qu’il me restait ne suffisait pas à un chariot à vapeur, mais à nous deux je savais que la chose était possible. L’idée me laissait un goût amère, mais la méconnaissance des langues locales m’a poussé à le retrouver et lui proposer. Ça été une sacrée aventure à elle seule de le retrouver, une paire de cornes dans une montagne de foins, Je t'en raconterai d'autres plus tard des biens drôles et terrifiants. Et c’était à ma grande surprise qu’il accepta. J'eus appris qu'il m'eût aussi cherché pour des difficultés comparables, malgré le manque d'envie réciproque. Nous nous sommes ensuite retrouvés ensemble sur le même chariot sur des centaines de kilomètres. C’est sur le chemin que nous avons pris conscience d’une passion commune qu’était le commerce. Et c’est à travers ce goût partagé que nous les liens se sont tissés avec patience. Depuis il a beau être aussi chiant qu’avant, il a au moins un certain sens de l’humour faisant défiler un peu plus vite les kilomètres. Je ne m’ennuie jamais trop avec lui.

- J’aime beaucoup votre histoire Omar. Je la trouve touchante.

- C’est une histoire comme une autre au final. Et vous deux ? Quelle est la vôtre ?

- Elle n’est pas plus différente de la tienne, dit la louve en regardant Pako finissant d’enterrer les gourdes. Nous nous sommes rencontrés par hasard sur un chemin un jour de sécheresse. Une histoire comme une autre… C’est tout à fait ça, une histoire comme une autre.» 

La louve regarda ensuite le renard qui venait d’ouvrir les yeux et semblait assoiffé. Elle se leva pour aller chercher une gourde;

« - En attendant j’ai deux bébés sur les bras en ce moment. Suivez mon regard, fit-elle taquine.

- Je sais très bien à qui tu parles Hayata, répondit Pako. Je peux lui donner à boire à ta place si tu veux te poser un peu plus.

- Joue avec ta petite pelle au lieu de changer de sujet, mauvais lèche cul. Allez ouste ! » lança-t-elle en le poussant du doigt avant de tirer une gourde du sol. 

La chaleur continuait de monter dans l’après-midi, il n’était plus question de s’aventurer dans Neotasgos mais de se reposer. Ils restèrent donc là, à suivre l’ombre du chariot allongé sur le sol et faire la sieste à tour de rôle.

Une lumière dorée inonda Neotasgos, dorée puis écarlate, ce fut ensuite autour de la nuit de se lever. Les premières étoiles s’illuminèrent, des foyers scintillèrent, çà et là autour d'eux, s’allumant au rythme des étoiles. Les silhouettes de la population traversaient ces sources d’éclats dansant sous le lit de la rivière violacée qu’est la voie lactée, méandrant dans le sombre noir abyssale de ses nocturnes rives apaisées. De son amont Nord-Est à son aval Sud-ouest, ses flots s’écoulent entre les rochers d’Albiréo, Alderamin,Caph, Mirfak, Capella et Alhena. Alors que le Cygne accompagne gracieusement le courant, Persée semble comme y faire barrage sous les regards espiègles des Gémeaux, baignant leurs pieds dans la rivière resplendissante de reflets pourpres. Sur ses berges, la lune gibbeuse encore décroissante se trouve comme tirée par les Pléiades et échappe in extremis des cornes du taureau filant maintenant aux côtés du cocher nébulé par le grand chien, qui lui, venait de perdre le bout de sa queue, sectionnée par les impénétrables frontières de la voûte céleste soutenu par le brave Atlas, sans faille ni faiblesse.

Ainsi écrit Pako sur son petit carnet, pris d'une inspiration soudaine, appuyé contre la roue du chariot et l’épaule de Hayata qui écoutait Omar et Ernest se chahuter comme un vieux couple. Le loup tendit le carnet à son amie, savoir si elle voulait l'emprunter, ce qu'elle fit pour gribouiller les silhouettes de leurs compagnons de voyage sous le ciel étoilé et illustrer ses lignes. Le renard lui ne quittait pas les côtés de Hayata, il avait dormi sans discontinuer toute l’après-midi et commençait à changer de position, d’abord constamment en boule, il était maintenant allongé dans toute sa longueur. 

En discutant, Ernest grattait un petit peu sur un petit Saz, un instrument à corde des pays Balkans semblable à un luth, distinguable par sa caisse de résonance en forme de larme et son manche étrangement fin et long. Les légères mélodies envoûtantes à l’oreille de Pako, installaient une ambiance paisible parmi les crépitements du feu. 

« - Que prévoyez vous de faire demain ? demanda le loup au lézard.

- Nous allons certainement essayer d’échanger une partie du coton que nous avons à d’autres grossistes contre du bois et de quoi ravitailler le réservoir d’eau. Mais j’aimerai, moi, partir dès le début d’après midi, Neotasgos ne m'intéresse pas. J'ai eu vent d'une meilleure destination un peu plus au nord, je suppose que ça vous intéresse toujours autant.»

Ernest acquiesça silencieusement d’un geste de tête sans interrompre son jeu.

« - Et toi Pako ? Quel est votre programme à vous trois ? continua le lézard.

- Au départ nous voulions trouver des soins et des pansements, voir peut être une carte. Mais on va devoir aussi trouver des habits pour le renard. Hayata et moi sommes d’accord : on ne peut le laisser comme ça.

- Tout ça va vous coûter… Je vous propose de vous servir dans notre coton. Ça vaut suffisamment cher aujourd’hui pour que vous puissiez amortir une partie des achats.

- Oh, je ne sais pas comment vous remercier… Je vous serai sincèrement redevable. Vous nous donnez déjà beaucoup, il y aurait quelque chose dont vous auriez besoin ?

- Ne t’inquiète pas. Tu ne nous dois rien.

- La générosité ne coûte rien, lui répondit Ernest. Aimer son prochain. À ne jamais oublier.»

Hayata eut un petit sourire un peu ridicule qui n’échappa pas à l'œil de Ernest.

« - Cette phrase paraît un peu anecdotique, pas vrai ? 

- Ce n’est pas du tout contre vous, vous savez.

- Je l’entends bien. Mais je dois te dire qu’il y a bien une chose où nous ne devrions pas avoir peur du ridicule c’est de l’amour que l’on porte sur le monde. En broyant du noir, qu’est-ce que nous avons à offrir aux autres et à soit même ? ‘’Aimer son prochain’’, on nous le rabâche à toutes les sauces, au point qu’elle en est fatigante et on ne l’écoute plus. Se le dire c’est bien mais il faut néanmoins en comprendre la substance. Comme avec ce renard, a endosser cette responsabilité, c’est une belle leçon de philanzoonik*. Vous portez un fardeau plus lourd que le nôtre, nous avec nos balles de coton. Vous en avez besoin malgré la méfiance que j’accorde à son égard. Un jour, ce sera moi qui sera redevable de la bonté d’un autre. C’est ainsi que l’on bâtit chaque jour un monde un peu moins pénible pour chacun. Les présents ont d’autant plus de valeurs quand ils sont nécessaires.

- Merci beaucoup sincèrement. 

- Je t’avais dit qu’il était vieux Pako, lança Omar. Il arrive à te faire une fable avec un peu de coton. »

Ernest le regarda sidéré, pendant que le loup semblait purement amusé de leur éternelle bonne guerre.

(* Terme inventé aux racines grec, synonyme de philanthrope mais pour le genre animal : (grec ancien) philan ; de phílos - ami, affection. zôon- l’animal. ikos-( suffix) ‘’relatif à…’’ Le mot donnerait ‘’affection relative au genre animal’’.)

La soirée s'écoula lentement, ils discutèrent, buvèrent les liqueurs de Ernest et rigolèrent, paisiblement. Pako piqua soudainement de la truffe, fatigué, puis s'endormit aussitôt au milieu d'une discussion. Ce n'était pas un grand buveur, la moindre goutte d'alcool trop vite descendue pouvait l'assommer. Hayata s'y attendait, c'était aussi pour elle signe que la soirée s'éternisait. Il devenait nécessaire de dormir. 

La nuit fut surprenamment agréable, tous avaient dormi comme des loirs. Hayata se réveilla lentement avec les rayons du soleil, sous le chariot. Elle s'étira, encore allongée, pour toucher, vérifier la présence de Pako à sa gauche encore endormi. La louve continua de s'étirer à sa droite, sans regarder, pour chercher le renard. À tâtons, la place semblait… vide? Elle eut un léger sursaut et regarda de ses propres yeux. Le renard n'était plus sous le chariot, disparu. Hayata se dressa rapidement, les oreilles droite et scruta calmement autour d'elle, toujours rien. La louve se tira du dessous du chariot, alerte. Et regarda à droite, à gauche… rien. Elle se retourna en direction du véhicule et vit le petit animal. Assis, immobile sur le rebord du chariot, dos à elle, il semblait regarder le paysage et les rayons du soleil. La louve monta silencieusement sur le chariot, enjambant Omar et Ernest dormant entre leur cargaison, et s'assit calmement à côté du renard toujours immobile. Il n'avait pas réagi à sa présence, le regard fixe. La louve prit le temps de le regarder quelques instants, elle ne savait pas par quoi commencer.

« - Je… Tu as bien dormi ? » lui fit-elle hésitante.

Le renard se tourna lentement vers elle. Il marqua une pause, son regard profond dans le sien;

« Je m'appelle Hayata. Et toi ? elle posa une main sur son épaule. 

Il ne répondit pas, mais soutint son regard. Elle reprit :

«  Es-tu sûr que tout va bien ? »

Son regard se remplit tout d'un coup d'une indescriptible peine. Hayata fut profondément perturbée, bloquée par la soudaine tourmente lisible dans ses yeux, si bien que sa gorge se serra sur l’instant. Elle essaya de dire quelque chose, mais les mots lui manquèrent. La louve ne savait rien, elle se sentait pourtant profondément désolée du sort du pauvre animal. Un instant elle crut que le petit allait fondre en larmes, mais il se contenta finalement de détourner les yeux et de s'accouder sur ses genoux. La louve déposa lentement sa main sur lui et caressa lentement son dos, sa nuque, comme pour essayer de le rassurer. La fatigue, la douleur, tout était palpable sur son corps. Une muette souffrance hurlant en lui, venait résonner et faire trembler, fragiliser, son être. Il frémissait, c’était perceptible, le renard étouffait pudiquement ses sanglots. Elle décida de ne pas poursuivre, il avait encore bien besoin de temps.

Pako venait de se lever et la vit avec le renard. Le loup lui fit un signe de tête comme pour demander si tout allait bien, elle répondit en secouant la tête doucement. La louve se leva ensuite silencieusement, s’en alla, et revint avec une gourde à lui tendre : « Boit, tu as vraiment besoin de boire. Si tu as besoin de manger, n'hésite pas à nous demander. Tu n'as rien avalé depuis longtemps.» 

Le renard fit mine de prendre la gourde, elle sentit qu'il n'avait pas assez de poigne pour la serrer et la déposa donc directement sur ses genoux. Elle retourna ensuite voir Pako.

« - Alors qu'est-ce qu'il se passe ? dit-il.

- Il est complètement aphone Pako. Peut-être par faiblesse ou parce qu'il refuse de parler.

- Qu'est-ce qu’on fait ?

- On lui laisse le temps. On ira lui chercher de quoi s’habiller après. Il n’a vraiment pas l’air bien moralement. Je ne sais pas vraiment quoi faire tout de suite…

- Je comprends Hayata, mais nous devons partir d’ici là… Tu ne crois pas que le faire bouger justement l’aidera à se changer les idées ? S’il n’a pas un minimum de vêtement, il va mourir de froid au premier orage. »

La louve regarda le renard toujours immobile sur le chariot.

« - Allez Hayata, prends un peu sur toi, continua-t-il. On ne le brusquera pas, ne t'inquiète pas la dessus, muet ou pas. Je suis sûr que montrer qu’on s’occupe de lui, lui fera un grand bien, lui dit-il une main sur l’épaule de son amie. Mais en attendant on doit faire avancer les choses d’accord ?

- J’aurai préféré lui laisser un peu plus le temps de se reposer avant de le remuer… mais tu as raison la dessus après tout…répondit-elle en regardant ailleurs, puis enleva la mains du loup reposant sur son épaule. 

- Je vais essayer de lui faire manger quelque chose en attendant, comme ça tu pourras rassembler les affaires et penser à autre chose. Tu es déjà toute secouée, ça ne te ressemble pas, c’est moi qui est sensible comme ça d'habitude, la charia-t-il.

- Toi et ta grande gueule j’ai envie de dire, fit-elle en souriant. Dis pas de bêtise et fait ce que t’as a faire, je te ferai pleurer après si tu tiens à être sensible. »

Pako avait dans l’idée de changer les idées du renard. Il lui tira de quelques sacs du pain et des clémentines et se dirigea vers l’animal qui n'avait pas bougé, l'air éteint, absent.

« - Hé l'ami ? il posa sur ses genoux un des fruits. C'est un petit cadeau.»

Les oreilles du renard se dressèrent et sa main tremblante pris doucement le présent de Pako, il avait l'air surpris.

« - C'est bien ce que tu crois, c'est une clémentine. On a la chance de voyager avec deux marchands bien lotis. Tu n'as pas dû en manger beaucoup dernièrement, pas vrai ? Moi non plus. »

L'animal le regarda un instant, Pako pela une d'entre elles pour en manger une avec lui.

« - N'ai pas peur vas-y, c'est pour toi. Tu as vraiment besoin de manger. »

Le renard eut le réflexe étrange de peler le fruit à l'aide de ses crocs, probablement car il ne se sentait pas assez vigoureux pour utiliser ses griffes. 

«- Au fait, je m'appelle Pako. Comme ça tu sauras. Je voulais te dire qu'ici tu n'avais rien à craindre d'accord ? Nous allons bientôt reprendre la route mais avant ça nous aimerions te trouver des habits, tu en dis quoi ? »

Après avoir lentement croqué un des quartiers juteux de la clémentine, il leva la tête vers Pako et sembla sourire, un sourire assez affecté, mais perceptible, reconnaissant.

«- Je préfère déjà ça ! Tu as un peu de pain aussi si tu en veux » continue-t-il en prenant lui-même un morceau de celui-ci.

Il eut ensuite très long et inconfortable silence qu'il n'arrivait à rompre. Le loup avait surestimé ses capacités à mener la discussion avec un muet, se sentant soudainement défait. Pako le regarda manger sa clémentine. L'animal sembla rapidement en difficulté. Il était un peu replié sur lui-même, se tenant le ventre de douleur visiblement. Certainement symptomatique de sa déshydratation ou d'un jeûne prolongé. Il semblait difficile pour lui d'avaler quoique ce soit. 

Ernest, qui s'était levé, s'approcha avec un petit sac ;

«- Bonjour tout le monde. Apparemment on a un revenant aujourd'hui ! Tiens Pako. »

Il lui lança le petit sac que le loup s'empressa d'ouvrir. 

« - C'est du coton le loup. C'est pour vous et lui, dépensez avec parcimonie. »

Le bouc se pencha sur le renard et le prit en dessous de la gueule pour lui tourner le visage face à lui. Ernest avait été un peu brusque, Pako en était aussi surpris que le renard qui s'était figé net, ahuri, dès qu'il fut touché. Et l'inspecta une nouvelle fois, mais cette fois-ci plongea plus particulièrement dans les yeux de l'animal plein détresse et d'incommodité.

«- Mouais, lança-t-il et se releva. Ne tardez pas trop à partir, Omar et moi devons occuper le chariot pour troquer un peu. Et il est vraiment temps de vêtir le minot, n'attendez pas trop non plus pour cela. Cet épisode de sécheresse n’en finit plus, quand la pluie viendra ce ne sera pas de la rigolade.

 - Merci Ernest, nous étions justement sur le point de partir. » répondit-il alors que Hayata revenait.

La louve insista pour le porter sur son dos. Sa tête posée sur une de ses épaules, durant la marche, le renard se dressait parfois pour observer curieusement autour de lui. Les loups sillonnèrent les chariots à vapeur pleins de marchandises où autres commerçants ambulants occupés par leur affaires se mélangeaient avec les simples immigrés. Tout était plus calme comparé à hier, car la chaleur était bien moins assommante sans doute, les esprits s'étaient comme apaisés. Dans l'air il y avait une fantastique odeur d'épices et de grillades mettant à l'épreuve n'importe quel appétit. C'était quelque chose que Pako appréciait bien, il aimait les odeurs des marchés, les commerces improvisés. Ils respirent la culture de leur propriétaire, la convivialité, une sensation d'authenticité qui lui est chère. Non seulement les odeurs mais aussi l'ambiance, le loup déteste pourtant le bruit ambiant habituellement. Il affectionne pourtant les sons d'une foule prise par les négociations, installant cet agréable fond sonore animant la scène à l'image d'un parterre. Tout semble si fantastique pour lui dans ce petit monde à part. Vous savez, cette sensation de baigner dans une sorte d'aventure tant nous sommes stimulés, les odeurs, les couleurs, le bruit omniprésent de la foule, qui, sans être intrusifs, vous envahissent avec saveurs, comme projeté dans un univers faisant l'éloge et l'éveil des sens. Pako y trouvait une expression pure et simple du genre animal. Ou en tout cas y accorde un certain un charme poétique. 

Il rêvait, il divaguait, un peu étourdi. Plongé dans son imagination, un pied dans les rêves et l'autre dans le réel. Le loup avait reposé les pieds sur terre quand Hayata s'arrêta brusquement devant lui pour laisser passer des passants. Elle montra du doigt un étalage improvisé de ce qui semble être des frips exposées sur des tapis disposés à même le sol. Après avoir fouiné quelques instant, les deux amis semblèrent avoir trouvé au renard un pantalon foncé muni de plusieurs poches, un t-shirt blanc, une paire de chaussure, une veste canadienne rouge de bûcheron et ce qui s'apparente à un ample capuchon qu'il portera pour la pluie. Désormais capable de rester debout, ils le posèrent au sol et l'habillèrent directement. Le petit avait le regard pétillant, plein de reconnaissance. Il leva la tête et regarda Hayata puis Pako avec un grand sourire, l'air ravi. Les deux loups furent agréablement surpris, c'est comme si le petit animal avait comme oublié l'espace d'un instant la tristesse qui le rendait si morose.

Elle sourit en retour, ravie. Et Pako observait, à la fois touché et toujours préoccupé, la parenthèse dans ce périple. Il est quelque peu dérangé par la vitesse avec laquelle la louve semble oublier, ou du moins perdre de vue, les énigmes autour de l'animal qui bouscule toujours son esprit. Animal dont ils ne connaissent toujours pas le nom d'ailleurs. Une idée lui traversa l'esprit. Aussitôt Hayata eut donné tout le contenu du sac en échange des habits, que le loup se pencha sur le renard se tenant là encore debout. Et demanda s'il savait écrire en lui tendant son carnet, au moins pour savoir son nom, mais l'animal secoua doucement de la tête et repoussa le carnet d'une main. La louve se retourna vers eux, intriguée. Pako se redressa sans rien ajouter bien que visiblement déçu. Elle lui fit ensuite signe de repartir acheter le reste des nécessaires dont ils avaient besoin.

Leurs achats ne furent pas tous aussi fructueux, ils purent se procurer quelques compresses, une solution alcoolisée  et de simples bandages mais ne purent trouver de carte. Après avoir tourné longuement dans Neotasgos, ils décidèrent de faire marche arrière vers le chariot où Ernest et Omar déchargeaient la quasi-totalité de leurs balles de coton en échange d’important filés de bûches pour le chariot et de deux mystérieuses caisses.

« - Vous avez besoin d’aides ? demanda Pako en les voyant.

- T’inquiète l’ami, répondit Ernest. On a pratiquement fini de tout charger. On part dès qu’on en a l’occasion. On va avoir beaucoup de route pour peu parcourir à vol d’oiseau. 

- Je ne sais même pas où nous allons d'ailleurs je ne vous ai pas demandé ?

- Direction Fort Potamos ! continua joyeusement Omar. C’est une communauté particulière qui exploite le courant de la Dronne. Ils sont un peu cloisonnés, pour ne pas dire sectaires, mais on a trouvé ce qui pourrait grandement les intéresser sans aucun doute et nous rapporter tout aussi gros. Viens, monte, je vais te montrer, je suis assez fier de moi je t’avoue.»

Le loup s’empressa de monter et le lézard ouvrit une caisse pour lui, caisse dont les planches avait été minutieusement assemblées pour être la plus hermétique possible. Dans la caisse il y avait plusieurs sacs mis les uns dans les autres pour isoler au maximum le contenu du dernier du reste du bois de la caisse. Quand il eut ouvert ce dernier sac, il découvrit de la poudre au grain très particulier. Ce n’était pas de la poudre noire classique, faite de charbon et de salpêtre, mais de la poudre formant de minuscules granulés cylindriques. C’était sans aucun doute une poudre moderne que encore peu d’animaux maîtrisent le savoir-faire, les ingrédients et dispose des machines nécessaires à leur production. Ce n’était pas introuvable, mais dans cette quantité, cela représentait un trésor sans précédent, permettant de recharger des milliers de cartouches. 

«- Et ce n’est pas tout. Il y a la seconde caisse ! » poursuit-t-il.

À l'intérieur de la seconde, on y trouvait plusieurs sacs contenant en nombre une variété d’ogives de munitions ; de quelques petits calibres pour pistolet aux plus gros pour fusils, toutes au revêtement de cuivre, certaines à tête creuse pourvu de menaçantes pointes que l'on surnomme "dum dum". D'autres composantes de munitions s'y trouvaient, telles que des bourres ou jupes de fusils de gros calibre là encore en de considérable quantités,avec d'autant d'innombrables et précieuses amorces. 

Pako fut sidéré de voir un tel arsenal sous le regard fier de Omar.

«- Je n'ai jamais vu ça de ma vie Omar. Je pensais que Neotasgos ne vous intéressait pas ? 

- Il faut croire que je me suis trompé lourdement. Au départ nous ne cherchons que du bois pour le chariot. Mais j'ai eu la merveilleuse idée de jeter un œil ailleurs chez un marchand espagnol. Il n'avait aucune idée de la valeur de ce trésor, il n'a vu que notre coton. C'est une chance que nous avons là, de ce que j'ai entendu, le Fort Potamos est un grand consommateur de munitions et les "dum-dum" sont des munitions suffisamment rares et terribles pour qu'ils nous les prennent au prix fort.

- Je suis impressionné Omar je dois te le dire.

- Le seul point noir de ce chargement c'est qu'il faut très vite s'en débarrasser et rouler sans s'arrêter si possible, arriver dès demain matin, poursuit-il plus bas. La caisse ne craindra plus rien au Fort. Ce troc n'est pas passé inaperçu, on ne doit pas traîner pour éviter les problèmes. Les gens peuvent se montrer sans scrupules ici. 

- C'est compréhensible. Hayata moi et le renard sommes prêts à partir, tout dépend de vous.

- Très bien, je vous conseille de nettoyer vos armes, en cas de pépin sur le trajet on n'aura le droit à aucun accident. »

Le loup s'empressa de prévenir son amie et se hâtèrent de rassembler leurs affaires puis commencèrent à passer en revue leurs armes. Pako, assis en tailleur sur le sol, inspectait la culasse de son fusil à verrou. Pako était aussi agité, ses jambes bougeaient nerveusement, la situation avait pris d'un seul coup une tout autre dimension à son goût. Hayata, son amie, l'avait remarqué alors qu'elle inspectait son arme à côté de lui.

« - Hé Pako. Qu'est-ce qui t'arrive ? T'es encore stressé ?

- Non Hayata je suis pas stressé, j'ai de l'appréhension c'est tout. 

- Omar et Ernest savent ce qu'ils font Pako, c'est un minuscule trajet en plus. Et ce n'est pas que de l'appréhension ça, t'es nerveux, on dirait que tu as peur. Tu n'as pas à me cacher ça.

- Je n'ai pas à avoir peur Hayata. C'est rien ne t'inquiètes pas.

- Ne dis pas ce genre de bêtises, t'es pas moins loup pour ça. Sois pas pudique. C'est normal d'avoir peur. Je te demande juste de ne pas te mettre dans tous tes états, avoir peur c'est pourquoi nous pouvons toujours nous parler aujourd'hui. On n'a juste pas le droit au doute, on fait ce qui est à faire comme on a toujours fait. 

- Je n'ai pas envie de prendre d'inutiles risque Hayata, je ne pensais pas qu'on irait jusqu'à jouer aux passeurs d'armes. Je ne sais pas si tu mesures un peu ce qu'on va faire. C'est vraiment nécessaire de faire ça ?

- C'est un risque qu'on prend ensemble Pako. Et puis je viens de trop loin pour terminer dans un fossé pour un peu de poudre tu crois pas ? 

- Il n'est pas né celui qui te mettra dans un fossé je te le dis, dit-il plus froidement.

- Ne joue pas non plus au méchant loup, juste contente toi d'être loup. C'est comme ça que tout se passera bien. T'es nul pour faire le dur. Tu t'en es toujours très bien sorti sans. Tu te souviens de ce qu'est le plus essentiel ? 

- Quoi donc ? 

- Regarde : deux jambes, deux bras, une queue et toute ta tête. T'es entier, t'as tout pour avancer. Même si ce n'est pas évident, ça reste le vrai présent de l'instant. 

- Et ça rime. »

Elle eut un rire soudain;

« - Et ça rime… c'est pour que ça rentre un peu mieux. Termine ce que t'as a faire et arrête de me jouer du violon, la route risque d'être longue si tu flippes et que tu tires la tronche.

- Pour peu je t'appellerai maman à me parler comme ça.

- Tu as l'air de tenir suffisamment à ta vie pour ne pas le faire. Conseil d'amie. » 

Le loup leva les mains en l'air signe d'innocence avant de continuer, ils continuèrent de bavarder jusqu'au départ.

Pako détestait se battre, il n'avait jamais vraiment utilisé son arme, celle-ci suffisait pour faire peur sans tuer. Une chose lui manquait, et qu'il désirait avoir, c'est l'étoffe de combattant, de "prédateur" comme disait Hyppolite. L'idée de combattre pour tuer l'effrayait, par peur de ne pas tirer le premier, d'avoir cette malheureuse seconde d'hésitation. Il a très bien conscience des dégâts que font les armes sur les corps, dehors une blessure par balle prend très rapidement une issue fatale. La chair est si affreusement mutilée. Pako se sent vulnérable dans un monde où il est nécessaire d'avoir une arme et de ne pas avoir la force de l'utiliser, un comble. 

Hayata, quant-à elle, ne semble pas plus préoccupée, pensait-il. De plus, c'est plutôt rare de la voir réellement secouée, après tout, elle a vécu une vie de nomade. Mis à part pour le renard qui l'a dernièrement déstabilisé de manière surprenante je trouve, habituellement faisant preuve d'un grand calme lors de situations plus incertaines. Hayata a toujours soulevé un tas de questions pour moi, à la fois sur elle que sur sa vie dont elle ne parle que vaguement. Une des questions intrigantes, elle qui est si habile avec son arme, que je n'ai jamais osé lui poser, est de savoir si elle a du sang sur les mains… il y a peu de place au doute… Mais cette question n'a vraiment aucun intérêt au final… Rester concentré sur l'essentiel. Elle a raison, il n'y a pas à douter, sang ou non, je sais qu'elle pressera la détente sans hésiter là où je faillirai à nous protéger. Et c’est une chance d'avoir de nouveaux compagnons de voyage tels que Ernest et Omar qui nous sont d’une aide inouïe. Nous n'avancerons jamais aussi vite dans notre périple. Ça ne reste qu'un petit risque parmi d'autres pour continuer à avancer. Gardons les yeux droits à l'horizon et non sur l’état du raidillon. Les embûches sur le chemin ne relèvent pas de nous. Pourquoi s'attarder sur ce qui ne relève pas de notre grès ?

Le chariot était déjà parti depuis un moment, le village fulminant de Neotasgos disparaissait progressivement à l’horizon. Le chariot avait bien plus de place dorénavant mais que deux balles de coton restant, le confort qu’elles procuraient manquait déjà un peu aux passagers d’Ernest et de Omar. La route était plutôt agréable, Pako regardait le paysage qui semblait moins vallonné qu’au sud, les routes empruntées sillonnaient plus gracieusement les courbes du paysage et la route semblait comme moins encombrée rendant les secousses du voyage moindre. Le trajet emprunté n’était pas très direct, le chariot filait entre les collines pour lui épargner les incessantes pente qu’elles représentent et avoir une vitesse plus grande. Les horas passaient lentement alternant entre moments de silences, jeux de dés et bavardages. Parfois Pako essayait aussi de griffonner quelques mots sur son carnet entre deux ornières. Durant le voyage, Hayata posa beaucoup de questions sur le chariot et son fonctionnement à leur chauffeurs. Sa plus grande intrigue était de savoir comment un         chariot de bois pouvait supporter la chaleur d’une chaudière sans brûler ou user le bois par la chaleur ?

Ernest, qui n’était pas aux commandes, alla à l’arrière pour lui expliquer. La chaudière du chariot, en effet, ne reposait pas directement sur le bois, mais plus exactement sur un support en métal servant à garder la chaudière à l’écart du bois. Cela ne suffisant pas, ce support était doté d’un système de tuyau faisant circuler l’eau froide du premier réservoir d’eau à travers celui-ci simplement par la gravité. L’eau circulant en son sein permet d’emmagasiner la chaleur et ainsi éviter au métal de surchauffer et d’endommager le chariot, agissant comme un système de refroidissement à eau. Cette eau une fois chauffée n’est pas juste laissée ici. La chaleur faisant prendre du volume à l’eau, celle-ci gagne en pression lui permettant de circuler plus efficacement à travers le chariot et de parvenir plus en hauteur dans le second réservoir d’eau chaude cette fois-ci se trouvant dans la chaudière. L’eau arrivant déjà préchauffée permet à la chaudière de garder une température et une pression élevée constante. Cette pression élevée permet à l’eau d’avoir un seuil d'ébullition bien plus bas et de générer un meilleur rendement vapeur pour faire tourner les pistons et actionner les roues. Une manette se situant à l’avant qui, grâce à une système de poulie, gère la tension d’un câble venant gérer la soupape de l’entrée de la vapeur dans le compresseur du piston et permet de contrôler plus ou moins précisément le nombre de tours effectué par le moteur à vapeur. Le reste du mécanisme étant un système d'engrenage comparable à une boîte de vitesses permettant au conducteur de coordonner la vitesse du moteur et des roues mais surtout de posséder une marche arrière.

La louve semblait développer une passion grandissante pour ces machines, ce qui amusait bien Pako qui prenait plaisir à la voir si intéressée et enthousiaste avec Ernest lui transmettant un savoir, si ce n’est un petit univers fait de mécaniques et d’engrenage, qui lui sera très certainement précieux.

Le voyage se déroulait sans accroc, l’ambiance était légère et bon enfant, sauf un bête accident où Pako eut accidentellement piétiné la queue d’Hayata, ce pourquoi il ne cessait de s’excuser depuis. La soirée s’installait, le chariot avait roulé sans discontinuer, l’inconfort du long trajet se faisait difficile à supporter, assis à même le bois du chariot procurait à tout le monde des maux de dos, le plus préoccupant était que le chariot chauffait dangereusement. Une pause s’imposait. Ils se mirent loin des regards dans une forêt, seule la chaudière éclairait d’une lueur rougeoyante la pénombre environnante. Omar, doté d’une meilleure vision nocturne, allait conduire la majorité de la nuit, mais Ernest se disait rassuré de pouvoir mieux voir et s’empressa donc d’allumer deux lanternes munies de lentilles pour suivre la route. Les loups s’étirèrent dès que le véhicule fut arrêté.

Le renard se réveilla très doucement complètement étourdi et à moitié réveillé, il fit mine de se lever avec beaucoup de maladresse et avancer sans but dans le chariot. Hayata n’eut pas le temps de l'arrêter qu’il trébucha contre un sac et se rattrapa sur la première prise venue… la chaudière encore brûlante. Il hurla sur l’instant et fit sursauter tout le chariot, si bien qu’Ernest manqua de briser sa lanterne qui lui  échappa des mains. Stupéfié, tout monde le regarda nébulé se tenant la main de douleur, pendant quelques instants, la montée d'adrénaline l’avait totalement sorti de son état de faiblesse qui perdurait encore un peu jusqu'alors. 

« - Attend il s'est fait mal la, dit Hayata. Pako, tu crois pouvoir me trouver une plante contre les brûlures pour lui au cas où ? S'il te plaît ? Qu'on s'en occupe correctement. »

Le renard se laissa doucement choir sur le chariot en tenant fermement sa main, pendant que Pako descendait déjà du chariot pour s'aventurer dans les bois. La louve commença à jeter un œil à la main du petit animal qui gémissait de douleur. Elle ouvrit ses doigts pour découvrir la petite blessure, quand subitement ;

« Ça fait un mal de chien…» grogna tout bas le renard.

La louve se dressa, elle et ses oreilles, très agréablement surprise ;

« -  C'est que tu parles toi maintenant ? »

Au même moment Pako s'aventurait seul, prudemment dans les bois, son arme dans une main. Ses yeux étaient adaptés au noir, mais la canopée obstruait la lumière de la lune, rendant la tâche un petit peu plus délicate pour voir en détail son environnement. La forêt était animée par le chant des grillons dont l'écho résonnait très distinctement entre les arbres. Une sensation de solitude le prenait alors qu'il arpentait la litière, à la fois agréable et oppressante. Et réalisa subitement l'imprudence qu'il commettait là, maintenant extrêmement vulnérable seul, la nuit, dans la forêt. Il se hâta, la trompeuse sensation de ne pas être si seul dans les bois lui faisait voir des fantômes, il ne fallait pas se perdre. Derrière chacun de ses pas, la litière se redressait en craquelant, donnant la sensation que quelqu'un marchait très près… ou bien ? Il s'arrêta pour écouter la forêt pendant de très longues secondes... Les grillons, les feuillages, quelques fruits qui tombent des arbres, le terrifiant noir abyssal semblait l'absorber comme happé par la lame d'une faucille… Une sensation de vertige…  Les sons résonnaient de manière angoissante… Mais rien, son imagination s'emballait, il l'espère. 

Après avoir encore cherché, il arriva dans une éclaircie où quelque arbres morts, déracinés, ouvrait la forêt. Sur le sol, perceptible dans la lumière bleuté, du muscari, pissenlit, trèfle rouge et plantain majeur et lancéolées. Ces deux derniers feront largement l'affaire. Il cueillit une bonne quantité, le loup se dépêcha de retrouver et rebrousser son chemin. 

Le chariot en vu, tout l'équipage s'était réuni autour du renard, le loup espéra que ce ne soit pas trop grave.

Dès qu'il arriva aux abords du véhicule Hayata de tourna vers lui avant même qu'il puisse dire quoique ce soit ;

« - C'est bon Pako, il a commencé à parler. » fit-elle calmement mais enthousiaste. 

Le loup s'empressa de monter avec les plantes. Son amie lui plongeait la main dans de l'eau froide à la lumière de la chaudière, Pako, lui, commença à déchiqueter, écraser dans un peu d’eau les feuilles de plantains majeur, pour former une cataplasme, puis les presser sur la main de l'animal avant de lui mettre un bandage. Alors que la louve se chargeait de terminer ses soins, elle lui demanda ;

« - C'est quoi ton petit nom ?  »

Le renard avait les oreilles en arrière, il semblait gêné et n'osait pas lever les yeux. 

« - Je m'appelle Rick… 

- Rick ? C'est joli ça. T'as quel âge ? 

- Treize, pratiquement quatorze… 

- Tout va bien comme ça ? elle termina de nouer le bandage au même instant. 

- Oui… C'est que je n'ai pas fait attention, je me suis bêtement brûlé. 

- Tu as énormément dormi ces derniers jours, c'est normal que tu n'ais pas les idées très claires. »

Un long silence s'installa, personne n'osait poser la question qui rongeait chacun d'entre eux. 

« - Dis-moi Rick, on se pose tous la même question… Qu'est-ce qui t'es arrivé ? 

- Et bien… je me suis brûlé ? il leva les yeux vers elle.

- Non mais… quand nous t'avons récupéré dans la chaleur… à Neotasgos ? Tu te souviens ? »

Les yeux de Rick se figèrent complètement un bref instant, il sembla prendre une respiration et détourna le regard.

« - Je… je ne me souviens vraiment pas… j'ai aucun souvenir de ce jour là… » 

Une larme lui monta aux yeux qu'il s'efforça de retenir. 

« - Hé, Rick… Je sens que tu n'aies pas bien, tu peux nous expliquer tu sais ? On est là pour t'aider, c'est pour ça qu'on a besoin de savoir, répondit-elle en prenant la voix la plus rassurante qu'elle pût.

- J'ai vraiment aucune envie d'en parler Hayata… Je t'ai dit que je ne me souvenais pas…

- Rick, tu…

- Je t'ai dit que j'avais aucune envie de parler !» cria-t-il aussi brusquement qu'agressif. »

Hayata s'arrêta net dans un sursaut, bousculée par sa réaction, comme tout le reste de l'équipage. De longues secondes de silence où chacun s'était figé.

Tout aussi soudainement, un flot incontrôlable de larmes s'échappa ensuite de ses yeux, avant d'éclater dans de silencieux sanglots. 

Elle hésita… et le prit lentement dans ses bras où il s'empressa de l'enlacer. La louve était chamboulée par cette éruption que c'est à peine si elle pouvait le serrer contre elle. Hayata chercha le regard nébulé de Pako, signe qu'elle ne savait plus quoi faire.

Pako qui regarda ensuite Omar et Ernest aussi nébulés que le lui. Le loup posa sa main sur la tête du renard dans les bras de son amie en signe de soutien, puis s'en alla vers leur chauffeur ; 

« - Bon sang… Qu'est-ce que c'était ? fit Ernest à Pako qui avait le regard dans le vague. 

- Je ne sais pas bien… C'était très rapide. 

- Qu'est-ce qu'on fait ? ajouta Omar. Je suis un peu perdu.

- Laissons le pleurer un bon coup, continua Ernest. Dès qu'il se serra calmé et que la chaudière retrouvera une température acceptable, on partira sans attendre.

- Et tu en penses quoi ? lui demanda Omar.

- De ? 

- Le renard, enfin, Rick maintenant. 

- Qu'est-ce que tu veux qu'j'te dise… Il a l'air ravagé c'est tout, je crois pas qu'il fera de mal à quiconque sur ce chariot tant qu'il aura besoin d'un câlin de Hayata pour se consoler. Par contre Pako, là ce renard, il ne va pas vivre bien longtemps s'il continue comme ça. Tu devrais en parler à Hayata qui à l'air de beaucoup s'en occuper. Que ça ne lui fasse pas trop mal quand ça arrivera. Il a l'air trop fragile pour qu'on arrive tous les cinq dans le nord. C'est un renard, bouger ne va pas lui faire plaisir, surtout qu'il n'est pas bien robuste pour un mâle. Je préfère te le dire aussi cru dès le début. lança-t-il très sceptique.

- On verra Ernest, on verra, répondit Pako. »

Rick, le renard, semblait s'être apaisé, bien qu'il ne parlera pas plus pour l'instant. Roulé en boule dans le coin du chariot sur un sac, il regardait dans le vide sans dormir, les yeux plein de chagrin ou d'ennui, peut être un mélange des deux.

Ils venaient de reprendre la route, les premiers mots de Rick avaient refroidi la bonne humeur du voyage, s'ajoutait à cela la fatigue lisible sur les paupières de chacun. Pako n'osait imaginer ce qu'Ernest et Omar faisaient pour assumer la conduite du chariot. 

Personne ne parlait plus alors que la nuit était à son noir le plus profond. Le chariot, la nuit, roulant dans la forêt, était comme absorbé dans un ténébreux néant où l'on ne distinguait ni le chemin des arbres, ni le ciel des feuillages, tout autour, comme s'ils flottaient sur le Styx. Seuls les lanternes d'Ernest dégageait une aura jaunâtre à l'avant, mais insuffisante pour percer le noir et distinguer la voie depuis l'arrière du véhicule. Une expérience assez frissonnante en soit. 

Le loup jeta un regard à Hayata, plongée dans ses pensées, qui s’était définitivement mise en retrait après la scène du renard. Pako n’avait pas osé parler avec elle de ce qui s’est passé, de peur d'être entendu par les oreilles indiscrètes du renard toujours éveillé. Ses paupières étaient très vilainement creusées, rongée par la fatigue, ils avaient oublié de relayer leur sommeil. Il lui demanda gentiment de dormir et prit la première garde. Il demanda aussi à Rick de faire de même car il semblait décidé à ne pas fermer l'œil, toujours dans une sorte d'élan de boudinerie, bien qu'il n'eût pas vraiment de réponse en retour. 

Le loup fut réveillé par quelques secousses, des rayons de soleils et le pied d'Omar qui heurta sa truffe alors qu'il l'enjambait. Le lézard ne s'en rendit pas compte et le jeune loup se réveilla doucement dans la lumière dorée de la journée. Il ouvrit alors les yeux sur la canopée de ce qui ressemble être des pins d'Alep. Il se dressa et vit que c'était même une forêt de pins d'Alep d'un âge avancé. Pako affectionne cet arbre car celui-ci est très surprenant : pyrophile (un mot qu'il avait appris avec cette espèce) c'est un arbre dont la dispersion et le développement des graines est favorisé par le feu. Il prépare patiemment le terrain avec ses rameaux, ses épines qui oxygène le sol et ses cônes aux composés volatiles, la sève de l'arbre lui même est inflammable. C'est donc un arbre ayant une aussi formidable que terrible capacité à s'embraser, profitant pleinement des sécheresses pour multiplier les incendies pour proliférer, envahir l'écosystème, écrasant toute concurrence, comme c'est le cas ici visiblement.

Voir cet arbre plein de curiosité l'avait levé de bon pied, il regarda ensuite autour de lui pour voir la route et l'équipage. Le chariot roulait sur le flanc d'une colline assez abrupte, la route ayant été creusée directement dans le sol pour l'aplatir, ils roulaient au bord d'une pente assez vertigineuse dont ils ne distinguait le fond que par la végétation. Omar réorganisait un peu les affaires à l'arrière, ramassant un fusil monocoup qui avait visiblement glissé sur le plancher lors du voyage et le disposa bien calé à l'arrière entre l'une des caisses. Il semblait de bonne humeur et chantonnait de manière amusante quelques petits airs entre deux pas de danse. Hayata, derrière lui, était assise contre Rick au fond du chariot. Tous deux semblaient s'être levés depuis longtemps et bavardaient en mangeant les dernières clémentines restantes, avant qu'elles ne deviennent mauvaises. Le coup de chaud du renard de la soirée précédente semblait avoir été oublié finalement. 

« - Toi t'aime bien les fruits on dirait pas vrai ? lança-t-elle.

- Je dois t'avouer Hayata, que c'est vraiment le truc qui fait qu'on puisse que…

- Le truc qui fait que ? Que qui fait qu'on ?

- Attends, attends… je me suis embrouillé, que je retrouve mes mots. Deux secondes, fit-il en se massant les tempes. 

- Vas-y, vas-y.

- Une chose pour me soudoyer : c'est les fruits et surtout tout ceux qui sont bien, bien, juteux comme les clémentines où les oranges. Même une fois j'ai pu goûter une mangue et c'était juste tellement bon ! Ou même le citron j'aime aussi.

- Croquer dans un citron ?

- Bah oui.

- Comme ça ? fit-elle en croquant un quartier de clémentine.

- Oui comme ça. Tu veux que je le croque comment sinon ? 

- Le citron ça se met sur quelque chose tu vois ? En plus. Pour assaisonner si tu veux. Sur du riz par exemple, mais tu ne croques pas directement dedans. C'est pas bon.

- Chacun ses trucs écoute. Moi j’aime bien. C'est un fruit donc on peut le manger comme un fruit.

- Pas aussi franco en tout cas… Mais tu me mets le doute… elle vit Pako qui était dorénavant réveillé. Bah tiens Pako : citron c'est un fruit on est d'accord ? 

- Oui oui, c'est un fruit Hayata, répondit le loup.

- Bah alors on peut le manger comme un fruit, lança le renard à Hayata. 

- Même je trouve que c'est un peu… directe de croquer dedans…

- …Alors désolé de vous interrompre dans ce débat houleux, commença le loup. Mais on peut me dire où nous en sommes ? Savoir quand est-ce qu'on arrive, s’il vous plaît ?»

Omar se retourna;

« - Alors, avant tout bonjour je ne te l'ai pas dit. Et ensuite nous sommes vraiment plus très loin, le Fort est quelque part au bout du chemin, c'est plus qu'une petite question d'horas. Nous sommes arrivés plus tôt que prévu, nous avons bien roulé cette nuit avec Ernest, ça a payé.

- Je comprends pourquoi tu es si content alors !

- Pas qu'un peu, avec Ernest on réfléchissait quoi demander en échange de nos deux petits "trésors"! Et on s'est dit que le mieux serait de leur demander un maximum de billes de fer histoire de généraliser nos opportunités et pouvoir échanger avec le plus de gens. On ne peut qu'être gagnant.

- Je suis super content pour vous. La prochaine étape, ce sera quoi ?

- Tu le sauras bien assez tôt Pako, lança Ernest depuis les commandes. Mais si vous voulez me rendre un service, braquez vos yeux sur la gauche, la Dronne est quelque part en bas de la pente. Là, derrière les arbres. La voire me donnera un bon indice de où nous en sommes.

- Ça va la nuit n'a pas été trop dur ? fit-il en s'avançant à l'avant du chariot avec Omar. 

- Ça c'est pas trop mal passé, Omar et moi avons l'habitude de beaucoup rouler, nous sommes bien organisés. Le plus dur est de gérer la température du moteur. Nous avons beaucoup de chance d'avoir une excellente machine, il n'y en a pas deux qui puissent s'enfiler les kilomètres aussi bien. On l'a bien malmenée, s'arrêter à Potamos ne sera pas du luxe. C'est notre bébé à nous, faut pas la casser.

Omar s'asseya à côté du bouc avec un peu de pain.

« - Il y a souvent de la casse sur votre bébé ? continua Pako.

- Oh ça non, non. Ça va. Et heureusement car ce n'est pas donné les réparations.

Le bouc prit la manette de gaz pour la montrer au loup;

-  Peut-être cette manette qui est bizarre depuis cette nuit. Faudrait peut-être la rempl…»

Un sifflement strident déchira l'air, un craquement sec, en un instant, une balle traversa la tête d'Ernest de par en par, dans un immonde bruit de succion, des projections de sangs, de cervelle vola dans toutes les directions et sur Pako. Son corps se raidit sur l'instant, tirant la manette de gaz à fond, le chariot accéléra brusquement faisant tomber le loup à la renverse. Omar hurla dès qu'il eût réalisé ;

« - Non ! Non ! Ernest non ! il se retourna. Pako ! Le fusil vite ! »

Le loup plongea à travers chariot pour saisir l'arme entre les caisses.

« - Qu'est-ce qui se passe ? cria Hayata.

- Baissez vous et ne bougez pas ! » ordonna le loup. 

Une rafale déchira l'avant du véhicule, les planches déchiquetées, la chaudière touchée, un brouillard de vapeur brûlante se répandit brusquement. Persant la fumée, les hurlements d'Omar touché par la rafale au corps, effondré aux côtés d'Ernest. 

La vapeur se dissipa et c'est dans une vision d'horreur que les passagers virent le chariot, lancé à toute allure et sans conducteur, sur le point de sortir de route. Une secousse, le véhicule se souleva, si fort que tous les trois sentir leur estomac remonter en eux, puis une descente infernale. Plaqués au fond du chariot par la vitesse, le chariot prit dans sa course folle ricocha plusieurs fois à gauche, à droite et encore à gauche, contre les arbres dans d'effroyables secousses, des branches se pulvérisant autour d'eux, arrachés par la masse élancée du chariot. 

Il sortit d'une ripisylve à toute allure, manqua de se retourner plusieurs fois. Et finit sa course à moitié pulvérisé contre des rochers, pratiquement renversé. Pako manqua d'être éjecté par le freinage.  

Les trois ouvrirent les yeux lentement, désorientés. Hayata avait attrapé Rick de toutes ses forces. Pako, lui, avait fini sa course amorti sur des sacs. Les idées plus claires, il regarda ses mains, prisent de tremblement.

« - Bon sang… on est vivant Hayata… On allait mourir…

- Reste concentré Pako, ils sont là pour les caisses, ils seront là d'un instant à l'autre, dit-elle tout bas. 

- Merde... Reste là avec Rick pour l'instant. 

- Fait pas le con… »

Le loup prit son fusil et une grande inspiration, toujours à bord. Et s'assura d'avoir une cartouche en chambre. Il leva avec une grande prudence la tête du chariot, pour surveiller la forêt. Il n'y avait rien. Quelques craquements de branches, encore un peu lointains. À part… des gémissements. Il se tourna lentement et se rapprocha des malheureux. Les gémissements, c'était Omar semblant soupirer le nom de son ami. Le lézard s'était effondré la tête sur les genoux du bouc mort sur le coup, encore raidis. Le loup regarda l'agonisant, couvert de plaies béantes, il ne lâchait pas des yeux son éternel partenaire de voyage, le pauvre avait perdu la clarté de ses pensées, le regard un peu vague et creux. Pako voulut lui dire quelques mots, mais il s'éteignit doucement sans rien pouvoir faire. Il leva les yeux sur ce qui restait d'Ernest… glaçant, immonde. La balle avait emporté un morceau entier de son crâne, pulvérisé, la moitié du visage arraché par la violence. Le cerveau, dont il ne restait rien, comme liquéfié par la balle, ne reste qu'un flot continu de sang épais, sombre et granuleux, s'écoulant entre les lambos de peaux lâche, encore rattaché à la tête, sur lesquels quelques fragments de crâne se raccrocher encore à ce qui n’est plus qu’une boîte creuse inerte.

Le loup, complètement figé, ne pouvait quitter des yeux l'horreur, cet indescriptible horreur. Cette cascade de sang et de chair l'avait hypnotisé, il ne voyait plus rien d'autre. 

Semblerait qu'on l'appelle au loin. Une secousse, les sons revinrent, sa vue s'élargit, le bruit strident de la chaudière endommagée, Hayata qui venait de le baffer pour le sortir de sa torpeur, il n'avait pourtant rien senti et resta nébulé.

« - Qu'est-ce que tu branles Pako ?! On se tire, prend ton sac et on se casse maintenant ! Ne regarde rien ! Et toi non plus Rick ! elle lui colla le sac dans les bras. On doit traverser c'est notre seule chance. Ils veulent les caisses, plus loin on sera d'elles, mieux on sera ! »

Traverser, elle parlait de la Dronne. La fleuve était complètement asséché, seul un mince filet d'eau pratiquement stagnant circulait en son sein. Laissant autour une vaste surface de vase en grande partie desséchée. La louve poussa Pako devant elle pour qu'il emboîte la marche avec le renard. Ils coururent.  Elle ne veut personne derrière elle. Les premières dizaines de mètres furent affreusement longues pour Pako, le sentiment d'être une cible, sans couverture, pleinement à découvert. Plus ils s'approchaient du filet d'eau, moins la vase était sèche. Ils pataugèrent, puis s'enfoncent carrément dans le lit du fleuve en essayant de traverser l'eau. Pako, à la tête du groupe, s'embourbe. 

Un impact sec éclata à ses côtés laissant un large trou béant dans la vase.

« - Putain non ! Ils sont tarés ! 

- Avance Pako ! Regarde pas derrière ! répondit Hayata fermement.

- Ils veulent nous buter Hayata ! Ils veulent nous buter ! 

- Avance je te dis putain ! Reste concentré c'est pas le moment de flancher ! Calme toi ! »

Une rafale de trois balles claqua à nouveau juste à côté de lui. C'était trop, il panique. Il va mourir comme Omar et Ernest cette fois c'est sûr. Il saisit son arme aussi vite.

« - Qu'ils aillent se faire foutre putain ! » cria-t-il avant de tirer hasardeusement dans la forêt quelques balles.

Il avait été si brusque avec son arme qu'elle s'enraya de suite. Le loup força dans la panique. Tira sur la culasse de toutes ses forces. Rien à faire, le mécanisme était définitivement bloqué. Son cœur se serra. Des balles frappèrent non loin encore, l'une ricocha sur le canon de l'arme. 

« Ah ! Stop ! Stop ! Assez ! 

- Reste calme Pako ! Avance ! » cria-t-elle plus fort, le renard aussi semblait perdre espoir. 

Tous étaient embourbés jusqu'aux hanches en plus de l'eau. Pratiquement impossible d'avancer, ils se tiraient vers l'avant en poussant sur leur bras et en attrapant les rochers. Hayata réussit extirper son arme hors de la vase et ouvrit le feu deux fois en direction des tirs ennemis. Le loup dans une crise de panique totale, se coucha derrière la plus grosse des pierres qu'il eût à sa portée. 

« - C'est fini Hayata je bouge plus ! On va crever là ! Je veux plus là stop ! Stop ! 

- On va mourir dans la vase si tu tires pas ton cul de là ! Avance ! »

Une balle fendit la pierre, il se prostra, tétanisé. Il n'écoutait plus rien. Pris au piège par la vase et la peur. 

La louve se pressa de le rattraper et l'empoigna entre deux volées de balles. 

« - T'arrête tes conneries bon sang ?! Tire toi de la Pako ! Tu m'entends ?! Tire toi ! Ça va aller ! » 

Elle même commençait à douter, la vase était trop épaisse, les balles de plus en plus précises, chacune d'entre-elles pourraient les abattre. Il fallait se battre pour chacun des centimètres gagnés. 

Elle l'attrapa par le col et tira son ami dans la vase à la force de ses bras. 

De nouveaux tirs retentirent, mais pas d'impact. Encore d'autres, des volées de balles sifflantes s'échangeaient au-dessus de leurs têtes. C'était le moment de s'extirper de là ! Un groupe d'animaux armés déboulèrent sur la berge entre les rochers, prenant position et faisant feu sur l'autre côté. La fusillade était intense, les tirs discontinu, assourdissant. Mais ils purent gagner suffisamment de temps pour se hisser sur le lit desséché du fleuve, couvert de vase.

Alors que les tirs diminuaient en intensité, Pako avait trouvé la terre ferme et rampa désespérément sur le sol. Hayata n'eut le temps de s'extirper que des animaux en armes débarquèrent. 

« - Viaj manoj ! Neniu moviĝas ! » ordonna l'un des animaux. 

Le loup toujours dans la panique continua de ramper.

« - Mi diris, ke neniu moviĝu ! 

- Ne tiru ! cria Hayata. Li ne estas en sia normala stato ! »

Des animaux se jetèrent sur lui afin de le maîtriser avec des clés de bras. Il se débattit dans la panique, ce qui lui valut de bons coups de poings avant qu'ils puissent lui lier les mains et l'agenouiller sur le sol, dépouillé de son arme et de son sac. 

Les tirs cessèrent, la louve fut privée de son arme, agenouillée sur le sol, les mains sur la tête. Même traitement pour Rick. 

« - Français ? demanda-t-elle calmement.

- Qu'est-ce que tu veux ? répondit une guéparde.

- Est-ce que je peux parler à mon ami, le loup, en face ? Il ventile, il tremble, il est en pleine crise de panique je veux pas qu'il fasse de conneries. 

- Il fera pas de mal ?

- Non, non, ce n'est pas….

- Alors vous ne bougez pas, je vous interdit d'échanger quoique ce soit et vous vous tenez à carreaux. 

- Pouvez-vous m'expliquer ce qu'il se passe ? 

- Vous avez foutu le souk sur notre territoire, on a un blessé. On vous ramène au Fort pour savoir ce qu'on fait de vous. Tu sauras là-bas. Maintenant j’aimerais du silence.»

La louve ne pouvait pas tout voir, le groupe d'animaux semblait investiguer la zone, essayer de traverser le fleuve pour piller le chariot certainement. Plusieurs va et vient ont été fait vers un même personnage visible au coin de l'œil, dissimulé sous une capuche, vers la ripisylve. Sans doute leur supérieur. Après quelques instants le personnage partit, plus tard c'était aussi à leur tour. Elle ne put voir ce qu'il est advenu du chariot et dû tous avancer la tête baissée. 

Ils arrivèrent au Fort escorté par le groupe armé, entouré de nombreux petits miradors et de remparts principalement fait de tôles de récupération, y compris le grand portail. L'ambiance était assez militaire et procédurale. Ils entrèrent en empruntant un grand portail renforcé, tous les trois comprirent qu'ils ne s'agissait pas de n'importe quel fort. 

À l'intérieur la louve retrouva le mystérieux personnage vu plutôt à la ripisylve, de dos, habillé d'un gilet gris, toujours sous cette capuche. Celui-ci semblait avoir une discussion agitée avec ses subordonnés. Le personnage se retourna et enleva sa capuche. C'était une biche. En colère visiblement. Elle était très bien armée, une imposante M14 EBR, un gilet tactique noir et de nombreux chargeurs, avec pistolet à la cuisse. Son visage avait des traits très marqués, une mâchoire particulièrement dessinée, presque carrée, renforçait son air sévère et autoritaire, elle semblait implacable. La biche s'avançait d'un pas énergique vers eux, elle saisit son arme et le colla, sans regarder, dans les bras du premier de ses subordonnés venu pour se délester. 

« - Vous trois là ! Vous avez franchement intérêt d'avoir une bonne raison de m'expliquer ce que vous foutez au Fort. J'ai quelqu’un sur le billard à cause de vous. »

La biche s'arrêta juste devant Hayata, étant plus proche. Un court échange de regards assassins eut lieu. 

« - Alors tu m'expliques, louve ? 

- Nous étions cinq. Nous trois, étions les passagers de deux autres marchands qui sont morts dans l'embuscade. 

- Triste. Et vous transportez quoi pour vous faire tirer comme des lapins dans la vase ?

- De la nourriture mais surtout deux caisses, l'une de munitions et l'autre de poudre en grande quantité. 

- C'est bien ce dont on m'a parlé alors. Et ton pote le clebs ? Il a quoi ? Il ne bouge pas depuis tout à l'heure. Il a vu un grand singe ou quoi ?

- Loup aussi et…

- Je m'en fous. Si vous n'avez rien d'autre à faire ici, je vais vous demander de reprendre vos affaires et de ne pas revenir. On s'occupera des caisses et du reste de votre chariot.

- Attendez. Vous allez tout nous prendre et nous laisser dehors comme ça ? C'est la totalité de ce que nos amies possédaient, ils comptaient troquer avec vous ! On n'a même pas de nourriture tout à volé hors du chariot ! On a nul part où aller !

- Parce que vous allez repartir avec les caisses sur le dos peut-être ? Ou même repartir avec les kilos de marchandises que ce butins représente ? On n'a pas de chariot à vous refourguer. C'est pas un hôtel ici. Ça dégage.» 

La biche tourna de dos à la louve, mais Hayata lui attrapa l'épaule directement. Plusieurs armes se levèrent à bout portant de sa tête. 

« - Écoute. Prenez ce que vous voulez du chariot. Seule chose qu'on vous demande c'est de nous garder ici quelque temps. On sera prêt à travailler pour vous si ça vous arrange.»

Une des oreilles de la biche remua. Puis elle se retourna, son attention avait été piqué.

« - Toi t'es vraiment déter' à rester hein ? Ces affaires là ne sont pas de mon ressort. Mais ça peut intéresser ceux d'au-dessus. Si la réponse est oui, ne vous attendez certainement pas à un camp de vacances.

- Nous sommes prêts à faire ce qui est nécessaire.

- C'est ça, je vois, fit-elle un peu amusé. Je vais voir ce que je peux faire pour vous trois, pas de garantie. » 

Elle leva et tourna un doigt en l'air et récupéra son arme alors que le groupe s'activait ;

« - Veillez à ce qu'ils restent tous sages, je serai de retour dans quelques instants. Interdiction de les bousculer, il se peut qu'ils soient nos invités. Rompez. » 

Quelques animaux du groupe armés les emmenèrent près du portail, au pied d’un mirador, surveillé de plus loin par les soldats. Pako était toujours secoué par toute cette violence, il restait passif, apathique de son environnement.

« - Hayata, commença Rick tout bas. Les caisses, les restes du chariot et travailler pour eux ? On ne sort pas gagnant là ? dit Rick à Hayata.

- Et je ne suis vraiment pas fière. Ça à l’air d’être une belle bande de crapules en plus. J’aime pas faire la pute comme ça. Tu as une meilleure option peut-être ?

- Non… mais c’est que j’aime pas cet endroit Hayata… 

- Moi non plus Rick… » 

Hayata regarda son ami, Pako, qui avait toujours les yeux éteint, rempli d’inquiétude. Le loup continuait de trembler. Elle le prit par-dessus l’épaule, le rapprocha d’elle et cala sa tête dans son cou, lui qui avait toujours les mains liées. Elle lui chuchota ;

 « - Ça va aller p’tit loup. Un peu de patience, on va pouvoir reparler de tout ça bientôt.»

Après quelques instant, la biche était de retour : 

« - Bon, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Je commence par la bonne. Les gars d’en haut sont ok pour vous prendre, on a un cabanon de libre.

- Et la mauvaise ? lança Hayata.

- C’est que vous allez être affilié à moi. »

La biche eut un rire soudain. Mais vit rapidement que les trois restaient de marbre devant la vanne.

« - C’est le moment où vous faites semblant. Bon allez, suivez moi, j’ai autre chose à faire après. »

Le Fort avait été bâti dans une large clairière non loin du lit du fleuve. À l’intérieur, la majorité de l’espace était occupée par des centaines de mètres carrés de potager où d'innombrables plantes étaient soigneusement organisées, où de nombreux animaux s’activaient parmi les plantes et travaillaient la terre. Traversant le Fort d’un bout à l’autre, une partie du courant de la Dronne semblait avoir été déviée dans l’intérieur des terres pour alimenter une succession de moulins à eau, là inactif dû au niveau ridicule de l’eau. 

« - Vous verrez que le Fort est très organisé, chacune des choses que vous voyez à été placé de sorte que l’espace soit optimisé. Là bas il y a les moulins, de l’autre côtés des potagers il y a l'armurerie au centre du Fort. Puis nous avons des bassins enterrés nous servant de réserve d’eau de pluie un peu partout. Les habitations longent principalement les palissades. Mais vous vous dormirez dans l’une des quelques exceptionnellement disposées plus vers le centre, au moins comme ça vous serez prêts de vos lieux de travail.

- ‘’Vos’’ ? demanda Rick.

- Oui ‘’vos’’. Ici peu de monde n'accomplit qu’une tâche, vous tournerez sur plusieurs rôles comme tout le monde.

- Et comment ça nous," affiliés à vous" ? demanda Hayata.

- Car mes supérieurs estiment que c’est moi qui vous ait récupéré, donc que c’est à moi de vous garder à l'œil. Je gère surtout les groupes armés, si je dois vous surveiller un peu, en plus de ceux que j’ai déjà, ça ne me change pas tellement. Si vous ne savez pas quoi faire, que vous êtes perdu, ou que vous avez besoin de quelque chose que vous ne trouvez pas, c’est censé être moi la référence. De toute manière, je n'ai pas trop le choix. Mais franchement n’allez pas me voir pour des conneries sinon je vais pas aimer. Vous commencerez demain. Inutile de dire de vous laver, ça empeste la vase depuis que vous êtes là. Vous trouverez de l'eau dans les abreuvoirs. »

La biche leur montra leur cabanon. C'était plutôt une hutte basse dont le sol était creusé pour gagner de la hauteur. À l'intérieur il y avait trois sommiers avec des matelas grossière rembourré de fougères et de laine, dans le cercle principal de la hutte. Il y avait aussi deux petites extensions, s'enfonçant particulièrement dans le sol, où l'on trouvait deux baignoires de bois, servant apparemment de salle de bain. La seconde était simplement des toilettes creusées dans le sol avec une caisse au fond, où un petit portillon servait une intimité symbolique. 

Ils posèrent leurs affaires, tous collants de vase et Hayata s'empressa d'aller chercher de l'eau avec Pako avec de large pichets de cuivre et d'une grande bassine trouvé dans la hutte. 

Tous deux sentirent qu'ils étaient là curiosité du jour, sentant tous les regards tournés vers eux à mesure qu'ils avançaient.

Au lavoir, pendant qu'ils remplissaient les récipients, la louve vit la guéparde de tout à l’heure, elle aussi en train de remplir des pichets. 

« - Alors comme ça vous faites partie de l'équipe j'ai entendu ? fit la féline.

- Heu oui plus ou moins oui, répondit-elle.

- Vous avez du savon pour vous décrasser ?

- Non pourquoi ? »

La guéparde fouilla ensuite dans un sac et sortit une bouteille ;

« - Tiens, c'est de la saponine de lierre. N'utiliser que de l'eau et vous vous débarrasserez jamais de l'odeur. 

- Oh… merci beaucoup, fit-elle très surprise.

- Et désolé pour tout à l'heure si je t'ai mal parlé, rien de personnel. 

- Ne t'inquiètes pas… Désolé nous devons y aller. Mais merci. »

Elle tourna le dos avec Pako, elle lui chuchota;

« - Je sais vraiment plus quoi penser, Omar avait raison, ils sont un peu sectaires.»

De retour à la hutte, ils s'empressèrent de remplir les baignoires. Ils se dévêtirent tous et Hayata laissa Rick et Pako se laver les premiers. 

Le loup semblait toujours fébrile après toute l'action de cette journée. Dans l'eau froide, il se frottait lentement les yeux et les tempes pour s'apaiser. Il était non seulement plein de vase, mais avait toujours les effusions de sang d'Ernest dans le pelage du visage. 

« - Ça va aller Pako ? demanda la louve en train de l'aider à se nettoyer le visage. Je suis désolé je n'ai pas pu te parler plutôt…»

Il resta un moment immobile, les doigts sur les paupières, prenant sur lui.

« - J'ai vraiment cru mourir Hayata tout à l'heure… dit-il d'une voix étranglée.

- On y a tous pensé Pako, c'est normal… 

- J'ai perdu mon sang froid… Omar, Ernest… je trouve ça affreux ce qu'il s'est passé Hayata… J'ai complètement perdu les pédales et je t'ai mis en danger, toi et Rick… 

- Pako… regarde toi t'es encore là pas vrai ? Je suis encore là et Rick aussi. Tu prends un bain. On s'en est sorti. On est assez fort pour s'en sortir.

- Hayata… non on s'en est pas tous sorti… quand…c'est arrivé à Ernest…j'étais à quelques centimètres de mourir avec lui…et si Omar ne m'avait pas demandé de chercher son arme, j'aurais été pris par les balles aussi… comme eux… ce n'est pas une question de force…»

Des larmes lui échappèrent, il se cacha derrière sa main.

« - J'ai peur de mourir comme eux… 

- Il n'y a pas à craindre la mort Pako… sans, nos combats n'ont pas de sens. On retourne simplement dans le cycle de notre mère… Ernest et Omar sont très bien là où ils sont j'en doute pas…»

Le loup pleura silencieusement, il se dressa de la baignoire pour la prendre dans ses bras et se cacher le visage dans son cou ;

« - Comment est-ce que tu fais ? » soupira-t-il. 

La louve lui prit la tête et ils se mirent front contre front, une main sur la nuque de l'autre ;

« - Je ne fais pas Pako… J'accepte, il faut laisser couler les choses…On ne ramènera personne à souffrir. Et souffrir ne nous sauvera pas. »

Il semblait être un peu plus apaisé et le loup se réinstalla dans l'étroite baignoire. La louve passa sa main sur sa tête et sentit quelque chose de dur pris dans le pelage, le retira ensuite doucement. Discrètement, elle regarda loin des yeux de Pako. C'était un éclat blanc, un peu rugueux et dur, en son épaisseur demeurait une couleur vasculaire. Sans aucun doute appartement à Ernest.

« - Qu'est-ce que tu as retiré ? fit le loup.

- Une petite feuille de houx Pako, une simple feuille de houx… »

Quand le renard et le loup furent lavés, Hayata fit de même après avoir changé l'eau d'une baignoire. Pendant ce temps, le loup alla chercher de nouveaux de l'eau avec une bassine pour nettoyer les vêtements dehors, à proximité de la hutte, avec Rick. 

Alors que le renard continuait de nettoyer les affaires, les loups s'occupèrent du fusil toujours enrayé.

Le problème n'était pas bien grave, le collé d'une douille mal éjecté s'était plié dans la chambre, bloquant le magasin et le reste du mécanisme. Ce n'était qu'une question de patience.

Pendant leur bricolage, un très grand chariot à vapeur pénétra dans le Fort, surchargé. Celui-ci transportait beaucoup de ferail… ou plutôt ce qui semble être un moteur à vapeur. C'était les restes du chariot d'Ernest et d'Omar. Les deux amis s'approchèrent alors que le véhicule se stationnait non loin de là et que des animaux s'activaient pour installer une petite grue, ou plutôt un imposant levier, pour hisser la machinerie hors du transport. 

« - Ils nous prennent vraiment tout…soupira Hayata alors qu'elle regardait le déchargement.

- Ils tirent plein bénéfice, ajouta Pako. Attends, je dois absolument leur demander quelque chose. »

Le loup interpella l'un des conducteurs, un martre, aux commandes de l'engin ;

« - Excusez-moi, il y avait deux animaux dans ce chariot, où sont-ils ?

- Les deux dépouilles là, tu veux dire ?

- Oui, si vous voulez. Qu'est-ce que vous en avez fait ?

- Je ne sais pas trop, ils ont dû les enterrer comme ça dans la vase du fleuve, je n'ai pas cherché à savoir. »

Il se retourna, énervé et triste, vers son amie.

« - Ils n'en ont strictement rien à foutre, cracha-t-il. Viens on s'en va. » 

Il marcha d'un pas décidé sur quelque mètres et repris ;

« - J'aurais préféré rester dehors qu'être ici avec ces… ces… Pourquoi rester ?!

- Je sais Pako. Mais pour aller où ? On n'a même pas idée du village d'haut dessus. 

- Ils ne respectent même pas nos morts ! 

- Qu'est-ce que tu veux que ça leur fasse ? Ils ont juste trouver un moyen de tirer avantage de notre situation c'est tout. On ne va pas rester longtemps ici. Juste assez pour se réorganiser. On verra ensuite. L'avantage ici c'est qu'on n'aura pas à se soucier de manger ou de dormir. Je suis autant énervé que toi mais là on doit faire profil bas ou on ne va pas s'en sortir. 

- J'aurais aimé dire au revoir à Ernest et Omar comme il se doit Hayata. Ils ne méritaient pas ça.

- J'aimerais aussi Pako. Mais Ernest et Omar comprendraient la situation aussi bien. 

- Ça m'énerve. Vraiment. C'est une journée de merde. C'est dégueulasse. Ils sont dégueulasses. Et savoir qu'on s'écrase devant eux c'est pire. »

Le loup rumina sa colère toute la journée, mêlé à un peu de morosité. Avec lesquelles il s'efforça de nettoyer chacune de ses affaires encore souillée de vases. 

Une chose qu'il avait remarqué malgré son humeur, c'était l'étrange normalité du renard. Celui-ci avait très radicalement changé. Encore le soir dernier, il semblait encore très perturbé par ce qu'il devait avoir vécu à Neotasgos. Mais maintenant, même avec cette attaque, il semble d'un calme presque perturbant pour son âge. Peut-être ne comprenait-il pas encore tout ?

Pako lui, en avait encore parfois les mains qui tremblent. Au point de se demander si lui-même manque de ténacité. Il se demande alors s'il est le maillon faible. Ernest disait que le renard n'allait vivre longtemps s'il reste pris par la souffrance. Mais quand n'est-il de lui ? 

Le lendemain matin, c'était la biche vint les chercher à leur hutte. Quelques instants plutôt, le monde avaient été réveillés par le son strident d'une cloche rouillée, vers 4 horas ortus. D'autant plus désagréable que la nuit avait été difficile, particulièrement pour Pako, et la journée s'annonçait d'une chaleur écrasante, le soleil frappait très lourdement dès le matin et ne portèrent donc rien de superflu.

Sans politesse et sans attendre elle commença d'un ton très suffisant ; 

« - Vous allez travailler la terre pour quelques jours. Ce n'est pas moi qui vais vous expliquer comment ça fonctionne, d'autres animaux vont le faire pour moi. J'ai plus important. » 

Arrivée aux plantations, elle désigna rapidement du doigt une silhouette parmi d'autres, dans les plantations et s'éloigna aussi tôt.

« - Elle, franchement, elle commence déjà à me les briser, pesta Hayata.

- Patience, elle ne nous collera pas beaucoup normalement, si ça peut te rassurer. » fit Pako qui s'avança dans les potagers.

La louve lui attrapa le poignet.

« - Attends mais Pako, dit-elle plus bas. Je réalise, je n'ai jamais travaillé la terre moi. Je vais faire comment ? 

- Oh et moi non plus ! rencherra Rick.

- Pas grave, on n'est pas tout seul et de toute manière je pourrais vous montrer. Juste regardez où vous mettez les pieds et n'écrasez rien au moins. »

La silhouette se leva alors que le trio se rapprochait. C'était à nouveau la guéparde. Elle est le reste des maraîchers avaient le haut du corps nu pour réaliser ce labeur offrant peu d'ombre et de fraîcheur. La guéparde sembla très agréablement surprise ;

« - Tiens voilà ma prisonnière ! » charria-t-elle.

La louve hésitait entre être exaspérée ou amusée. Mais la féline semblait bien moins… piquante que la biche, à ses yeux.

« - On va dire ça ! répliqua-t-elle en serrant un peu les crocs tout de même. 

- Alors vous êtes là maraîchères que… la biche nous a désigné ? ajouta le loup.

- Ah vous l'appelez “la biche” ? pouffa la guéparde. Elle ne kifferait pas trop je crois. 

- Bah tiens, soupira très bas Hayata.

- "La biche" c'est Alison. Moi c'est Elsa et je ne suis pas "maraîchère" à proprement dit. Comme beaucoup de gens ici, je change de tâche tous les quelques jours. Bien que ce ne soit pas le cas de tout le monde. Mais vous pouvez déjà vous y mettre. On n'a vraiment pas de temps à perdre, on doit désherber toutes ces rangées. Là, ici on a de la fève, choux fleur, pomme de terre, associé. N'arrachez rien d'autre ok ? C'est vraiment beaucoup de travail que nous avons là et nous sommes pas toujours sûr que tout tienne jusqu'au bout… Vous avez l'habitude de faire ce genre de choses   ou ?

- Seulement moi, répondit Pako. Mais ne vous inquiétez pas je peux leur montrer, sauf s'il y a des choses précises à savoir.

- Je vais te faire confiance alors, juste désherbez les rangées ça nous rendra beaucoup service. »

Le trio se mirent sans attendre au travail. Le soleil rendaient les choses pénible, seuls les plantes procuraient un peu de fraîcheur réconfortante près du sol.

Pour le renard, c'était une corvée ingrate. 

« - Pako, tu peux m'expliquer ? Genre sérieusement, lança Rick tout bas entre les plantes.

- Je sens que t'aime pas ce que tu fais toi.

- Pas que. Je ne comprends pas pourquoi on passe autant de temps à désherber tout ça à la main, sous le soleil et à cuire sur place depuis ce matin, faudrait les laisser quoi.

- Je vais essayer de faire simple, désherber c'est super pour pailler les plantes rapidement, plaquer les herbes au pied des cultures permet d'apporter de la fraîcheur et de couvrir le sol, ça garde l'eau. En plus d'apporter un peu de matière pour qu'elles se nourrissent. Et déraciner les herbes permet d'éliminer la concurrence, elles se bousculent moins pour la place que prennent leur racine et trouver l'eau ou des nutriments dans le sol comme ça les plantes poussent mieux, donnent plus. 

- D'accord mais alors pourquoi mettre trois plantes différentes sur une même rangée  si c'est ça ? C'est de la concurrence aussi et on s'embeterait moins à toutes les remuers.

- Je sens une odeur de mauvaise foi. Et justement ces plantes ne sont pas choisies au hasard Rick. Déjà il est très important de garder une certaine diversité au sein d'un milieu, quel qu'il soit. Toutes ces plantes dépendent d'insectes, que ce soit pour leur reproduction que leur protection. N'avoir qu'une plante n'attirent qu'une population d'insectes. Plusieurs plantes permettent d'attirer une plus large proportion. 

- Pour se faire manger par plus d'insectes au final ?

- Toujours de la mauvaise foi. Et non justement. Elles attirent aussi des prédateurs qui viennent réguler les insectes, dont les parasites, et protègent les cultures. Avec assez d'insectes, ils se régulent très bien entre eux comme dans la nature. Le reste des pollinisateurs permettent d'obtenir les légumes et les fruits, c'est donc important que le potager puisse les attirer. C'est pour ça que tu trouveras souvent des capucines parmi les plantes, elles luttent contre les pucerons et attirent les pollinisateurs. Sans diversité dans tes cultures, tout ton travail peut être balayé par le premier ravageur venu et n'avoir eu aucune production avant.

- Et la concurrence ?

- J'y venais, pour la concurrence, comme je le disais, ces plantes ne sont pas choisies au hasard. Les plantes ne sont pas toujours en compétition, certaines se complètent ou se "tolèrent" si tu veux. Ici, les fèves, patates, choux fleur, sont des plantes qui se tiennent plutôt bien compagnie. Elles apportent et se nourrissent de différentes choses, attirent les insectes protégeant leur voisine et leurs racines occupent différents espaces : certaines sont traçantes et se développent plus en surface, d'autres sont pivotantes et s'enfoncent profondément dans le sol. Elles ont toutes des besoins différents, ça permet d'éviter de trop épuiser le sol à prendre les mêmes éléments, là où une espèce unique prendrait toujours la même chose jusqu'à épuisement, se retrouvant en concurrence entre-elles à cause de leur besoin communs. Un exemple classique de ce principe s'appelle les "Trois soeurs" : maïs, haricots, courges. Le maïs sert de tuteur à l'haricot, l'haricot et le maïs profitent du couvert des courges et l'haricot apporte de l'azote au sol pour les deux autres. Ce principe, c'est la permaculture.» 

Rick prit quelque instant pour saisir ce qu'expliquait Pako, alors qu'une araignée sauteuse venait de saisir une chenille sous ses yeux.

« - C’est un peu comme si toute chose avait sa place ? fit le renard.

- De bout en bout. Mère nature est une horlogère, c'est important que chacun de ses engrenages soient à leur place. On ne fait que se greffer parmi ces autres engrenages, on ne les assemble pas. »

Le loup vit la petite araignée que le petit animal regardait et la prit sur son doigt avec la chenille;

« - De la chenille jusqu'à cette araignée. Elles font que tu mangeras les fèves des plantes que tu désherbes péniblement aujourd'hui. »

Le soleil arriva à son zénith, les rayons frappaient durement sur les têtes. Tous avaient terminé torse nu aussi, le pelage, être pratiquement statique dans la chaleur rendait insupportable la tâche. Pako avait même mis un peu d'argile sur le bout de sa truffe pour ne pas qu'elle soit brûlée par le soleil, celle-ci dépourvue de la protection d'un pelage.

« - Ça va on n'a pas mal travaillé, fit Elsa, la guéparde, allongée à l'ombre d'un pommier. C'est vraiment soulageant d'avoir trois paires de bras en plus pour cultiver. Sans vous on n'aurait pas aussi bien avancer.

- Et nous n’avons pas encore terminer, soupira Hayata.

- C’est pas grave, répondit Elsa. Déjà vous nous soulagez de beaucoup d'horas de travail. Tu vas voir Hayata, là c’est le taff le moins drôle mais à la fin de la journée on va pouvoir récolter directement ce que l’on veut manger pour ce soir. Nous avons généralement l’habitude de manger ensemble après le travail, de partager ce que l'on a produit la journée. »

La louve eut l’air agréablement surprise.

« - Comme une sorte de banquet ?

- Tu peux voir ça comme ça. Certains soirs sont plus festifs que d'autres. C'est un peu la récompense. Tu as l'air surprise ?

- C'est que… je ne sais pas, je m'attendais pas à ça.

- T'inquiète pas Hayata. Je vois ce que tu veux dire. Ici l'ambiance peut paraître très rigide mais c'est pas non plus une prison, il faut se laisser vivre quoi ! C'est Alison qui t'as laissé cette impression surtout non ?

- T’es du genre perspicace ? 

- Peut-être bien. Tu ne l'as trouverais pas un peu froide, voire austère ?

- Et pourquoi ?

- Parce qu'elle l'est, ria-t-elle. J'ai eu assez longtemps ce malaise à cause d'elle à être si sérieuse et distante tout le temps. Elle est comme ça avec absolument tout le monde. Vous ne faites pas exception.

- Perso ça fait pas deux jours que je suis là et elle me pompe l'oxygène, c'est incroyable. Insupportable à nous prendre de haut.

- Déjà qu'elle voulait nous mettre dehors, lança Rick qui écoutait la conversation. 

- Je peux comprendre que c'est pas drôle pour ça, fit Elsa. Mais une chose que je ne peux pas lui retirer, c'est qu'elle fait très bien son travail, faisant ce qui est le plus juste pour ses objectifs ou ses ordres. Quand elle vous a vu, elle n'a fait qu'appliquer les consignes. C'est incontestablement une très bonne leader et un atout pour le Fort. Ça reste de quelqu'un d'extrêmement respecté et ce n'est pas volé. 

- À ce point ? répondit la louve.

- Si tu savais. Je te raconterai ce soir, on doit manger, s'y remettre, comme ça nous aurons plus vite terminé la journée.»

Ils se remirent au travail sans plus attendre, continuant de désherber les rangées à la main, même au plus chaud de l’après-midi. Dès que le soleil commençait à disparaître derrière les arbres, ils arrosèrent les ranger avec toutes sortes de récipients, bidons, pichets et autres grandes chantepleur. Leur de la récolte, chacun des animaux cueillirent les denrées qui en avaient le plus besoin et les entassèrent sur de grands tapis d'osier. Les fèves étaient le plus gros de la récolte, un tas très impressionnant s'élevait parmi les autres laitues, carottes et encore.

Un atelier d'écossage de fève s'ouvrit sur une surface dégagée au milieu du Fort, où les deux loups, le renard, se mélangèrent parmi les animaux volontaires agenouillés au sol. D'autres se chargeaient de compter, peser, conditionner la production destinée à la réserve de vivre.

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