— Cidolfus Demen Bunansa, pour vous servir.
Le seigneur Vayne se leva et dévisagea le nouveau venu.
Une barbe bien taillée décorait un visage à la peau basanée et au nez surmonté de lunettes. Les cheveux étaient courts et d’un blond foncé aux reflets dorés. Les habits étaient pourpres et argentés, une parfaite tenue de noble d’Archadès agrémentée de longs gants blancs. Toute la physionomie du docteur Cid évoquait l’affabilité et la confiance – l’une des nombreuses personnes que sa mère aurait pu lui présenter, en somme. Et pourtant… Des bribes de souvenirs lui revenaient et voilaient sa conscience : la discussion dans la salle de réception… les craintes du juge Zargabaath au onzième… la viéra morte sous ses yeux…
— Est-ce que tout va bien, Seigneur ?
Une main inconnue le retint tandis qu’il s’était mis à tituber en allant vers la porte. La voix était féminine, douce et chantante. Il releva ses yeux bleus vers sa propriétaire, et la contempla l’espace d’un instant. Plutôt grande, la femme était vêtue d’une large et longue cape grenat qui enveloppait un corps visiblement svelte et vif. Elle portait des chaussures noires à petits talons et, surtout, un masque qui dissimulait son visage depuis le menton jusqu’au haut du nez. Seuls ses petits yeux ambre étaient visibles, et l’observaient timidement. Sa coiffure consistait en un chignon maintenu par un bâton noir.
— Oui, lui répondit-il. Je vous remercie.
— J’ai omis d’annoncer que je venais avec le docteur Ludy, fit Cid d’un ton affecté.
— Aucun problème, dit Vayne en désignant le couloir. Allons dans un bureau pour parler à notre aise.
Ils le laissèrent passer la porte et le suivirent le long du corridor qui menait à l’ascenseur de verre. Juste avant celui-ci, Vayne s’engouffra à gauche dans une salle bien plus petite que la précédente.
Une table de travail y avait été aménagée, sous la lueur faible d’un soleil qui peinait à pénétrer dans la pièce. Quelques chaises entouraient le meuble, ainsi que des étagères encastrées dans le mur, de l’autre côté de la porte, où trônaient quelques livres. Aucun autre objet ne faisait partie de la décoration. Dans cette atmosphère morose, les deux scientifiques vinrent s’asseoir, l’un près de l’autre en face du seigneur Vayne. La femme se tenait toute droite contre sa chaise, les mains jointes sur la table, et tremblait légèrement.
— Permettez-moi, commença le docteur Cid, de féliciter l’admirable jeune homme que vous êtes devenu. Votre corps et votre esprit semblent se porter toujours aussi bien – et la queue-de-cheval vous va à ravir.
— Je laisse pousser mes cheveux en hommage à ma mère, expliqua Vayne en souriant, l’œil méfiant face à ces flatteries.
Sentia Solidor avait, en effet, la même chevelure sombre qui ondulait autour de ses augustes épaules, et qui faisait partie de ses signes reconnaissables de part et d’autre du monde d’Ivalice.
— Permettez-moi, répéta Cid, de vous exprimer également mes plus sincères condoléances concernant la mort de Son Altesse.
— La nouvelle a été terrible pour tout le monde, appuya la femme en baissant la tête. Vous avez beaucoup de courage… Dites-vous qu’elle serait fière de vous, aujourd’hui.
Vayne laissa son regard aller de l’un à l’autre et leur sourit :
— Allons ! Cela fait déjà deux ans. Le temps a fait son œuvre, bien que rien ni personne ne puisse nous la rendre et remplacer ses bienfaits à l’Empire. Je suis heureux de vous recevoir, docteur Cidolfus, ainsi que… ?
Il marqua une pause.
— Shysie Ludmilla Doros, se présenta la femme sans relever la tête. Je suis l’assistante du docteur Cid. Je vous remercie infiniment d’avoir accepté de nous recevoir.
— Excusez-la, justifia Cid, elle est intimidée par l’endroit. C’est la première fois qu’elle entre au Palais. Mais croyez-moi, il y en a, des choses, dans sa petite tête. Elle est docteur en sciences au même titre que moi et ses travaux sont d’une qualité rare, que ce soit pour le concours final ou sa thèse. Je ne pouvais envisager de vous entretenir sans elle. La confiance et l’estime que je lui accorde dépassent celles que j’ai pour moi-même.
— Eh bien, répondit Vayne, les yeux rivés sur le masque, je suis ravi de vous rencontrer, docteur Doros.
— S’il vous plaît, insista la femme doucement tandis que Cid ricanait, appelez-moi Ludy.
— Elle aime le surnom que je lui ai donné, visiblement ! fit le docteur Cid en la désignant du pouce.
— Ainsi soit-il. Puis-je vous demander à présent pourquoi vous cachez votre visage ?
A ces mots, Ludy tressaillit et releva la tête, paniquée.
— Je… bredouilla-t-elle.
— Je vous avais bien dit que c’était inutile ! dit Cid avec une grimace.
— Je suis profondément désolée, reprit Ludy à l’attention du jeune seigneur. C’est que… mon visage est fort déplaisant à regarder, et je ne voulais pas être désagréable à Votre Altesse.
Vayne cligna des yeux plusieurs fois.
— Ma mère m’a toujours dit de ne jamais juger mes interlocuteurs à leur apparence. Quelle que soit la vôtre, n’ayez crainte – il ne s’agit pas de cela ici.
— Vous l’avez entendu ? tonna Cid. Enlevez-moi ça.
Ludy s’exécuta, et le masque tomba.
Sous la masse de cheveux blonds frisés, un front large surmontait un imposant nez aplati. Les lèvres étaient très fines, presque inexistantes, et se tordaient dans un rictus saillant, autour de dents inégales. Les joues étaient constellées d’acné, et quelques pustules décoraient les tempes moites et le menton carré. En rencontrant le regard du seigneur Vayne, les yeux ambre se baissèrent de nouveau.
— Eh bien ? fit le jeune homme. Je ne vois aucun inconvénient à ce que vous restiez ainsi. Nous pouvons à présent passer au sujet dont vous vouliez me parler.
Ludy se mordit les lèvres, les yeux baignés de larmes. Cid lui tapota l’épaule, puis tous deux se redressèrent, le regard attentif et le cerveau en marche.
— Mon cher seigneur Vayne, entama le scientifique, vous n’êtes pas sans savoir que les magilithes sont au cœur des échanges énergétiques de très nombreux systèmes en Ivalice. Ces pierres sont plus précieuses que des diamants, et nous permettent ainsi de nous éclairer, de nous chauffer, de nous déplacer ou encore de nous défendre. Une catégorisation possible des magilithes est la suivante : ceux qui servent à l’incantation de sorts, ceux qui alimentent les vaisseaux aériens – autrement dit les pierres stellaires –, et enfin ceux qui permettent de se remémorer des sons et des images pour l’éternité – les mnémolithes.
À l’évocation de ce dernier nom, Vayne sentit ses muscles se raidir. Ces fameuses pierres qu’il avait cru bon de manipuler la veille et qui l’avaient entraîné dans la scène fatale des pires heures de son existence.
— Je vous suis, répondit-il.
— Le potentiel des magilithes, poursuivit Cid, n’est pas encore totalement connu des hommes. Et j’ai jugé utile d’orienter mes recherches vers l’exploration de leurs bienfaits cachés, afin qu’ils puissent servir au plus grand nombre. Pour ce faire, je me suis entouré d’une petite équipe issue de l’Académie Impériale de Sciences, avec Ludy à leur tête. Nous avons élaboré ensemble un plan d’action qui nous permettrait d’obtenir des résultats dans un délai raisonnable. Mais pour y arriver… nous aurons besoin de magilithes.
— Et nous aurons besoin d’un lieu de travail, ajouta Ludy en relevant ses petits yeux d’un regard empreint de dignité.
Soudain, le contenu de la discussion du premier lui revint en mémoire. Mais bien sûr ! Des recherches… un lieu de travail…
— Je suppose, Docteurs, que vous êtes venus me parler du laboratoire Draklor.
Cid ferma ses yeux et joignit ses mains.
— Nous sommes conscients qu’il s’agit là d’une initiative parmi les plus nobles de feu Son Altesse, dit-il d’une voix grave. Elle devra être réservée aux utilisations les plus pertinentes pour faire évoluer la société archadienne dans la voie de la paix et de la souveraineté. Mais c’est précisément dans ce cadre que nous nous présentons à vous aujourd’hui : pour proposer des projets qui seront bénéfiques à l’Empire, et en particulier à son armée. Draklor pourrait être le centre bouillonnant d’inventivité et d’énergie dont le pays a besoin et serait fier, et que même Rozarria nous envierait. Qu’en dites-vous, Seigneur ?
Vayne prit le temps de réfléchir tandis que le scientifique le fixait de ses yeux noisette désormais grands ouverts. Dit comme ça, le plan ne présentait aucun soupçon. Où était le mal dans l’exploitation du laboratoire géant pour satisfaire des ambitions qui auraient certainement plu à Sentia ? Pourquoi avait-elle fait construire cet antre du savoir si ce n’était pour l’utiliser à des fins similaires ? Mais encore une fois, la discussion du premier revint toquer aux portes de son esprit ; il revoyait les couleurs des tissus de la salle, il sentait les plats servis pour le dîner, et surtout il entendait les mots de sa mère, sévèrement opposée à tout ce que pouvait lui affirmer son interlocuteur. Pourquoi ? Quelle raison l’avait poussée à repousser avec fougue un projet qui, sur le papier, bénéficierait à tous ? Il désirait tant comprendre et pourtant il ne comprendrait jamais. Mais il lui fallait prendre une décision. Sa mère n’était plus et il était seul aux commandes – du moins la seule personne en face de Cid. Il ne pouvait baser sa réponse sur des doutes, des mirages et des souvenirs irrésolus. Il était temps d’agir pour le bien de l’Empire, et il avait là l’opportunité parfaite de le faire, de compléter l’œuvre de Sentia comme il l’avait toujours rêvé. Et peut-être l’Empereur lui accorderait-il davantage de crédit s’il parvenait à des résultats avec l’aide de l’équipe scientifique…
— Je ne peux vous assurer de ma pleine et entière collaboration à l’heure actuelle.
Les mots étaient sortis tous seuls, davantage guidés par la masse dévastatrice d’incertitudes que par la raison. Le visage de Ludy se décomposa ; la jeune femme ouvrit des yeux ronds en portant ses deux mains à son visage. Vayne poursuivit :
— Cependant, je promets d’y réfléchir, car j’y vois là l’aube d’une ère nouvelle pour Archadia. Une ère de progrès et de succès menée par l’expérience de votre équipe et le pouvoir des magilithes. Si cela concerne l’armée, il faudra que j’en parle aux Hauts Juges qui m’aiguilleront sur les dispositions à prendre pour que tout se passe comme il faut.
A ces mots, Cid grimaça, mais ne répondit rien.
— Nous pouvons d’ores et déjà planifier une prochaine réunion où nous discuterons de l’organisation d’un éventuel centre de recherche dirigé par vous au sein du laboratoire Draklor. J’espère que nous arriverons à un arrangement et que nos échanges porteront leurs fruits.
Ludy reprenait des couleurs, un timide sourire illuminant son visage boursouflé.
— Dites à vos… Hauts Juges, fit le docteur Cid en plissant les yeux, que ce sera le docteur Ludy qui aura la responsabilité du futur centre. Je ne serai là que pour… conseiller l’équipe et apporter ma pierre à l’édifice. Nous en avons discuté. Elle a les épaules pour cela. Je le sais depuis que j’ai encadré sa thèse.
La jeune femme baissa la tête, comme si cela n’avait pas été son choix. Que cachait cet accord ? Cid était le plus âgé, et certainement celui avec le plus d’expérience. De plus, depuis sa première apparition au Palais, il paraissait être un homme d’ambitions, peut-être personnelles. Donner la direction de Draklor à sa subordonnée était pour le moins étrange. Le seigneur Vayne se promit d’en parler avec le juge Zargabaath dès que possible.
La réunion s’acheva peu après, le jeune homme promettant de les recevoir la semaine suivante avec les idées plus claires.
Les deux docteurs partis, Vayne ne put s’empêcher de retourner à la grande salle centrale, de contempler le piano avec nostalgie, et de passer sa tête par la fenêtre dans l’espoir de revoir la jeune fille irréelle, mais elle avait bel et bien disparu.
Le cœur serré, il se décida à monter au vingtième. Les premiers mois après le décès de Sentia, il avait eu du mal à occuper cet espace où elle avait tant laissé sa trace, à prendre la parole sans entendre la sienne, et à être concentré alors qu’il ne pourrait plus jamais s’appuyer sur elle pour prendre des décisions. Cependant, il avait appris à considérer ces réunions comme des entraînements à ses futures contributions à la vie politique archadienne, à parler pour ce qu’il avait à dire et non pour ce qu’on attendait de lui, et à réfléchir posément avec le seul objectif de faire prospérer l’Empire. Et puis, il y avait les juges. Tout autant qu’ils étaient, et tous dévoués à sa famille. Tout comme durant son enfance, il avait continué à avoir foi en eux et à composer avec leurs idées et leurs caractères.
— Bonjour, Seigneur.
Vayne releva la tête et rencontra le sourire chaleureux de Zargabaath. Il arrivait toujours en avance et aidait le personnel à préparer la salle. Le jeune homme resta quelques instants immobile, les yeux fixés sur le juge, sans prêter attention aux valets qui passaient entre eux.
Le Haut Juge l’invita à s’asseoir, et Vayne reprit ses esprits. Il ne savait pas par où commencer.
— Vous n’étiez point au treizième, fit remarquer l’homme sans se départir de son sourire.
— En effet. J’étais… J’étais avec le docteur Cid.
Zargabaath, installé en face de lui, cessa de sourire et le considéra avec une dureté inhabituelle.
— Le juge Drace est-elle au courant ? demanda-t-il.
— Oui. C’est elle qui l’a introduit. Nous étions au douzième.
Zargabaath oscillait entre le soulagement et l’inquiétude.
— Cette visite n’était pas prévue dans votre agenda. Vous auriez pu refuser, remarqua-t-il.
— J’étais curieux, avoua le jeune homme.
Et il s’empressa de lui conter son entrevue avec le mystérieux scientifique et son assistante bien éduquée. Zargabaath l’écouta silencieusement, le visage grave.
— Vous souvenez-vous du nom de la femme ? questionna-t-il lorsqu’il eut fini.
— Laissez-moi me rappeler… Doros, je crois ?
— Doros ?
Le juge paraissait impressionné. Il se remit à sourire.
— Ah oui, se souvint Vayne. Pour finir, le docteur Cid a insisté pour que je dise « aux Hauts Juges » qu’il ne dirigera pas Draklor personnellement – ce sera l’autre docteur. En savez-vous la raison ?
Zargabaath éclata de rire. Éclaboussé par une vague de fraîcheur et de douceur, le jeune homme reçut subitement, et pour la première fois depuis longtemps, l’image d’un bonheur ayant survécu à de nombreux obstacles, et qui lui rappelait tout simplement à quel point ce rire était précieux.
— Il a prononcé ces mots à mon intention, Seigneur, assura-t-il. Cid et moi avons… un passé commun, que chacun a traité différemment et a modulé à sa manière.
Vayne était bouche bée. Un passé commun ? Cid et Zargabaath ? De quoi parlait-il ? Il savait qu’ils ne faisaient guère partie de la même famille, alors quoi ? Une amitié défunte ? Non, leurs personnalités étaient bien trop différentes pour pouvoir s’accorder. Ne voulant pas empiéter sur sa vie passée, dont il faisait très rarement l’évocation, le jeune homme se contenta d’acquiescer.
— En d’autres termes, il a essayé de faire en sorte que j’aie votre assentiment afin que « son » projet Draklor aboutisse… Est-ce bien cela ?
— Oui, répondit le juge, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’il y a un piège. Il est vrai que nous devons faire quelque chose de ce laboratoire, et le plus tôt sera le mieux. Seulement… il faudra être très méfiant s’il s’agit de Cid.
— Pourquoi ?
Zargabaath baissa les yeux.
— Je comprends, fit Vayne, sentant qu’aucune réponse claire ne viendrait. Je me fie à votre intuition et vous promets de rester prudent.
— Nous aurons l’occasion d’en reparler, dit le juge, reprenant son affabilité habituelle tandis que ses collègues pénétraient dans la salle de réunion.
Les Hauts Juges – certains accompagnés de leurs juges de confiance, les dömavänner – s’installèrent tout autour de la table, tandis que les fleurs magiques, sagement debout dans leur vase protecteur, bénissaient l’assemblée de leur fraîcheur, leur couleur, et leurs vertus. Le seigneur Vayne fit un rapide tour avec ses yeux pendant que les derniers participants s’asseyaient et enlevaient leurs casques. Pour une raison qu’il ignorait, le juge Drace n’était plus présente aux réunions du vingtième. Le juge Zecht, comme à son habitude, semblait ailleurs, de l’autre côté de la table ovale. Zargabaath attendait calmement à son côté, et d’autres Hauts Juges ayant accumulé suffisamment d’ancienneté pour mériter leur place au vingtième croisaient les bras, comme le juge Rigel, une femme d’honneur qui avait officié dans l’armée coloniale. Ghis, étant toujours relativement récent, n’était pas convié.
Le juge Zecht, revenant au présent, se racla la gorge et la réunion débuta. Affaires courantes, rapports des différentes armées, actualités économique et judiciaire furent au rendez-vous. Lorsque ce fut à son tour de parler, Vayne déglutit et ses yeux parcoururent de nouveau l’assemblée. Il avait beau avoir représenté plusieurs fois la famille impériale au vingtième les deux années précédentes, il ressentait toujours une frayeur brusque lorsque ce moment-là arrivait. Comment sa mère avait-elle fait pour se sentir à l’aise au milieu de toutes ces armures, toutes ces voix sûres d’elles, et toutes ces attentes ?
— Je pense que vous pouvez en parler.
Le juge Zargabaath venait de lui souffler cette phrase, le visage bienveillant sans être fixé sur lui. Cela calma le jeune seigneur qui se leva, posa ses deux paumes sur la table, et déclara :
— Vos Honneurs, je suis aujourd’hui heureux et fier de vous annoncer que j’ai des projets de grande ampleur pour notre pays.
Zecht se redressa sur sa chaise. Il ne s’attendait certainement pas à cette initiative.
— Je pense qu’il est grand temps d’emprunter le chemin du progrès technologique, celui qui nous emmènera plus loin que là où nous sommes actuellement et qui redonnera à Archadia ses lettres de noblesse. L’Empire mérite de briller d’un éclat franc et sans ambiguïté qui éclipsera les actions de tous nos voisins, et en particulier de Rozarria. Sur le plan économique, cela nous permettra d’exporter des solutions avant-gardistes introuvables ailleurs, de telle sorte nous aurons la mainmise sur de nombreuses entreprises qui dépendront de nous. Sur le plan social, la vie de nos concitoyens sera améliorée, avec une meilleure gestion de l’énergie, un meilleur accès aux nouveaux produits du quotidien, et à terme, une meilleure distribution de la richesse grâce aux emplois créés et aux bénéfices engrangés. Enfin, sur le plan militaire, je ne vous cache pas que ce sera une avancée majeure pour la modernisation de notre armée, à travers la confection d’équipements plus adaptés, l’amélioration de nos vaisseaux aériens qui ouvrira la voie à une nouvelle ère d’exploration, et le renforcement de nos connaissances et de notre puissance en matière de magie.
Rigel prenait frénétiquement des notes sur un petit carnet tandis que Zecht tournait la tête à gauche et à droite, visiblement indécis.
— Nous aurons pour cela besoin de talents. L’Académie Impériale de Sciences n’en manque pas, et ses nouveaux lauréats se feront, j’en suis sûr, une joie de participer aux concours qui seront mis en place pour la sélection des futures équipes qui travailleront à ces projets. Quant au lieu de leur élaboration… Quoi de mieux que d’utiliser le laboratoire Draklor, dans lequel feu Son Altesse a fondé tant d’espoir, dans ce but noble et motivant ? Ces deux dernières années nous ont empêché de l’aménager, mais ce sera chose faite dans les prochaines semaines. J’entends mettre en place une équipe restreinte pour suivre l’avancement de ce chantier, avec des points réguliers afin que nous puissions tous être au courant du travail accompli, des risques encourus, et du chemin qu’il nous reste à faire. Je tenais cependant à informer l’ensemble de cette salle au préalable.
Il se tourna furtivement vers Zargabaath qui avait du mal à cacher sa fierté. Rassuré, Vayne sourit et se rassit, donnant la parole aux juges d’un signe de main. Ces derniers demeurèrent silencieux durant une bonne minute.
— Je vous remercie, Seigneur, pour le soin apporté à l’examen de pistes novatrices pour l’ensemble de l’Empire. Ces idées sont toutes pertinentes, et je serai le premier à encourager et aider à leur mise en œuvre dès que vous l’ordonnerez. Cependant, la précision de votre pensée me conduit à supposer que vous avez déjà des personnes en tête pour diriger Draklor, des personnes ayant les épaules suffisamment larges pour assumer une telle transformation.
Vayne n’aimait pas lorsque Zecht se montrait aussi perspicace que Zargabaath.
— Je dévoilerai l’identité de ces personnes lors de notre prochaine réunion, la semaine prochaine, répondit-il simplement.
D’autres juges posèrent des questions, auxquelles le jeune seigneur n’avait pas toujours la réponse, mais auxquelles il fit face du mieux qu’il put, accueillant les remarques avec intérêt et renvoyant les sujets encore flous à la réunion suivante. Globalement, l’accueil fut enthousiaste – à moins que les juges n’osassent pas critiquer leur supérieur, mais la parole s’était considérablement libérée depuis que l’intransigeante Sentia n’était plus. Satisfait, Vayne annonça la fin de la réunion et les juges quittèrent la salle les uns après les autres. Rigel, son carnet sous la main, lui sourit en penchant la tête respectueusement vers lui. Zecht lui adressa un regard plein de doute avant de s’éclipser à son tour. Enfin, Zargabaath se leva, vérifia rapidement que tous ses collègues étaient partis, et s’adressa à Vayne :
— Si la future directrice est bien la Doros à laquelle je pense, je pense que l’initiative sera un succès.
— Elle se fait appeler docteur Ludy, précisa le jeune homme, la mémoire lui revenant.
— C’est bien elle, confirma le Haut Juge en s’écartant pour laisser des servantes nettoyer la table. Je ne sais comment elle a rencontré Cid, ni ce que cette collaboration donnera, mais je pense que cette femme a un courage particulier, ayant fui sa famille il y a quelques années.
— Vous devriez bien vous entendre, alors ! fit Vayne avec un clin d’œil.
— Je suppose, oui, sourit le juge. Tout comme vous, je suis bien curieux de ce que tout cela va donner. Et…
— Oui ?
Une servante, terrifiée par le silence, posa un pied devant l’autre et fit un croc-en-jambe à elle-même, tombant à la renverse. Vayne l’aida à se relever et se tourna vers le juge.
— Vous avez bien fait de ne point révéler l’identité de nos deux scientifiques au juge Zecht, lui fit savoir Zargabaath.
— Pourquoi cela ? demanda Vayne, les mains sur les hanches.
Le Haut Juge rangea sa chaise, inspira longuement et s’approcha du jeune seigneur.
— Cid a mis une certaine pagaille dans la vie du juge Zecht. Il s’est rapproché de sa protégée, Morphine Muréna, qui n’était à l’époque qu’une adolescente, et ensemble, ils ont eu trois enfants.