Chapitre 3

Par Ety
Notes de l’auteur : Un peu de mignonnerie et d'amour avant que la machine s'enclenche! Bonne lecture.

Cité impériale d’Archadès – mois de la Balance 696

 

Le docteur Ludy était satisfaite.

Revoir autant de ses anciens camarades – en particulier les rares qui ne s’étaient jamais, d’une manière ou d’une autre, moqué de son visage – lui avait fait un bien fou. Elle avait réussi à retrouver leur trace, disséminés à travers l’Empire, et à leur donner rendez-vous en ce jour précis du mois de la Balance 696, dans une salle que l’Académie de Sciences s’était fait un plaisir de leur prêter. Les discussions autour des dernières nouveautés, des postes occupés par chacun et tout simplement les nouvelles échangées, réchauffaient son cœur et lui faisaient croire qu’elle avait encore un rôle à jouer dans la société.

Livrée à elle-même après son doctorat, elle avait erré en solitaire dans sa petite chambre du quartier Trante, sans grand espoir de rebondir professionnellement, avant que Cid la retrouvât. Cette aide inespérée lui avait ouvert les yeux sur le monde d’Ivalice et les possibilités qui lui étaient offertes de le métamorphoser à son image. Elle manquait toujours d’un peu de confiance, mais elle avait bon espoir que les choses avançassent à un rythme qui donnerait bientôt des résultats. Et de toute façon, la confiance qu’elle n’avait pas en elle-même, Cid la lui offrait.

— Je savais que je pouvais compter sur vous, Ludy, dit le scientifique, marchant à son côté dans les rues animées du quartier Molvérie.

— Qu’avez-vous pensé d’eux ? lui demanda-t-elle, un sourire déformant son visage.

— Tous aussi brillants les uns que les autres. Je les veux tous dans l’équipe !

— Soyez assuré que ce sera chose faite, déclara Ludy, regardant droit devant elle. Ils constitueront la première équipe qui mettra en place les processus de mise en marche de Draklor. Il y aura beaucoup de logistique… Mais croyez-moi, nous y arriverons. Et puis, le seigneur Vayne nous a promis toute l’aide financière, matérielle et administrative dont nous aurons besoin.

— Et c’est une très bonne chose. Pour être honnête, je ne pensais pas qu’il accepterait aussi facilement.

— On peut aimer tendrement sa mère ou son père sans forcément prendre les mêmes décisions, commenta la jeune femme. Nous avons désormais tous les feux au vert pour nous lancer dans ce chantier. Si je pensais ressentir une telle excitation un jour !

Cid se mit à rire tandis que son assistante s’était mise à sautiller.

— A propos de père, dit-il, je dois passer chercher Ffamran à son école avant de rentrer. Cela vous dérange-t-il ?

Ludy sourit de toutes ses dents.

— Bien sûr que non. Allons-y !

Ffamran était un adolescent apathique au premier regard, ignorant l’agitation et les évènements autour de lui, et observant une fraction du monde de ses yeux fatigués, sous sa chevelure blond foncé identique à celle de son père. Ludy l’appréciait car derrière ses airs négligents, il était un garçon éveillé, très studieux, et au cœur aussi doux que sensible.

— Bonsoir, Ffamran, lança Cid lorsqu’il aperçut son fils franchir le portail de l’école élémentaire.

L’adolescent ne répondit pas et s’apprêta à tourner à droite, prenant le chemin de son domicile, lorsqu’il aperçut la femme blonde aux mains liées.

— Docteur Ludy ! Vous êtes venue !

Elle lui sourit et l’invita à les suivre. Sur la route, il parla de ses camarades, dont la moitié avait attrapé froid à la suite de la prolifération d’un curieux virus, ainsi que de ses devoirs de mathématiques, sur lesquels il avait des doutes. Ludy répondit du mieux qu’elle put, lui enjoignant de rester prudent et expliquant les théorèmes qu’il devait appliquer. Marchant silencieusement derrière eux, Cid restait pensif, accueillant l’enthousiasme des deux autres avec une nostalgie affectueuse qui le laissait sans voix.

— S’il vous plaît, montrez-moi comment résoudre ce problème ! supplia Ffamran tandis que son père tournait la clé de la porte. Je veux être sûr d’avoir bien compris l’énoncé !

Ludy allait accepter lorsque le docteur Cid déclara :

— Le docteur Ludy doit se reposer un peu avant de rentrer chez elle. Elle n’aura pas le temps de t’aider. De plus, nous devons discuter de choses importantes.

Ffamran lui adressa un regard noir tandis que tous les trois pénétraient dans l’appartement.

— Allons, Docteur, fit la jeune femme, cela ne durera que cinq minutes. Je reviens tout de suite !

Lâchant son plus profond soupir en se laissant tomber sur son canapé, Cid lui fit un signe de main et les deux autres se dirigèrent vers la chambre de l’adolescent.

— Je vois que tu as fait ton lit ! félicita Ludy en tirant une chaise près du petit bureau. C’est très bien ! Ton père sera content.

— Je me moque bien de ce qu’il ressent, grommela Ffamran. Je l’ai fait parce que vous m’avez dit que c’était mieux de le faire.

— Parfait ! s’exclama la blonde. Tu dessines encore des vaisseaux ?

— Euh… Oui, fit l’adolescent en balayant d’un geste les feuilles sur lesquelles il avait griffonné des esquisses de machines plus sophistiquées les unes que les autres. Mais voici mon cahier de cours ! Le théorème est inscrit là.

L’explication dura sept minutes, au bout desquelles le garçon eut un gigantesque sourire dessiné sur son visage hâlé.

— Merci, Ludy ! Je suis toujours fasciné par votre savoir et la facilité avec laquelle je comprends ce que vous dites. J’aimerais bien vous avoir comme professeur au lieu de cette vieille bique de l’école !

— Sais-tu quel est le meilleur professeur que j’aie jamais eu ?

— C’est Père, je sais… fit Ffamran avec une grimace. Eh ! Où allez-vous ?

— Je vais préparer le dîner. Ton père doit être fatigué.

— Je viens avec vous, décida l’adolescent en se levant. Qu’allez-vous préparer ?

— Des nouilles aux épices, répondit Ludy en se dirigeant vers la cuisine.

Le docteur Cid, plongé dans un demi-sommeil, fut réveillé par les cris de joie de son fils qui bondissait vers le fond de l’appartement. Il soupira de nouveau et entreprit de ranger la table du salon. Il aimait que son environnement fût aussi clair que ses pensées.

Ils dînèrent dans la salle à manger accolée au salon, autour de la table ronde du même gris clair que le papier-peint.

— Je vais lire un peu, dit Cid en se levant, une fois son assiette finie.

Ludy, qui avait fini également, attendit que le repas de Ffamran fût achevé pour faire la vaisselle.

— Attendez… je vais vous aider ! proposa le garçon en se mettant sur la pointe des pieds.

— Non, Ffamran, le repoussa la jeune femme. Va dans ta chambre et prépare tes affaires pour demain. N’oublie pas que tu as une interrogation en philosophie ! J’arrive.

L’adolescent obéit en traînant des pieds. Une fois la vaisselle rangée, Ludy s’essuya les mains, passa derrière le canapé sur lequel Cid lisait religieusement une gazette scientifique, et entra de nouveau dans la chambre du fils.

— J’ai fini ! annonça fièrement ce dernier.

— Très bien. Je vois que tu t’es également changé. Il ne te reste plus qu’à te mettre au lit.

— Déjà ? Restez un peu avec moi, s’il vous plaît…

Ludy, à son tour, obéit et s’assit au bord du lit tandis qu’il se glissait dedans.

— Parlez-moi de ce que vous faites, dit le garçon d’une voix douce. Comment les choses se passent-elles ? Il semble que Père et vous travaillez sur un nouveau projet.

— C’est le cas, répondit-elle.

Ce qui se passerait à Draklor étant soigneusement classé secret défense, elle ne devait en aucun cas communiquer de détails à quiconque, et certainement pas à un jeune garçon qui devait rester protégé.

— Dites-m’en plus ! insista Ffamran.

— Je t’en dirai plus une prochaine fois.

— Pourquoi ?

— Ce n’est pas encore clair… Nous ne savons pas exactement vers où orienter nos recherches. Peut-être cela s’éclaircira-t-il dans les prochaines années.

— « Prochaines années » ? répéta le garçon déçu. Ce n’est pas juste !

Ludy n’aimait pas le voir bouder, aussi lui gratta-t-elle le sommet de la tête avec délicatesse. Ffamran se laissa faire sans pour autant quitter son expression maussade.

— A quoi penses-tu ? demanda-t-elle d’une voix douce.

— A ma mère.

La jeune femme interrompit son geste et ouvrit la bouche sans savoir quoi répondre.

— C’est tout de même très étrange qu’on ne sache pas où elle est, poursuivit l’adolescent. Vous le savez, vous ?

— Non, répondit Ludy d’une voix blanche. Je suis désolée.

— Bah, ce n’est pas si grave, fit-il en se retournant dans son lit. Mais si elle est vivante… pourquoi n’est-elle pas là ?

Ludy baissa la tête.

— Elle avait envie de partir… de voir d’autres horizons. Mais je suis sûre qu’elle reviendra !

— Elle s’est décidée un beau matin à nous abandonner ? Je n’en suis pas convaincu. Je pense plutôt que c’est mon père qui lui a fait vivre un enfer.

— Pas du tout, défendit immédiatement la jeune femme. Elle s’entendait très bien avec ton père, et il n’a jamais rien fait qui puisse lui être nuisible. Crois-moi, elle reviendra. Peut-être bientôt, peut-être dans longtemps… mais elle reviendra !

— L’avez-vous déjà vue ? interrogea le garçon.

— Non, pas vraiment.

Elle n’avait nullement envie d’évoquer cette cérémonie de mariage qui l’avait démoralisée pendant des mois, et durant laquelle elle n’avait aperçu Morphine que furtivement.

— Est-ce que vous serez toujours avec moi ? demanda soudain Ffamran.

Le cœur de Ludy se desserra et elle lui tendit la main.

— Toujours.

Après avoir bordé le garçon quelques minutes, main dans la main, lui susurrant des mots d’encouragement à l’oreille ainsi qu’elle en avait pris l’habitude les trois années précédentes – depuis que Cid l’avait retrouvée et lui avait ouvert la porte de sa vie personnelle –, la jeune femme quitta la chambre. Le câlin de bonne nuit avait été également de rigueur, à la grande joie de Ffamran.

Dans le salon, elle retrouva le scientifique toujours plongé dans sa revue, le regard sombre. Elle s’approcha à pas de loup et s’installa sur un fauteuil à proximité du sien. Elle baissa les yeux, incapable de le regarder plus longtemps. En le sachant ainsi, profondément concentré sur quelque chose qui lui inspirait doutes et soucis, elle avait envie de se blottir contre son épaule, de lui dire que tout irait bien, de respirer son odeur et de profiter d’être contre l’homme à qui elle devait tout. Mais rien de cela ne lui était autorisé, alors elle demeura assise, perdue dans ses réflexions, qui s’égarèrent vers le passé de son sauveur. Il n’avait point d’amis – cela ne l’intéressait visiblement pas. Il avait toujours dit que les gens qu’il rencontrait étaient hypocrites et qu’il ne pouvait jamais leur faire confiance. Ludy, bien qu’en désaccord, ne lui en voulait guère : il avait grandi ainsi, écarté de la société à cause de son adolescence mouvementée. Sa rencontre avec Morphine Muréna, à l’âge précoce de douze ans, avait précipité son destin de père : l’année suivante, Satyen était né, suivi de Niraj quelques mois plus tard. Deux garçons que les parents de la noble fille avaient immédiatement confisqués, estimant que le couple d’adolescents n’était pas apte à les élever – ce qui était peut-être vrai à l’époque. Ce que d’aucuns appelaient la débauche de Cid avait conduit les fortes têtes de l’Académie de Sciences à s’opposer à l’admission du jeune garçon, mais les résultats scolaires avaient fini par prévaloir sur la réputation du petit Bunansa. Cependant, les autres étudiants, ainsi que la majorité des professeurs, avaient continué à avoir une image déformée de lui, ne comprenant pas qu’il eût « gâché sa vie » aussi tôt ni ce qu’il pouvait en attendre. Cid avait donc grandi relativement seul, tous les regards de sa famille étant tournés vers son frère Mid qui réussissait à merveille tous les concours de médecine, tout le beau monde d’Archadès s’étant lassé de l’étudiant à scandales qui n’était même pas capable de retenir sa dulcinée. Morphine avait en effet fui une première fois, s’échappant de l’emprise du juge Zecht, qui était son tuteur, pour rejoindre un équipage pirate basé à Port Balfonheim, au sud de l’Empire. Elle était revenue sans explication vingt-et-un ans plus tard, prétendant avoir changé et être prête à la vie de famille. Le mariage avait eu lieu peu après, les choses semblaient s’être arrangées, et ce fut dans ce cadre que Ffamran avait vu le jour. Ludy, entamant ses dernières années d’études, se souvenait très clairement de ce jour où le doyen leur avait annoncé que Cid, alors professeur à l’Académie, ne pourrait pas assurer ses cours pendant un certain temps. Elle avait tout de suite compris que quelque chose était arrivé à Morphine. L’appel de la mer avait gagné, encore une fois. Détruisant tout sur son passage, et en particulier le cœur à peine guéri de Cid.

— Oh, vous êtes là !

Ludy sursauta. Elle reposa son regard sur l’homme qui s’étirait et rangeait sa lecture dans l’étagère sous la table.

— Je suis tellement fatigué, aujourd’hui… Allons dans ma chambre.

Bien qu’elle connût ladite chambre par cœur pour y avoir fait le ménage régulièrement, pénétrer dans le sanctuaire de bonheur où il avait vécu avec Morphine l’impressionnait toujours autant que la première fois. Cid alluma la faible lumière éclairant à peine le lit, et déposa ses lunettes sur la table de chevet. Mal à l’aise, la jeune femme fit demi-tour.

— Où allez-vous ? lui demanda l’homme d’une voix grave.

— Je... Vous allez vous changer.

— Non, ricana Cid. Je dormirai dans cette tenue ; je suis lessivé. Revenez et prenez une chaise.

— Je… Je dois partir bientôt, prétexta-t-elle sans bouger.

— Restez près de moi quelques instants, je vous en supplie… Je sais que vous ne pouvez rien me refuser.

Incapable de confirmer ni d’infirmer, la jeune femme se contenta d’obéir et s’assit près du lit où l’homme se glissait. Cid, détournant le regard, sourit et poussa l’un de ses longs soupirs songeurs.

— J’ai répondu à la dernière lettre du père Muréna. Regardez sur le bureau derrière vous. Dites-moi si j’ai bien fait.

Elle cligna des yeux et se retourna. Saisissant la lettre, elle approcha sa tête vers celle de Cid afin d’avoir suffisamment d’éclairage. Parcourant les lignes écrites avec autant de soin que tout docteur qui se respectait, elle écouta distraitement l’homme qui ajoutait :

— J’y ajouterai un chèque demain. Cette pension alimentaire commence à peser lourd sur mes finances… Si le petit Vayne ne se dépêche pas de nous payer, je vais avoir des ennuis, et je suppose que vous aussi.

Elle reposa la missive à sa place et répondit :

— Il n’y a rien de mauvais là-dedans. Vous pouvez l’envoyer. Mais…

— Oui ?

Cid s’était tourné vers elle, la fixant avec une curiosité avenante de son regard noisette qui la faisait chavirer.

— Eh bien… balbutia-t-elle en se tournant les pouces. Vous n’avez pas demandé de leurs nouvelles.

Le visage de Cid se décomposa aussitôt, et ses yeux se détournèrent vers la porte.

— C’est inutile. Satyen et Niraj sont les enfants du père Muréna plus qu’ils sont les miens, désormais. Ils portent même son nom. Pour lui, je ne suis leur père que lorsqu’il s’agit de payer.

— Et alors ? insista Ludy. Vous demeurez leur père malgré tout, et vous êtes en droit de savoir comment ils s’en sortent.

— Oh, je sais bien comment ils s’en sortent, je n’ai pas besoin de questionner le diable à ce sujet… De toute façon, toute intervention de ma part les perturberait plus qu’autre chose.

— Je ne pense pas. Ils se demandent certainement comment vous allez, eux aussi. Ils savent qu’ils ont un vrai père ainsi qu’un petit frère. Le lien ne demande qu’à être restauré !

— Vous vous trompez, ma très chère Ludy. Tout comme le reste de cette ville, ils ne m’ont jamais pardonné mes erreurs de jeunesse. Je dois traîner celles-ci derrière moi pour l’éternité…

— Vous n’avez commis aucune erreur, rétorqua la jeune femme. Vous avez seulement… écouté la voix de l’amour, et agi purement par amour, en toutes circonstances. Peu importe ce qu’il s’est passé, les gens devraient garder cela en tête et ne point vous blâmer.

— Les braves gens, ma chère Ludy, ne sont pas aussi bienveillants que vous l’êtes. Et puis…

Il renifla et ses yeux brillèrent d’une lueur nostalgique.

— Personne ne pourra nier que j’ai été irresponsable pendant ma jeunesse, poursuivit-il d’une voix tremblotante. Je n’ai pas réfléchi et j’ai compromis l’honneur de ma famille ainsi que de celui des Muréna, qui ne sont pas n’importe qui en cette ville. Je ne méritais pas d’être leur père, pas plus qu’aujourd’hui… Je n’arrive même pas à être le père de Ffamran, comment pourrais-je regarder les deux autres en face ?

Et tout son corps se crispa, se recroquevilla, tandis que les larmes s’étaient mises à couler. Plus embarrassée que jamais, la jeune femme, surprise et attristée, ouvrait la bouche sans qu’aucun son n’en sortît.

— Je ne peux pas y arriver, vous m’entendez… Jamais…

— Je vous aiderai, dit-elle soudain en posant une main réconfortante sur son épaule. Nous trouverons ensemble un moyen pour que vous vous revoyiez. Vous verrez bien ce qu’il en est.

Impuissante face aux sanglots, elle lui laissa le temps de reprendre ses esprits.

— Pardonnez-moi… dit-il en sortant un mouchoir d’un tiroir. Je suis navré que vous ayez à me voir dans cet état.

— Vous devriez plutôt être navré des paroles erronées que vous avez dites, rétorqua-t-elle calmement. Vous faites tout votre possible pour veiller convenablement sur Ffamran. Il est juste… têtu, et en pleine crise d’adolescence.

— Comme sa mère, commenta Cid d’un ton apaisé. Peu importe l’âge qu’elle a… elle est toujours en effervescence. J’aimerais qu’il y ait des mots plus forts pour expliquer ce que je ressens, mais je n’en trouve pas, alors… je dirai juste qu’elle me manque.

— Elle nous manque à tous. Mais je pensais à une chose… Puisqu’elle a toujours eu un lien fort avec le seigneur Zecht, et que ce dernier est au Palais… Peut-être sera-t-il plus facile pour vous d’obtenir de ses nouvelles !

— J’aime autant éviter de demander quoi que ce soit à ces boîtes de conserve, répondit Cid avec une grimace. Et puis, cela doit faire des années que Zecht ignore où elle se trouve.

Il soupira à nouveau et croisa ses bras sous sa nuque.

— Que voulait-il ? lui demanda-t-il avec un sourire.

— Qui donc ?

— Ffamran.

Ludy hésita. Elle ne savait pas si le rôle qu’elle jouait auprès du garçon lui plaisait, ou s’il lui rappelait uniquement qu’elle prenait la place d’une autre.

— Nous avons… un peu discuté, finit-elle par répondre. Et puis, il m’a justement demandé des nouvelles de Madame. Je lui ai dit qu’elle finirait par revenir.

Cid émit un bruit sourd et déclara avec dédain :

— Vous n’étiez pas obligée de lui mentir.

— Je ne mens pas !

De nouveau, les yeux noisette plongèrent dans les siens.

— Je… Je sais qu’elle va revenir. Nous, les femmes, avons comme une sorte de pouvoir qui nous permet de connaître certaines choses. Je n’ai jamais côtoyé Madame, mais je sais que c’est une bonne personne, qu’elle est attachée à vous d’une manière ou d’une autre, et qu’un beau jour, elle demandera à voir son mari.

— J’aimerais avoir ne serait-ce que l’imagination suffisante pour envisager que vous ayez raison, soupira Cid d’une voix accablée.

La jeune femme, à court de mots, se contenta de profiter d’être toute proche de l’homme à moitié endormi, d’écouter sa respiration de plus en plus régulière, et du sentiment de sécurité qui l’enveloppait.

— Ludy.

— Oui, Docteur ?

Elle approcha de nouveau sa tête. A quelle distance était-il convenable de s’arrêter ? Son cœur battait à toute vitesse et elle sentait ses membres trembler.

— Je ne pourrai jamais vous récompenser suffisamment pour toutes les bontés que vous manifestez à mon égard, ainsi qu’à Ffamran. Vous n’êtes pas seulement une collaboratrice d’exception ; vous avez le cœur pur et à ce jour, vous êtes la seule à me supporter, la seule à me comprendre, et surtout la seule en qui je peux faire entièrement confiance. Merci, docteur Ludy.

Se sentant rougir jusqu’aux oreilles, elle décida de se lever et de faire quelques minuscules pas en arrière.

— C’est… C’est normal ! Je ne fais que mon devoir. C’est un plaisir pour moi de vous accompagner au quotidien. A présent, je vous laisse… Je commence à être fatiguée aussi. Au revoir, Docteur !

— Attendez.

Cid avait saisi sa main. Jamais Ludy ne s’était sentie aussi tendue.

— Avec votre talent, vous allez bientôt conclure des expériences qui bouleverseront Ivalice, et vous pourrez travailler dans n’importe quelle structure. Naturellement, vous serez libre de le faire. Mais…

— Je ne souhaite pas travailler dans… « une autre structure », interrompit-elle, le visage éteint. Je souhaite mener à bien l’entreprise dans laquelle nous nous sommes engagés et n’aspire nullement à quitter votre compagnie.

— Dois-je comprendre que vous serez toujours en ma compagnie ?

Sa bouche s’étira en un large sourire.

— Toujours.

Après de brèves salutations, elle avait lâché la main et quitté l’appartement de Zénoble.

Se moquant des convenances, elle remonta la rue en bondissant, la tête pleine du souvenir lénifiant du garçon qu’elle protégeait, et de l’homme qu’elle aimait.

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