Chapitre 3

 Le reste se chargeait de ramener de très grandes casseroles, marmites, certaines bien plus larges que les épaules, d’autres s'apparentant plus à d'impressionnants wok, posées à même le feu, bouillir de l'eau, commencer les préparations. Les légumes frits dans des poêles, les fèves grillés dans l'huile d'olive, mêlés à des bouillons, des salades de laitues ou bien mis en soupe. Les cosses des fèves n'étaient pas non plus jetées, elles furent découpées en morceaux, écrasées, bouillies longuement pour en faire aussi une soupe de bonne consistance. On décorait notamment les plats de nombreuses herbacées et de fleurs, trèfle rouge, plantains, racines de pissenlit grillées, graines de pavot. Pour d'autres moins pressés de manger, des infusions de fleurs mâles de Pin d'Alep sucrées au miel accompagnés de biscuit de mer, cassés et partagés. Il y avait dans l'air une atmosphère légère envahie par la vapeur des cuissons, l'odeur du poivre tout juste pilonné, les animaux discutaient, s'amusaient, certains, au coin de l'œil, flirtaient peut-être bien aussi. 

Le groupe d’amis s’étaient installé avec la guéparde autour d’un foyer où une marmite pleine de soupe bouillonnait. Pako n’avait pas spécialement faim et avait fait infuser un peu de menthe dans un bol de bois. 

« - C’est comme ça tous les soirs ? demanda Rick à la guéparde.

- Pas ‘’toujours’’ non plus, c’est à l’occasion vous voyez, ce soir il fait encore chaud, la récolte est plutôt bonne pour notre nombre, ça se fête. Mais on ne pourra pas participer à chaque fois, quand on est de garde par exemple on ne peut pas manger avec tout le monde.»

La louve vit passer Alison, la biche, non loin de là.

« - Un peu comme elle ? lança-t-elle.

- Elle ?

- Alison là. Elle vient de passer.

- Oui si tu veux. Mais elle ne va jamais manger avec nous. Elle est constamment occupée à gérer ses effectifs et surveiller le fort, l’armurerie, les environs avec les patrouilles. Vous n’allez pas plus l'approcher que quand elle va vous donner des ordres ou vous faire partir en patrouille avec elle. 

- Ça doit être une vraie peau de vache quand j’y pense. Toujours avec son air sévère et ses sourcils froncés "h vingt-quatre"

- Alors oui. Mais c’est clairement loin d’être la pire pour ça.

- Du genre ?

- Si vous regardez bien vous verrez peut-être un dragon de komodo parmi les autres. »

Pako eut un rire soudain ;

« - Un dragon de komodo ? Qu’est-ce qu’il fout là ? On n’en voit jamais !

- Alors déjà oui on n’a aucune idée de comment il a atterri ici. Mais il est là depuis très longtemps, peut-être plus qu’Alison, il est vraiment très bien placé. Il est connu pour être assez impitoyable pour faire respecter sa notion de l’ordre. Personnellement il m’apprécie plutôt bien donc je ne m'inquiète pas trop. Mais je vous déconseille très fortement de jouer à la tête brûlée avec lui, il tire dans le dos au moindre désordre.

- Elle est charmante votre hiérarchie…

- C’est l’expérience qui l’emporte écoute.»

Une silhouette s’éleva derrière la guéparde et une main écailleuse lui tapa l’épaule. 

« - Bah tiens, Elsa. Tu traînes avec les prises d’Alison ce soir ? » fit le grand reptile d’une voix surprenamment claire. 

La guéparde leva la tête pour lui répondre.

« - Oui, tu ne les avais pas vu ? 

- Non, il scruta le trio assis autour d’elle. Je vois, je vois, tous des canins alors ? »

Le dragon se pencha sur Rick ;

« - Bah tiens y en a un qui est vraiment tout jeune parmi les trois. T’as intérêt à servir à quelque chose ici p’tit bonhomme ! »

Cela dévisagea sur le coup le renard qui retroussa ses oreilles en arrière. Le reptile ricanna d’une voix gravement désagréable. Il poursuiva en mettant ses mains sur les épaules de la féline ;

« - Toi qui était là avec eux hier, tu remercieras Alison de les avoirs apportés, ça fera bien le travail. Oh hé, j’espère que tu ne leur parles des “O.E.” pendant que vous souper c’est un peu tôt, fait pas la bêtise ! » semblait-il la charrier.

Elle ria poliment; 

« - Ne t’inquiète pas pour ça, Gérard. Il n’y a vraiment pas besoin.

- Je vais te laisser là j’en ai d'autres à visiter ce soir, sage ok ? » termina-t-il en tapotant deux fois du doigts la tête de la féline et s’en alla. 

Rick le renard se tourna aussitôt vers Pako, toujours les oreilles en arrière ;

« - Lui il fait super flipper pour le coup comparé à Alison, lança le renard.

- Grave, je le trouve un peu frappé aussi, répondit Pako.

- Elsa, interpella Hayata. Donc ce lézard vous donne des ordres ? 

- Pas toujours directement, mais on peut dire ça. Il est une tête au-dessus de Alison disons. 

- Et c’est quoi les O.E. dont il parlait ? 

- Ça c’est rien. ‘’Opération Extérieur”. C’est une expression pour dire qu’un convoi sort du Fort. C’est quelque chose dont on n’a pas le droit de parler dans l’anceinte pour des raisons que de toute façon vous n’avez pas besoin de savoir. Ça ne vous servira pas. »

La louve semblait un peu déconcertée, le discours était étrange ;

« - Heu d’accord ? Vous avez de très drôle de manière de faire.

- Tu crois qu'il nous a entendu parler de lui pour surgir comme ça ? lança le renard.

- Ne t'inquiètes pas pour ça, son espèce à une ouïe catastrophique, il ne t'entendra que si tu t'adresses directement à lui. Il est juste passé pour se mettre en scène.  » 

Quelques instants de silence interrompirent la conversation. 

« - Tu as vachement l'air de te plaire dans un endroit avec des personnages vraiment étranges comme Alison et Gérard ? Qui ne devraient pas être les seuls je crois, continua le loup.

- Ce n'est pas tellement eux qui comptent j'ai envie de dire. Ce qui compte ici c'est que le nombre, l'organisation, fait qu'on survie, qu'on vie. On a des ressources, on travaille pour nous même, on récolte la sueur qu'on donne. Et puis, regarde autour de toi, les gens, on vit, réellement, on est un peu une famille, quelque part et j'aime ça. Bien que ce n'est pas toujours très facile non plus… le Fort est extrêmement convoité, lui et ses ressources, on entend souvent que l'on perd quelqu'un, ici, là, on retrouve quelqu'un dégorgé au matin car on a tenté de piquer une bouchée de pain… Rien que l'escarmouche d'hier, quand vous êtes tombé dans la Dronne, l'animal blessée est morte pendant la nuit, je l'ai appris ce matin en partant au travail. Une balle dans l'estomac.

- On aura tous perdu quelqu'un ce jour là… soupira Pako. Je suis toutefois quand même désolé pour toi.

- Tu sais ce n'est pas grave, je ne connaissais pas vraiment cette personne là. Elle n'était que de temps en temps dans ma patrouille. Pour l'instant je ne connais pas suffisamment les gens. On se mélange beaucoup. Et vous ? 

- Nous on a perdu deux personnes à ce moment-là oui… Omar et Ernest. On ne les connaissait que depuis peu au final.»

Le loup sortit son petit carnet d'une poche et ouvrit à la page de son poème illustré par son amie, le soir de Neotasgos, une nuit d'étoiles.

« - Ils nous ont rendu énormément service. Ils nous ont parlé de leur histoire, de leur vie, ils étaient très drôles ensemble. Les deux, à la fois sages et enfantins. En l'espace de quelques jours ils m'ont appris. Je commençais à m'attacher à eux, à croire qu'ils iraient dans le nord avec nous, puis ils sont partis aussi soudainement. »

Il eut un petit soupire morose, Hayata se pencha pour lui faire une petite caresse sur la cuisse. Pako, se frotta pudiquement un œil.

« - C'est pas grave Elsa, fit la louve. C'est récent. Il est un peu émotif, c'est encore un peu dur à absorber pour lui. 

- C'est pas grave, je préfère voir quelqu’un qui n'a pas peur de laisser une larme, répondit-elle. D'autres font trop les mecs devant des choses aussi sérieuses, y a rien de beau à rester de marbre. 

- Tu sais Elsa, continua Pako avec un ton plus sec. J'ai un peu un goût amère envers… tes collègues ou je sais pas. Qui les ont enterrés sans nous demander quoique ce soit dans des tombes anonymes, dans la vase. »

Elle resta bouche bée, un instant et dit finalement ;

« - Je comprends, mais malheureusement c'est comme ça que les gens du Fort procèdent avec les inconnus. C'est nous contre les autres, tâche de ne pas l’oublier..»

La soirée s’écoula tout doucement, la soupe de la marmite aussi. À la fin, il n’en restait rien. Ils regardèrent quelques danses des animaux du Fort alors que la pénombre s’installait. Le trio ne resta pas jusqu’au bout, pressé de se reposer. 

Le jour suivant, ils furent de nouveau réveillés à la même horas. Cette fois-ci, les tâches étaient plurielles : paillage de nombreuses rangées, plantation de semis de tomate à la chaîne… mais la pire, la plus répugnante de toute était la récolte des latrines dans la matinée, sous forme de bacs accessibles de l’extérieur de chaque cabanons. Les fèces étaient ensuite déversées dans des sortes de cuves de bois à ciel ouvert, là où celle-ci reposeront pendant près d’au moins un an, en résulte l'obtention d’une sorte de compostage dont le Fort se sert pour fertiliser ses sols. Le trio en avait justement répandu durant la journée même, la matière étaient curieusement inodore et ne laissait en rien deviner l’inconfortable chose qu’il en était. C’était une organisation nécessaire à l’autonomie à long terme de cette agriculture, les moyens de fertilisations étant restreint.

Un moment dans l’après-midi, Pako et Rick longeaient une haie âgée d'arbres fruitiers, plantés à même les cultures, en transportant des brouettes de paille. Le renard s’arrêta au pied d’un arbre, pour marquer une pause, la brouette étant lourde et pratiquement aussi grosse que lui. Il leva le museau vers les feuilles, l’aspect abîmé de l’arbre, les feuilles brunies et les rameaux secs.

« - Pako ? Tu as idée pourquoi plusieurs arbres comme lui font la gueule ? 

- Les pommiers tu veux dire ? »

Le loup marqua un instant pour l’observer. 

« - C’est normal aujourd’hui de les voir comme ça. On ne peut plus faire grand-chose pour eux. Viens, on doit finir de pailler.

- Comment ça ? Je ne comprends pas ? »

Le loup repris une brouette et lui répondit en avançant ;

« - Tu vois Rick, les pommiers sont des arbres qui ont besoin d’avoir froid en hiver. C’est peut être un peu compliqué à s’imaginer. Mais c’est grâce au froid qu’il arrivent à faire des fleurs, puis des fruits. 

- En effet je ne comprends pas des masses… Qu’est-ce que tu m’expliques exactement ?

- T’es pas sans savoir qu’il fait toujours plutôt chaud constamment dans l’année, faisant que du printemps à l’été nous avons beaucoup de sécheresse et le reste surtout de la pluie et des tempêtes. Mais sache que les arbres ont connu un temps où l'on pouvait distinctement discerner les saisons, qui deviennent un concept abstrait je trouve. Et l’hiver, il devait faire bien plus froid que ce qu’on connaît nous. Les pommiers eux, ont sans aucun doute besoin de ce froid, on le sait car les seuls années où ils donnent sont celles où il fait un petit peu plus froid que d’habitude. Comme ci les choses devaient fonctionner ainsi. On a donc appelé ça la vernalisation, c’est le besoin de certaines plantes d’avoir froid pour fleurir.

- Bah… pourquoi il fait trop chaud alors ? »

Le regard de Pako se perdit un instant dans le vague, lui-même ne pouvait pas vraiment y répondre.

« - Tu me poses de ces questions… C’est encore une histoire de grands singes Rick. Je ne sais pas du tout… Il y a beaucoup de plantes qui ne s’y retrouvent plus dans le cycle de Mère nature aujourd’hui… C’est aussi quelque chose qui  me travaille. C’est pour ça que l’on migre Hayata et moi. Ici, les plantes s’éteignent progressivement. Ces pommiers le montrent bien, ils puisent dans leurs forces car ne peuvent plus respecter leur propre cycle. Ils s’épuisent, ils meurent lentement, si on reste, nous avec, sans leurs pommes. C’est pour ça qu’il faut partir tant qu’il n’est pas trop tard. Je trouve qu’ils ont beaucoup de chance au Fort d’avoir autant de plantes. À défaut de donner des fruits, leurs pommiers protégeront les plantes du vent pendant un temps j’imagine, si c’est au moins pouvoir certaines choses du bon côtés.»

Ils continuèrent leur tâche, le petit renard se retrouvait progressivement à la traîne du reste du groupe de maraîchers. Avec sa petite taille et son petit âge, son allure fluette, la chaleur, le travail de fond s’avérait difficile. Au même moment, alors que Rick se trouvait alors non loin d’un sentier bordant les cultures, la biche, Alison, passait avec quelques-uns de ses subordonnés. Elle regarda les trois nouveaux travailler quelques instants, à quelques pas du renard.

Du point de vue de Hayata un peu plus loin, la biche, après avoir marqué une pause, semblait hésiter sur quelque chose. Elle repartit sur quelques mètres, suivant ses subordonnés. Mais s’arrêta soudainement, fit un signe à ses coéquipiers qu’elle laissa partir devant, et se hâta au niveau de Rick toujours dans les cultures. Alison se baissa dans sa direction, des mots s’échangèrent, Rick avait l’air surpris. Il regarda par-dessus son épaule Hayata, qui l’observait de loin, avant de sortir des cultures et de suivre la biche.

La louve se dressa sur l’instant ;

« - Attend elle nous embarque Rick ? 

- Alison ? répondit Pako en se dressant à son tour.

- Elle va faire quoi de lui ? 

- Comment je saurai ?

- Je vais le chercher ?

- Non laisse.

- Elle a intérêt à me le rendre en entier.

- Qu’est-ce que tu veux qu’elle lui fasse ?

- Je ne sais pas, mais je n’aime vraiment pas qu’elle le prenne à parti comme ça. »

Elsa, la guéparde plus devant, vit qu’ils s’étaient arrêtés ;

« - Vous continuez ? On terminera sa rangée après. On n’a pas la journée ! »

Ne pas savoir laissa un goût amer pour eux, surtout Hayata qui remua la question jusqu’à la fin de la journée. Le soir, alors que les récoltes de fin de journée touchaient à leur fin, le renard était de retour, sortant d’entre les patrouilles. Il avait l’air d’aller très bien, les deux loups soufflèrent, rassurés.

« - Alors tu t’es fait kidnapper p’tit rouquin ? charia Hayata, plus pour décompresser.

- Un peu on peut dire, ce n’était pas prévu.

- Il t'est arrivé quoi ? continua le loup.

- Ça va vous paraître étrange mais… J’ai accompagné Alison pratiquement tout le reste de la journée. Je l’ai aidé à faire des comptes, porter quelques caisses, à l'armurerie. Puis presque rien au final comparé à ce que je devais faire au champ.  

- Et tu sais pourquoi ? fit la louve déconcertée.

- Elle trouve que je suis trop jeune et chétif pour travailler toute la journée au champ. »

Les loups se regardèrent étonnés.

« - Tu veux dire qu’elle a eu pitié de toi ? fit Pako amusé.

- Donc la peau de vache la, n’a fait que t’éviter de travailler ? T’es sûr de toi sur ce coup là ? demanda Hayata.

- Je suis aussi étonné que vous, elle s’est même prise la tête avec le dragon là… Gérard. Il voulait que je travaille plus. 

-  Du coup maintenant tu ne travailleras plus au champ si j’ai bien compris ?

- Non je n’ai pas l’impression. Mais c’était amusant en vrai, je l’ai trouvé bien moins rigide avec moi, c’était nettement plus confortable que dans les cultures sous le soleil. 

- Oulah, la louve baissa les oreilles. Il y a anguille sous roche Rick. Méfie toi d’elle. À part essayer de t'embrigader avec eux, je ne vois pas ce qu’elle essaye de faire. Omar nous avait prévenu n’oublie pas. Notre premier objectif c’est de partir d’ici je te le rappelle. Et ils le savent très bien. On est de la main d'œuvre pour pas cher à leur yeux. Reste sur tes gardes ou tu ne ressortiras pas de ce Fort c’est moi qui te le dit.»

La fin de la soirée s’écoula avec le même soupé commun de la soirée précédente, tous se couchèrent sans attendre dès les le couché du soleil. 

Au levé du soleil, il eut un rassemblement et une rotation des tâches. Le groupe de travail dans lequel se trouvait le trio et la guéparde allait être permuté au moulin et à la boulangerie. Leur tâche allait d’être de produire à la chaîne des biscuits de mer et du pain levé pour le fort pratiquement toute la journée avant de changer à nouveau de tâche pour le jour prochain, peut être de la surveillance si Pako avait bien compris. En tout cas il n’allait pas travailler l’entièreté de la journée, pour cette fois, une sépulture était prévue en début de soirée, pour l’animal qui est décédé en affrontant les pillards. Chose qui avait énervé Pako, songeant encore à la sépulture volée d’Ernest et Omar.

Cette boulangerie se trouvait non loin des moulins à eaux au centre du Fort, à quelques dizaines de mètres de l’armurerie. À cette horas, il était question de se répartir les tâches. Les moulins étant à l’arrêt, un moulin ‘’de secours’’ avait été bâtis il y a longtemps, consistant à utiliser la force de ses bras pour faire tourner la meule à rayons. Hayata avait été désignée parmi un groupe de trois animaux, dont la guéparde pour cette tâche pénible, à cause de sa bonne condition physique. La besogne étant plus intense mais plus courte, ils termineront bien plus tôt leur journée. Pako lui, fut pris d’office à la boulangerie, à la grande surprise d’Hayata. Elle découvrit à ce même moment qu’il savait faire du pain. Le loup expliqua, à défaut de pouvoir s’approvisionner dans la nature durant les sécheresses, qu’à son village il se nourrissait pratiquement que grâce au salaire de petits travaux : tireur de charette, travailler aux champs, assister aux boulangeries et jusqu’à s’improviser bûcherons. « La faim force la main », comme disait-il, ce n’était pas un choix pour lui, dans les moments les plus durs tout est à prendre, le tout était de pouvoir manger et faire preuve de flexibilité.

Tandis que Rick, lui, suivra Alison comme le jour précédent, ce qui fit grincer les crocs d’Hayata plus d'une fois à cette idée. 

Une fois sur place, ils se mirent sans plus attendre au travail, les deux loups et le renard se saluèrent car ne travailleront pas au même endroit. 

Pour la louve, le travail, comme annoncé, de meuler les grains de réserve, s'annonce être à la fois d'une monotonie assommante et une épreuve physique difficile.

La meule à rayon avait été placée au centre d'un cercle pavé. Les pierres au sol étaient incisées régulièrement pour une meilleure adhérence au sol pour les travailleurs. La boucle où ils allaient tous faire les cents pas étaient séparée quatre par de longues et robustes barre de bois, s'apparentant à des rames, enfoncés dans le meulier supérieur pour la faire tourner. Le grain était versé continuellement à la main dans un trou au centre de la meule, depuis une plateforme accessible de par une échelle, enjambant la boucle des pousseurs, pour alimenter constamment le procédé sans déranger la course des meuniers. La farine tombait dans un collecteur circulaire entourant la meule au centre de la pièce, de par les extrémités des pierres. La louve, la guéparde, se mirent ensemble sur la même rame, chacune des rames ne pouvant qu'accueillir que deux animaux à la fois. Le pénible effort commença, le plus dur était de lancer la meule, d'écraser les premiers grains. Sentir soudainement la force dont il est nécessaire, avec les muscles pris à froid, se montre extrêmement décourageant devant la taille de la tâche ainsi que le poids de la masse à déplacer. Ce n'est qu'en voyant les premières retombées de farines s'extirper d'entre l'interstice des pierres que l'on récoltait un soupçon de satisfaction. Faire tourner cette meule était un véritable sport de fond mais aussi d'équipe, il était impératif de rester attentif à ses voisins, le tout était de rester coordonner, avancer comme un seul, pour épargner un peu de sueur. La machine était lancée, mais la motivation devait suivre, c'est alors que Hayata osa proposer de chanter avec Elsa, des chants de Marŝakanto, pour garder le rythme. 

Ces chants en espéranto étaient généralement sous forme d'appel-réponse, puisant ses racines dans le worksong. Le Marŝakanto n’ayant aucune limite propre, les mélodies sont sous influence directe de la cultures du chanteur d’appel et se retrouvent donc souvent sujettes à l’improvisation, ainsi que leurs paroles. Concernant le Marŝakanto de Hayata, de nombreuses influences se percevaient, notamment celles, très particulières, de sonorités maqams, prenant à la fois et dans une même mesure, des chants d’inspiration carnatique, un mixte de conception musicale propre à sa vie de migrante et à celle des marches à la mort croisée tout au long de son périple. Du fait des influences culturelles nombreuses, il en découle un genre difficilement descriptible,singulier qui ne perdure guère au-delà de la vie du chanteur. Le Marŝakanto est un chant sans frontières et sans terres, il est partagé dans un instant présent sans regard de l’autre, par les individus pour le groupe. On y chante la fierté de l'effort, de l'espoir en l'avenir, de bénédictions de la nature, de voyages, d'amours futurs, d'accomplissement spirituel, de prospérité, des eldorados. 

La louve prenait l'appel, et la guéparde répondait à voix basse, dans l'intimité partagée du labeur. Rapidement le reste des animaux suivirent la poésie, un à un, puis tous ensemble. Le moulin fut dorénavant rythmé par l'effort et les vocalises, les pas réguliers dans l'inlassable boucle de la meule et les refrains entraînés par l'unité. 

Pendant ce temps, le loup avait fini un atelier de brossage de pelage, la chaleur faisait que beaucoup d’animaux muaient outre mesure. Il dû donc se brosser longuement pour une question d’hygiène avant d’entrer dans l’atelier.

Pako, alors pratiquement nu, s’activait entre les hauts fourneaux de brique, l’air ambiant de la boulangerie en devenait brûlant. Ils avaient à leur disposition une dizaine de fourneaux en activité constante. Le travail n’était pas moins difficile que celui de son amie : il fallait jongler entre alimenter les foyers, ramener en quantité la farines, l’eau et le sel, gérer la cuissons des biscuits de mers et pétrir énergiquement la pâte très particulière de cette préparations : la raison d’être de ce biscuit était de se conserver presque indéfiniment, c’était un mélange extrêmement basique d’eau, de farine et d’un peu de sel. La quantité d’eau très faible de cette recette en faisait sa particularité, il n’y en avait tout juste assez pour former une pâte très ferme. Il faut alors la pétrir longuement, avec une certaine force, à cause de sa consistance, ainsi qu’être armé d’énormément de patience pour l’uniformiser et la rendre, on ne peut plus, malléable. Sans aucune levure, on formait alors un biscuit généralement un peu plus gros qu’une paume de main, parfois aussi épais que deux phalanges d’index et le perforant, à de nombreuses reprises, de par en par à l’aide d’une petite fourche de bois. L’objectif étant de faire respirer au maximum le biscuit lors de sa cuisson et d’augmenter la surface d’évaporation, empêchant à la fois le biscuit d’éclater dans le four, de le rendre plus cassant mais surtout de lui retirer un maximum d’eau, là tout était le secret de sa conservation à l’épreuve du temps. Le point qui avait le plus surpris Pako était l’utilisation de farine de fougère, coupée à la farine de blé. La farine de fougère était une astuce pour économiser l’utilisation de précieuse céréales, obtenue à partir du rhizome de fougère aigle, plante normalement peu conseillée à consommer. Le rhizome, si suffisamment épais, peut être transformé en farine, une fois soigneusement bouillie, moulue, séchée et tamisée. Mélangée avec de la farine complète tirée du moulin, puis transformée en biscuit de mer, on obtient en bout de chaîne ce petit pain non levé, dur, cassant mais très nourrissant qui est monnaie courante, particulièrement parmi les voyageurs. Pour nourrir la petite population du Fort potamos en toute saison, c’était l’une des bases alimentaires sur laquelle ils se reposent tout au long de l’année. Le surplus pouvait toutefois aussi servir au troc

Alors que Pako travaillait toujours, Hayata venait de terminer le dur labeur, complètement épuisée. Elle prit un moment avec Elsa pour discuter assis devant le moulin au soleil, avec quelques-uns des autres animaux. Il n'y avait alors plus grand chose à faire et passèrent une petite partie de la matinée à juste se reposer.

Soudainement, quelques coups de feux un peu lointains retentirent. 

« - Tiens il y a un accrochage ? fit Hayata.

- Sans doute le groupe de Alison, je l'ai vu partir tout à l'heure. »

Hayata eut une sueur froide.

« - Attend mais y a Rick avec elle ?! 

- Calme toi. Je ne l'ai pas vu avec elle. Si elle l'a tiré des champs c'est certainement pas pour l'emmener dehors. Même pour toi elle ne le ferait pas. Il doit être en train de faire des petits inventaires ou des petites bricoles comme ça ne t'inquiètes pas ma belle. 

- J'aimerais bien le voir, juste pour me rassurer. Et pourquoi je ne pourrai pas aller dehors, tiens ? 

- Tu n'es pas ici depuis assez longtemps, tu pourrais te barrer. C'est facile de déserter pendant les petites patrouilles. »

La louve s'énerva un peu.

« - Hé j'ai jamais signé pour rester ici indéfiniment. Je pars quand je veux avec Pako et Rick.

- L'as-tu vraiment ? Ce n'est pas moi qui fait les règles ici je suis pas plus importante que toi. Dis toi que je n'ai jamais vu quelqu'un "partir" d'ici. En tout cas je suis bien moi là où je suis, je vois pas pourquoi moi je partirai. Pas toi ? T'as l'air de plus prendre ton pied que tu le prétend. »

Hayata se vexa en se levant ;

« - Écoute Elsa, t'es vraiment sympa, je t'aime bien, mais je ne resterai pas ici. Pako et moi voulons migrer dans le Nord et ce depuis le début. Pour Rick je ne veux pas le quitter des yeux pour l'instant j'en fais ma responsabilité. Sans nous il serait mort. J'aime pas savoir qu'il traîne avec l'autre meuf qui joue au commando avec ses autres larbins sans que j'ai mon mot à dire. Je te laisse là dessus et je vais retrouver Rick, tant que je peux l'avoir sous les yeux. 

- Tu ne devrais pas t'énerver l'amie, il faut juste reconnaître certaines choses. »

La louve ne répondit pas et alla directement au baraquement servant de grenier non loin de là, au milieu des cultures de jeunes céréales et de légumes parmi lesquels des maraîchers travaillaient sous le soleil. 

Elle entra dans le grenier sans toquer et tomba né à né avec une poule surprise de voir une louve débarquée en trombe.

« - Bonjour, vous n'avez pas vu un p'tit renard qui s'appelle Rick ? 

- Heu… je…» bégayait-elle.

Le p'tit animal sortit d'une pièce à ce moment-là.

« - Le rouquin ! Tu m'expliques comment tu fais des inventaires sans lire ni écrire ? 

- Bah je compte sur mes phalanges et je rapporte ?

- "Bah" tiens. Ramène toi. Je vous le reprends. 

- Mais…Mais il n'a pas fini… bégayait toujours la poule.

- Vous vous en remettrez, ne vous inquiétez pas. Je m'excuse quand-même et vous remercie. »

Rick la rejoignit et ils s'apprêtèrent à franchir le bas de la porte.

« - Compter trois sacs de grains et rapporter. Tu parles de se rendre utile, Alison cherche à te faire bouffer par l'autre lézard ou quoi ? » fulmina-t-elle.

Aussitôt ils avaient franchi la porte qu'ils se retrouvèrent nez à nez avec Gérard, le dragon de Komodo. Qui même en faisant une tête de moins qu'elle, lui lançait un regard assassin, brûlant de mépris. La louve fit mine de le saluer comme si elle n'avait rien dit et passa son chemin avec Rick.

« - Il t’a entendu tu crois ? dit le renard.

- Elsa à dit que les Komodo n'entendaient pratiquement rien. Et même, je m'en fou.

- Tu as l'air vachement énervée, il t'arrive quoi ? 

- J'ai eu un peu peur sur l'instant, il y a eu un accrochage avec la patrouille de Alison à l'extérieur tout à l'heure. Comme tu dois lui coller aux basques j'ai voulu m'assurer que t'étais resté au Fort. En plus Elsa m'a expliqué qu'ici ils n'étaient pas du genre à laisser repartir ceux qu'ils laissent rentrer.

- "Coller au basque" je dirai pas, perso je commence à la trouver sympa…

- Ne te fous pas de ma gueule Rick, je n'ai vraiment pas envie de rigoler à propos de cette biche là. Elle est en train de te laver le cerveau. Je vais t'accompagner au cabanon et tu vas y rester un peu, j'ai quelque chose à faire. Après je t'apprendrai un peu à lire et écrire sur le carnet de Pako, histoire que tu saches un peu les bases. Être illettré à ton âge ça ne doit pas t'aider. »

Arrivée au cabanon elle fouina directement dans ses sacs et en tira deux cartouches de laitons vide. Ces deux mêmes cartouches qu'elle avaient tiré le jour de la mort d'Omar et Ernest. 

« - Tu vas faire quoi avec ? demanda Rick sur un lit.

- Il faut impérativement que je trouve un moyen de les recharger avant d'oublier. Ils ont une armurerie, si je trouve moyen d'utiliser les caisses d'Omar ça sera toujours ça de gagné. Pendant ce temps là tu m'attends, si quelqu'un vient te chercher tu dis que c'est moi qui t'ai retiré de "ton travail" et que je veux que tu restes là. 

- Tu réalises que si quelqu'un vient me chercher et que je dis ça, ça va mal passer ? 

- Je suis à l'armurerie, qu’on aille me chercher, c'est moi qu'on engueulera t'inquiète pas. »

La louve se hâta à l’armurerie, mais celle-ci était gardée. Elle comprit que c’était Alison qui en avait la charge et qu’elle ne pourra y rentrer sans son accord. Alors qu’elle cherchait un moyen de se passer de la permission de Alison, la biche et son escouade venait de rentrer par le grand portail de tôle, dont le grincement d’enfer pouvait raisonner d’un bout à l’autre du Fort. Décidée à ne pas s’éterniser pour deux cartouches, elle se mit sur son chemin.

« - Toi tu me veux quelque chose… Hayata c’est ça ? lança la biche en voyant la louve.

- J’ai deux cartouches à recharger. Je me suis dit que tu serais là personne qui pourrait m’aider. »

La biche soupira d’agacement et lui fit signe de la tête.

« - Allez viens. »

La louve la suivi jusqu’à l’armurerie, les gardes ne questionneront même pas sa présence. Alison ouvrit quelques cadenas, prit deux lanternes qu’elle positionna dans un endroit très précis de cette poudrière pour éviter l’accident. Le petit bâtiment était rempli de caisses de tout genre, avec de nombreuses armes entreposées çà et là contre les murs, accrochées dans les diverses caisses entre des sacs de poudres.

« - T'as besoin de recharger quel calibre ? dit-elle en prenant les douilles vides d'Hayata.

- Du douze. C'est que vous avez énormément d'armes ici ?

- Le Fort est vieux, on accumule beaucoup, fit-elle en s'installant devant des appareils semblable à des presses mécaniques. C'est pas mal pour le troc. Tu veux quoi dans tes cartouches ? 

- Une slug avec une jupe.

- C'est un peu étrange pour une arme comme la tienne. Tu sais que tu perds beaucoup de précisions avec un canon si court ? La chevrotine serait plus judicieuse. » 

La biche positionna une des douilles sous l'une des presses, actionna un levier, qui fit sauter l'amorce usagée d'une cartouche. Elle inséra une neuve puis repassa cette même cartouche dans la presse.

Hayata répondit ;

« - Meilleures puissance d'arrêt, je ne tire jamais de très loin. Et le jour où tu tires sur un ours, tu es bien contente. Avec une slug je n'ai pas à m'inquiéter de qui j'ai en face. Pour la précision, la jupe compense un peu. Je parle par expérience. 

- Ça se tient. »

Alison versa une certaine quantité de poudre puis inséra une jupe, la pressa au fond en actionnant le levier et rajouta la slug avant de repasser une nouvelle fois dans la presse. Elle changea mis un nouvel embout à celle-ci et repressa la cartouche, pliant l'extrémité de la douille en laiton sur l'intérieur, scellant ainsi la munition maintenant prête. La biche répéta tout ce processus pour la seconde cartouche vide. 

« - J'ai entendu qu'il y a eut un accrochage tout à l'heure. Ils t'ont raté à ce que je vois ? lança la louve.

- "Raté", je ne dirais pas. »

Elle ouvrit un compartiment porte plaque dans son gilet tactique et en sortit une plaque par balle artisanale, devant forcer pour l'extirper, provoquant des bruits de tissus arrachés et de gravier. Alison posa l'objet lourdement sur l'établi, la plaque était prise d'une large boursouflure vers l'intérieur, des miettes éclatées de minéraux s'en échappaient parmi d'autres éléments déchirés.

« - Je les fabrique moi-même. Beaucoup de papiers, un peu de mortier, une plaque de fer. C'est bon pour des petits calibres, plus que ça je ne rentrai pas aujourd'hui. 

- C'est bien ce que j'ai dit, ils t'ont raté. »

La biche lui jeta un regard assassin du coin de l'œil. Puis tira un des chargeurs de son gilet qui avait manifestement lui aussi pris la balle et le jeta sur l'établi.

« - Tu ne devrais pas autant prendre autant à cœur la manière dont je te parle Hayata, fit la biche en continuant ses bricolages. T'es une tête brûlée, avec moi ça passe car je comprends, ça ne sera pas le cas de Gérard.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? 

- Il faut que tu apprennes qu'ici il est nécessaire de garder une certaine distance avec les gens. »

La louve ne répondit pas et remua de l'oreille, signe qu'elle écoutait.

« - Beaucoup de gens meurent pour ces enceintes, on a souvent des attaques, des accrochages, on ne vit jamais très longtemps. Ils viennent tous appâtés par le confort qu'on leur offre, une sensation d'abondance… Avec les moulins, l'armureries, les fours, les champs, le contrôle de Potamos est constamment disputé. Au début, on se rapproche, on se serre les coudes devant les difficultés. Puis on se prend les premiers rappels à l'ordre, on compte les tombes et l'on comprend que le seul moyen de garder une once de sanité est de se détacher. Mais ils ne veulent pas entendre, je passe souvent pour une sans cœur et ce n'est pas à tort… ils n'ont aucune idée de ce que c'est… ils meurent souvent avant de comprendre. Au final c'est ce qu'il y a de mieux et ça n'a pas d'importance. 

- T'es ici depuis combien de temps ? 

- Bien assez. Je n'ai connu que le Fort, je ne suis pas allée au-delà de cette forêt. J'ai vu beaucoup de gens rentrer par ce portail sans jamais en ressortir, moi comprise. Je mourrai certainement ici, un jour quand je ne saurais plus du bon côté des statistiques… C'est pour ça que j'ai des responsabilités, je suis là seule à avoir un tant soit peu d'expérience. C'est une chose que ton pote là, le loup, devrait apprendre. Savoir prendre de la distance, du recul, se protéger. Dehors je doute que ce soit si différent qu'ici au final, vu comment vous avez perdu vos amis l'autre jour. Ça lui évitera beaucoup d'inutiles peines. Y compris pour toi et Elsa, je vous vois toutes les deux. Elle l'est ici que depuis plusieurs mois, ce n'est pas elle qui va t'apprendre à survivre ici. Elle est encore un peu inconsciente, tâche de ne pas faire comme elle.

- Je vois ce que tu veux dire… mais alors qu'est-ce que tu as avec Rick ? 

- Je lui ai fait quoi de mal ?

- Tu le retires des champs, tu passes du temps avec lui apparemment, il me dit que t'es même sympa. Pourtant la tu me racontes qu'il faut se détacher des autres pour éviter la souffrance du deuil. Je ne saisis pas tout. Qu'est-ce que t'essaies de faire avec lui ? Ni eux ni moi ne comptons rester, lui aussi va partir et t'aura que ta p'tite morale pour te consoler.

- Tu me traites d'hypocrite ? 

- De rien du tout. Je ne comprends simplement pas. »

La biche prit un instant pour réfléchir.

« - Rick c'est… différent. Il est beaucoup trop jeune pour être ici. J'ai grandi ici, je lui épargne certaines choses c'est tout. Je lui souhaite d'avoir le temps d'être jeune, il n'a pas à l'obliger à travailler si tôt et dans les champs, comme il n'aurait pas dû le faire pour moi. Je ne vois pas en quoi ça te regarde.

- Tu tombes dans tes propres contradictions… je crois pas que tu te protèges, tu repousses juste le problème. C'est Pako qui devrait t'apprendre. Même malgré tes sortes… de principes. Tu es empathique avec Rick, preuve qu'ils ont leurs limites. T'as beau être "du bon côté des statistiques", "détachée" et à donner tes ordres mais t'es au final comme tout le monde, seule face à ta mort et celles des autres. Seule différence c'est que les autres se sont autorisés à vivre, eux, en attendant. »

La louve s'avança et prit ses deux munitions sur l'établi et p'tit la direction de la sortie ;

« - Merci pour les balles. » 

Elle ferma la porte. Laissant Alison, désormais silencieuse, dans l'armurerie, la pénombre des lanternes, une prison aux barreaux de fusils, quatre murs de poudre et de munitions.

Hayata rentra au cabanon où Rick l'attendait toujours en train de regarder le sol, allongé sur le ventre sur l'un des lits. 

« - Tout ce temps pour un peu de ferraille ? lança le petit animal.

- Je ne te le fais pas dire… cette journée est en train de me lessiver pour pas grand chose.»

Elle s'asseya à côté du renard et s'allongea à moitié en dehors du lit, les mains sur les yeux. 

« - Du coup t'as vu Alison ?

- Ouais. Je commence à saisir le personnage disons. Elle est si sympa que ça avec toi ?

- Bah… je sens qu'elle fait en sorte que je m'ennuie pas trop, elle fait attention et ça se sent. Comparé à comment elle peut être cassante avec vous. Elle n'est pas spécialement "gentille" c'est limite comme si elle ne savait pas le faire c'est un peu bizarre. Mais je sais pas moi je trouve ça marrant, donc ça va.

- Ouais bon… tu as une notion étrange de ce qui est "marrant". »

Il eut un petit silence.

« - Et pour m'apprendre à lire ? » reprit-il.

La louve se redressa aussitôt ;

« - Putain c'est vrai, j'allais oublier. Sors le carnet de Pako je vais te montrer quelques bases. Dis moi d'abord tout ce que tu sais ?

- Tu vas te moquer si je te dis : rien du tout ? 

- Non bien sûr que non. Dans les marches à la mort j'ai connu beaucoup de gens bien plus âgés que moi qui ne connaissait même pas l'alphabet. Et je l'ai appris tard, c'est Pako qui à perfectionner mon français à l'oral comme à l'écrit.

- T'es une "marcheuse à la mort" ?

- J'étais, remercie encore Pako. Mais ne change pas de sujet je t'en parlerai plus tard si tu veux. »

La fin d'après-midi s'écoula tout doucement. La louve lui apprenait patiemment l'alphabet et à reconnaître les diverses lettres sur le petit carnet. Ils bavardèrent ensemble, mangèrent un petit peu, dormirent aussi, surtout Hayata. Pako fit vers mi et quatre horas, au milieu de l'après midi lui aussi vanné de sa journée. Ils ne sortirent pas plus du cabanon et attendirent que le souper commun s’organise. 

Ils entendirent les animaux, dehors s’animer, il devait sans doute être l’heure. Comme les fois précédentes, ils aidèrent à préparer les récoltes, les foyers, à cuisiner. Assis sur des troncs servant de bancs, ils se mirent à discuter, le trio et Elsa qui venait d’arriver. L'air était toutefois plus lourd et chaud qu'en début de journée mais ils ne firent pas plus attention à ce détail.

« - Rick, tu peux m’expliquer quelque chose ? lui demanda Pako entre deux bouchées.

- Dis ? 

- Pourquoi tu comptes sur les phalanges ? C’est pas assez compliqué de compter sur tes doigts ? se moqua-t-il.

- Nah, mais t’as rien compris. Avec les doigts tu comptes que jusqu’à cinq sur une main. Avec les phalanges tu montes à douze. Avec les deux tu vas à vingt-quatre. Je vois pas pourquoi tu te moques de mes méthodes supérieurs au commun des mortels. 

- Ah oui toi tu n’hésites pas à poser les termes. 

- Et pourquoi pas ? »

Hayata écoutait tranquillement leur discussion. Elle leva le regard sur la guéparde qui mangeait en faisant de même, en face d’elle. Quelqu’un s’asseya à ses côtés. À sa grande surprise, c’était Alison qui se faisait très discrète. Elsa fut aussi surprise que la louve devant cette invitée inopinée. La biche ramassa un bol parmi d'autres empilés à même le sol et se servit de quelques louches dans la marmite qui frémissait sur le tapis de braises.

« - Tu t’invites chez nous ce soir Alison ? lança la louve en bon termes. 

- J’avais un petit peu faim ce soir, je me suis permise de venir. » répondit-elle le regard dans la marmite qu’elle remuait avec la louche, sans expression particulière.

La louve sourit, à la fois amusée, fier et très agréablement surprise. La biche finit de se servir et continua ;

« - Vous devriez jeter un œil au cours d'eau, vous allez être surpris.

- Il se passe quoi ? répondit la guéparde.

- L'eau commence à revenir.

- C'est une bonne nouvelle ça pas vrai ? continua Hayata.

- En partie, oui. Mais ça monte un peu trop vite à mon goût. J'ai un peu parlé avec le groupe d'éclusier plus en amont, quand ils rentraient. Il y a sans doute de très importantes averses sur les reliefs. On va devoir surveiller les nuages, ça sent l'orage cette histoire.

- J'aimerais bien aller voir après manger, lança Pako. T'en dis quoi Hayata ? 

- Bien sûr, j'irai avec toi. 

- En tout cas demain vous allez être de garde, dans le Fort et les murailles, ajouta Alison. Ça va être plus tranquille que de travailler dans les champs ou aux fourneaux, il faudra juste espérer que l'orage soit suffisamment loin. »

Ils discutèrent encore longuement, finirent la marmite. Les deux loups allèrent ensemble faire une petite marche, laissant Rick avec les deux autres habitantes du Fort. Il faisait un peu sombre, de nombreuses torches avaient été allumées un petit peu partout, créant d'aussi nombreuses que timides sources lumineuses jouant joliment sur les silhouettes des cultures ainsi que les miradors, alors les plus constellés, les faisant paraître un peu plus intimidant qu'en pleine journée. 

Arrivée au bord du cours d'eau, l'air était bien plus respirable et une agréable sensation de fraîcheur occupait les environs.

« - Ça fait du bien le petit coup de frais hein ? lança la louve.

- Je suis bien d'accord. Je suis content que l'eau revienne, ces semaines de sécheresses étaient vraiment éprouvantes. Je trouve qu'on s'en est pas mal sorti pas vrai ?

- Ça oui… ça été drôlement animé… jusque là tout avait été plutôt calme. C'est les aléas du voyage. 

- C'est vrai. Ça va de ton côté, tu arrives à tenir le coup ? 

- Ça été très vite… tout ça. Je pense pas que j'ai vraiment eu le temps de vraiment prendre beaucoup de recul, j'ai d'autres choses à penser. 

- Tu crois qu'il faudrait bientôt partir ?

- Et toi ?

- On ne devrait pas trop s'éterniser ici, je pense aussi. Il nous faut trouver notre prochain point de chute avant de s'en aller. Surtout si le temps n'est pas de notre côté.

- Je vais essayer d'en parler à Alison, savoir comment on peut partir. Elle a l'air de s'être bien plus ouverte à nous ce soir. Elsa jusque-là m'a plutôt fait comprendre que ça ne sera pas possible. 

- On trouvera bien une solution, pour l'instant on fait le plein de force. »

En marchant, le loup regardait le petit cours d'eau artificiel qui sillonne le Fort à quelques pas de là. La biche disait vrai, l'eau avait rapidement monté et le courant semblait déjà être plutôt appréciable. 

« - Tiens regarde. » fit-il. 

Il s'agenouilla et plongea une main dans l'eau fraîche pour apprécier la pression du fluide contre lui, sentir l'eau filer entre ses doigts.

« - Je t'assure que ça fait un bien fou. » poursuivit-il.

La louve s'agenouilla à son tour à ses côtés et trempa elle aussi sa main dans le courant. Elle eut un petit rire soudain, prise d'un petit frisson au contact de l'eau glaciale.

« - C'est vrai, ça fait du bien ! »

Ils laissèrent leur main être bercé au gré de l'eau quelques instants. Jusqu'à ce que Pako éclabousse son amie sans crier garde ;

« - Ça fait toujours du bien ? »

Elle rigola et répondit en s'essuyant ;

« - T'es toujours trop calme pour que je baisse ma garde avec toi, espèce de saloperie ! »

Hayata riposta, lui aussi, une petite bataille se joua. Le loup se releva pour battre en retraite avant que quelques innocentes bousculades ne s'échangent, le jeu se calmera ensuite tranquillement.

« - Ça faisait un moment qu'on ne s'était pas retrouvé qu'à deux, lança la louve.

- C'est vrai, quelques jours. Ça change de d'habitude et ne notre tête à tête permanant.

- C'est avec Rick ça, il a été un peu au centre de tout. Désolé un peu, c'était pas prévu. T'as pas toujours été à ton top avec ce qu'il s'est passé, je n'ai pas pu être là autant que d'habitude.

- Bah pourquoi tu t'excuses ? On l'a sauvé à deux Rick et je l'apprécie tout autant, je suis content qu'il soit avec nous maintenant. C'est à deux qu'on s'occupera de lui. Il s'est passé un tas de choses. Quelques jours ce n'est pas énorme. Pas de quoi s'excuser, on en verra d'autres des comme ça. Tu ne peux pas être partout. »

Tout à coup, des grincements sourds firent sursauter le loup. C'était le bois des moulins à eau qui commençait à travailler, le niveau allait être suffisant pour les faire tourner à nouveau. Hayata s'amusa de Pako dont le pelage s'était hérissé de peur jusqu'à l'arrière de sa tête. Elle proposa ensuite de rentrer se coucher pour la journée de travail du jour suivant.

Pendant la nuit, de petits cliquetis venaient faire frémir le cabanon du trio, c'était les premières gouttes de pluies. Et ils ne cessèrent de gagner progressivement en intensité. Au matin, les deux loups prirent leur armes avec eux et Rick enfila son capuchon. Pako sortit le premier dehors, ce n'était encore qu'une légère averse, encore assez agréable pour qu'il prenne quelques instants à laisser les gouttes tomber sur son visage. Après autant de chaleur, c'était une véritable résurrection malgré l'air maintenant lourd. Hayata sortit avec Rick, elle ajusta un peu son foulard en guise de capuche et le renard apprécia la pluie un peu comme Pako. Il fit mine pourtant d'ouvrir la gueule pour que quelque goutte lui tombe dedans, mais Hayata l'arrêta ;

« - Fait pas de bêtises Rick. Bois pas l'eau de pluie.

- Mais c'est de l'eau ? répondit-il dans l'incompréhension.

- L'eau de pluie est trop acide pour ça… les grands singes l'ont dénaturé elle aussi. Alors évite, c'est un coup à tomber malade. On doit tout t'apprendre décidément… »

Le petit animal ronchonna de frustration, il ne semblait pas avoir tout à fait compris le pourquoi. La louve le dépêcha et ils se pressèrent de retrouver Elsa et Alison pour la suite des opérations. Ils furent aussitôt dispatché, Rick allait rester à l'abris des intempéries avec Alison qui doit organiser les rotations de groupe. Les deux loups allaient faire des cents pas le long des murailles, tous deux censés vérifier constamment l'état de celles-ci pour signaler éventuelles intrusions. Hayata et Pako tournaient dans le sens opposé de chacun, ce qui avait l'avantage de beaucoup les amuser à chaque fois qu'ils se croisaient. 

La pluie n'avait absolument pas cessé, elle s'était même intensifiée et l'orage grondait sourdement. Parfois, d'intenses flash lumineux éclataient, suivis des détonations de longues secondes plus tard. Ils n'étaient pas encore dans le cœur de la tempête qui se préparait. Ça y est, maintenant la pluie est battante, mais les deux loups avaient pour ordre de ne pas abandonner leur poste. Cela ne leur aurait pas tant posé de problème en premier lieu, en marchant constamment, le pelage détrempé par la pluie, il ne faisait pas pour autant froid : l'eau faisant tampon avec la température extérieure. La vraie peine étaient la visibilité qui devenait pratiquement nulle, la sensation de lourdeur due au poids des habits et du pelage détrempé mais surtout, la véritable plaie, c'était la boue qui se formait à vue d'œil rendant chacune des rondes interminables. Pako peinait à avancer, ses chaussures couvertes de boue lui faisaient perdre l'équilibre à la moindre occasion. Les murailles inspectées avaient une apparence quelque peu chaotique, faite de nombreuses plaques de tôle de récupération de toutes tailles, placée à l'opportuniste sur les structures en bois faite de divers troncs. Ces enceintes étaient plutôt impressionnantes en soi et devaient sans aucun doute s'élever à bien trois ou quatre mètres de hauteur, sur lesquelles un chemin de ronde avait lui aussi été construit où quelques guerriers circulaient de temps en temps. La couleur de la rouille et l'aspect anarchique de la construction confèrent au Fort une apparence inquiétante et se montrait plutôt dissuasif au goût de Pako. 

Devant lui, une partie semblait un peu étrange, mais la pluie l'empêchait de voir clairement. Il s'approcha. Il y avait quelques plaques de tôle sur le sol, minutieusement démontées. Dans la muraille, une brèche avait été ouverte, tout juste assez grande pour s'y faufiler accroupi. Il se pencha pour regarder plus en détail les dégâts, ce n'était sans aucun doute l'œuvre d'un intrus. Le loup se redressa aussi vite pour aller sonner l'alerte. 

Au moment de se retourner, il se fit brusquement pousser et tomba contre la structure de bois de la muraille. Une silhouette, un coup de hache s'abattit sur lui. Mais il se jeta au sol in extremis pour l'éviter, l'arme blanche frappant avec violence le bois de la structure. Il n'eut le temps de se redresser que l'assaillant le chassa du pied, le faisant tomber dans la boue. Un nouveau coup de hache, il le barra de justesse en bloquant le manche avec son fusil. C'était un chat, le visage en partie dissimulé sous un foulard, il semblait déterminé. 

« - Kion diable vi volas ?! Haltis ! » cria Pako.

Le chat ne répondit pas, un nouveau coup de hache s'abattit que le loup barra à nouveau avec son arme. Il lança un coup de pied dans le genoux du meurtrier qui perdit l'équilibre, laissant le temps à Pako de se relever pour riposter. Le chat frappa de plus bel pour l'en empêcher, plusieurs coups de haches vainement lancé dans le vide, le dernier fut encore paré par Pako avec son fusil mais le l'encoche de la hache crocheta son arme et le chat saqua pour le tirer vers lui et casser la distance. Profitant de l'élan, il asséna un coup de pied dans le ventre du chat qui se plia sur l'instant et lâcha prise. C'était maintenant ou jamais, le loup prit son arme à l'envers et tel un coup de masse, asséna un coup de crosse digne des meilleurs swing, en plein visage. Un bruit sourd de craquement raisonna et le chat fut projeté sur le sol net, la tête la première dans ma boue.

À bout de souffle, le loup resta quelques instants à reprendre ses esprits.

Il le crut mort, mais l'intru commença à remuer, à se dresser progressivement sur ses coudes. C'était inouï qu'il reprenne conscience après un coup pareil. Le chat avait les yeux perçant, le regard bouillonnant de haine et de détermination. Le coup de crosse l'avait partiellement défiguré, une grande plaie s'était ouverte de la mâchoire jusqu'en haut de ses tempes. Il fît mine de chercher quelque choses sur lui.

« - Je t'en pris… Arrête… ne me fait pas faire ça. » lui dit tristement Pako qui arma son fusil à verrou. 

Le chat avait la respiration haletante, sonné, complètement à bout de force et couvert de boue, il ne lâchait pas le loup du regard de ses yeux assassins. Quelques interminables instants s'écoulèrent, ils attendaient tous deux le dernier acte.

« - Abandonne… s'il te plaît. » dit-il à nouveau.

L'intru marqua une pause, feula. Il cria soudainement dans un élan de jusqu’au boutisme et sortit un pistolet d'une de ses poches. Pako pressa la détente, démuni. La balle explosa le museau de l'individu, traversant le crâne de par en par. Il s'éteignit sur le champ. Le loup était défait par son geste. Il resta là, à regarder cette face défigurée, percé d'un immonde cratère au beau milieu de ce visage dont il avait ôté la vie. Il ne pouvait comprendre ce qu'il venait de commettre, incapable de réaliser, comme irréel. C'est à peine s'il avait senti la détente céder sous son doigt. Il n'avait rien ressenti, pas un pincement, cette vie ne demeurait qu'extérieur à la sienne. C'était tout, il gisait là, souillé par la boue et sous la pluie battante, inanimé, il n'y avait rien de plus à comprendre, plus rien à dire ni à faire. C'était là. C'était fait. L'espace d'un instant il crut voir Ernest à travers ce crâne ouvert. Qui avait-il tué ? Et qui était-il dorénavant ? Tout semblait soudainement si vide. 

Non loin de là, Hayata entendit la détonation, puis peu après d'autres coups de feux éclatèrent un peu partout dans le Fort. Le tire de Pako devait avoir brisé la tentative d'une attaque silencieuse. La première détonation était trop proche d'elle, Hayata était censée recroiser Pako dans sa ronde à quelques dizaines de mètres de là. Son cœur se souleva et elle se hâta pour espérer le retrouver, alors que de nombreuses fusillades semblaient éclater autour. Elle l'aperçut au loin, dos à elle, statique. Et elle courut au plus vite pour le rejoindre.

« - Pako ?! Pako ?! Tout va bien ?! »

Il n'a pas réagi à ses appels, elle l'attrapa par l'épaule et le tourna face à elle aussitôt qu'elle pu. Le loup était couvert de boue, des torrents de larmes s'échappaient de ses yeux, bien qu’à peine distinguables à cause de la pluie de l'averse détrempant son pelage.

« - Qu'est-ce qu'il t'arrive… elle essuya ses larmes avec sa paume de main. Tout va bien ?

- Je… je ne voulais pas Hayata… je ne voulais pas le faire…

- De quoi tu parles Pako ? » répondit-elle dans l'incompréhension. 

Elle tourna le regard et vit le cadavre dans la boue.

Pako commença à sangloter ;

« - Je ne voulais pas tirer… Il n'arrêtait pas… Je t'assure que je ne voulais pas…»

Elle lui prit le visage dans les mains et le regarda droit dans les yeux ; 

« - C'est pas grave Pako ! Tu as bien fait ! Tu as bien fait ! 

- Hayata, il est mort…

- Il t'aurait tué et personne ne s'en aurait remis Pako ! C'était la meilleure chose à faire ! Je suis fier que t'ai su t'en sortir seul. On doit absolument trouver Alison, c'est une attaque, on ne doit pas rester là ! On est en danger. »

La louve ne lui laissa même pas le temps de répondre qu'elle le tira par la main. Ils coururent à travers le Fort jusqu'à un poste de commande. Arrivés, ils se présentèrent aux gardes et demandèrent à Alison.

« - Deux loups te demandent Alison, fit lui des guerrière à l'intérieur.

- Les loups ? Je vois qui c'est laisse les rentrer. » répondit-elle.

La garde leur ouvrit et ils entrèrent silencieusement. La biche semblait être débordée, alternant entre donner des ordres aux animaux qui ne cessaient de se bousculer dans cette sorte de bureau et de longs moments de réflexion sur une carte étalée sur la table. Il y avait aussi Rick qui allait et venait chercher les documents dont Alison avait besoin. Gérard était là, lui aussi prit dans la même agitation;

« - Alison tu dois envoyer tes gars en contre attaque à l'écluse, sans l'équipe ces pecnos vont tout ouvrir et le Fort va être inondé !

- Gérard écoute-moi ! L'écluse est sur le point de céder ! L'issue de cette situation sera la même ! Tu dois envoyer tes unités en main d'œuvre pour pousser des rochers en aval de l'écluse, si on ne le fait pas rien ne pourra casser le courant ! 

- Autant reprendre le contrôle de l'écluse dans ce cas et lancer les rochers là bas. Je ne vais pas les laisser contrôler notre propre territoire. Je vais les envoyer moi-même en contre-attaque et tu verras qui a vraiment les boules de prendre des initiatives concrète

- Tu te fous de moi ? T'as pas intérêt à les envoyer. Ce sont des non-combattants et ils sont sous équipés ! Ils vont crever sous les balles et s'ils survivent, ils mourront noyés dans la crue par ta faute!»

Gérard claqua une porte sans écouter. Elle tapa du point sur la table et hurla ;

« - Bordel ! Qu'est-ce qui me saoule cette tête de con ! »

Alison prit une profonde inspiration et se tourna vers les deux amis.

« - Des choses à me rapporter ? Si vous êtes là ? continua-t-elle d'un ton plus calme.

- Il y a des brèches partout dans la muraille… on n'avait pas vent de la situation, je crois que tu devais déjà le savoir, répondit Hayata.

- En effet à ce stade j'étais déjà bien au courant…

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Il y a un groupe rival qui profite de la tempête pour enrayer nos défenses si ce n'est tenter de prendre le contrôle du Fort. Mais ce qu'ils ne savent pas c'est que le Fort est lui-même déjà en danger. L'orage à mis le fleuve en crue et la seule chose qui protège notre cour d'eau de déborder et détruire toutes les cultures, les moulins et même l'armurerie, c'est l'écluse. C’est sans précédent. Ils ont pris le contrôle de cette écluse et peuvent tout ouvrir à tout moment ou soi être incapable de la gérer. Et là je suis coincé entre contenir Gérard qui joue au commando, les escarmouches dans le Fort et cette foutue écluse qui apparemment me lâche aussi. Je commence à songer à évacuer le Fort.

- Qu'est-ce qu'on peut faire ?

- Déjà pas abandonner votre poste, Alison leva les yeux vers Pako qui était couvert de boue et semblait encore perturbé. T'en a encore vu des belles toi ! Venez je sais où je vais vous envoyer, il faut endiguer cette attaque. »

La biche prit la porte et sortit, dehors l'orage faisait rage, le vent soufflait si fort qu'elle dû retenir la porte pour ne pas qu'elle s'arrache. Le souffle sourd et sifflant des bourrasques hurlaient comme mille fantômes entre les déflagrations de l'orage que l'on pouvait à peine s'entendre penser, les coups de feu des fusillades étaient alors à peine perceptibles dans ce bruit tout droit venu de l'enfer. On n'y voyait pratiquement plus rien, la pluie glaciale tombait si lourdement sur leur visage que c'est à peine s'ils pouvaient ouvrir les yeux. De la paperasse fut immédiatement happé par un violent courant d'air et les feuilles se perdirent dans le brouillard opaque que formait ce rideau d'eau se dressant devant eux. La biche se figea un instant surprise de la violence des intempéries et s'efforça de distinguer quelque chose à travers la nappe. Elle pu entre-apercevoir le cours d'eau animé d'un torrent démentiel et pu voir les moulins à eau tourner à toute vitesse comme les plus rapides des moteurs à vapeur avant de se désintégrer brusquement sous la force du courant. Alison, pleine de sang froid, se retourna vers les deux loups en s'accrochant à la porte et leur cria :

« - Changement de plan ! On se casse d'ici ! Je veux plus personne dans le Fort ! »

Elle tenta de rentrer à l'intérieur et de fermer la porte, mais les gonds sautèrent et fut entraînée par le vent.

La biche s'approcha de ses subordonnés, un petit écureuil gris, devant faire une tête de moins que Rick, encore dans le bureau alors que toute la paperasse, autre carte et parchemin tournoyaient dans l'air. Elle ordonna :

« - Vous allez me chercher tout le monde que vous pouvez et vous me les faites sortir d'ici ! Rassemblement au point d'évacuation Nord-ouest. Tu vas t’assurer à ce que tout le monde ait reçu le message.

- Alison c'est pas de ton ressort ce genre d'ordre, je ne peux pas sans passer par Gérard !

- J'en ai strictement rien à foutre ! Gérard est parti au casse pipe avec les autres ! Si on reste ici on va mourir dans la crue t'entends ?! Donc je prends les responsabilités et je t'ordonne de faire passer le mot ! 

- T'as intérêt à me protéger sur ce coup là Alison. Je vais le faire mais Gérard va détester.

- Va prévenir toutes les unités quelles qu'elles soient ! »

Elle se retourna vers Pako et Hayata.

« - Vous, vous prenez Rick, cherchez vos affaires, cherchez Elsa, elle vous montrera où est le point d'évacuation Nord-ouest. Ramenez le plus de monde avec vous. Je reste ici jusqu'à ce que tout le monde soit parti. »

Rick courut vers ses amis en mettant son capuchon et les deux loups se hâtèrent. Dehors, c'était une scène aux allures d'apocalypse, le vent gagnait toujours plus en force. Des branches et des morceaux de tôles volaient dangereusement à toute allure, se faire toucher par l'un d'entre eux c'était la mort. Ils avancèrent au mieux entre les cultures et les baraquements malgré le vent et la pluie, dès qu'ils croisaient quelqu'un, ils transmettaient l'ordre de rejoindre le point d'évacuation. Ils arrivaient au niveau du cours d'eau, le sol était boueux, gorgé par la pluie. Le cours d’eau commençait tout juste à sortir de son lit et les berges se faisaient rapidement submergées. Ils pataugeaient. Un petit pont de bois et de pierres allait permettre de le franchir, la force de l'eau était telle que l'on sentait l'édifice trembler sous ses propres pieds alors que le bois de la structure mise à l'épreuve grinçait de faiblesse sous cette pression délirante. C'était effrayant, une couche d'eau envahissait le sol à toute vitesse à mesure que le cours d'eau débordait, cela arrivait déjà jusqu'au cheville par endroit. Ils arrivaient déjà épuisé par l'effort à leur cabanon, chacune des habitations avaient les portes ouvertes, sans doutes dévalisés par des assaillants. Alors qu'ils arrivaient devant le leur, un sanglier sortit par la porte avec un de leur sac. Le trio se figea à la vue de l'individu. Le sanglier les grommela de manière menaçante et Hayata n'hésita pas une seule seconde, elle dégaina et tira dans le torse de pillards qui tomba lourdement à la renverse contre les parois du cabanon, affaissant en partie l'abri.

« - C'est pas vrai ! Ils sont tous complètement malades ! Espérez que y a encore l'autre sac ! » cria-t-elle dans le chaos de la tempête.

Le loup se dépêcha de tirer le sac volé de l'eau et le lança à Hayata. C'était une chance inouïe, le sien se trouvait toujours à l'intérieur. Dehors des animaux se hâtèrent en direction de la louve à cause du coup de feu. C'était Elsa, une kalachnikov à la main, avec d'autres de ses camarades.

« - Hayata ?! C'est toi ? Tout va bien ?! cria-Elsa.

- Tout est bon ! répondit la louve. Ils ont pillé les cabanons ! Je viens de tirer sur l'un des pillards qui piquait mon sac ! 

- Ils commencent tous à partir, la tempête est bien trop violente pour continuer ! Mère nature est avec nous ! On va pouvoir relâcher la pression !

- On va devoir partir aussi Elsa ! Alison à décrété l'évacuation au Nord-ouest ! Elle voulait qu'on te retrouve pour y aller ! 

- Merde c'est aussi grave ? 

- Tu dois faire passer le mot, c'est trop dangereux, on est passé par le pont de pierre tout à l'heure, le cours d'eau est en crue et les moulins se sont brisés ! 

- D'accord ! Dès que Pako sort je vous y emmène ! »

Le loup sortit du cabanon. Elsa et son groupe se hâtèrent alors que d'autres animaux se dépêchèrent de transmettre l'ordre d'évacuation. Ils devaient traverser à nouveau le cours d'eau, celle-ci avait encore monté de plusieurs dizaines centimètres et la progression se faisait au prix de lourds efforts, ralentit constamment ce courant boueux arrivant à hauteur de mollet. Au abords du cours d'eau, c'était pire, la masse d'eau en mouvement était impressionnante, le niveau était si haut que le courant se heurtait avec fraqua sur le pont, créant une vague de taille impressionnante. Dessus, la vague laissait s'échapper suffisamment d'eau pour qu'un courant envahisse la voie de l'édifice, si fort qu'il fallait se tenir aux barrières pour ne pas être balayé par la pression. Il n'y avait pas minute à perdre, ils entamèrent une traversée. Elsa partit en tête, Hayata suivit, ensuite Rick et Pako en dernier. La guéparde arriva de l'autre côté, mais Rick sembla en difficulté, le courant continuait à s'intensifier, trop léger, il s'agrippait de toutes ses forces au barrière. Le grondement de la vague les rendait complètement sourd, c'était impossible de s'entendre. Hayata fit signe à Elsa de lui attraper le poignet, pour qu'elle puisse tirer Rick hors du courant sans être emportée avec lui. Pako poussait le renard pour le dépêcher. Le petit animal était tiré hors d'affaire, mais tout à coup, une branche emporté par violence de l'eau balaya brusquement Pako. Il tomba sur le champ à même la voie, le flux le poussait à vue d'œil par-dessus bord. Il peinait à trouver son souffle, se prenant tout directement sur le visage et dans la gueule. Hayata se dépêcha pour le redresser, mais en tentant de le lever, une hausse soudaine du dépit termina de le projeter hors du pont, passant en dessous de la barrière. Par réflexe, il attrapa un des poteaux. Suspendu au-dessus du courant infernal, il s'était épargné la noyade mais il devait continuer à tenir tête au dépit d'eau considérable qui tombait en cascade sur lui depuis la voie du pont. La louve tentait de regagner du terrain pour l'attraper, mais la situation s'aggravait, la progression devenait pratiquement impossible. Le loup se débattit, tentait de trouver des prises malgré toute cette eau. Dans un cri assourdit par le vacarme des vagues, il se hissa avec toute la force qu'il put trouver dans ses bras et réussit à dépasser sa tête au-dessus de la voie, affrontant le courant. La louve vit sa tête prise entre les éclaboussures de tout ce désordre et se rapprocha le plus possible. Son ami s'accrocha au salut qu'était son poteaux avec les coudes pour ne plus lâcher prise. Elle était juste à côté de lui, la louve cherchait à lui attraper le sac pour le tirer de là. Hayata se pencha par-dessus la barrière pour le hisser. Des regards s'échangèrent, le loup n'avait jamais été si heureux de la voir. Elle essaya une fois, deux fois… mais rien à faire elle n'avait pas assez de force pour le tirer d'un seul bras. Elsa accouru dans le courant pour l'assister et tira Hayata par les épaules pour l'aider à le soulever, à lutter contre le courant, le poids de Pako et du sac combiné. C'est fait, le loup était maintenant debout derrière les barrières et dû poursuivre le chemin suspendu au-dessus de ce véritable rapide. Ils s'éloignèrent aussi vite qu'ils purent, l'eau maintenant en dessous des genoux. C'était impressionnant, c'était de véritables vagues qui traversaient à vitesse de marche l'entièreté du Fort, couchant absolument toute les cultures sur leur passage. Le plus angoissant était tous ces objets emportés par cette tempête, volant dans toutes les directions, les branches et les tôles de la muraille notamment. Ces dernières étaient les plus mortelles, ils virent des animaux mourir entaillés par celle-ci tant leur vitesse était grande, avant de disparaître sous l'eau de cette maudite crue. Ils sortirent du Fort par les brèches ouvertes dans la muraille et Elsa prit la tête pour les guider. La crue n'avait pas encore pris au-delà des enceintes, mais le sol était totalement détrempé. Ils devaient rejoindre un relief dans la forêt afin d'échapper à l'inondation, le seul danger étaient les grands écoulements d'eau et de boue ruisselant le long des pentes. 

Après avoir marché quelque temps dans la forêt, déjà un peu plus au sec grâce aux arbres, ils entre-aperçurent entre les pins un grand rassemblement d'animaux, c'était le point d'évacuation. Tout le monde était assis à même le sol, sur des tas de fougères ou de branches pour s'épargner d'un peu d'humidité et la boue. Il faisait extrêmement sombre, surtout pour les animaux diurnes. Et aucun moyen d'allumer la moindre torche évidemment, seuls quelques rares bougies dans des lanternes scintillaient çà et là.

Tous les quatres se hâtèrent de faire comme les autres, se confectionner un parterres de branches et de feuillages. Ils s'empressèrent de s'asseoir. Les deux loups se laissèrent tomber l'un à côté de l'autre complètement lessivé.

Le loup laissa s'échapper un rire alors qu'il s'essuyait le visage, ce qui fit aussi rire Hayata qui ne comprenait pas.

« - Tu t'amuses bien Pako ? fit-elle en riant tout bas.

- Je ne sais pas si c'est nerveux ou si je suis content. Je me suis jamais senti si putain de vivant.

- Toi par contre tu m'as vraiment pas fait rire espèce de saloperie, » fit-elle en lui poussant amicalement l'épaule. 

Elle le fit plusieurs fois jusqu'à ce que cela paraisse un peu trop sincère, elle lui prit soudainement la tête pour la serrer front contre front. 

« - T'as pas idée à quel point tu m'as fait peur p'tit con… tu m'en fais voir de toutes les couleurs ces derniers jours…

- Hé c'est pas grave Hayata… On est encore là et on est encore entier, c'est pas toi qui me le disait ? »

La louve se redressa pour le regarder face à face, une main sur ma joue ;

« - Entier ou pas arrête de me faire flipper, je devrais te scalper sérieusement, je vais faire un fucking paillasson avec toi, » plaisant-elle non sans plus de colère, en lui empoignant les poils de la joue. 

Elle soupira et se rassit à côté de lui, regardant devant elle.

« - T'as fini ? lança le loup taquin.

- Va te faire foutre Pako. »

Il riait pour se moquer d'elle, il était ravi d'en être arrivé là. Le petit groupe ne parla pas plus que cela, chacun profitait enfin d'un instant de répit après cet interminable effort. Il y avait toujours l'orage qui grondait, les éclairs éblouissant, le vent faisant tanguer les arbres, mais ils étaient enfin en sécurité. Tous redoutaient de nouveaux ordres qui viendraient briser ce repos. 

Au loin, ils entendirent des bruits de pas, et la silhouette d'Alison apparue avec celle d'autres animaux. La biche semblait totalement exténuée, trempée jusqu'aux os, l'air grave et concentré. Alison passa près du groupe et les regarda individuellement, pour s'assurer que tout le monde était entier, on pourrait imaginer. Elle ne s'assiéra pourtant pas avec eux, mais s'appuya dos à un arbre quelques instants pour racler l'eau de son visage silencieusement. Après de longs instants, bien plus tard, c'était Gérard qui rentrait, un pistolet à la main, au point d'évacuation avec quelques-uns de ses guerriers. Il prit lui aussi un instant pour racler l'eau de ses écailles, mais lui semblait enragé. 

« - Qui ?! Qui a ordonné cette évacuation ?! Je veux voir chacun des responsables ! » dit-il en portant bien haut sa voix.

Alison et le petit écureuil se levèrent.

« - J'ai donné l'ordre, il s'est chargé de l'appliquer en transmettant la nouvelle au reste des unités. Je prends les pleines responsabilités de ce que j'ai fait, » répondit Alison alors que l'écureuil approchait.

Gérard se tourna vers le petit rongeur.

« - Elle dit vrai Théo ? Je serai étonné de toi, lança-t-il d'un ton calme et grave, un peu ramassé sur lui.

- Je n'ai fait qu'appliquer les ordres de ma supérieur, répondit-il impassible.

- Bien…bien…» soupira-t-il en hochant la tête. 

Il tourna brusquement la tête vers lui, leva et pressa aussi vite la détente sur l'écureuil, il tomba au sol avant d'être rapidement achevé d'une deuxième balle. Alison explosa ;

« - T'es complètement malade ?! elle le poussa des bras, prête à dégainer un son pistolet. J'ai donné les ordres ! J'ai pris l'initiative ! Je l'ai obligé ! J'ai pris mes responsabilités ! Espèce de tortionnaire de merde ! Pourquoi tu tires pas sur moi plutôt que sur tes propres gars salopards ! »

Gérard colla son arme encore brûlante sous la mâchoire de la biche.

« - Écoute-moi bien la biche. L'ordre c'est la sécurité du groupe. L'ordre c'est suivre mes directives, pas celle de l'échelon en dessous. T’es sous mes ordres. Les petits électrons libres comme vous mettent en danger tout le monde. S'ils avaient le vrai sens des responsabilités il ne t'aurait pas écouté. La seule raison pour laquelle je ne te vide pas le crâne sur le champ c’est ton zèle, rien d’autre. Mais je te jure que si tu te l'as joue solo encore comme ça que tu seras très vite remplacée. Donc t'as sérieusement intérêt à romper les rangs au dernier point de ma phrase. »

Des regards brûlant s'échangèrent, une veine impressionnante monta jusqu'en haut du crâne de la biche qui tremblait presque de colère. Elle demeura silencieuse. Le dragon de Komodo lui fit signe de tête de partir. Elle cracha sur ses chaussures avant de tourner le dos. Il eût une méprisante expression de dégoût mais ne répliqua pas. Gérard ordonna de ne pas toucher à la dépouille de l'écureuil tombé dans la litière boueuse. En exemple, sans aucun doute. La tension était montée d'un cran, la présence du cadavre au milieu de chacun, à quelque pas de Pako, était la pire sensation. Il fallait détourner le regard, ne pas tomber dans le supplice de Gérard. 

L'intégralité des survivants du Fort restèrent là jusqu'au petit matin, sans manger et très peu à boire. Tout le monde était épuisé par le jeune, le froid, l'humidité, le bruit de l'orage et le manque de sommeil. Alison fut envoyé avec une dizaine d'autres guerriers en tant qu'éclaireurs dès que l’eau commença à reculer, pour sécuriser le Fort et faire un état des lieux. La pluie avait cessé, le vent retombait, mais le ciel gardait un pesant gris sombre. La faction adverse n’avait visiblement pas essayé de regagner le Fort désolé. Les dégâts étaient considérables. Le plus grand nombre des cultures avaient tout simplement été balayées, des pans entiers des murailles s’étaient affaissées, des miradors couchés, les habitations dévastées, les moulins et l’armurerie ravagés, des montagnes de branches, d’arbres entraînées par toute cette eau, s’étaient amassés un peu partout mêlé à des tas de ferrailles, les cuves de récupération d’eau furent complètement polluée par les boues. Le plus répugnant était les quelques corps que l'on retrouvait ça et là dans la boue, si ce n'est des morceaux éparpillés. Parfois l'on sentait une chose dure sous ses pas, ce n'était pas une pierre ou une branche mais tantôt un pied ou une main. Pris dans les monticule de débris, on voyait des corps entiers dans des positions ridicules ou humiliantes, les yeux couverts par la boue, la gueule ouverte prise par les alluvions, mettant un point d'orgue d'horreur à cette tragédie. C’était un désastre. Seules bonnes nouvelles étaient qu’une quantité encore raisonnable de vivres avaient pu survivre à cette inondation, ainsi que de l’armada de chariot à vapeur, alors suffisamment éloignée du cours d’eau, semblait avoir eu de bien meilleur chance comparé au reste.

Au retour du reste des animaux, c’était un véritable choc pour certain, tout ce travail et cette sueur donnée, effacée en l’espace d’une nuit. 

Gérard faisait un état des lieux, chacun des recoins étaient passés en revu, médité, chiffré, mesuré. Alors que les animaux commençaient un grand nettoyage des lieux. Des horas passèrent, toute une agitation gravitait autour de Gérard, que le groupe d’amis observait de loin. Des coups de cloche improvisé raisonnèrent, un rassemblement fût ordonné à l’armada de chariot à vapeur. Le reptile se tenait bien haut sur l’un d’entre eux, en guise d’estrade. 

« - Approchez, tous. J’espère qu’il ne manque personne. »

Il se râcla la gorge et reprit d’un ton solennel; 

« Cette nuit à été extrêmement rude pour chacun d’entre nous, amis. Une faction adverse à tenté d’enrayer nos défenses en profitant lâchement du chaos de l’orage. Nous avons subi de très nombreuses pertes lors de cette attaque mais grâce à d’efficace contre-offensive stratégique décisive et au prix de sacrifices héroïques que l’histoire n’oubliera pas, nous avons pu repousser l'ennemi à la force et à l’unité du peuple de se Fort. Vous pouvez applaudir en l’hommage de nos héros et du commandement. »

Des applaudissements apathiques s'élevèrent, applaudissement qu’il s’empressa de faire taire en levant les bras. Il reprit ;

« - Cependant camarades, vous avez pu le constater par vous même. Le Fort est absolument dévasté par l’épreuve de Mère nature. Quelques vivres et les chariots ont pu être épargnés, mais les moulins sont à rebâtir, l’armurerie à regarnir, les enceintes à fortifier. La plus grandes de mes inquiétudes à leur actuelles sont les graines, chères habitant de Potamos. Les cultures sont rasées ce n’est pas un secret et les récoltes de graines qui assurent notre prospérité ont été emportées par les flots déchaînés. Il ne reste pratiquement plus rien ! C’est alors qu’une lourde décision s’impose pour chacun d’entre nous, un risque à prendre pour notre survie. J’ordonne la mise en place d’une nouvelle O.E. »

Des murmures prirent la foule, l’agitation remuaient chacun d'entre eux. Elsa jubilat ;

« - Je suis content qu'il prenne cette décision !

- Ah oui ? répondit Hayata.

- On n'a pas trop le choix, déjà. Et puis j'avoue que j'ai aimé la première que j'ai faite, j'espère que je vais être reprise. 

- Donc je vais enfin savoir en quoi ça consiste ?

- Ah ah ! Même pas, tu verras.

- Comment ça ? »

Gérard continua plus fort après que quelqu'un lui ait tendu un parchemin ;

« - Je vais donc désigner nos chanceux équipages qui vont partir avec nous. Veuillez manifester votre présence. Tout d'abord j'appelle les groupes de combattants permanent numéro deux et quatre !... »

Hayata insista alors que Gérard continuait ses appels ;

« - Pourquoi tu ne peux pas me dire Elsa ? 

- C'est la règle, c'est nécessaire. C'est Gérard qu'il ordonne. T'as vu ce qu'il a fait à l'écureuil ? Et de toute manière je peux comprendre pourquoi il fait ça.

- Je te suis pas, tu ne peux pas m'expliquer ?

- Attend l'appel et je verrai. »

Le reptile finit d'appeler les groupes concernés et commença à appeler des noms individuellement.

« - Et une fois encore j’invite notre chère Alison à participer à notre expédition, tes compétences seront précieuses. Réponds-tu présent ?

- Mes compétences sont-elles aussi requises ici Gérard, je décline ta proposition, répondit Alison à voix haute.

- Tu rates encore une belle chose. Je poursuis. »

La louve se pencha vers Alison ;

« - Tu peux refuser, toi ? 

- Ce n'est pas un ordre mais une invitation comme je peux aussi être utile ici. J'aime pas du tout ces expéditions, j'ai toujours refusé d'y participer. Il passe son temps à y envoyer en grande partie des gens qui n'ont pas de réelle valeur, ceux dont il cherche à se débarrasser, pour gonfler les effectifs, ceux qu'il cherche à contrôler. Il y a trop de perte pendant ces O.E. je me dédouane de ça. Comme c'est lui qui en est à la tête, je ne suis même pas surprise.

- Alors pourquoi tu aimes y participer Elsa ? continua la louve. Même Alison sait que t'es utilisée.

- Tu poses trop de questions Hayata. Tu voyages, t'es avec tes frères d'arme qu'est-ce que tu veux de plus ? »

Gérard éleva la voix ;

« - Et Elsa du groupe polyvalent numéro huit ! »

La guéparde leva la main et semblait aux anges ;

« - Trop bien je suis prise ! »

La biche la regarda d'un regard assez désolé, chose qui n'échappa pas à la louve.

Le reptile continua, bien qu'il semblait au bout de sa liste ;

« - Et bien ! J'aimerais emmener avec nous quelques nouveaux qui se sont greffés aux groupes polyvalents affiliés à Alison ! il se pencha comme pour demander des informations. Il serait question de deux loups, certains Pako et Hayata !

- Allez levez vos mains ! insista la guéparde, ce qu'ils firent. Trop bien ! Ça sera encore mieux. »

Cela ne fit pas rire Hayata, qui attendait la suite avec inquiétude, Alison aussi semblait préoccupée. 

« - Et enfin un dernier, un certain Rick qui les accompagnerait ! »

La guéparde prit le petit renard sous les aisselles pour que sa main puisse être vue. La louve eut un souffle de soulagement avec Pako, mais Alison semblait pas du même avis, la biche se pencha vers Hayata.

« - Hayata, ça pue cette histoire, je crois vraiment pas que c'est une bonne chose que vous y alliez. 

- T'as aussi une sensation étrange ? »

La biche fronça les sourcils et marqua une pause pour réfléchir. 

« - Et merde vous me les brisez vous trois ! »

Alison leva la main au-dessus de la foule.

« - Tiens, on a quelqu'un qui change d'avis Alison ? s'exclama Gérard surpris.

- Je vais sortir de ma zone de confort pour acquérir de nouvelles compétences.

- J'aime cet état d'esprit, vous pouvez tous prendre exemple sur elle au moins pour ça, bienvenue à bord ! 

- Quel faux-cul celui-là… » soupira la la biche.

La louve vint lui chuchoter à l'oreille ;

« - Qu'est-ce qui t'as pris ? 

- Vous êtes là depuis peu de temps, il n'en a rien a foutre si vous revenez pas. Il économise les éléments de valeur, c'est sa doctrine, il a fait la même chose durant la tempête en envoyant des groupes non-combattants à l'écluse. En plus, il a vu que je faisais attention à Rick, toi tu t'es fait remarquer plusieurs fois depuis que t'es là, il sait très bien ce qu'il fait vous prenant vous trois. Il veut vous garder à l'œil et moi aussi en me forçant la main. Il sait à qui il a à faire. Je suis obligée de venir, sans moi il va vous laisser dans un fossé à la moindre occasion. »

La louve baissa les oreilles d'inquiétude ;

« - Attends qu'est-ce que t'essaies de me dire … 

- Alison, tu as la main un peu lourde avec Gérard. 

- Non mais tu déconnes Elsa ? répondit la biche. Hier il a encore tiré sur quelqu'un et tu me dis ça ?

- Non mais… ça oui mais pour le reste. C'est juste une O.E. Ça à beau être un gros con mais il va pas jusqu'à faire de la chaire à canon avec ses propres troupes. 

- C'est bien pour ça que je pense que t'es pas ici depuis assez longtemps pour comprendre ce qu'il se passe Elsa. »

Un brouhaha envahit la foule et le reptile tapa des mains pour faire silence. 

« - Tous ceux qui n'ont pas été appelés doivent retourner à leurs affaires. Pour le reste je vais vous affilier à vos véhicules. Les domestiques des unités combattantes iront dans les chariots de tête et de queue…

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